Charles Lemesle
1731-1814
  1. Ce que les hommes aiment de la vertu, c'est le prétexte qu'elle leur offre de médire et de calomnier.
    (Misophilanthropopanutopies ou Tablettes d'un sceptique in L'artiste, 4e série, T.1, p.182, 1844)
     
  2. Le plaisir est partout pour celui qui ne le cherche nulle part ; il n'est nulle part pour celui qui le cherche partout.
    (Misophilanthropopanutopies ou Tablettes d'un sceptique in L'artiste, 4e série, T.1, p.182, 1844)
     
  3. Ceux même qui combattent avec le plus d'ardeur le système de la perfectibilité indéfinie de l'esprit humain ne sauraient en détruire en eux le sentiment. Nous pouvons aimer les siècles passés, mais nous respectons les générations à venir.
    (Misophilanthropopanutopies ou Tablettes d'un sceptique in L'artiste, 4e série, T.1, p.182, 1844)
     
  4. Nous disons tous : Nos bons dieux ; il serait fort ridicule de dire : Nos bons descendants. Nous voyons les premiers dans une atmosphère de simplicité, de candeur et de bonhomie ; mais les autres s'offrent à nos regards tout resplendissants de lumière.
    Nous ne parlons guère de la postérité sans que nos expressions s'ennoblissent.
    Nous avons tous pour nos enfants une vénération craintive.

    (Misophilanthropopanutopies ou Tablettes d'un sceptique in L'artiste, 4e série, T.1, p.182, 1844)
     
  5. J'avoue qu'il faut être vertueux pour être heureux, mais j'avance qu'il faut être heureux pour être vertueux.
    (Misophilanthropopanutopies ou Tablettes d'un sceptique in L'artiste, 4e série, T.1, p.182, 1844)
     
  6. Je compare la force des passions humaines à la faiblesse de notre raison ; je considère qu'en fait de folie, absence suppose ordinairement impuissance ; et je dis des hommes ce qu'ils disent souvent des enfants, qu'ils sont sages quand ils dorment.
    (Misophilanthropopanutopies ou Tablettes d'un sceptique in L'artiste, 4e série, T.1, p.182, 1844)
     
  7. Les joies de ce monde me rappellent toujours l'état de ces poitrinaires qui ne peuvent rire un peu fort sans tousser aussitôt.
    (Misophilanthropopanutopies ou Tablettes d'un sceptique in L'artiste, 4e série, T.1, p.182, 1844)
     
  8. Il n'y a pas loin du sommet de la prospérité à la vallée des larmes : la distance n'est que de la longueur d'un homme.
    (Misophilanthropopanutopies ou Tablettes d'un sceptique in L'artiste, 4e série, T.1, p.182, 1844)
     
  9. Le courage n'est que l'aptitude ou l'habitude de fermer les yeux à propos.
    (Misophilanthropopanutopies ou Tablettes d'un sceptique in L'artiste, 4e série, T.1, p.182, 1844)
     
  10. Il y a beaucoup de choses que nous croyons penser parce que nous les disons.
    (Misophilanthropopanutopies ou Tablettes d'un sceptique in L'artiste, 4e série, T.1, p.182, 1844)
     
  11. La Rochefoucauld, au milieu des hommes de génie du siècle de Louis XIV, me représente un nain clairvoyant entouré de géants aveugles.
    (Misophilanthropopanutopies ou Tablettes d'un sceptique in L'artiste, 4e série, T.1, p.182, 1844)
     
  12. Pour un homme habitué à vivre d'illusions, la raison est le vautour de Prométhée.
    (Misophilanthropopanutopies ou Tablettes d'un sceptique in L'artiste, 4e série, T.1, p.182, 1844)
     
  13. La franchise, chez les femmes, n'est presque jamais qu'une inconséquence.
    (Misophilanthropopanutopies ou Tablettes d'un sceptique in L'artiste, 4e série, T.1, p.182, 1844)
     
