Jobineries

Blogue de Gilles G. Jobin, Gatineau, Québec.

mercredi 18 octobre 2006

Le succès

Succès : Sert aux hommes de piédestal. Il les fait paraître plus grands.
Joseph Joubert

Remarque : Cette conversation date de quelques années.

- J'ai revu un ancien élève, me lança un collègue de travail.

- Et?

- Il a trouvé un très bon boulot. Et il m'a remercié d'avoir été rigoureux avec lui. Il m'a même dit que c'était un peu beaucoup grâce à moi s'il avait obtenu son diplôme. Il me semble que ça fait du bien de voir des élèves réussir grâce à nos efforts.

Comme je ne réagissais pas, mon collègue m'a demandé :

- Tu n'es pas d'accord que ça fait du bien à notre égo?

- Non.

- ???

- Tu sais, lui dis-je, je travaille avec ceux qui en arrachent, ceux qui « l'ont facile », ceux qui ne croient pas en eux, ceux qui sont superintelligents, ceux qui sont démunis.... Et je mets des d'efforts avec eux tous. Ma satisfaction au travail ne dépend pas du succès de mes élèves. Il faut juste que je me dise, à la fin de la journée, « voilà, j'ai fait, aujourd'hui, tout ce que je pouvais faire pour cette personne. » Le reste ne m'appartient pas.

Le Judas de Léonard

Dernier roman de Perutz, Le Judas de Léonard est une fort agréable lecture. Pour sa peinture de la cène, Léonard de Vinci cherche le bon visage, celui dont les traits répondraient « au péché d'orgueil qui conduisit Judas à trahir l'amour qu'il éprouvait. » Joachim Behaim deviendra son Judas, et c'est son histoire que Perutz raconte. L'une des jolies citations du livre se trouve en page 233 où l'auteur met ces mots dans la bouche de Léonard :
« Je ne sers ni duc ni prince, et je n'appartiens à aucune ville, à aucun pays, aucun royaume. Je ne sers que ma passion d'observer, de comprendre, d'ordonner et de créer, et je n'appartiens qu'à mon oeuvre. »

mardi 17 octobre 2006

Regard intuitif sur la notion de compétence

Mozart était-il un musicien compétent ? Picasso était-il un peintre compétent ? Euler, un mathématicien compétent ? Et Einstein, parle-t-on de lui en lui affublant le titre de physicien compétent ?

Par contre, le chirurgien qui m'a débloqué des artères était compétent. C'est toujours un mécanicien compétent qui répare ma voiture. Et j'aime bien savoir que le pilote d'avion est compétent à diriger son appareil. Je veux aussi que l'enseignant qui enseigne à mes enfants soit compétent et l'horticulteur compétent me donne des conseils judicieux et adaptés aux caractéristiques de mon jardin.

Compétence et professionnalisme. Prenons le cas du chirurgien. En fait, peu m'importait qui réalisait l'opération. Je ne désirais qu'un type qui « connaisse son affaire » (la compétence) et qui en même temps, porte toute son attention sur son travail (son professionnalisme) de manière à ne pas m'envoyer ad patres pour une simple - mais ô combien possible - erreur de manipulation !

Kundera. Kundera - qui écrit aussi en français - est-il un écrivain compétent ? Il doit certainement mobiliser une tonne de ressources pour écrire comme il le fait, mais cela en fait-il un auteur compétent ? Comparons au journaliste, peu importe le journaliste, car, justement, ce qu'on cherche chez lui n'est pas de l'écriture, mais bien de la compétence à rapporter par écrit les choses ! On remarque d'ailleurs que presque tout est pareil dans un article de journal. Les journalistes apprennent leur métier sur les bancs d'école. Et ils apprennent tous la même chose. En ce sens, ils sont interchangeables. C'est un peu comme le chirurgien : on se fout de qui il est. On ne veut que sa compétence à exécuter sa tâche. Interchangeable : quand disparaîtra Kundera, ce ne sera pas une compétence qu'on perdra, mais bien un potentiel unique de créativité.

Donc, intuitivement, un être compétent mobilise certaines ressources pour réaliser (ou tenter de réaliser) une tâche qui implique généralement un certain risque. Par exemple, le journaliste qui déconne se fera rapidement « rentré d'dans ». Un chirurgien qui gaffe peut causer un tort irréparable. Et un pilote d'avion qui effectue un mauvais atterrissage met en péril tout l'équipage. Quant au plombier qui installe mon chauffe-eau, il doit s'assurer d'une foule de normes de sécurité.

Mais...

Mais je préfère, et de loin, un chirurgien qui aura pris le temps de m'expliquer le problème et sa solution. Donc, une personne qui me considérera comme capable de comprendre ce qui m'arrive. Je préfère aussi un chirurgien capable de consulter des collègues et de coopérer avec eux.

À compétences égales, je vais choisir un mécanicien qui prend de temps de m'expliquer en termes simples les problèmes de ma voiture, qui peut me suggérer des solutions et qui fera confiance à ma capacité de comprendre.

Quant aux journalistes, je ne sais pas... Ce sont des gens spécialisés pour répéter ce que d'autres disent. Et, tout bon élève sait cela, il n'y a pas 156 manières de répéter...

Et à l'école, une compétence, c'est quoi ?

En fait, dans le domaine intellectuel, il me semble que le terme de compétence s'applique mal. Pour reprendre plus haut, pourrait-on dire qu'Einstein était compétent à résoudre des problèmes mathématiques ? On peut sans doute répondre oui (et alors, en bon enseignant, il faudra bien le noter !), mais on sent que ce n'est pas tout à fait cela. Il a passé près de 50 ans de sa vie à vouloir démontrer que le monde est déterministe. Sans réussir. Cela en fait-il un incompétent ? Einstein réfléchissait à partir de concepts très abstraits. Peut-on être compétent à réfléchir ?

Chopin n'a pas composé de symphonie. Par contre, Beethoven... Ce dernier est-il plus compétent que le premier ? Viendrait-il à l'idée d'un critique de comparer les compétences d'un Miro à celles d'un Picasso? Comme en sciences, on dirait qu'on peut difficilement parler de compétences en art. Donc, à l'école, une compétence, c'est quoi ???

Sincèrement, je pense que le MELS n'avait pas de mot adéquat pour décrire ce qu'on attend de nos élèves. Rappelez-vous, dans une première version du programme, fin 90, il était question de capacités. La compétence, c'est être capable de se débrouiller avec des connaissances, et entre autres, être capable de s'ajouter des connaissances, et, surtout, de reconnaître qu'on doive s'en rajouter et de trouver de bons moyens pour le faire.

