Simone Weil
1909-1943
  1. Tuer par la pensée tout ce qu'on aime : seule manière de mourir.
    (La pesanteur et la grâce, p.23, Pocket-Agora n°99)
     
  2. Nous ne possédons rien au monde - car le hasard peut tout nous ôter - sinon le pouvoir de dire je. C'est cela qu'il faut donner à Dieu, c'est-à-dire détruire. Il n'y a absolument aucun autre acte libre qui nous soit permis, sinon la destruction du je.
    (La pesanteur et la grâce, p.35, Pocket-Agora n°99)
     
  3. L'enfer est du néant qui a la prétention et donne l'illusion d'être.
    (La pesanteur et la grâce, p.37, Pocket-Agora n°99)
     
  4. Une très belle femme qui regarde son image au miroir peut très bien croire qu'elle est cela. Une femme laide sait qu'elle n'est pas cela.
    (La pesanteur et la grâce, p.43, Pocket-Agora n°99)
     
  5. Il faut se déraciner. Couper l'arbre et en faire une croix, et ensuite la porter tous les jours.
    (La pesanteur et la grâce, p.50, Pocket-Agora n°99)
     
  6. C'est un grand danger d'aimer Dieu comme un joueur aime le jeu.
    (La pesanteur et la grâce, p.66, Pocket-Agora n°99)
     
  7. Une science qui ne nous approche pas de Dieu ne vaut rien.
    Mais si elle nous en fait mal approcher, c'est-à-dire d'un Dieu imaginaire, c'est pire...

    (La pesanteur et la grâce, p.68, Pocket-Agora n°99)
     
  8. L'amour est un signe de notre misère. Dieu ne peut aimer que soi. Nous ne pouvons aimer qu'autre chose.
    (La pesanteur et la grâce, p.74, Pocket-Agora n°99)
     
  9. Aimer un étranger comme soi-même implique comme contrepartie : s'aimer soi-même comme un étranger.
    (La pesanteur et la grâce, p.74, Pocket-Agora n°99)
     
  10. Parmi les êtres humains, on ne reconnaît pleinement l'existence que de ceux qu'on aime.
    (La pesanteur et la grâce, p.76, Pocket-Agora n°99)
     
  11. L'amour a besoin de réalité. Aimer à travers une apparence corporelle un être imaginaire, quoi de plus atroce, le jour où l'on s'en aperçoit ? Bien plus atroce que la mort, car la mort n'empêche pas l'aimé d'avoir été.
    (La pesanteur et la grâce, p.77, Pocket-Agora n°99)
     
  12. C'est une lâcheté que de chercher auprès des gens qu'on aime (ou de désirer leur donner) un autre réconfort que celui que nous donnent les oeuvres d'art, qui nous aident du simple fait qu'elles existent. Aimer, être aimé, cela ne fait que rendre mutuellement cette existence plus concrète, plus constamment présente à l'esprit. Mais elle doit être présente comme la source des pensées, non comme leur objet. S'il y a lieu de désirer être compris, ce n'est pas pour soi, mais pour l'autre, afin d'exister pour lui.
    (La pesanteur et la grâce, p.78, Pocket-Agora n°99)
     
  13. Le beau est ce qu'on ne peut pas vouloir changer.
    (La pesanteur et la grâce, p.78, Pocket-Agora n°99)
     
  14. Apprends à repousser l'amitié, ou plutôt le rêve de l'amitié. Désirer l'amitié est une grande faute. L'amitié doit être une joie gratuite comme celles que donne l'art, ou la vie. Il faut la refuser pour être digne de la recevoir : elle est de l'ordre de la grâce (" Mon Dieu, éloignez-vous de moi... "). Elle est de ces choses qui sont données par surcroît. Tout rêve d'amitié mérite d'être brisé. Ce n'est pas par hasard que tu n'as jamais été aimée... Désirer échapper à la solitude est une lâcheté. L'amitié ne se recherche pas, ne se rêve pas, ne se désire pas ; elle s'exerce (c'est une vertu). Abolir toute cette marge de sentiment, impure et trouble. Schluss !
    (La pesanteur et la grâce, p.79, Pocket-Agora n°99)
     
  15. La création : le bien mis en morceaux et éparpillé à travers le mal.
    Le mal est l'illimité, mais il n'est pas l'infini.
    Seul l'infini limite l'illimité.

