Louis-Ferdinand Céline
1894-1961
  1. Nous ne changeons pas ! Ni de chaussettes, ni de maîtres, ni d'opinions, ou bien si tard, que ça n'en vaut pas la peine.
    (Voyage au bout de la nuit, p.8, Folio n°28)
     
  2. [...] l'amour c'est l'infini mis à la portée des caniches [...]
    (Voyage au bout de la nuit, p.8, Folio n°28)
     
  3. On est puceau de l'Horreur comme on l'est de la volupté.
    (Voyage au bout de la nuit, p.14, Folio n°28)
     
  4. De la prison, on en sort vivant, pas de la guerre. Tout le reste, c'est de mots.
    [...] J'étais un enfant alors, elle me faisait peur la prison. C'est que je ne connaissais pas encore les hommes. Je ne croirai plus jamais à ce qu'ils disent, à ce qu'ils pensent. C'est des hommes et d'eux seulement qu'il faut avoir peur, toujours.

    (Voyage au bout de la nuit, p.15, Folio n°28)
     
  5. Le tout c'est qu'on s'explique dans la vie. À deux on y arrive mieux que tout seul.
    (Voyage au bout de la nuit, p.15, Folio n°28)
     
  6. Quand on a pas d'imagination, mourir, c'est peu de chose, quand on en a, mourir c'est trop.
    (Voyage au bout de la nuit, p.19, Folio n°28)
     
  7. La grande défaite, en tout, c'est d'oublier, et surtout ce qui vous a fait crever, et de crever sans comprendre jamais jusqu'à quel point les hommes sont vaches.
    (Voyage au bout de la nuit, p.25, Folio n°28)
     
  8. C'est difficile d'arriver à l'essentiel, même en ce qui concerne la guerre, la fantaisie résiste longtemps.
    (Voyage au bout de la nuit, p.33, Folio n°28)
     
  9. Dans ce métier [soldat] d'être tué, faut pas être difficile, faut faire comme si la vie continuait, c'est ça le plus dur, ce mensonge.
    (Voyage au bout de la nuit, p.34, Folio n°28)
     
  10. Invoquer sa postérité, c'est faire un discours aux asticots.
    (Voyage au bout de la nuit, p.35, Folio n°28)
     
  11. La plupart des gens ne meurent qu'au dernier moment ; d'autres commencent et s'y prennent vingt ans d'avance et parfois davantage. Ce sont les malheureux de la terre.
    (Voyage au bout de la nuit, p.36, Folio n°28)
     
  12. Tout est permis en dedans [de soi-même].
    (Voyage au bout de la nuit, p.48, Folio n°28)
     
  13. Être brave avec son corps ? Demandez alors à l'asticot aussi d'être brave, il est rose et pâle et mou, tout comme nous.
    (Voyage au bout de la nuit, p.49, Folio n°28)
     
  14. [...] des pauvres, c'est-à-dire des gens dont la mort n'intéresse personne.
    (Voyage au bout de la nuit, p.50, Folio n°28)
     
  15. L'âme, c'est la vanité et le plaisir du corps tant qu'il est bien portant, mais c'est aussi l'envie d'en sortir du corps dès qu'il est malade ou que les choses tournent mal. On prend des deux poses celle qui vous sert le plus agréablement dans le moment et voilà tout !
    (Voyage au bout de la nuit, p.52, Folio n°28)
     
  16. Le délire de mentir et de croire s'attrape comme la gale.
    (Voyage au bout de la nuit, p.52, Folio n°28)
     
  17. Chacun pleure à sa façon le temps qui passe.
    (Voyage au bout de la nuit, p.56, Folio n°28)
     
  18. La meilleure des choses à faire, n'est-ce pas, quand on est dans ce monde, c'est d'en sortir ? Fou ou pas, peur ou pas.
    (Voyage au bout de la nuit, p.60, Folio n°28)
     
  19. [...] pour qu'on vous croye raisonnable, rien de tel que de posséder un sacré culot. Quand on a un bon culot, ça suffit, presque tout alors vous est permis, absolument tout, on a la majorité pour soi et c'est la majorité qui décrète de ce qui est fou et ce qui ne l'est pas.
    (Voyage au bout de la nuit, p.61, Folio n°28)
     