En ce sens, apprendre à écrire des textes variés veut simplement dire que je dois apprendre à écrire une lettre d'un certain type si je dois m'adresser à une certaine personne, et d'un autre type si mon propos s'adresse à une tout autre personne. Je dois comprendre que l'écriture d'un roman, d'un poème, d'une note à mon boss, d'un billet sur un blogue ou d'une réponse sur un forum, ce n'est pas la même chose et, qu'en même temps, c'est la même chose. Je dois m'habiliter à faire des rapprochements (le fameux transfert), à différencier les choses et à juger de ce que je dois apprendre pour mieux les faire. C'est aussi se donner les moyens de reconnaître une nouvelle forme d'écriture qui, au moment des apprentissages, n'existait pas encore.

Quant aux transversales, c'est le gros plus (+) de mon chirurgien à l'écoute ou de mon mécanicien humain.

Je trouve curieux ce débat qui oppose les connaissances aux compétences. Veut-on remplir des têtes sans savoir ce que les élèves peuvent mobiliser à partir de ce plein ? Veut-on d'un parfait solutionneur de problèmes mathématiques qui n'a aucune connaissance mathématique ?

Pour tous ceux qui aimeraient comprendre ce qu'est apprendre par compétences, voici ce que je vous suggère :
  • Choisissez un instrument de musique dont vous ignorez absolument tout. (Dans mon cas, à 32 ans, j'ai reçu un beau piano : je ne savais même pas ce que représentaient les touches blanches et noires. Par contre, j'avais déjà fait de la flûte à bec.)
  • Donnez-vous une semaine pour apprendre une pièce de première année du conservatoire.
  • Notez, décrivez vos apprentissages.
  • Revenez faire part de vos découvertes !

Citation du jour

À vouloir trop réfléchir à la place des gens, on finit par croire que l'on sait comment ils pensent ; et en général, on se trompe...
Ange-Gabriel C. dans l'article Ubuntu veut-il devenir le prochain Microsoft ?

lundi 16 octobre 2006

Le zéro de Jacquard

[...] comprendre est une façon de regarder. [...] comprendre est une attitude.
Clarice Lispector, Le bâtisseur de ruines.


Dans Mon utopie (2006), Albert Jacquard consacre une petite section à l'arithmétique. Il indique comment certains mathématiciens s'y prennent pour enseigner le concept du nombre. Je transcris le passage :
- Voici deux tas, un tas de cuillers, un tas de fourchettes; faites-vous une différence entre eux ?
- Certes.
- J'enlève quelques cuillers et quelques fourchettes, faites-vous encore une différence ?
- Bien sûr.
- Je continue à vous poser la question et enlève chaque fois quelques cuillers et quelques fourchettes. Vient l'instant où il n'y a plus ni les unes ni les autres, faites-vous encore une différence ?
- Réflexion faite, non : il n'y a pas de différence entre un tas de fourchettes dont tous les éléments ont été enlevés et un tas de cuillers dont...
- Bravo; vous venez de définir les deux premiers nombres : zéro, c'est l'ensemble vide, et un, c'est l'ensemble des ensembles vides, qui lui n'est pas vide et dont vous venez d'affirmer que tous ses éléments sont identiques.
La question du début (faites-vous une différence) est tellement banale. Pourtant, lorsqu'il ne reste plus rien, la question devient intéressante : elle déstabilise intelligemment. Conflit cognitif diront plusieurs. Pour moi, il s'agit là d'une expérience mathématique. Certaines, comme celle-ci, sont fructueuses.

dimanche 15 octobre 2006

De l'indifférence

Extraits du Précis de décomposition de Cioran, 1949.

En elle-même, toute idée est neutre, ou devrait l’être ; mais l’homme l’anime, y projette ses flammes et ses démences ; impure, transformée en croyance, elle s’insère dans le temps, prend figure d’événement : le passage de la logique à l’épilepsie est consommé… Ainsi naissent les idéologies, les doctrines, et les farces sanglantes.
Idolâtres par instinct, nous convertissons en inconditionné les objets de nos songes et de nos intérêts. L’histoire n’est qu’un défilé de faux Absolus, une succession de temples élevés à des prétextes, un avilissement de l’esprit devant l’Improbable. Lors même qu’il s’éloigne de la religion, l’homme y demeure assujetti ; s’épuisant à forger des simulacres de dieux, il les adopte ensuite fiévreusement : son besoin de fiction, de mythologie triomphe de l’évidence et du ridicule. Sa puissance d'adorer est responsable de tous ses crimes : celui qui aime indûment un dieu, contraint les autres à l'aimer, en attendant de les exterminer s'ils s'y refusent. Point d’intolérance, d’intransigeance idéologique ou de prosélytisme qui ne révèlent le fond bestial de l’enthousiasme. Que l’homme perde sa faculté d’indifférence : il devient un assassin virtuel ; qu’il transforme son idée en dieu : les conséquences en sont incalculables.

L'envie de devenir source d'événements agit sur chacun comme un désordre mental ou comme une malédiction voulue. La société, - un enfer de sauveurs ! Ce qu'y cherchait Diogène avec sa lanterne, c'était un indifférent...

[...] Toute foi exerce une forme de terreur, d'autant plus effroyable que les « purs » en sont les agents. On se méfie des finauds, des fripons, des farceurs ; pourtant on ne saurait leur imputer aucune des grandes convulsions de l'histoire ; ne croyant en rien, ils ne fouillent pas vos coeurs, ni vos arrières-pensées  ils vous abandonnent à votre nonchalance, à votre désespoir ou à votre inutilité ; l'humanité leur doit le peu de moments de prospérité qu'elle connut : ce sont eux qui sauvent les peuples que les fanatiques torturent et que les « idéalistes » ruinent.

Dans tout homme sommeille un prophète, et quand il s'éveille il y a un peu plus de mal dans le monde...

Clonerie

Si j'avais le génie de ce monsieur, il me semble que je choisirais Claudia Schiffer ou Nicole Kidman...

samedi 14 octobre 2006

État d'âme

J'ai fait mes études primaires dans les années soixante. Je me rappelle la bibliothèque de l'école. Toutes les deux ou trois semaines, nous prenions quinze minutes pour y aller choisir un livre. On était en rang. On choisissait rapidement. Et on revenait en classe. À présent, c'est à peu près la même chose en informatique. On met les élèves en rang. On se dirige vers le labo. On démarre les machines - c'est parfois assez long, c'est parfois chaotique et c'est beaucoup de gestion. On exécute rapidement ce qui est demandé. On ferme les machines. Et on revient en classe.
Aujourd'hui je vois l'école aussi fade qu'enfant je la vivais. Oh! il s'y fait souvent de belles choses, mais l'école manque d'âme. Qu'y faire ? Rien. Sauf, peut-être, pour ne pas sombrer dans les affres de maussaderie, développer une saine indifférence.

vendredi 13 octobre 2006

La Noumanité

Trouvé ici ce très beau texte de Stig Dagerman écrit en 1950 dans l'hebdomadaire Vi. Traduit du Suédois par Philippe Bouquet, on trouve cet extrait dans La Dictature du chagrin, Agone 2001.

