Émile de Girardin
1802-1881
  1. Le récit d'une grande infortune intéresse l'imagination, mais le récit de nos chagrin la fatigue.
    (Émile, p. 17, Paris, 1854)
     
  2. L'expérience arrive trop tard pour être utile; elle survient comme les conseils importuns, après l'événement, qui insultent aux regrets par leur impuissance, et troublent la douleur par leur orgueil.
    (Émile, p.18, Paris, 1854)
     
  3. Il y a des souvenirs pénibles qu'il est douloureux de redemander au passé.
    (Émile, p.20, Paris, 1854)
     
  4. Quand la douleur absorbe les facultés, on ne cherche pas les remèdes, on les évite.
    (Émile, p.23, Paris, 1854)
     
  5. Ce mot de bonheur est un mot bien extraordinaire; il se place sur toutes les lèvres, se mêle à toutes les souffrances, et n'est souvent qu'une infortune de plus; car il ravit à la résignation sa force passive, et ne laisse le plus souvent à qui le prononce que l'alternative entre le désir et le dégoût.
    (Émile, p.23, Paris, 1854)
     
  6. Les âmes passionnées, les imaginations ardentes ont un caractère mystérieux, que la foule juge sans le comprendre; elle nomme dédain la réserve des sentiments profonds, et appelle insensibilité les dehors froids sous lesquels ils concentrent leur vivacité.
    (Émile, p. 23, Paris, 1854)
     
  7. Il n'appartient qu'à l'amour d'une femme, mère, épouse, soeur ou fille, de comprendre ces restrictions infinies d'une extrême sensibilité, ces bizarreries des caractères en dedans, de deviner à travers le sourire l'imagination douce qui se dérobe.
    (Émile, p.24, Paris, 1854)
     
  8. Il faut être aimé pour livrer l'intime secret de son âme.
    (Émile, p.40, 2e édition, Paris, 1827)
     
  9. Mon coeur est exigeant; et, pour être heureux il faut qu'il puisse croire que le bonheur qu'il éprouve est la moitié de celui qu'il cause.
    (Émile, M. Lévy, p.24, Paris, 18)
     
  10. [...] Il est des infortunes qui donnent du tact, comme il en est qui hâtent l'expérience.
    (Émile, p.25, Paris, 1854)
     
  11. La délicatesse a de l'élévation et de la simplicité comme tout ce qui est sublime; la délicatesse est le génie du coeur.
    (Émile, p.26, Paris, 1854)
     
  12. Le bonheur est moins dépendant des circonstances que du caractère.
    (Émile, p. 45, 2e édition, Paris, 1827)
     
  13. Les heures les plus lentes sont toujours celles que l'ardeur des désirs cherche à précipiter.
    (Émile, p.27, Paris, 1854)
     
  14. Qu'est-ce donc que la vie de l'amour, si ce n'est le soin de pénétrer dans l'âme qui anime une seconde existence. d'y rechercher ces nuances dedicates qu'un sentiment passionné peut seul decouvrir, de les analyser encore et de les revetir de ce coloris séduisant auquel l'imagination d'un amant peut seule donner tout son éclat.
    (Émile, p. 48, 2e édition, Paris, 1827)
     
  15. Plaisir et souffrance sont les deux seules aiguilles qui devraient marquer les heures et déterminer la durée des jours. [...] Non! les heures n'ont pas la même durée pour l'indifférence et pour l'amour, pour le plaisir et pour la douleur, pour la jouissance et pour l'attente.
    (Émile, p.46, Paris, 1854)
     
  16. Le coeur, lorsqu'il a pris l'habitude de se replier sur lui-même et de renfermer ses secrets, ne s'ouvre plus à la confiance et n'est plus susceptible d'épanchement.
    (Émile, p.49, Paris, 1854)
     
  17. À vingt ans on peut être mécontent de son sort, mais on n'est pas encore détaché de la vie; l'espérance, ce mirage qui nous abuse jusqu'à la tombe, et nous y conduit, glace le courage, enchaîne la volonté. Non! à vingt ans, ce n'est pas de la vie dont il est difficile de se défaire : c'est de l'espérance.
    (Émile, p.53, Paris, 1854)
     
  18. Est-il une expression dont l'indifférence soit moins avare, et qui donne plus envie de se décourager que cette locution banale : «Du courage ?»
    (Émile, p.53, Paris, 1854)
     
  19. Les imaginations ardentes succombent facilement à l'ennui, non à l'ennui qui vient de l'inaction, celui-là n'accable que les sots; mais à cet ennui profond que j'appellerai, ne pouvant mieux le définir, le vertige du vide.
    (Émile, p.54, Paris, 1854)
     
  20. La sensibilité entraîne moins de femme que la vanité n'en abuse: l'adulation devient bien vite un besoin, et la coquetterie une seconde nature.
    (Émile, p.29, Paris, 1854)
     
  21. L'homme content recherche la société; l'homme heureux recherche le recueillement, car le bruit importune également les douleurs et les félicités. Le langage de la foule a je ne sais quoi qui fait mal à l'imagination lorsqu'un sentiment passionné, une émotion profonde, la préoccupent et la dominent.
    (Émile, p.30, Paris, 1854)
     
  22. Quand on souffre, on change souvent de désirs, car on ne se sent bien nulle part, et l'on cherche à distraire sa douleur par des caprices.
    (Émile, M. Lévy, p.42, Paris, 1827)
     
  23. Le mystère qu'il faut mettre à tous les apprêts d'un duel, ces apprêts mêmes, ont quelque chose d'horrible; les soins, les précautions qu'il faut prendre, le secret qu'il faut garder, tout cela ressemble aux préparatifs d'un crime.
    (Émile, p.44, Paris, 1854)
     
  24. Ne dirait-on pas que la mort s'éloigne de l'infortuné qui l'appelle, et qu'elle ne respecte que les victimes que le malheur a marquées de son sceau ?
    (Émile, p.59, Paris, 1854)
     
  25. La volonté n'est pas une puissance, il s'en faut, car les projets d'un étre isolé sont non seulement dépendants des circonstances, mais encore des hommes.
    (Émile, p.65, Paris, 1854)
     
  26. La fortune est la religion du jour, l'égoïsme l'esprit du siècle.
    (Émile, p.66, Paris, 1854)
     
  27. Deux douleurs sont déjà une sympathie ; deux êtres qui souffrent se sentent et se rapprochent parce qu'ils sont sûrs de se comprendre.
    (Émile, p.69, Paris, 1854)
     
  28. Le monde a toujours un expédient pour trouver des torts au malheur.
    (Émile, p.69, Paris, 1854)
     
  29. Vains rêves d'amour, vaines espérances de bonheur, que vous faites cruellement expier l'instant où l'homme est assez faible pour vous admettre et vous caresser! C'est au fond de la coupe que le breuvage le plus doux dépose son amertume, et la dernière goutte du calice est toujours la plus amère!
    (Émile, p.71, Paris, 1854)
     
  30. Près d'une personne que l'on aime et dont on est aimé, qu'a-t-on à lui dire? tout n'est-il pas au-dessous de ce qu'on sent Pour s'entendre, ne suffit-il pas de se regarder, pour se comprendre, ne suffit-il pas de s'aimer ?
    (Émile, p.206, 2e édition, Paris, 1827)