  14. Certains hommes sont fous de sagesse ; d'autres sont sages de folie.
    (Misophilanthropopanutopies ou Tablettes d'un sceptique in L'artiste, 4e série, T.1, p.182, 1844)
     
  15. La vérité nue blesse nos yeux délicats ; parée, nous ne voyons que ses ornements.
    (Misophilanthropopanutopies ou Tablettes d'un sceptique in L'artiste, 4e série, T.1, p.182, 1844)
     
  16. La sensibilité est comme l'argent : il faut en avoir ou feindre d'en avoir. Celui qui n'a rien ne reçoit rien.
    (Misophilanthropopanutopies ou Tablettes d'un sceptique in L'artiste, 4e série, T.1, p.182, 1844)
     
  17. Le coeur est quelquefois honnête ; l'esprit est toujours plus ou moins fripon.
    (Misophilanthropopanutopies ou Tablettes d'un sceptique in L'artiste, 4e série, T.1, p.182, 1844)
     
  18. On peut dire du malheur ce qu'on a dit du ridicule : l'accepter c'est le détruire.
    (Misophilanthropopanutopies ou Tablettes d'un sceptique in L'artiste, 4e série, T.1, p.182, 1844)
     
  19. Dans beaucoup de prudence, il y a toujours un peu de lâcheté.
    (Misophilanthropopanutopies ou Tablettes d'un sceptique in L'artiste, 4e série, T.1, p.182, 1844)
     
  20. Les gens qui n'ont de santé, d'argent ou d'esprit que par hasard sont tout étonnés d'en avoir et se hâtent d'en abuser. Un bon mot tombé dans la bouche d'un sot est une bonne fortune qui presque toujours lui porte malheur ; un éclair de santé a causé la mort de plus d'un malade, et mieux vaudrait pour plus d'un gueux qu'il eût toujours le gousset vide.
    (Misophilanthropopanutopies ou Tablettes d'un sceptique in L'artiste, 4e série, T.1, p.182, 1844)
     
  21. J'entendais, au jardin du Luxembourg, le colloque suivant entre trois marmots :
    PREMIER ENFANT.
    Du soleil ou de la lune, lequel est le plus utile au monde ?
    DEUXIÈME ENFANT.
    C'est le soleil, puisqu'il l'éclaire davantage.
    TROISIÈME ENFANT.
    C'est la lune, puisqu'elle l'éclaire pendant la nuit, et qu'il n'a pas besoin d'être éclairé pendant le jour.
    PREMIER ENFANT.
    Il n'y a rien à répondre à cela : la lune est plus utile au monde que le soleil.
    Vous voilà bien, esprits à la fois exacts et bornés, tirant les conséquences les plus rationnelles des idées les plus fausses ; esprits justes, en un mot, si respectés des sots, et qui, à ce titre apparemment, savez toujours vous respecter ! On vous a dit que deux et deux font cinq : vous en concluez gravement que deux et trois font six.

    (Misophilanthropopanutopies ou Tablettes d'un sceptique in L'artiste, 4e série, T.1, p.182, 1844)
     
  22. Lire pour la première fois un bon auteur, c'est acquérir un nouvel ami. Par suite d'un commerce habituel, ses qualités deviennent moins saillantes ; mais qu'alors on s'en éloigne quelque temps : au retour, l'amitié renaît avec tous ses charmes.
    (Misophilanthropopanutopies ou Tablettes d'un sceptique in L'artiste, 4e série, T.1, p.182, 1844)
     
  23. Chacun parle de soi avec une effusion de coeur vraiment touchante.
    (Misophilanthropopanutopies ou Tablettes d'un sceptique in L'artiste, 4e série, T.1, p.182, 1844)
     
  24. Les femmes nous doivent la plupart de leurs défauts ; nous leur devons la plupart de nos qualités.
    (Misophilanthropopanutopies ou Tablettes d'un sceptique in L'artiste, 4e série, T.1, p.182, 1844)
     
  25. Les enfants sont déjà des hommes ; les hommes sont encore des enfants.
    (Misophilanthropopanutopies ou Tablettes d'un sceptique in L'artiste, 4e série, T.1, p.183, 1844)
     