Parler de l’humanité, c'est parler de soi-même. Dans le procès que l'individu intente perpétuellement à l'humanité, il est lui-même incriminé et la seule chose qui puisse le mettre hors de cause est la mort. Il est significatif qu'il se trouve constamment sur le banc des accusés, même quand il est juge. Personne ne peut prétendre que l'humanité est en train de pourrir sans, tout d'abord, constater les symptômes de la putréfaction sur lui-même, sans avoir lui-même commis de mauvaises actions. En ce domaine, toute observation doit être faite in vivo. Tout être vivant est prisonnier à perpétuité de l'humanité et contribue par sa vie, qu'il veuille ou non, à accroître ou à amoindrir la part de bonheur et de malheur, de grandeur et d'infamie, d'espoir et de désolation, de l'humanité.

C'est pourquoi je puis oser dire que le destin de l'homme se joue partout et tout le temps et qu'il est impossible d'évaluer ce qu'un être humain peut représenter pour un autre. Je crois que la solidarité, la sympathie et l'amour sont les dernières chemises blanches de l'humanité. Plus haut que toutes les vertus, je place cette forme que l'on appelle le pardon. Je crois que la soif humaine de pardon est inextinguible, non pas qu'il existe un péché originel d'origine divine ou diabolique mais parce que, dès l'origine, nous sommes en butte à une impitoyable organisation du monde contre laquelle nous sommes bien plus désarmés que nous pourrions le souhaiter.

Or, ce qu'il y a de tragique dans notre situation c'est que, tout en étant convaincu de l'existence des vertus humaines, je puis néanmoins nourrir des doutes quant à l'aptitude de l'homme à empêcher l'anéantissement du monde que nous redoutons tous. Et ce scepticisme s'explique par le fait que ce n'est pas l'homme qui décide, en définitive, du sort du monde, mais des blocs, des constellations de puissances, des groupes d'États, qui parlent tous une langue différente de celle de l'homme, à savoir celle du pouvoir.

Je crois que l'ennemi héréditaire de l'homme est la macro-organisation, parce que celle-ci le prive du sentiment, indispensable à la vie, de sa responsabilité envers ses semblables, réduit le nombre des occasions qu'il a de faire preuve de solidarité et d'amour, et le transforme au contraire en codétenteur d'un pouvoir qui, même s'il paraît, sur le moment, dirigé contre les autres, est en fin de compte dirigé contre lui-même. Car qu'est-ce que le pouvoir si ce n'est le sentiment de n'avoir pas à répondre de ses mauvaises actions sur sa propre vie mais sur celle des autres ?

Si, pour terminer, je devais vous dire ce dont je rêve, comme la plupart de mes semblables, malgré mon impuissance, je dirais ceci : je souhaite que le plus grand nombre de gens possible comprennent qu'il est de leur devoir de se soustraire à l'emprise de ces blocs, de ces Églises, de ces organisations qui détiennent un pouvoir hostile à l'être humain, non pas dans le but de créer de nouvelles communautés, mais afin de réduire le potentiel d'anéantissement dont dispose le pouvoir en ce monde. C'est peut-être la seule chance qu'ait l'être humain de pouvoir un jour se conduire comme un homme parmi les hommes, de pouvoir redevenir la joie et l'ami de ses semblables.
Lianes
Librairie La Gryffe
L'Enfant brûlé, chez Critiques ordinaires.

mercredi 11 octobre 2006

Beauté V

Utility as a goal is inferior to elegance and profundity.
Davis et Hersh, The mathematical experience.


Quand je pense aux mathématiques et à ce qu'elles m'ont apporté, c'est cette qui preuve me vient à l'esprit. J'étais sur les bancs de l'Université et aussitôt la démonstration terminée par le professeur, je suis resté sous le choc de l'émerveillement. Je me comptais chanceux d'être en vie et pouvoir goûter à une telle beauté. Plusieurs années plus tard, j'ai voulu transmettre mon enthousiasme, et j'ai pondu cette dialoguerie. Je sais bien qu'on ne peut pas tous aimer les Préludes et Fugues de Bach, ou la peinture de Miro ou les romans de Kundera, mais si par ce texte j'arrive à témoigner juste un petit peu de la fascination des mathématiques, alors j'aurais atteint mon but. (Oct. 2006)

Cet article est paru dans la revue ENVOL du mois de novembre 1995

La question

Élève (assis confortablement près du professeur): Il est écrit ici, dit-il en montrant son livre, que est i-r-r-ationnel. Ça veut dire quoi ce mot-là?

Le professeur s'apprêtait à répondre mais l'élève reprit aussitôt:

Élève: Je suppose que ça signifie qu'il n'est pas rationnel. Mais qu'est-ce que ça change qu'il soit rationnel ou non???

Professeur: Connais-tu Hippasus?

E (moqueur): C'est un nouvel enseignant de l'école ?

P : Mais non! Hippasus, c'est le type qui a découvert que cette racine carrée n'était pas rationnelle. Cela fit une terrible histoire. Vers le 5è siècle avant Jésus-Christ, Pythagore avait fondé une espèce de confrérie plus ou moins secrète dont le credo était que l'univers peut être connu par des nombres entiers ou des rapports de nombres entiers. Hippasus, par sa découverte, jetait le discrédit sur cette école de pensée. C'était grave... tellement grave que les pythagoriciens ont jeté le pauvre Hippasus au beau milieu de la Méditerranée pour ne pas qu'il ébruite la nouvelle. Il est mort noyé.

Élève (incrédule): Aie! C'était dangereux de faire des maths à cette époque...

P (changeant le sujet): Tu as appris que si un nombre décimal a dans son développement une répétition à l'infini, alors ce nombre est exprimable sous la forme de fraction, c'est-à-dire de nombre rationnel.

L'élève cherchait dans sa mémoire. Mais, à l'évidence, cette dernière lui faisait fausse route. Cependant, après un bref rappel de la part du professeur, tout se remit en ordre dans le cerveau de l'élève.

P : Prenons la calculatrice et demandons-lui de calculer cette fameuse racine de deux.

L'élève s'empressa d'ordonner à la petite machine de lui livrer le résultat de ce calcul. Il trouva alors à l'écran d'affichage la valeur 1,414213562.

E (tout content): Oh, je comprends! Dans ces décimales, il n'y a pas de répétition à l'infini, donc il n'est pas rationnel.

L'élève s'apprêtait à quitter sa place lorsque le professeur le retint.

P : Attends! Comment peux-tu être bien certain que, vers les milliards de milliards de décimales, on ne finisse pas par trouver un développement périodique? Après tout, la calculatrice ne te donne que ce qu'elle peut afficher dans son écran. Tu n'as aucune indication sur ce qui arrive au-delà de cet affichage.

E : Mouain...

P (satisfait d'avoir semé le doute chez l'élève): Et bien moi, je vais te prouver, oui, oui, te P-R-O-U-V-E-R, qu'il n'y a pas de tel développement périodique pour la racine carrée de deux.

E (inquiet): Est-ce que c'est facile à comprendre?