  20. [...] quand on est faible ce qui donne de la force, c'est de dépouiller les hommes qu'on redoute le plus, du moindre prestige qu'on a encore tendance à leur prêter. Il faut apprendre à les considérer tels qu'ils sont, pires qu'ils sont c'est-à-dire, à tous les points de vue. Ça dégage, ça vous affranchit et vous défend au-delà de tout ce qu'on peut imaginer. Ça vous donne un autre vous-même. On est deux.
    (Voyage au bout de la nuit, p.63, Folio n°28)
     
  21. Tout ce qui est intéressant se passe dans l'ombre, décidément. On ne sait rien de la véritable histoire des hommes.
    (Voyage au bout de la nuit, p.64, Folio n°28)
     
  22. [...] la peur. L'envers et l'endroit de la guerre.
    (Voyage au bout de la nuit, p.64, Folio n°28)
     
  23. Ce monde n'est je vous l'assure qu'une immense entreprise à se foutre du monde !
    (Voyage au bout de la nuit, p.68, Folio n°28)
     
  24. On passe son temps à tuer ou à adorer en ce monde et cela tout ensemble. " Je te hais ! Je t'adore ! "
    (Voyage au bout de la nuit, p.72, Folio n°28)
     
  25. Si les gens sont si méchants, c'est peut-être seulement parce qu'ils souffrent, mais le temps est long qui sépare le moment où ils ont cessé de souffrir de celui où ils deviennent un peu meilleurs.
    (Voyage au bout de la nuit, p.74, Folio n°28)
     
  26. Après tout, pourquoi n'y aurait-il pas autant d'art possible dans la laideur que dans la beauté ?
    (Voyage au bout de la nuit, p.78, Folio n°28)
     
  27. L'amour c'est comme l'alcool, plus on est impuissant et soûl et plus on se croit fort et malin, et sûr de ses droits.
    (Voyage au bout de la nuit, p.78, Folio n°28)
     
  28. [...] les premiers plans d'un tableau sont toujours répugnants et l'art exige qu'on situe l'intérêt de l'oeuvre dans les lointains, dans l'insaisissable, là où se réfugie le mensonge, ce rêve pris sur le fait, et seul amour des hommes.
    (Voyage au bout de la nuit, p.80, Folio n°28)
     
  29. Il existe pour le pauvre en ce monde deux grandes manières de crever, soit par l'indifférence absolue de vos semblables en temps de paix, ou par la passion homicide des mêmes en la guerre venue.
    (Voyage au bout de la nuit, p.82, Folio n°28)
     
  30. Cette répulsion instinctive qu'inspirent les commerçants à ceux qui les approchent et qui savent, est une des très rares consolations qu'éprouvent d'être aussi miteux qu'ils le sont ceux qui ne vendent rien à personne.
    (Voyage au bout de la nuit, p.103, Folio n°28)
     
  31. D'ailleurs, dans la vie courante, réfléchissons que cent individus au moins dans le cours d'une seule journée bien ordinaire désirent votre pauvre mort, par exemple tous ceux que vous gênez, pressés dans la queue derrière vous au métro, tous ceux encore qui passent devant votre appartement et qui n'en ont pas, tous ceux qui voudraient que vous ayez achevé de faire pipi pour en faire autant, enfin, vos enfants et bien d'autres. C'est incessant. On s'y fait.
    (Voyage au bout de la nuit, p.116, Folio n°28)
     
  32. Quand la haine des hommes ne comporte aucun risque, leur bêtise est vite convaincue, les motifs viennent tout seuls.
    (Voyage au bout de la nuit, p.117, Folio n°28)
     