  26. La raison est à la femme ce que l'eau est au vin : elle lui enlève ses propriétés enivrantes.
    (Misophilanthropopanutopies ou Tablettes d'un sceptique in L'artiste, 4e série, T.1, p.183, 1844)
     
  27. La prospérité peut se comparer à ces femmes en même temps sottes et dominatrices qui, quand par hasard elles épousent un homme d'esprit, en ont bientôt fait un imbécile.
    (Misophilanthropopanutopies ou Tablettes d'un sceptique in L'artiste, 4e série, T.2, p.42, 1844)
     
  28. Il y a des douceurs tyranniques et des despotismes serviles.
    (Misophilanthropopanutopies ou Tablettes d'un sceptique in L'artiste, 4e série, T.2, p.42, 1844)
     
  29. Nous sommes jugés, non point selon nos mérites, mais selon notre bonne ou mauvaise fortune. Or, dans l'adversité, nous nous plaignons amèrement de cette injustice des hommes. Et pourtant c'est de la sorte que, nous aussi, nous jugeons les autres, et, qui plus est, que nous nous jugeons nous-mêmes ; car nous ne pouvons nous empêcher, quand nous avons réussi, de nous en glorifier intérieurement, et de nous adresser des reproches quand nous avons échoué, quelque juste sujet que nous sachions avoir, dans le premier cas, de nous humilier, et dans le dernier, de nous absoudre.
    (Misophilanthropopanutopies ou Tablettes d'un sceptique in L'artiste, 4e série, T.2, p.42, 1844)
     
  30. Les gigantesques et frauduleuses manoeuvres de l'opulence pour exploiter les hommes et les choses dans l'intérêt de son superflu, cela s'appelle spéculations ; les petites ruses innocentes de la pauvreté pour s'acquitter un peu plus tard ou payer un peu moins, dans l'intérêt de son nécessaire, cela s'appelle escroqueries.
    (Misophilanthropopanutopies ou Tablettes d'un sceptique in L'artiste, 4e série, T.2, p.42, 1844)
     
  31. Ce qu'il y a de plus propre à déconcerter la gravité d'un homme d'esprit, c'est la gravité d'un sot.
    (Misophilanthropopanutopies ou Tablettes d'un sceptique in L'artiste, 4e série, T.2, p.42, 1844)
     
  32. Il est assez bizarre que le plus malheureux des animaux, l'homme, soit le seul qui rie. On peut remarquer, à la vérité, que c'est le seul aussi qui mente.
    (Misophilanthropopanutopies ou Tablettes d'un sceptique in L'artiste, 4e série, T.2, p.42, 1844)
     
  33. Quand on ne dit pas assez, c'est presque toujours parce qu'on dit trop.
    (Misophilanthropopanutopies ou Tablettes d'un sceptique in L'artiste, 4e série, T.2, p.42, 1844)
     
  34. Deux grandes clameurs dominent alternativement tous les autres bruits de ce pauvre monde : cris de réprobation contre des sages qui tombent, cris d'admiration pour des fous qui s'élèvent.
    (Misophilanthropopanutopies ou Tablettes d'un sceptique in L'artiste, 4e série, T.2, p.42, 1844)
     
  35. Le monde est plein de gens qui prennent l'urbanité pour de la fausseté ou de la faiblesse, et l'impolitesse pour de la franchise ou de la force.
    (Misophilanthropopanutopies ou Tablettes d'un sceptique in L'artiste, 4e série, T.2, p.42, 1844)
     
  36. Un homme de génie est un homme presque constamment dans les vignes du Seigneur ; et si, tout en battant les murailles, il arrive assez ordinairement à destination sans trop d'accidents, c'est qu'il y a un Dieu pour les ivrognes.
    (Misophilanthropopanutopies ou Tablettes d'un sceptique in L'artiste, 4e série, T.2, p.42, 1844)
     