P (haussant les épaules): Facile? Je ne sais pas. Mais la preuve est de toute beauté et elle mérite bien le peu d'efforts que tu auras à mettre à la comprendre! Je vais donc te prouver qu'il est impossible de mettre sous forme fractionnaire le nombre

Une nouvelle définition

P: (relevant ses manches): Je dois d'abord te montrer une nouvelle définition. Tu verras, elle est bien simple à comprendre et c'est grâce à elle que je pourrai te faire la démonstration. Je vais définir ce que j'entends par fraction irréductible.

E (reculant sur son siège): Yack, je sens que ça va être compliqué...

P : Mais non! Tu sais que certaines fractions sont simplifiables. Par exemple, le nombre 4/12 devient 1/3 lorsqu'on réduit par 4. Un autre exemple serait 10/100 qui devient 1/10 si on...

E : Réduit par 10. C'est élémentaire tout ça.

P (souriant): Oui. Je dirai donc d'une fraction qu'elle est IRREDUCTIBLE si elle a été simplifiée au maximum. Par exemple, 15/25 n'est pas irréductible car on peut simplifier par 5. Cependant 3/5 est une fraction irréductible. Tu vois?

E (bien rassuré qu'un mot si long désigne un phénomène si simple): Oui, je comprends bien ça!

Le professeur sentait bien que son élève avait saisi cette idée. Il savait tout aussi bien qu'il n'en comprendrait toute la portée qu'à la fin de la preuve.

L'algèbre est de paire

P : Peux-tu me dire ce qu'est un nombre pair?

E : Je ne vois pas le rapport avec...

Le professeur lui coupa la parole.

P : Tut, tut, tut. Tu verras le rapport plus tard. Il est essentiel que tu saches ce qu'est un nombre pair. Sinon tu n'y comprendras rien à la preuve et...

E (haussant à son tour les épaules): Un nombre pair est un nombre qui est divisible par deux. Et j'ajoute qu'un nombre impair en est un qui ne se divise pas par deux. Tout le monde sait ça!

Le professeur sortit de son tiroir quelques feuilles vierges. En prenant une, il demanda à l'élève de lui écrire, en colonne, quelques nombres pairs. L'élève y inscrivit les nombres suivants:

2

4

6

Puis, lorsque le professeur lui demanda d'en écrire de plus gros, il ajouta:

100

104

200

P : Parfait. Maintenant observe bien ce que je fais faire.

Le professeur inscrivit sur la feuille une deuxième colonne. La page ressemblait à celle-ci:

2
2 x 1
4
2 x 2
6
2 x 3
100
2 x 50
104
2 x 52
200
2 x 100

Tout en écrivant cette nouvelle colonne, le professeur expliquait.

P : Tu vois? Tout nombre pair peut s'exprimer sous cette forme: 2 fois quelque chose.

Puis il ajouta sur la feuille:

...
...
100
2 x 50
104
2 x 52
200
2 x 100

un nombre pair quelconque = 2 fois quelque chose.

P (regardant et pointant du crayon cette dernière phrase): Je vais maintenant utiliser l'écriture algébrique.

Sous la dernière ligne, il ajouta:

un nombre pair quelconque = 2 fois n

ou 2n.

P : Le "n" représente tout simplement un entier quelconque. Il est plus simple d'écrire 2n que d'écrire "deux fois quelque chose"...

E : Oui, je comprends.

P (voulant résumer): On peut donc écrire tout nombre pair sous la forme 2n où n est un entier quelconque.

Le professeur jeta alors un oeil vers son élève et lui demanda:

P : Comment écrirais-tu un nombre impair dans cette écriture algébrique?

E (au bord de la panique): ???

Le professeur refit alors la même démarche que précédemment. Il demanda à l'élève d'inscrire des impairs sur une feuille blanche. Puis il ajouta une deuxième colonne. Voilà à quoi ressemblait cette page.

Choix de l'élèveLe professeur ajouta
32 x 1 + 1
52 x 2 + 1
72 x 3 + 1
1012 x 50 + 1
1432 x 71 + 1

P : Alors? Vois-tu comment écrire sous forme algébrique tout nombre impair?

E (hésitant): Hum... On peut dire qu'un nombre impair est toujours égal à deux fois quelque chose plus 1. Donc si je remplace la mot quelque chose par la lettre n, on a:

Un nombre impair quelconque = 2n + 1.

P : Bravo! Tu as bien compris. Pendant que nous y sommes, nous allons prouver que le carré de tout nombre impair est lui-même impair.

Impair carré est impair

E : Mais je croyais que nous devions démontrer que la racine...

P : Oui, je sais. Mais tu verras, cette preuve est intéressante! Et puis le fait que tout carré d'un nombre impair soit lui-même impair fait partie intégrante de la preuve recherchée.

L'élève fronça alors les sourcils car il ne savait absolument pas où allait le professeur. Cependant, il voyait bien que ce dernier s'amusait grandement à tenter de lui faire cette preuve. Et, pour le moment, voir le professeur "tripper" ainsi était bien suffisant pour tenter de le suivre.

P (remarquant que son pupille rêvassait) Alors tu me suis ou quoi?

E (souriant): Oui, oui.

Ce fut au tour du professeur de regarder intensivement son élève. Il se demanda un court instant s'il valait vraiment la peine de prendre tout ce temps pour lui expliquer une si belle preuve. Après tout, il savait fort bien que d'ici quelques heures, l'élève aurait tout oublié. Mais cette preuve est si jolie...

P (revenant sur terre): Bon. Regarde bien ces nombres

5

11

33

57

101

Tu es certainement d'accord pour dire que ce sont tous des nombres impairs. Inscris au côté de ces nombres leur carré. Tu peux utiliser la calculatrice.

L'élève s'appliqua à exécuter cette simple consigne. Le résultat fut le suivant:

5 25

11 121

33 1089

57 3249

101 10201

P : Que remarques-tu à propos de ces carrés?

E : ???

P : Quelle sorte de nombres a-t-on?

E : Bien, des naturels!

P (un peu exaspéré): Oui, je sais bien que ce sont des naturels, mais ne remarques-tu pas que tous ces carrés sont IMPAIRS?

E : Oui, bien sûr!

P : Voilà ce que je veux te démontrer: que le carré d'un nombre impair est TOUJOURS impair.

E : Ça m'a l'air évident.

P (haussant légèrement le ton): Comment cela, ÉVIDENT???

E : Je vois bien qu'avec les nombres inscrits que...

P (coupant court aux explications de l'élève): Mais ne crois-tu pas possible que dans les milliards de milliards, par exemple, il puisse se trouver un impair dont le carré ne soit pas impair?

E : Je ne sais pas pourquoi, mais il me semble que même dans les milliards de milliards, le carré de ce nombre serait impair.

P : Tu as une bonne intuition. Mais il faut maintenant justifier cette intuition par une PREUVE. Nous allons utiliser le pouvoir de l'algèbre pour démontrer que le carré de tout nombre impair est impair.