  33. Il n'y a pas de vanité intelligente.
    (Voyage au bout de la nuit, p.122, Folio n°28)
     
  34. L'homme n'est pas longtemps honnête quand il est seul, allez !
    (Voyage au bout de la nuit, p.130, Folio n°28)
     
  35. C'est effrayant ce qu'on en a des choses et des gens qui ne bougent plus dans son passé. Les vivants qu'on égare dans les cryptes du temps dorment si bien avec les morts qu'une même ombre les confond déjà.
    (Voyage au bout de la nuit, p.169, Folio n°28)
     
  36. Faire confiance aux hommes c'est déjà se faire tuer un peu.
    (Voyage au bout de la nuit, p.176, Folio n°28)
     
  37. La vérité, c'est une agonie qui n'en finit pas. La vérité de ce monde, c'est la mort. Il faut choisir, mourir ou mentir. Je n'ai jamais pu me tuer moi.
    (Voyage au bout de la nuit, p.200, Folio n°28)
     
  38. Une forte vie intérieure se suffit à elle-même et ferait fondre vingt années de banquise.
    (Voyage au bout de la nuit, p.202, Folio n°28)
     
  39. Nous sommes, par nature, si futiles, que seules les distractions peuvent nous empêcher vraiment de mourir.
    (Voyage au bout de la nuit, p.204, Folio n°28)
     
  40. Philosopher n'est qu'une autre façon d'avoir peur et ne porte guère qu'aux lâches simulacres.
    (Voyage au bout de la nuit, p.206, Folio n°28)
     
  41. Il y a un moment de la misère où l'esprit n'est plus déjà tout le temps avec le corps. Il s'y trouve vraiment trop mal. C'est déjà presque une âme qui vous parle.
    (Voyage au bout de la nuit, p.224, Folio n°28)
     
  42. La beauté, c'est comme l'alcool ou le confort, on s'y habitue, on n'y fait plus attention.
    (Voyage au bout de la nuit, p.227, Folio n°28)
     
  43. On devient rapidement vieux et de façon irrémédiable encore. On s'en aperçoit à la manière qu'on a prise d'aimer son malheur malgré soi.
    (Voyage au bout de la nuit, p.229, Folio n°28)
     
  44. C'est peut-être ça qu'on cherche à travers la vie, rien que cela, le plus grand chagrin possible pour devenir soi-même avant de mourir.
    (Voyage au bout de la nuit, p.236, Folio n°28)
     
  45. Tant qu'il faut aimer quelque chose, on risque moins avec les enfants qu'avec les hommes, on a au moins l'excuse d'espérer qu'ils seront moins carnes que nous autres plus tard. On ne savait pas.
    (Voyage au bout de la nuit, p.242, Folio n°28)
     
  46. Les êtres vont d'une comédie vers une autre. Entre-temps la pièce n'est pas montée, ils n'en discernent pas encore les contours, leur rôle propice, alors ils restent là, les bras ballants, devant l'événement, les instincts repliés comme un parapluie, branlochants d'incohérence, réduits à eux-mêmes, c'est-à-dire à rien. Vaches sans train.
    (Voyage au bout de la nuit, p.260, Folio n°28)
     
  47. L'esprit est content avec des phrases, le corps c'est pas pareil, il est plus difficile lui, il lui faut des muscles. C'est quelque chose de toujours vrai un corps, c'est pour cela que c'est presque toujours triste et dégoûtant à regarder.
    (Voyage au bout de la nuit, p.272, Folio n°28)
     
  48. Faut comprendre ! On vous explique bien trop de choses ! Voilà le malheur ! Cherchez donc à comprendre ! Faites un effort !
    (Voyage au bout de la nuit, p.273, Folio n°28)
     
  49. Le véritable savant met vingt bonnes années en moyenne à effectuer la grande découverte, celle qui consiste à se convaincre que le délire des uns ne fait pas du tout le bonheur des autres et que chacun ici-bas se trouve indisposé par la marotte du voisin.
    (Voyage au bout de la nuit, p.281, Folio n°28)
     
  50. On n'est jamais très mécontent qu'un adulte s'en aille [i.e. meure], ça fait toujours une vache de moins sur la terre, qu'on se dit, tandis que pour un enfant, c'est tout de même moins sûr. Il y a l'avenir.
    (Voyage au bout de la nuit, p.283, Folio n°28)
     