  37. « Te voilà par terre!... Tant pis pour toi, c'est ta faute : il fallait, en marchant, regarder à tes pieds. » Telle est la charitable allocution de la bonne à l'enfant qui tombe et de la société à l'homme qui échoue. Trop heureux encore l'homme ou l'enfant quand il ne reçoit pas le fouet en punition du mal qu'il s'est fait !
    (Misophilanthropopanutopies ou Tablettes d'un sceptique in L'artiste, 4e série, T.2, p.42, 1844)
     
  38. Chez le pauvre, la noblesse d'âme s'appelle orgueil, la douceur bassesse, la politesse fausseté, ainsi de suite. En un mot, toutes les qualités qui feraient d'un riche un homme à rechercher sont, dans le pauvre, autant de défauts qui font de lui un homme à fuir.
    (Misophilanthropopanutopies ou Tablettes d'un sceptique in L'artiste, 4e série, T.2, p.42, 1844)
     
  39. Les caractères faibles ont souvent de la raideur hors du propos ; les caractères forts ont toujours de la souplesse au besoin.
    (Misophilanthropopanutopies ou Tablettes d'un sceptique in L'artiste, 4e série, T.2, p.42, 1844)
     
  40. Dans une de vos promenades, tout à coup s'élance devant vous, d'une touffe de genêts et d'aubépines, la svelte tourelle d'un élégant colombier. — Aussitôt vient s'abattre à tire-d'aile sur votre âme une volée d'idées suaves et riantes. C'est là, pensez-vous, le séjour de la paix, de l'innocence, des tendres affections, des gracieux ébats, des voluptueuses étreintes ; là les sentiments sont veloutés comme le langage. — Et toute une idylle d'éclore et de fleurir dans votre imagination fécondée, qu'elle embaume de ses parfums champêtres. — À merveille ; mais entrez, asseyez-vous, tenez-vous coi et observez. Vous ne tarderez pas à vous apercevoir que cette mère, qui s'épanouit entre ses deux petits, prodigue à l'un les savoureuses becquées et les coups de bec à l'autre, dont le plumage lui déplaît ; — que ce gros mâle, qui se rengorge avec tant de fatuité, accueille d'un air d'ennui les agaceries de sa femelle ; que ces pigeonneaux, qui vous avaient semblé d'abord batifoler ensemble, se plument impitoyablement pour quelques grains de millet. — Eh bien, voilà précisément ce qui se passe tous les jours dans l'intérieur de ces honnêtes familles dont l'opinion publique fait le type des bonnes gens.
    (Misophilanthropopanutopies ou Tablettes d'un sceptique in L'artiste, 4e série, T.2, p.43, 1844)
     
  41. Il se donne tant de conseils sans amitié, qu'il est permis de demander de l'amitié sans conseils.
    (Misophilanthropopanutopies ou Tablettes d'un sceptique in L'artiste, 4e série, T.2, p.43, 1844)
     
  42. Il y a infirmité dans tout esprit où il y a malveillance habituelle. Les louches regardent tout le monde de travers.
    (Misophilanthropopanutopies ou Tablettes d'un sceptique in L'artiste, 4e série, T.2, p.43, 1844)
     
  43. Les femmes se haïssent tellement, qu'on n'en trouverait peut-être pas beaucoup qui ne préférassent un homme atteint de tous les défauts de son sexe, à un homme doué de toutes les qualités du leur.
    (Misophilanthropopanutopies ou Tablettes d'un sceptique in L'artiste, 4e série, T.2, p.43, 1844)
     
  44. Au moral, comme au physique, les choses et les hommes paraissent bien petits à qui les considère de haut ; avec cette différence pourtant que, de haut, au physique, les hommes et les choses ne paraissent pas exactement tels qu'ils sont, et que c'est le contraire au moral.
    (Misophilanthropopanutopies ou Tablettes d'un sceptique in L'artiste, 4e série, T.2, p.43, 1844)
     