Puis le professeur continua.

P : Prenons un nombre impair quelconque.

Le professeur fit alors sentir à l'élève qu'il devait écrire quelque chose sur la feuille.

E: ???

Le professeur, voyant que l'élève ne savait que faire, inscrivit: 2n + 1.

P : Es-tu d'accord pour dire que ce 2n + 1 représente un nombre impair quelconque?

L'élève, déçu de ne pas avoir pensé à cette formule acquiesça.

P : Peux-tu maintenant calculer le carré de ce nombre?

E : ???

P : Que vaut le carré de 2n + 1?

L'élève hésitant grandement se risqua tout de même à une réponse:

E : 4n2 + 1, dit-il faiblement comme pour étouffer un mauvais sort.

P (encourageant): Ce n'est pas la réponse exacte mais c'est tout de même un bel essai. Rappelle-toi la définition du carré d'un nombre: le carré d'un nombre est le produit de ce nombre par lui-même. Il faut donc multiplier ce nombre impair quelconque par lui-même.

L'élève inscrivit alors sur la feuille:

2n + 1

x

2n + 1

P : Oui, c'est bien cela. Et quel est le résultat de cette opération?

En se rappelant alors la manière de multiplier des binômes, l'élève inscrivit:

             2n + 1
       X
             2n + 1
           
             4n2 + 2n

                   2n + 1

             4n2 + 4n + 1
P : Bravo! Que peut-on dire à propos de ce résultat?

E : ???

P : Regarde bien le résultat: 4n2 + 4n + 1. Es-tu d'accord pour dire que le terme 4n2 est pair car il est divisible par deux? (L'élève acquiesça). Puis pour dire que le terme 4n est aussi un nombre pair car il est divisible par deux? On a donc:

4n2 + 4n + 1

(un pair) + (un pair) + 1

Tu me suis?

E : Oui.

P (sceptique): Bon. Vois-tu qu'en additionnant deux nombres pairs, le résultat est nécessairement pair?

E : Comment pourrais-je en être certain. Peut-être que dans les milliards de...

P : Penses-y un peu. La somme de deux nombres divisibles par deux est nécessairement divisible par deux. C'est un peu comme si ces deux nombres avaient au moins un diviseur commun soit 2! Regarde les exemples suivants:

52 + 246 = 2 fois (26 + 143)

466 + 2 = 2 fois (233 + 1)

2k + 2n = 2 fois (k + n).

L'élève assura le professeur qu'il venait de comprendre que la somme de deux nombres pairs est nécessairement un nombre pair.

P : Donc on a (un pair) + (un pair) + 1 = (un pair) + 1.

E : Ouain... mais je ne sais même pas quelles valeurs ont tous ces nombres pairs entre parenthèses.

P : Tu as bien raison mais, comme tu viens de le dire, on ne sait pas ce que valent ces nombres PAIRS. Mais on sait, tout au moins, qu'ils sont pairs.

E : Oui, mais moi j'aimerais bien savoir quels sont ces nombres.

P (souriant): Je résume. On a élevé au carré un nombre impair quelconque et on s'est aperçu que le résultat donnait quelque chose qui ressemble à un nombre pair quelconque + 1:

(impair)2 = (pair) + 1.

E (lumineux): Mais oui! Et un nombre pair plus un est nécessairement un nombre impair même si je ne connais pas sa valeur.

P (toujours souriant et fier de sa propre patience): Voilà!

E (redevenu normal): Et l'algèbre dans tout cela? Je ne m'en suis servi que pour la multiplication des binômes.

P : Tu es très perspicace. Ce que nous avons fait, c'est l'intuition et le raisonnement qui nous y a conduit. Mais cette approche serait tout à fait inacceptable dans un livre de maths qui se respecte. Regarde bien: je vais te faire cette même preuve, mais cette fois dans un langage mathématique correct.

Étape 1: Soit 2n + 1 un nombre impair quelconque.

Étape 2: Alors 4n2 + 4n + 1 est son carré.

Étape 3: Mais 4n2 peut s'écrire sous forme 2x où x = 2n2 et 4n peut s'écrire sous forme 2y où y = 2n.

Étape 4: Or 2x + 2y peut s'écrire sous la forme 2k où k = x + y.

Étape 5: D'où (2n+1)2 = 2k+1 ce qui est bien la forme d'un nombre impair.

E : Wow!

P (regardant sa preuve avec admiration): Remarque bien que toutes les étapes qu'on a faites sont ici écrites en remplaçant les mots tels un pair, un impair, etc. par leur forme algébrique. C'est plus concis et c'est plus clair.

E : Clair mon oeil!

P : Ne t'en fais pas trop: l'algèbre est une science difficile à maîtriser et tu dois te donner des chances. Garde seulement en mémoire que, dans le fond, l'algèbre sert à traduire dans un langage universel les idées sur les nombres et leurs relations. Mais ça prend de l'expérience pour la contrôler et aujourd'hui, tu viens d'en gagner un peu plus.

E : Je ne dois donc pas m'en faire si l'aspect écriture algébrique n'est pas aussi clair pour moi?

P : C'est cela. D'ailleurs, je pense que tu as très bien saisi que peu importe le nombre impair que je choisis, son carré sera toujours impair. L'écriture algébrique est peut-être encore un peu confuse pour toi, mais au moins, tu as compris l'idée. L'algèbre n'est qu'une façon pratique, lorsqu'on la maîtrise, de traduire des idées.

L'absurde entre en jeu

P : On continue?

E : Je ne sais plus trop où j'en suis rendu!

P : Nous cherchons à démontrer que n'est pas un nombre rationnel. J'ai commencé par te donner la définition d'une fraction irréductible puis je t'ai prouvé que le carré de tout nombre impair est aussi un nombre impair. On a maintenant tout en ... tête... pour répondre à la question de départ. Pour ce faire je vais procéder par l'absurde.

E : Par QUOI???

P (en appuyant sur le mot): Par l' A B S U R D E.

E : Et moi qui croyais que les mathématiques étaient une chose sérieuse.

P (cherchant ses mots): Je vais raisonner par l'absurde. Cela consiste à tenir pour acquis qu'un certain fait est vrai, pour ensuite démontrer que le fait que ce fait soit vrai amène une contradiction et donc de conclure que le fait en question doit être faux. Simple n'est-ce-pas?

E : HEIN?????????

P (se grattant la tête et soupirant): Ok... oublie ce que je viens de te dire. Je reviendrai sur ce type de raisonnement un peu plus tard. Pour le moment, essaie de me suivre. Je vais partir de l'hypothèse suivante: nous allons supposer que est un nombre rationnel.

E : Pourquoi?

P : Bien, pourquoi pas? Es-tu d'accord avec ce qui suit: ou bien s'écrit sous forme fractionnaire ou bien ne s'écrit pas sous forme fractionnaire?

E (qui n'était plus très certain de la compétence de son prof. depuis que ce dernier lui avait parlé d'absurdité): Je ne vois pas très bien à quoi cela nous avance de mentionner des évidences pareilles!

