Vittorio Alfieri
1749 - 1803
- Il est reconnu qu'aucune institution humaine n'étant permanente, ni stable, il arrive (comme le dirent tant de sages) que la liberté prenant le caractère de la licence, à la fin elle dégénère en esclavage.
(De la Tyrannie, trad. M. Merget, p. 9, Éd. Molini, 1802)
- On doit donner indistinctement le nom de tyrannie à toute espèce de gouvernement dans lequel celui qui est chargé de l'exécution des lois peut les faire, les détruire, les violer, les interpréter, les empêcher, les suspendre, ou même seulement les éluder avec assurance d'impunité.
(De la Tyrannie, trad. M. Merget, p. 10, Éd. Molini, 1802)
- L'ignorance, la flatterie et la crainte ont donné et donnent encore au gouvernement tyrannique le doux nom de monarchie.
(De la Tyrannie, trad. M. Merget, p. 14, Éd. Molini, 1802)
- Tous ensemble donc, ou bons, ou méchants, ou savants, ou vulgaires, ou penseurs, ou stupides, ou lâches, ou courageux, tous apprennent à trembler plus ou moins sous la tyrannie, et cette crainte est évidemment le véritable, l'universel, et le plus puissant ressort d'un tel gouvernement ; elle est enfin le lien unique qui enchaîne les sujets au pied du trône.
(De la Tyrannie, trad. M. Merget, p. 25, Éd. Molini, 1802)
- Les méchants approchant le tyran méchant ne font qu'augmenter leur méchanceté ; mais les scélérats, en s'approchant du bon tyran, le trompent en se couvrant d'une fausse bonté ; et cela arrive tous les jours, de manière que la tyrannie, le plus souvent, ne réside pas dans la personne du tyran, mais dans sa puissance inique et abusive, exercée par la perfidie innée des courtisans.
(De la Tyrannie, trad. M. Merget, p. 31, Éd. Molini, 1802)
- De la peur de tous, naît sous la tyrannie la lâcheté de presque tous.
(De la Tyrannie, trad. M. Merget, p. 39, Éd. Molini, 1802)
- Quoique tous les hommes soient avilis sous la tyrannie, ils ne sont pas pour cela tous vils.
(De la Tyrannie, trad. M. Merget, p. 40, Éd. Molini, 1802)
- L'ambition, sous la tyrannie, trouvant tous les chemins et tous les moyens pour arriver à des fins vertueuses et sublimes, fermés ou détruits, devient d'autant plus vile et d'autant plus funeste, que sa force était plus grande et plus soutenue.
(De la Tyrannie, trad. M. Merget, p. 41, Éd. Molini, 1802)
- Sous le gouvernement absolu d'un seul, tout doit être indispensablement vicieux et renversé.
(De la Tyrannie, trad. M. Merget, p. 48, Éd. Molini, 1802)
- Au milieu des calamités publiques, les plus funestes causées par l'ambition sous la tyrannie, on doit regarder comme la plus grande et la plus atroce l'existence et le pouvoir du premier ministre.
(De la Tyrannie, trad. M. Merget, p. 55, Éd. Molini, 1802)
- Que le tyran règne ou son ministre, des soldats mercenaires sont toujours les défenseurs de leurs personnes exécrables, les exécuteurs aveugles et cruels de leurs volontés absolues.
(De la Tyrannie, trad. M. Merget, p. 63, Éd. Molini, 1802)
- Les tyrans, longtemps maîtres même de l'opinion publique, ont tenté de persuader à l'Europe, et sont en effet parvenus à persuader aux plus stupides de leurs sujets, ou nobles ou roturiers, que l'état militaire était le plus honorable de tous.
(De la Tyrannie, trad. M. Merget, p. 71, Éd. Molini, 1802)
- Quelle que soit l'opinion que l'homme s'est faite ou laissé donner des choses qu'il ne comprend pas, telles que l'âme et la divinité, cette opinion, dis-je, est souvent un des plus fermes soutiens de la tyrannie. L'idée que le vulgaire s'est généralement formée du tyran, ressemble tellement à celle que presque tous les peuples ont faussement conçue d'un Dieu, que l'on en pourrait induire que le premier tyran n'a pas été le plus fort, comme on a coutume de le supposer, mais bien le plus fourbe et le plus savant dans la connaissance du coeur humain, et dès lors le premier à leur donner une idée quelconque de la divinité. C'est pour cela que parmi la plupart des peuples, la tyrannie religieuse a enfanté la tyrannie civile. Souvent elles se sont réunies sur la tête d'un seul, mais jamais elles n'ont manqué de se prêter des secours mutuels.
(De la Tyrannie, trad. M. Merget, p. 73, Éd. Molini, 1802)
- Les peuples modernes sont de beaucoup moins féroces que les peuples anciens ; il arrive de là que la férocité du tyran est toujours en proportion de celle des sujets qu'il gouverne.