  45. On définissait autrefois l'homme un animal raisonnable ; moi je serais d'avis de le définir un animal soucieux. Et qu'est-ce encore que ces douleurs légères et fugitives de nous autres âmes communes," comparées aux douleurs profondes et tenaces des âmes supérieures ? Pour les grands hommes, la société n'est bien souvent qu'une arène sanglante, un champ de bataille meurtrier; pour les petits c'est un bal masqué où il pleut des roses fanées et des soufflets.
    (Misophilanthropopanutopies ou Tablettes d'un sceptique in L'artiste, 4e série, T.2, p.43, 1844)
     
  46. Il est aussi difficile d'avoir tort avec soi-même que d'avoir raison avec les autres.
    (Misophilanthropopanutopies ou Tablettes d'un sceptique in L'artiste, 4e série, T.2, p.43, 1844)
     
  47. L'homme se montre plus obligeant dans le malheur que dans la prospérité.
    En effet, quand nous souffrons, nous ne nous disons point assez que d'autres souffrent aussi, et nous en souffrons d'autant plus. Il y a donc pour nous un certain soulagement, et, par conséquent, une certaine jouissance à reconnaître que nous ne sommes pas les seuls à plaindre, et nous éprouvons quelque gratitude envers celui qui nous offre le sujet de cette observation.

    (Misophilanthropopanutopies ou Tablettes d'un sceptique in L'artiste, 4e série, T.2, p.43, 1844)
     
  48. Quand nous ne souffrons point, nous ignorons ou bien nous avons oublié qu'on peut souffrir, et nous sommes saisis d'une sorte de haine pour celui dont les maux viennent nous apprendre ou nous rappeler les maux de l'humanité.
    (Misophilanthropopanutopies ou Tablettes d'un sceptique in L'artiste, 4e série, T.2, p.43, 1844)
     
  49. Les travaux littéraires déforment autant une femme au moral que les travaux manuels au physique.
    (Misophilanthropopanutopies ou Tablettes d'un sceptique in L'artiste, 4e série, T.2, p.43, 1844)
     
  50. Ce n'est qu'à force d'esprit que le méchant peut se faire tolérer dans la conversation ; ce n'est qu'à force d'habileté que le fripon peut se faire honorer dans la société. D'où il suit que la méchanceté et la friponnerie sont deux spécialités d'une exploitation fort difficile. Mais la bienveillance du méchant pour lui-même est toujours en raison directe de sa malveillance pour autrui, et l'art de duper n'empêche point un homme d'être dupe de son amour-propre. Aussi le monde est-il plein de gens qui se croient spirituels parce qu'ils sont méchants, et de gens qui se croient habiles parce qu'ils sont fripons.
    (Misophilanthropopanutopies ou Tablettes d'un sceptique in L'artiste, 4e série, T.2, p.43, 1844)
     
  51. On ne sent le bien-être du sommeil qu'au moment où il est troublé : c'est un rapport de plus entre le sommeil et ce que les hommes, en désespoir de cause, sont convenus de nommer le bonheur.
    (Misophilanthropopanutopies ou Tablettes d'un sceptique in L'artiste, 4e série, T.2, p.43, 1844)
     
  52. Voyez ces pacifiques herbivores, les uns broutant nonchalamment dans de gras pâturages, les autres arrachant ça et là quelques rares gramens à des steppes arides, les autres enfin gagnant une mince subsistance à traîner de lourds fardeaux sous un fouet implacable ; tous inaptes à manger de la chair, presque tous bons à manger ; rare inoffensive, et par cela même toujours offensée ; proie native de la première bête de proie qui a faim : telles sont à peu près les diverses classes d'honnêtes gens dans l'état de société.
    (Misophilanthropopanutopies ou Tablettes d'un sceptique in L'artiste, 4e série, T.2, p.43, 1844)
     
  53. Quand je considère les excellents principes que toute éducation se pique d'inculquer à la jeunesse, et puis la profonde immoralité qui préside à tous les actes de la société actuelle, je ne puis m'empêcher de comparer cette pauvre jeunesse à cette volaille qu'on engraisse avec des soins si attentifs pour la rendre plus propre à être mangée.
    (Misophilanthropopanutopies ou Tablettes d'un sceptique in L'artiste, 4e série, T.2, p.43, 1844)
     