  51. [...] ce n'est peut-être que cela la jeunesse, de l'entrain à vieillir.
    (Voyage au bout de la nuit, p.288, Folio n°28)
     
  52. C'est peut-être pour tout le monde la même chose d'ailleurs, dès qu'on insiste un peu, c'est le vide.
    (Voyage au bout de la nuit, p.289, Folio n°28)
     
  53. Autant pas se faire d'illusion, les gens n'ont rien à se dire, ils ne se parlent que de leurs peines à eux chacun, c'est entendu. Chacun pour soi, la terre pour tous. Ils essayent de s'en débarasser de leur peine, sur l'autre, au moment de l'amour, mais alors ça ne marche pas et ils ont beau faire, ils la gardent tout entière leur peine, et ils recommencent, ils essayent encore une fois de la placer.
    (Voyage au bout de la nuit, p.292, Folio n°28)
     
  54. Faut entendre au fond de toutes les musiques l'air sans notes, fait pour nous, l'air de la Mort.
    (Voyage au bout de la nuit, p.297, Folio n°28)
     
  55. A-t-on jamais vu personne descendre en enfer pour remplacer un autre ? Jamais. On l'y voit l'y faire descendre. C'est tout.
    (Voyage au bout de la nuit, p.308, Folio n°28)
     
  56. Être vieux, c'est ne plus trouver de rôle ardent à jouer, c'est tomber dans cette insipide relâche où on n'attend plus que la mort.
    (Voyage au bout de la nuit, p.322, Folio n°28)
     
  57. Il n'y a de terrible en nous et sur la terre et dans le ciel peut-être que ce qui n'a pas encore été dit. On ne sera tranquille que lorsque tout aura été dit, une bonne fois pour toutes, alors enfin on fera silence et on aura plus peur de se taire. Ça y sera.
    (Voyage au bout de la nuit, p.327, Folio n°28)
     
  58. Il y a un moment où on est tout seul quand on est arrivé au bout de tout ce qui peut vous arriver. C'est le bout du monde. Le chagrin lui-même, le vôtre, ne vous répond plus rien et il faut revenir en arrière alors, parmi les hommes, n'importe lesquels. On n'est pas difficile dans ces moment-là car même pour pleurer il faut retourner là où tout recommence, il faut revenir avec eux.
    (Voyage au bout de la nuit, p.328, Folio n°28)
     
  59. On dirait qu'on peut toujours trouver pour n'importe quel homme une sorte de chose pour laquelle il est prêt à mourir et tout de suite et bien content encore.
    (Voyage au bout de la nuit, p.329, Folio n°28)
     
  60. La vie c'est ça, un bout de lumière qui finit dans la nuit.
    (Voyage au bout de la nuit, p.340, Folio n°28)
     
  61. Trahir, qu'on dit, c'est vite dit. Faut encore saisir l'occasion. C'est comme d'ouvrir une fenêtre dans une prison, trahir. Tout le monde en a envie, mais c'est rare qu'on puisse.
    (Voyage au bout de la nuit, p.344, Folio n°28)
     
  62. Tout devient plaisir dès qu'on a pour but d'être seulement bien ensemble, parce qu'alors on dirait qu'on est enfin libres. On oublie sa vie, c'est-à-dire les choses du pognon.
    (Voyage au bout de la nuit, p.352, Folio n°28)
     
  63. Vivre tout sec, quel cabanon ! La vie c'est une classe dont l'ennui est le pion, il est là tout le temps à vous épier d'ailleurs, il faut avoir l'air d'être occupé, coûte que coûte, à quelque chose de passionnant, autrement il arrive et vous bouffe le cerveau.
    (Voyage au bout de la nuit, p.354, Folio n°28)
     
  64. C'est la manie des jeunes de mettre toute l'humanité dans un derrière, un seul, le sacré rêve, la rage d'amour.
    (Voyage au bout de la nuit, p.363, Folio n°28)
     
  65. On n'a jamais assez de temps c'est vrai, rien que pour penser à soi-même.
    (Voyage au bout de la nuit, p.367, Folio n°28)
     
