La passion est, dans l'ordre affectif, ce que l'idée fixe est dans l'ordre intellectuel.
Ribot, Psychologie des sentiments.
Marie : De plus en plus, je déteste ce mot.
Marie tricotait. J'étais devant l'ordinateur portatif. Aurélie écoutait la télévision.
Moi : Quel mot ?
Marie : Passionné. On l'entend partout.
Deux annonces venaient tout juste de passer à la TV. Et, coup sur coup, on y utilisait le terme « passionné ». Le premier commercial incitait les jeunes à s'inscrire à une institution dans laquelle ils pourraient vivre
leur passion. L'autre était une annonce de tourisme en Abitibi.
Moi : C'est identique pour moi : il m'exaspère.
Marie : Il est utilisé à toutes les sauces; ça l'affadit. On en a fait un véritable cliché. Or, passion, étymologiquement, veut dire douleur.
Moi : Oui, oui. D'ailleurs,
juste ici on dit « Qu'on se réfère au grec ou au latin, l'affaire est claire : une passion, c'est d'abord quelque chose que l'on souffre, subit, -ce dont, par suite, on pâtit. Ainsi, en grec, Pathos signifie ce qu'on éprouve, en opposition à ce qu'on fait, mais aussi tout ce qui affecte le corps ou l'âme, en bien ou en mal, quoique surtout en mal. C'est aussi l'état de l'âme agitée par des sentiments extérieurs, tels que la pitié, le plaisir, l'amour, le chagrin, l'affliction, la colère, la haine..., en somme, la résultante de ce qu'on éprouve. »
Marie : C'est exactement ça. On ne choisit pas volontairement une passion, on se laisse emporter par elle malgré nous ou bien on y résiste tant bien que mal. Aujourd'hui on se cherche des passions pour se distraire. C'est comme si on valorisait le manque de contrôle et la folie au lieu de la sagesse et la volonté. Ça m'inquiète...parfois je me demande si les gens sont avides de sensations fortes juste pour se désennuyer et s'intéresser un peu à la vie. Me semble qu'on pourrait trouver un meilleur mot pour exprimer un intérêt sain pour une chose. J'sais pas, moi...on pourrait dire
impliqué,
dévoué à la cause,
énergique,
généreux de son temps,
amateur de belles choses,
enthousiaste ou
mordu de,
connaisseur de,
dilettante. On ne manque quand même pas de vocabulaire dans notre belle langue.
Je réfléchissais. Cela m'a rappelé un événement pas très lointain.
Moi : Je passe souvent pour un passionné. Cela m'agace. On pense même que je suis possédé. Par exemple, dans une conversation avec mon supérieur, je lui disais que je pourrais peut-être laisser le RÉCIT pour me concentrer, par exemple, sur les mathématiques. Tout à fait incrédule, il m'a lancé : « Toi, te passer d'informatique ? C'est impossible ! » Je l'ai regardé droit dans les yeux pour lui dire « Try me. » Et en appuyant sur chaque mot, j'ajoutai : « L'informatique scolaire, je n'aurais absolument aucun problème à ne plus en faire ». Mon non verbal était clair : j'étais très sérieux. Quel désagrément que cette d'image simpliste qu'on accole aux gens qui s'impliquent fortement dans certains dossiers ! On les juge passionnés : comme si, chez eux, ce n'était pas un choix, mais un état tout à fait hors de contrôle de la personne. Assurément, comme toi, j'en ai marre de ce mot.