  54. L'homme d'esprit dit du mal des femmes dans ses moments d'humeur, tout en s'avouant à lui-même qu'alors il fait le sot ; le sot en dit dans ses moments de gaieté en se persuadant qu'il fait l'homme d'esprit.
    (Misophilanthropopanutopies ou Tablettes d'un sceptique in L'artiste, 4e série, T.2, p.43, 1844)
     
  55. Je me défie de cette philosophie qui ne s'adresse qu'au coeur. Le génie, ou seulement même le talent, peut lui prêter un grand charme ; mais je crois qu'elle ne saurait prendre d'empire sur un cerveau bien organisé qu'autant qu'elle a soin de ne se point mettre en contradiction avec celle que, un peu légèrement peut-être, on accuse de raideur et de sécheresse. Il est bon de se tenir en garde contre les périodes moelleusement arrondies de cette philosophie du coeur, comme contre les larmes éloquentes des femmes sensibles.
    (Misophilanthropopanutopies ou Tablettes d'un sceptique in L'artiste, 4e série, T.2, p.44, 1844)
     
  56. En fait de mérite, les trois quarts des hommes et des femmes du monde sont des gens qui portent tout leur argent sur eux.
    (Misophilanthropopanutopies ou Tablettes d'un sceptique in L'artiste, 4e série, T.2, p.44, 1844)
     
  57. L'injustice humaine, loin de se manifester toujours par des actes, se renferme souvent dans un rôle passif. D'où il suit que le philosophe, non seulement doit savoir mépriser l'injure, mais, ce qui est beaucoup plus difficile, mépriser le mépris.
    (Misophilanthropopanutopies ou Tablettes d'un sceptique in L'artiste, 4e série, T.2, p.44, 1844)
     
  58. Qui dit fin dit fripon est peut-être le plus faux des proverbes. Droit et adroit, au contraire, est la devise de l'honnête homme éclairé ; car les leçons de l'expérience, trop souvent payées si cher, lui ont appris que, quand on n'est que droit, on peut être considéré comme tributaire obligé de quiconque n'est qu'adroit. La finesse est, dans l'ordre moral, comme le fer dans l'ordre physique, une matière première également propre à deux sortes d'armes d'un usage bien différent : le fripon en fait un poignard, l'honnête homme une cuirasse.
    (Misophilanthropopanutopies ou Tablettes d'un sceptique in L'artiste, 4e série, T.2, p.44, 1844)
     
  59. Les hommes qui pensent toujours ce qu'ils disent ont le tort de se croire en droit de dire toujours ce qu'ils pensent.
    (Misophilanthropopanutopies ou Tablettes d'un sceptique in La pensée française (Cario et Régismanset), p.160, Mercure de France, 1921)
     
  60. Le moraliste, en général, borne ses fonctions à celles d'une trompette de régiment : après avoir sonné la charge et fait beaucoup de bruit, il se croit dispensé de payer de sa personne.
    (Misophilanthropopanutopies ou Tablettes d'un sceptique in La pensée française (Cario et Régismanset), p.160, Mercure de France, 1921)
     
  61. Personne ne vit moins tranquille que l'homme toujours occupé du soin de sa tranquillité.
    (Misophilanthropopanutopies ou Tablettes d'un sceptique in La pensée française (Cario et Régismanset), p.160, Mercure de France, 1921)
     
  62. Il en est des caractères comme des vins : il n'y a que les meilleurs qui, avec l'âge, gagnent en douceur ce qu'ils perdent en force ; les autres tournent à l'aigre.
    (Misophilanthropopanutopies ou Tablettes d'un sceptique in La pensée française (Cario et Régismanset), p.160, Mercure de France, 1921)
     
  63. Les femmes font tant de cas de la pudeur qu'elles veulent toutes en avoir, même celles qui, en fait d'hommes, ne craignent que les voleurs.
    (Misophilanthropopanutopies ou Tablettes d'un sceptique in La pensée française (Cario et Régismanset), p.160, Mercure de France, 1921)
     
