Par Gilles Jobin,
vendredi 5 octobre 2012
::Mietteries
L'expérience
Tous les renards se retrouvent chez le pelletier.
Sommaire. - La terreur des poulaillers. - Massacres justifiés. - L'égalité dans le néant. - Songe réaliste. - Horace traduit, non trahi.— Autre cloche, même son.
Pour bien saisir le sens de ce proverbe, il faut remonter le cours des ans. À l'époque où les renards foisonnaient, on se livrait à de cruelles hécatombes ayant pour excuse la protection des coqs, poules, poulets et poulaillers. On faisait alors un grand commerce de peaux de renard. Naturellement, le marchand ayant nom, le pelletier, en offrait un choix considérable, tous les renards se retrouvant chez lui.
Si les renards ont à peu près disparu et si les pelletiers ont été transformés en marchands de fourrures, le sens attaché au proverbe subsiste toujours et subsistera jusqu'à la consommation des siècles; c'est-à-dire que les hommes se retrouveront tous réunis un jour dans le néant et au même niveau d'une égalité parfaite.
Cette vérité a été rendue avec réalisme par un homme de lettres du nom de Patrix, attaché au frère de Louis XIII, Gaston d'Orléans, qui lui-même se piquait de poésie :
Je songeais cette nuit que, de mal consumé, Côte à côte d'un pauvre on m'avait inhumé Et que n'en pouvant pas souffrir le voisinage En mort de qualité je lui tins ce langage : « Retire-toi, coquin, va pourrir loin d'ici, Il ne t'appartient pas de m'approcher ainsi. — Coquin, ce me dit-il, d'une arrogance extrême, Va chercher tes coquins ailleurs, coquin toi-même. Ici tous sont égaux, je ne te dois plus rien, Je suis sur mon fumier comme toi sur le lien. »
Malherbe a dit moins brutalement, mais avec non moins d'énergie :
La Mort a des rigueurs à nulle autre pareilles ; On a beau la prier, La cruelle qu'elle est se bouche les oreilles Et nous laisse crier.
Le pauvre, en sa cabane où le chaume le couvre, Est sujet à ses lois, Et la garde qui veille aux barrières du Louvre N'en défend pas nos rois.2
Sous une autre forme on retrouve encore dans une ode d'Horace la même pensée que la mort nivelle tous les rangs, unifie toutes les conditions ; grands et petits se retrouvent au même plan :
Omnes codem cogimur, omnium Versatur urna serius, ocyus Sors exitura, et nos in aeternum Exilium impositura cymboe,3
ce que l'on peut traduire approximativement :
La même loi s'étend sur les hommes divers ; Ils sont tous attendus dans la nuit des enfers ; Ils y tombent en foule; et dans sa frêle barque Caron passe à la fois le Pâtre et le Monarque.
1 Ode IV, Ad Sestium, vers 13. 2 Malherbe, Stances à son ami Du Périer (1599). 3 Ode 3 du Livre II. Ad Q. Dellium, vers 25 à 28.
Par Gilles Jobin,
samedi 29 septembre 2012
::Mietteries
L'expérience
Les moutons de Panurge.
Sommaire. - Judicieuse remarque. - Une vengeance qui donne la célébrité.
Panurge était observateur ; il avait remarqué la tendance des moutons à suivre aveuglément celui qui tient la tête du troupeau.
S'étant, lors d'un voyage en mer, pris de querelle avec le berger Dindenault, il lui acheta une de ses bêtes qu'il jeta, criant et bêlant, dans la mer; tous les autres moutons de sauter à leur tour par-dessus bord: « car vous sçavez, dit Rabelais, estre du mouton le naturel, toujours suivre le premier, quelque part qu'il aille. » Ainsi Panurge fut vengé et rendit célèbres les moutons qui portent désormais son nom, bien que ne lui ayant jamais appartenu.
Ne voit-on pas de tous côtés des moutons, qu'ils soient de Panurge ou autres, tous gens imitant servilement le voisin et faisant une chose parce que les autres la font; c'est leur seule raison, ils n'en sauraient avoir de meilleure; la profondeur de leur esprit, l'acuité de leur intelligence se bornent à suivre la foule par mode ou par snobisme : Imitatores, servum pecus, « imitateurs, troupeau servile », s'écriait Horace indigné.
Qu'un seul mouton se jette à la rivière, Vous ne verrez nulle âme moutonnière Rester à bord : tous se noieront à tas. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Le monde n'est que franche moutonnaille,1