(De la Tyrannie, trad. M. Merget, p. 90, Éd. Molini, 1802)
- Il y a une certaine classe de gens qui fait preuve et se vante avec orgueil d'être illustre depuis plusieurs générations, quoique depuis ce temps, elle reste dans une oisive inutilité. Elle s'appelle la Noblesse.
(De la Tyrannie, trad. M. Merget, p. 102, Éd. Molini, 1802)
- Il me paraît incontestable que toute suprématie héréditaire d'un petit nombre doit faire naître par force, dans ce petit nombre, un intérêt de conservation et d'envahissement tout à fait différent et opposé à l'intérêt de tous.
(De la Tyrannie, trad. M. Merget, p. 107, Éd. Molini, 1802)
- Le luxe donc que j'appellerai l'amour et l'usage immodéré des superfluités pompeuses de la vie, corrompt dans une nation également toutes les classes de la société. Le peuple qui paraît en retirer quelque avantage ne réfléchit pas que le plus souvent la pompe des riches n'est autre chose que le fruit de son travail arraché par les impôts, et qui n'a passé dans les coffres du tyran que pour être prodigué à ses oppresseurs secondaires. Le peuple lui-même est nécessairement corrompu par le mauvais exemple des riches et par les occupations viles avec lesquelles il gagne, avec peine, sa triste nourriture. C'est pour cela que ce faste des grands qui devrait allumer la colère et la vengeance du peuple, ne fait qu'attirer son admiration stupide.
(De la Tyrannie, trad. M. Merget, p. 134, Éd. Molini, 1802)
- Celui qui peut impunément exercer son despotisme sur tous, et qui ne peut être impunément arrêté par qui que ce soit dans l'exercice de ce pouvoir, doit, par nécessité, inspirer à tous la plus grande crainte, et par conséquent, la haine la plus violente.
(De la Tyrannie, trad. M. Merget, p. 148, Éd. Molini, 1802)
- Une vie sans âme est, sans doute, le moyen le plus sûr et le plus court pour compter le plus de jours tranquilles sous la tyrannie ; mais il ne m'appartient pas d'enseigner les préceptes de cette mort continuelle et semée d'opprobres, à laquelle, pour l'honneur de l'humanité, je ne donnerai pas le nom de vie mais celui de végétation.
(De la Tyrannie, trad. M. Merget, p. 160, Éd. Molini, 1802)
- L'homme sage, éloigné [des cours], se sentant plus pur, s'estimera plus encore lui-même que s'il était né sous un gouvernement juste et libre, puisqu'il a su s'élever du sein de l'esclavage jusqu'à la liberté.
(De la Tyrannie, trad. M. Merget, p. 162, Éd. Molini, 1802)
- Mais les conjurations, lors même qu'elles réussissent, ont le plus souvent de très funestes conséquences, parce qu'elles se font presque toujours contre le tyran et non contre la tyrannie ; d'où il arrive que, pour venger une injure privée, on multiplie sans utilité les malheureux, soit que le tyran échappe aux dangers, soit qu'un autre lui succède : on finit de toute manière par multiplier, par cette vengeance personnelle, les moyens de la tyrannie et les calamités publiques.
(De la Tyrannie, trad. M. Merget, p. 173, Éd. Molini, 1802)
- Un peuple qui ne sent pas le poids de l'esclavage est parvenu à un tel degré d'abrutissement qu'il ne conçoit aucune idée de liberté politique.
(De la Tyrannie, trad. M. Merget, p. 174, Éd. Molini, 1802)
- La volonté ou l'opinion de tous, ou de la majorité, maintient seule la tyrannie ; la volonté ou l'opinion de tous et de la majorité, peut seule véritablement la détruire.
(De la Tyrannie, trad. M. Merget, p. 179, Éd. Molini, 1802)
- Très rarement la multitude croit à la possibilité des maux qu'elle na pas longuement éprouvés ; c'est pour cela que les hommes vulgaires ne regardent pas comme monstrueux le gouvernement tyrannique, jusqu'à ce qu'un ou plusieurs monstres gouvernant successivement ne leur en aient donné la preuve funeste et incontestable par des crimes inouis.
(De la Tyrannie, trad. M. Merget, p. 181, Éd. Molini, 1802)
- Si une république naissante pouvait s'élever de nos jours, ou dans les temps à venir, sur les ruines de quelque tyrannie renversée, elle devrait prendre garde à éteindre ou à diminuer, autant qu'il sera possible, l'influence pestifère des causes nombreuses de la servitude passée
(De la Tyrannie, trad. M. Merget, p. 190, Éd. Molini, 1802)
- La naissante liberté, combattue avec un acharnement cruel par le grand nombre de ceux qui s'engraissaient de la tyrannie, froidement soutenue par le peuple qui, léger par sa nature, et pour ne point avoir goûté la liberté, ne la connaît qu'à peine et n'en sait pas tout le prix.
(De la Tyrannie, trad. M. Merget, p. 192, Éd. Molini, 1802)