P (content de voir que son élève n'avait pas de problème avec la logique): Tu vas voir très bientôt l'utilité d'énoncer clairement des évidences. Donc, je vais supposer que s'écrit sous forme fractionnaire. Je vais alors te montrer que cette supposition amène une conséquence tout à fait illogique. C'est cela faire une preuve par l'absurde!

E (incrédule): J'ai hâte de voir ça...

Le professeur esquissa un léger sourire puis poursuivit.

P : Donc je suppose que s'écrit en fraction. Cela veut dire que je peux trouver deux nombres entiers, appelons-les "a" et "b" par exemple, tels que

E : Donc "a sur b" représente la manière d'écrire sous forme fractionnaire la racine carrée de deux.

P : C'est cela. Mais on va supposer, si tu es d'accord, que cette fraction est irréductible, c'est-à-dire qu'elle a été simplifiée au maximum et...

E : Oui, oui, je suis d'accord.

P : Regarde bien! Puisque , on peut donc dire que .

E: Eeeeeeeeeeeeeeee...

P: J'ai élevé au carré les deux membres de l'équation.

E (après un semblant de réflexion): Je vois...

P (incrédule...) Je continue. Puisque , es-tu d'accord avec moi pour dire que 2b2=a2?

Élève: Mmmm...Oh oui! On a envoyé le b2 de l'autre côté de l'équation. J'ai déjà appris cela...

Prof (fier de son enseignement) Tu as une très bonne mémoire. Mais remarques-tu quelque chose de particulier à propos de cette équation?

É: Bof...

P: Peux-tu trouver une qualité à a2?

E: ?????

P: Puisque a2 est égal à deux fois b2, ne peut-on pas dire que a2 est... pair?

E: Mais oui, bien sûr. On a vu cela tantôt.

P (soulagé): Donc si a2 est pair, il faut nécessairement que a soit aussi pair.

E: Comment cela?

P (content de la question): Mais tout simplement parce que s'il était impair, son carré aussi le serait. On a vu cela tantôt! Donc, puisque "a" n'est pas impair, il est nécessairement pair!!! On peut donc l'écrire sous la forme de deux fois quelque chose. On a donc:

a = 2 n

où n représente quelque chose...

E: Je ne vois pas tellement à quoi ça nous avance de faire ce tour de passe-passe.

P (presque choqué): Ce n'est pas un tour de passe-passe. Mais enfin, es-tu d'accord avec cette dernière équation?

E: Mais oui.

P: L'équation 2b2 = a2 peut donc maintenant s'écrire 2b2=(2n)2.

E: Pourquoi les parenthèses?

P: Hum.. Ok, on efface.

Et le professeur effaça cette dernière équation pour y substituer celle-ci: 2b2 = a ´ a.

P: Et maintenant, es-tu d'accord avec cette équation?

E: Mais oui car a2 signifie a fois a.

P (satisfait): Mais on a trouvé que "a" est un nombre pair et donc qu'il peut s'écrire sous la forme 2n. L'équation devient donc: 2b2 = 2n ´ 2n. Ce qui veut dire: 2b2=4n2

E: Oui, oui, je suis d'accord.

P (fébrilement): Et si on réduit par deux les deux membres de l'équation, on a: b2=2n2

E: Oui!

P: Bien. Peux-tu maintenant me dire quelque chose de spécial à propos de b2?

E (Hésitant): Bien...

Le professeur pointe le "2" dans l'équation.

E: Oh oui! il est pair. b2 est pair.

P: Et donc...?

E: Et donc... hum ... "b" est aussi pair car s'il était impair, b2 serait aussi impair. C'est le même tour de passe-passe que tantôt.

P (hautement): Donc "a" est pair ET "b" est pair.

Puis après un bref silence, le professeur ajouta fièrement:

P: Et c'est pour cela que est irrationnel!!!

E (levant les sourcils): Je ne vois pas le rapport.

P: Et pourtant le rapport est là, devant tes yeux.

E: ????????

P: Mais oui! Si "a" ET "b" sont pairs, cela veut dire que la fraction que nous avions au début, soit N'EST PAS IRRÉDUCTIBLE puisqu'on peut la simplifier par deux. Ma supposition de départ, à savoir qu'il existe une fraction irréductible qui peut représenter amène une contradiction. Cela veut dire que cette hypothèse est fausse. On doit donc conclure qu'il n'existe pas de fraction qui peut représenter .

E: Wow!

Notes pédagogiques (Oct. 2006)

  1. Avec les maths modernes, la notion de preuve est presque disparue de nos programmes. Je crois cependant qu'en prouvant des théorèmes aux élèves, on peut accrocher certains esprits curieux de la logique interne de la reine des science.
  2. Dans cette démonstration, l'algèbre (comme le carré d'un binôme) peut sans doute en décourager plus d'un. Cependant, si l'élève n'a pas encore appris cette notion, il est tout de même possible de lui faire goûter cette preuve en procédant par plausibilité : on rend plausible que le carré d'un impair est impair et que le carré d'un pair est pair en faisant sentir à l'élève ce qui se passe.
  3. Au lieu de commencer par cette preuve, on peut par exemple faire la démonstration de la formule des nombres triangulaires (ou de tout autre nombre figuré), démonter le théorème de Pythagore avec un logiciel de géométrie dynamique, etc. L'idée est surtout d'illustrer la beauté du raisonnement déductif.

samedi 7 octobre 2006

Le pingouin

Comprendre est le commencement d'approuver.
Spinoza, Tractatus theologico-politicus, 1677


À la lecture de ces deux billets d'André Cotte [1] [2], je me suis demandé qu'elles étaient donc les difficultés à surmonter pour que Gnu/Linux devienne le système d'exploitation de la majorité.

Tous les cas sont uniques, évidemment, mais mon cheminement peut sans doute fournir quelques éléments de réponse.

Première approche

J'ai commencé à jeter un oeil sur Linux en 2001. J'ai créé une partition qui accueillait, à l'époque, Mandrake 8.0. Mais, voyez-vous, je n'avais aucune connaissance en réseautique. Bon, avec Easyphp, j'avais un serveur Apache et je pouvais programmer mes sites en Php, mais pour le reste (donner des droits, gérer des utilisateurs, installer une imprimante en réseau, etc.), j'étais absolument nul. Conséquence : j'étais tout le temps dans mon Windows et la partition Linux était tout à fait inutile. Parallèlement, cette année-là, j'ai beaucoup lu sur le logiciel libre. Émergea alors en moi cette conviction selon laquelle, pour garder une cohérence avec mes valeurs éducatives, je devais passer à un système d'exploitation libre.

