L'expérience

Les moutons de Panurge.

Sommaire. - Judicieuse remarque. - Une vengeance qui donne la célébrité.

Panurge était observateur ; il avait remarqué la tendance des moutons à suivre aveuglément celui qui tient la tête du troupeau.

S'étant, lors d'un voyage en mer, pris de querelle avec le berger Dindenault, il lui acheta une de ses bêtes qu'il jeta, criant et bêlant, dans la mer; tous les autres moutons de sauter à leur tour par-dessus bord: « car vous sçavez, dit Rabelais, estre du mouton le naturel, toujours suivre le premier, quelque part qu'il aille. » Ainsi Panurge fut vengé et rendit célèbres les moutons qui portent désormais son nom, bien que ne lui ayant jamais appartenu.

Ne voit-on pas de tous côtés des moutons, qu'ils soient de Panurge ou autres, tous gens imitant servilement le voisin et faisant une chose parce que les autres la font; c'est leur seule raison, ils n'en sauraient avoir de meilleure; la profondeur de leur esprit, l'acuité de leur intelligence se bornent à suivre la foule par mode ou par snobisme : Imitatores, servum pecus, « imitateurs, troupeau servile », s'écriait Horace indigné.

Qu'un seul mouton se jette à la rivière,
Vous ne verrez nulle âme moutonnière
Rester à bord : tous se noieront à tas.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Le monde n'est que franche moutonnaille,1

murmure le doux La Fontaine.


1 La Fontaine, L'Abbesse, conte.

Émile Genest, Miettes du passé, Collection Hetzel, 1913. Voir la note du transcripteur.