  66. La jeunesse vraie, la seule, [....] c'est d'aimer tout le monde sans distinction, cela seulement est vrai, cela seulement est jeune et nouveau.
    (Voyage au bout de la nuit, p.379, Folio n°28)
     
  67. Être seul c'est s'entraîner à la mort.
    (Voyage au bout de la nuit, p.380, Folio n°28)
     
  68. Le bonheur sur terre ça serait de mourir avec plaisir, dans du plaisir... Le reste c'est rien du tout, c'est de la peur qu'on n'ose pas avouer, c'est de l'art.
    (Voyage au bout de la nuit, p.380, Folio n°28)
     
  69. Rien qui n'éteigne comme un feu sacré.
    (Voyage au bout de la nuit, p.414, Folio n°28)
     
  70. Un fou, ce n'est que les idées ordinaires d'un homme mais bien enfermées dans une tête. Le monde n'y passe pas à travers sa tête et ça suffit. Ça devient comme un lac sans rivière une tête fermée, une infection.
    (Voyage au bout de la nuit, p.416, Folio n°28)
     
  71. [...] la guerre et la maladie, ces deux infinis du cauchemar.
    (Voyage au bout de la nuit, p.418, Folio n°28)
     
  72. La grande fatigue de l'existence humaine n'est peut-être en somme que cet énorme mal qu'on se donne pour demeurer vingt ans, quarante ans, davantage, raisonnable, pour ne pas être simplement, profondément soi-même, c'est-à-dire immonde, atroce, absurde. Cauchemar d'avoir à présenter toujours comme un petit idéal universel, surhomme du matin au soir, le sous-homme claudicant qu'on nous a donné.
    (Voyage au bout de la nuit, p.418, Folio n°28)
     
  73. Entre le pénis et les mathématiques [...], il n'existe rien ! Rien ! C'est le vide !
    (Voyage au bout de la nuit, p.420, Folio n°28)
     
  74. N'oubliez pas que je suis vieux [....], je pourrais me payer le luxe de m'en foutre moi de l'avenir !
    (Voyage au bout de la nuit, p.421, Folio n°28)
     
  75. [...] un homme [...] ce n'est rien après tout que de la pourriture en suspens...
    (Voyage au bout de la nuit, p.426, Folio n°28)
     
  76. Ne croyez donc jamais d'emblée au malheur des hommes. Demandez-leur seulement s'ils peuvent dormir encore ?... Si oui, tout va bien. Ça suffit.
    (Voyage au bout de la nuit, p.429, Folio n°28)
     
  77. On a beau dire et prétendre, le monde nous quitte bien avant qu'on s'en aille pour de bon.
    Les choses auxquelles on tenait le plus, vous vous décidez un beau jour à en parler de moins en moins, avec effort quand il faut s'y mettre. On en a bien marre de s'écouter toujours causer... On abrège... On renonce... Ça dure depuis trente ans qu'on cause... On ne tient plus à avoir raison.

    (Voyage au bout de la nuit, p.458, Folio n°28)
     
  78. Avec les mots on ne se méfie jamais suffisamment, ils ont l'air de rien les mots, pas l'air de dangers bien sûr, plutôt de petits vents, de petits sons de bouche, ni chauds, ni froids, et facilement repris dès qu'ils arrivent par l'oreille par l'énorme ennui gris mou du cerveau. On ne se méfie pas d'eux des mots et le malheur arrive.
    Des mots, il y en a des cachés parmi les autres, comme des cailloux. On les reconnaît pas spécialement et puis les voilà qui vous font trembler pourtant toute la vie qu'on possède, et tout entière, et dans son faible et dans son fort... C'est la panique alors... Une avalanche... On en reste là comme un pendu, au-dessus des émotions... C'est une tempête qui est arrivée, qui est passée, bien trop forte pour vous, si violente qu'on l'aurait jamais crue possible rien qu'avec des sentiments... Donc, on ne se méfie jamais assez des mots, c'est ma conclusion.

    (Voyage au bout de la nuit, p.487, Folio n°28)