La force de la philosophie

En mars 2002, en démarrant l'ordinateur, j'ai choisi la partition Linux, et... mon apprentissage (douloureux, il est vrai, mais ô combien stimulant) débuta. Comme j'animais un mois plus tard un atelier à l'Aquops, je me devais d'être prêt à être, comme développeur d'une petite application web, tout à fait à l'aise devant l'auditoire. Cet apprentissage fut douloureux, car je n'avais pas mon éditeur favori (EditPlus - sous Wine, il plantait régulièrement), j'avais de la misère à comprendre comment Apache, Php et Mysql se mariaient (sous Easyphp, tout se fait... tout seul), l'aspect où on doit donner des droits aux répertoires et aux fichiers me surprenait, etc.

Des copains m'ont bien aidé (merci aux Pierre, merci à Benoît), mais ces aimables personnes n'étaient pas toujours à côté de moi. Heureusement, j'ai la chance d'être autodidacte. J'ai donc acheté chez Micro Application, le sublissime manuel Mandrake 8, qu'encore aujourd'hui il m'arrive d'y jeter un oeil, et je suis passé au travers. Laborieusement, les pièces d'un énorme casse-tête se mettaient en place.

Après un mois d'intenses apprentissages, on ne peut pas dire que j'étais à l'aise et que je me sentais en sécurité, mais j'étais assez bien pour faire ma présentation sans avoir peur que tout me saute en pleine figure.

Le monde de Linux, c'est d'abord un énorme vocabulaire et une nomenclature à s'approprier. Par exemple, lorsqu'on voit un bidule du genre : j2re-1_4_2_03-linux-i586-rpm.bin pour installer java, on est bien dépourvu...

Mais Linux, c'est aussi comprendre que sa machine est un serveur. Or gérer un serveur ne peut se faire sans un minimum de connaissances... donc, un minimum d'apprentissage. Cette dernière assertion était vraie en 2002, elle l'est toujours aujourd'hui et, à mon avis, elle le sera demain.

Linux en 2006

Qu'en est-il en 2006? Si j'offrais un ordinateur à un ami néophyte, je n'hésiterais pas un instant à lui installer une Mandriva ou une Ubuntu. Évidemment, un petit cours de trois heures viendrait avec mon cadeau. Il est en effet nécessaire de comprendre comment lancer un logiciel, comment installer un logiciel (avec Synaptic, ce n'est tout de même pas complexe), comment personnaliser ses espaces de travail, etc. Cela fait, il me semble, que mon ami n'aurait pas plus de problèmes avec son ordinateur que s'il était sous Windows ou Mac. Selon moi, Linux est tout à fait prêt pour les postes personnels si le poste est déjà installé avec les préférences de l'utilisateur.

Mais encore

Que faut-il donc de plus pour que plus de gens l'adoptent? Car même en supposant les difficultés reliées aux pilotes propriétaires réglées, rien ne garantit que Linux percera dans les familles. Pourquoi? Parce que Linux, c'est aussi un choix philosophique. Pour encore bien des gens, la distinction logiciels propriétaires/logiciels libres est abstraite. Windows est installé sur leur machine; ils ont installé la suite Office grâce au CD d' un ami, ou simplement emprunté au travail, ils jouent avec des codes crack trouvés sur le web, etc. Et, il faut bien le dire, ces utilisateurs se contrefichent des licences. J'entends régulièrement des énoncés du genre « Bof! Microsoft est riche, ma copie ne change absolument rien à leur vie », « Tout le monde copie, pourquoi pas moi? », etc. Il est dans les moeurs d'un utilisateur normal d'avoir une moralité plutôt large face à la copie de logiciels.

Deux problèmes

Premier problème à régler : l'éducation des utilisateurs. Cela doit commencer à l'école. Les enseignants doivent absolument avoir conscience que les choix technologiques de leur institution ne sont pas neutres. Ils doivent fournir des explications au regard de ces choix dans leur projet éducatif ou leur plan de réussite. Ainsi, on rendra les utilisateurs conscients de leurs choix, et on cessera de se cacher la tête dans le sable pour ne pas voir les entorses à nos lois. Si vous êtes parent, pourquoi ne pas exiger des précisions à cet effet à l'enseignant de votre enfant, à la direction de l'école, au conseil d'établissement, aux commissaires?

Le deuxième problème à l'implantation de Linux est pédagogique. Il y a encore trop peu de personnes capables de vulgariser l'approche Linux et capables d'expliquer en termes simples comment gérer un serveur. Il ne s'agit pas ici de faire de l'utilisateur un gestionnaire de réseau, mais bien d'en faire une personne qui contrôle minimalement sa machine. C'est sur ce dernier point, je crois, que plusieurs accrochent : une certaine tendance est de voir un ordinateur personnel comme prêt à fonctionner tout seul, ce qu'en anglais on appelle idiot proof. Je ne suis pas de cet avis, et, d'ailleurs, c'est un peu pour cela que j'ai de misère à entrer sur un Windows maintenant : j'ai l'impression de ne rien contrôler, et c'est très frustrant. Un ordinateur, c'est plus qu'une fourchette, un téléphone, une voiture, ou un four micro-ondes : l'ordinateur est un objet qui peut (doit?) vous ressembler. Ne riez pas, je suis sérieux! Comme l'a dit Kay, votre ordinateur doit permettre une amplification de vos idées. C'est d'ailleurs ce point qui me frustre un peu dans les écoles : les ordinateurs publics n'ont pas d'âme, et je n'y trouve absolument aucun intérêt. Que voulez-vous? je préfère ma propre bouffe à celle de la cafétéria... Donc, pour que Linux perce au niveau personnel, on devra faire passer cette idée majeure : vous êtes maître de la machine, et non l'inverse. Et pour ce faire, il faut commencer à l'école où chaque enfant devrait avoir son propre accès à son univers Linux. Une fois qu'il y aura goûté, je doute qu'il veuille revenir à l'esclave (en fait, on pourrait parler d'endormitoire intellectuelle) proposé par Windows!

Et alors?

Vouloir solutionner le problème de l'implantation familiale de Linux via la philosophie ou l'éducation peut sans doute, pour certains, paraître simpliste, pour d'autres idéaliste... Quant à moi, c'est seulement par ces deux portes qu'on pourra entamer un changement éthique et écologique face à notre consommation informatique.

vendredi 6 octobre 2006

Transmutation

Devotion to the motion creates the emotion.
Entendu à Dancing with the Stars, 3 oct. 2006


Mon commentaire suite à ma lecture de ce texte. Les extraits du Bulletin-Aquops sont en retrait.