    (La pesanteur et la grâce, p.82, Pocket-Agora n°99)
     
  16. Quand on a péché par injustice, il ne suffit pas de souffrir justement, il faut souffrir l'injustice.
    (La pesanteur et la grâce, p.88, Pocket-Agora n°99)
     
  17. Le péché contre l'Esprit consiste à connaître une chose comme bonne et à la haïr en tant que bonne.
    (La pesanteur et la grâce, p.88, Pocket-Agora n°99)
     
  18. Devoir de comprendre et de peser le système de valeurs d'autrui, avec le sien, sur la même balance. Forger la balance.
    (La pesanteur et la grâce, p.91, Pocket-Agora n°99)
     
  19. Je ne dois pas aimer ma souffrance parce qu'elle est utile, mais parce qu'elle est.
    (La pesanteur et la grâce, p.95, Pocket-Agora n°99)
     
  20. Dire comme Ivan Karamasov : rien ne peut compenser une seule larme d'un seul enfant.
    (La pesanteur et la grâce, p.95, Pocket-Agora n°99)
     
  21. Ne pas chercher à ne pas souffrir ni à moins souffrir, mais à ne pas être altéré par la souffrance.
    (La pesanteur et la grâce, p.96, Pocket-Agora n°99)
     
  22. Le malheur contraint à reconnaître comme réel ce qu'on ne croit pas possible.
    (La pesanteur et la grâce, p.97, Pocket-Agora n°99)
     
  23. Dire que le monde ne vaut rien, que cette vie ne vaut rien, et donner pour preuve le mal, est absurde, car si cela ne vaut rien, de quoi le mal prive-t-il ?
    (La pesanteur et la grâce, p.100, Pocket-Agora n°99)
     
  24. Et si on conçoit la plénitude de la joie, la souffrance est encore à la joie comme la faim à la nourriture.
    (La pesanteur et la grâce, p.100, Pocket-Agora n°99)
     
  25. De même il faut aimer beaucoup la vie pour aimer encore davantage la mort.
    (La pesanteur et la grâce, p.100, Pocket-Agora n°99)
     
  26. Alexandre [Le Grand] est à un paysan propriétaire ce qu'est don Juan à un mari heureux.
    (La pesanteur et la grâce, p.102, Pocket-Agora n°99)
     
  27. Méthode d'investigation : dès qu'on a pensé quelque chose, chercher en quel sens le contraire est vrai.
    (La pesanteur et la grâce, p.120, Pocket-Agora n°99)
     
  28. [...] l'usage principal de la douleur [...] est de m'apprendre que je ne suis rien.
    (La pesanteur et la grâce, p.129, Pocket-Agora n°99)
     
  29. Essayer de remédier aux fautes par l'attention et non par la volonté.
    (La pesanteur et la grâce, p.133, Pocket-Agora n°99)
     
  30. L'amour instruit les dieux et les hommes, car nul n'apprend sans désirer apprendre.
    (La pesanteur et la grâce, p.135, Pocket-Agora n°99)
     
  31. La science, aujourd'hui, cherchera une source d'inspiration au-dessus d'elle ou périra.
    (La pesanteur et la grâce, p.150, Pocket-Agora n°99)
     
  32. Deux prisonniers, dans des cachots voisins, qui communiquent par des coups frappés contre le mur. Le mur est ce qui les sépare, mais aussi ce qui leur permet de communiquer. Ainsi nous et Dieu. Toute séparation est un lien.
    (La pesanteur et la grâce, p.164, Pocket-Agora n°99)
     
  33. La beauté séduit la chair pour obtenir la permission de passer jusqu'à l'âme.
    (La pesanteur et la grâce, p.168, Pocket-Agora n°99)
     
  34. Une oeuvre d'art a un auteur, et pourtant, quand elle est parfaite, elle a quelque chose d'essentiellement anonyme. Elle imite l'anonymat de l'art divin. Ainsi la beauté du monde prouve un Dieu à la fois personnel et impersonnel, et ni l'un ni l'autre.
    (La pesanteur et la grâce, p.169, Pocket-Agora n°99)
     
  35. Le présent, nous y sommes attachés. L'avenir, nous le fabriquons dans notre imagination. Seul le passé, quand nous ne le refabriquons pas, est réalité pure.
    (La pesanteur et la grâce, p.198, Pocket-Agora n°99)
     
  36. Dieu et l'humanité ressemblent à deux amants qui, ayant fait erreur sur le lieu de rendez-vous, ne se rejoignent jamais.
    (Citée par G. Thibon in L'ignorance étoilée (p.XIV), Fayard)