Francis de Miomandre
1880-1959
- [La mode] est le seul procédé que nous ayons trouvé, nous autres, pauvres hommes, pour nous tromper sur la monotonie de vivre.
(La Mode, p.7, Éd. Hachette (coll. Notes et Maximes), 1927)
- Mode. Mode toujours. Mode partout. La mode est le masque innombrable de la vie.
(La Mode, p.8, Éd. Hachette (coll. Notes et Maximes), 1927)
- Ce qu'il y a de consolant dans la mode, c'est qu'elle ne vous laisse pas le temps du regret. Votre robe, Madame, n'est pas encore flétrie que déjà vous en portez une autre, toute fraîche. Et l'ancienne, vous ne la regardez même plus.
(La Mode, p.8, Éd. Hachette (coll. Notes et Maximes), 1927)
- Qu'est-ce qu'un lézard, je vous prie, sinon un plésiosaure qui s'est mis au goût du jour ?
(La Mode, p.18, Éd. Hachette (coll. Notes et Maximes), 1927)
- Au fond, la mode n'a qu'un seul adversaire en ce bas monde : le métaphysicien. Au nom de la certitude immobile, il récuse ce mouvement et cette inquiétude. Mais c'est la vie même qu'il condamne avec elle. Et déjà son collègue le psychologue, moins farouche, fait des coquetteries à la fugace déesse.
(La Mode, p.20, Éd. Hachette (coll. Notes et Maximes), 1927)
- Les femmes croient, sincèrement, qu'elles s'habillent pour nous. Ou pour elles. Mais la vérité, c'est qu'elles s'habillent pour s'étonner réciproquement. La joie suprême procurée par un beau manteau, une robe ravissante, est d'écraser une rivale... laquelle aura d'ailleurs sa revanche, la semaine suivante, dût-elle faire mille folies pour y parvenir.
(La Mode, p.24, Éd. Hachette (coll. Notes et Maximes), 1927)
- L'idée même que nous nous faisons de la beauté obéit à la loi du changement. « La mode même et les pays règlent ce que l'on appelle beauté », dit Pascal dans les Passions de l'amour. Il grogne un peu; moi, je constate simplement.
(La Mode, p.34, Éd. Hachette (coll. Notes et Maximes), 1927)
- Les idées. Quand on en a assez, on les appelle des opinions. Tout le temps qu'on a pensé qu'on y croirait, on leur gardait le beau nom d'idées.
Un homme est prêt à se faire tuer pour une idée. Qu'il résiste à cette tentation, qu'il vive ensuite pour s'apercevoir que c'était à peine une conviction, le voilà sauvé. Sauvé de la mort, et sauvé de l'idée.
(La Mode, p.35, Éd. Hachette (coll. Notes et Maximes), 1927)
- L'art épistolaire. Si Mme de Sévigné revenait parmi nous elle serait bien décontenancée. Personne n'écrit plus, aujourd'hui. Nous n'avons plus le temps.
Mais peut-être que l'aimable marquise, se pliant aux usages modernes avec cette souveraine aisance qui est le propre des hauts esprits, griffonnerait des billets merveilleux dans le coin des cartes postales, au-dessus des nuages, des pics célèbres et des flèches d'église...
(La Mode, p.38, Éd. Hachette (coll. Notes et Maximes), 1927)
- Le snobisme est à la mode ce que les condiments sont à la cuisine. Ils l'épicent, ils la relèvent, ils lui donnent je ne sais quoi d'excitant, qui irrite ou ravit, mais jamais ne laisse indifférent.
Les snobs sont les francs-tireurs et les avant-gardes de la mode. On se moque d'abord d'eux, mais c'est toujours eux, enfin, qui ont raison. Ils se savent ridicules, mais ils sont si contents de l'être !
(La Mode, p.43, Éd. Hachette (coll. Notes et Maximes), 1927)
- [...] le mot flirter, où nous ne discernons qu'avec effort notre vieux fleureter, si joli. Au reste, il y a en effet une nuance. Ceux qui flirtent ne content pas fleurette.
(La Mode, p.45, Éd. Hachette (coll. Notes et Maximes), 1927)
- La danseuse de charleston. Elle est ravissante à voir, justement à cause de l'absurdité merveilleuse de ses gestes. On se demande comment elle peut créer tant de grâce avec ce mouvement révoltant pour tout orthopédiste, avec ce trémoussement de jambes cagneuses.
Qu'est-ce que tout cela donnera plus tard ? quelles chevilles se réserve-t-elle pour la trentaine ? quels genoux ? quels bizarres enfants offrira-t-elle à la patrie ? Il importe peu. Ce qui est délicieux dans la danse, c'est précisément cet insouci de l'avenir, cette consommation énorme qu'elle fait de la jeunesse. On dirait d'un grand feu nourri des bois les plus précieux. C'est pour cela qu'il flambe si joyeusement. La danseuse de charleston, acrobatique, ultra-légère, indifférente à tout sauf à ses pas, est une parfaite philosophe, sans le savoir. Elle danse et elle plaît. Nous n'avons rien à lui demander de plus.
(La Mode, p.47, Éd. Hachette (coll. Notes et Maximes), 1927)
- Comment une chose : costume, idée, personnage, devient-elle à la mode ? Personne ne peut le savoir. Le phénomène est foudroyant, inexplicable. On dirait une boule de neige (que personne n'aurait pu pétrir) et qui grossit, et qui roule et, comme la boule de neige, s'augmente de tout ce qu'elle rencontre sur son passage, absorbe toute opposition, écrase tout.
Il n'y a plus qu'à s'incliner.
(La Mode, p.51, Éd. Hachette (coll. Notes et Maximes), 1927)
- Pourquoi le fox-trott résiste-t-il à douze ans d'assauts, alors que le five-step n'aura pas duré une saison ?
Pourquoi ? Pourquoi ?
On ne sait rien. On ne le saura jamais.
(La Mode, p.54, Éd. Hachette (coll. Notes et Maximes), 1927)