Est-ce que le temps accordé à filtrer les montagnes d’information disponible se fait au détriment du temps et de l’énergie nécessaires à d’autres activités (éducatives) plus importantes comme la lecture, la réflexion et l’analyse, lesquels sont intimement associés aux processus de développement de la connaissance ?
Je crois qu'il a ici une conception plutôt livresque de l'information. Entrez dans une bibliothèque nationale. Vous viendrait-il à l'idée, à la vue de tous ces livres et ces revues, de parler de filtrage de l'information? À mon avis, pas du tout. Pourtant, avec les TIC, (et ici, je suppose qu'il est surtout question du Web), la question se pose. Pourquoi? Parce que notre « liberté critique » est mise à rude épreuve. Dans une bibliothèque, un éditeur a déjà filtré ce qu'il voulait bien qu'on sache, et, il faut bien le dire, on nous a appris à croire dans les livres. Sur Internet, n'importe quel humain peut dire à peu près n'importe quoi. De là la très grande importance d'arriver à juger efficacement d'un contenu. Mais pour développer cette compétence, cela demande du temps, beaucoup de temps. Ce temps est-il perdu? Pour moi apprendre (peu importe ce qu'on apprend!) n'est jamais une perte de temps. Évidemment, on peut se poser des questions sur la qualité des apprentissages et de l'accompagnement, mais c'est là une tout autre histoire.
(Une autre chercheure) souligne l’importance d’être conscient “qu’il est possible d’utiliser l’information, et le besoin d’information supplémentaire, comme une stratégie pour repousser l’appel à l’action.” (...)
Ah! La procrastination. Superbe stratégie pour éviter de faire des platitudes. Si on me demande de trouver des infos pour un travail qui me laisse indifférent, il est clair que je tenterais de repousser le plus loin possible le travail en question (l'action!). Il y a donc lieu à mon avis de se poser des questions sur l'objectif de la cueillette des données. Si le but de la recherche ne vient absolument pas toucher l'élève, comment s'étonner qu'il passe la majeure partie de son temps à ne pas se rendre au travail? J'ai rarement vu un élève qui trouve un sens à sa recherche perdre un temps fou à l'éviter !
De plus, il y a quelques indications à l’effet que (le développement) de la communication électronique facilitée par Internet se fasse au détriment de la communication en “vis-à-vis”, voire à réduire la participation au développement communautaire en général (...).
Quel lieu commun! À mon sens, j'ai beaucoup plus d'indications que via Internet, de nouveaux liens se tissent. La personne qui était complètement isolée ne l'est plus. De là une très grande urgence à brancher rapidement toutes les personnes âgées et à les former à la communication Internet. Je suis d'ailleurs convaincu qu'investir dans cette formation aux aînés ferait baisser le coût des soins de santé... Loin, très loin d'isoler, Internet tisse une nouvelle richesse communicationnelle. Je sais bien que certaines personnes peuvent s'isoler devant leur ordi pour jouer à des jeux vidéo. Mais, généralement parlant, on en revient vite, car quelque part, c'est toujours la même chose. Et puis, il ne faut pas oublier toutes les rencontres faites autour du jeu que, souvent, on pratique en gang sur le web. Est-ce que cela vaut moins que le vis-à-vis? Je ne saurais dire. C'est autre chose, tout simplement. Selon moi, cela ne brime pas ce vis-à-vis.
Les innovations technologiques ne sont pas neutres sur le plan des valeurs (...) mais favorisent (l’organisation) des objectifs (pédagogiques) sur la base de deux dimensions majeures : le concept d’utilité et celui de l’efficacité, des valeurs liées à la technologie elle-même (et pas nécessairement les valeurs principales de l’action éducative).
Les concepts d'utilité et d'efficacité sont importants et, comme mentionné ici, souvent associés aux technologies. Il faut effectivement faire très attention à ce qu'on véhicule au travers les TIC. Par exemple, en mettant les élèves devant Windows, très subtilement nous lui disons que certaines connaissances ne doivent pas lui être accessibles, car ce système d'exploitation, en acceptant sa licence, spécifie qu'on n'a pas le droit d'examiner comment il est fait. C'est un peu comme si on disait à un élève qu'il peut, dans certaines circonstances, UTILISER le théorème de Pythagore, mais qu'EN AUCUN TEMPS, il ne peut en examiner la preuve. Oui, le choix technologique implique nécessairement certaines valeurs, et cela va souvent beaucoup plus loin que la simple efficacité ou utilité. Conscience et vigilance s'imposent ici.

Je reviens maintenant à l'idée générale de média. Bien entendu, l'ordinateur est un nouveau média. Il nous permet d'avoir à portée de doigts, entre autres, un studio d'enregistrement, une radio, une chambre noire pour développer des photos, une imprimerie, une librairie, un système de communication universel, etc. Ce média est donc à la fois personnel et universel : si on a une idée, l'ordinateur permet de l'amplifier (Kay) et, aussi, de la rayonner. Nous sommes en train de vivre cette révolution et il est normal que l'école ne sache pas trop encore comment « dealer » avec une telle puissance individuelle. De plus, ce média nous offre une toute nouvelle manière d'entrer en relation : par exemple, via un système de téléphonie web, on peut à la fois parler avec un copain et, en même temps, clavarder avec plusieurs autres tout en répondant à quelques courriels. Tout ça est un peu fou, et reflètent en quelque sorte notre société où on ne se contente plus de faire dans un certain ordre une chose, puis une autre, puis une autre, etc. Nous devenons des êtres multitâches (est-ce bien, est-ce mal?) ce qui ne veut pas dire que nous soyons pour autant des robots. Peut-être est-ce notre cerveau qui, subtilement, est en train de changer? Or cet aspect des TIC entre généralement en conflit avec nos méthodes où un enseignant s'adresse à 30 personnes à la fois, exigeant de ces personnes un accent sur la transmission de cet enseignant vers l'élève. C'est là une transmission linéaire, alors qu'avec les TIC, la transmission est multidirectionnelle. Le cerveau de nos enfants a peut-être déjà évolué. S'en rend-on compte?
La question “Qu’est-ce que l’utilisation des TIC apporte de nouveau à ma pratique éducative ?” est importante mais elle ne doit pas (camoufler son corollaire) : “Qu’est-ce que l’intégration des TIC (pourrait) défaire dans ma pratique éducative ?”. Cette (dernière) question n’est pas souvent posée.
Oui, cette question n'est pas souvent posée et elle est importante. Les chercheurs de l'étude y ont-ils répondu? Jusqu'à maintenant, je ne vois pas trop ce qu'on a perdu avec les TIC. Mais je sens qu'on risque de perdre l'enseignant de type linéaire (je transmets - tu écoutes - tu recraches - Je te dis si c'est bien recraché). Aussi, L'enseignant risque de perdre (c'est déjà fait, à mon avis) son statut de spécialiste de contenu. Il est clair qu'avec les TIC, on n'a plus vraiment besoin de ce spécialiste-enseignant, le web donnant accès rapidement à des spécialistes beaucoup plus connaissants. On gagnera cependant un spécialiste en compétences transversales (savoir résoudre un problème, comment coopérer, comment laisser éclater sa créativité, comment organiser le travail, etc.) et ce sera, à mon sens, un immense gain. C'est pourquoi je trouve extrêmement triste tout l'étouffement qu'on fait actuellement autour de ces compétences, comme si elles n'étaient que des accessoires. La véritable éducation, à mon avis, c'est là qu'elle se trouve.

Une dévotion à la communication créera-t-elle un nouvel humanisme?

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