  64. La condition sine qua non de la sagesse et du bonheur, c'est une bonne digestion.
    (Misophilanthropopanutopies ou Tablettes d'un sceptique in La pensée française (Cario et Régismanset), p.160, Mercure de France, 1921)
     
  65. La seule confidence peut-être qu'on puisse faire sans danger à la femme la plus discrète, c'est qu'on la trouve jolie.
    (Misophilanthropopanutopies ou Tablettes d'un sceptique in La pensée française (Cario et Régismanset), p.160, Mercure de France, 1921)
     
  66. Il n'est point d'homme ni aussi sage ni aussi fou qu'il le paraît.
    (Misophilanthropopanutopies ou Tablettes d'un sceptique in La pensée française (Cario et Régismanset), p.160, Mercure de France, 1921)
     
  67. La plupart des femmes n'estiment les hommes que par leur force physique et leur faiblesse morale.
    (Misophilanthropopanutopies ou Tablettes d'un sceptique in La pensée française (Cario et Régismanset), p.160, Mercure de France, 1921)
     
  68. Il y a beaucoup de choses que nous croyons penser parce que nous les disons.
    (Misophilanthropopanutopies ou Tablettes d'un sceptique in La pensée française (Cario et Régismanset), p.161, Mercure de France, 1921)
     
  69. L'homme de lettres tire à vue sur le public : mais le public est un mauvais payeur qui chicane presque toujours sur la validité du titre.
    (Misophilanthropopanutopies ou Tablettes d'un sceptique in La pensée française (Cario et Régismanset), p.161, Mercure de France, 1921)
     
  70. Le mérite se cache de peur de n'être pas reconnu.
    (Misophilanthropopanutopies ou Tablettes d'un sceptique in La pensée française (Cario et Régismanset), p.161, Mercure de France, 1921)
     
  71. On fait des règles pour les autres et des exceptions pour soi.
    (Misophilanthropopanutopies ou Tablettes d'un sceptique in La pensée française (Cario et Régismanset), p.161, Mercure de France, 1921)
     
  72. Le propre de la maxime est de s'accommoder aux différents esprits. Tel en admire la justesse qui n'en sonde pas la profondeur ; tel en mesure la profondeur qui n'en saisit pas l'étendue ; et enfin tel se récrie sur l'étendue, la profondeur et la justesse qui ne la comprend pas du tout.
    (Misophilanthropopanutopies ou Tablettes d'un sceptique in La pensée française (Cario et Régismanset), p.161, Mercure de France, 1921)
     
  73. Prendre la vie au sérieux, c'es filer le parfait amour avec une fille.
    (Misophilanthropopanutopies ou Tablettes d'un sceptique in La pensée française (Cario et Régismanset), p.161, Mercure de France, 1921)
     
  74. L'homme éclairé méprise trop pour haïr beaucoup.
    (Misophilanthropopanutopies ou Tablettes d'un sceptique in La pensée française (Cario et Régismanset), p.161, Mercure de France, 1921)
     
  75. Les hommes s'amassent autour d'un malheur comme les corbeaux autour d'une charogne et dans le même but.
    (Misophilanthropopanutopies ou Tablettes d'un sceptique in La pensée française (Cario et Régismanset), p.161, Mercure de France, 1921)
     
  76. Il faudrait penser comme si l'on devait mourir le lendemain et agir comme si l'on ne devait jamais mourir : la sagesse a aussi ses inconséquences.
    (Misophilanthropopanutopies ou Tablettes d'un sceptique in La pensée française (Cario et Régismanset), p.161, Mercure de France, 1921)
     
  77. L'homme vulgaire craint la mort : le philosophe craint de la craindre.
    (Misophilanthropopanutopies ou Tablettes d'un sceptique in La pensée française (Cario et Régismanset), p.161, Mercure de France, 1921)
     
  78. Il y a beaucoup de gens dont toute la sensibilité consiste à croire aimer.
    (Misophilanthropopanutopies ou Tablettes d'un sceptique in La pensée française (Cario et Régismanset), p.161, Mercure de France, 1921)