Hyacinthe de Charencey
1831-1916
  1. Certaines gens font consister la sagesse à n'avoir pas d'idées par eux-mêmes ; et la prudence, à être toujours de l'avis de ceux qu'ils fréquentent.
    (Pensées et maximes diverses, p.1, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  2. On a quelquefois qualifié le bon sens de roi des choses humaines, mais ce n'est là, sans doute, que propos de courtisan ; il en serait plutôt le justicier, assez fort pour se venger de ceux qui le méconnaissent, pas assez pour les corriger et les forcer à se soumettre à ses lois.
    (Pensées et maximes diverses, p.1, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  3. Le mondain imbécile tient à ses idées non par conviction, mais par convention, et s'inquiète peu de savoir si elles sont vraies ; il lui suffit de les croire bien portées et admises par sa coterie.
    (Pensées et maximes diverses, p.1, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  4. En fait d'idées comme en fait d'argent, le plus sage est d'éviter les emprunts et de savoir vivre sur son propre fond.
    (Pensées et maximes diverses, p.1, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  5. Nos opinions sont d'ordinaire fort indépendantes des raisons par lesquelles nous essayons de les défendre ; et de là vient que les discussions produisent d'ordinaire si peu de fruit.
    (Pensées et maximes diverses, p.1, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  6. Certains esprits sont ainsi faits, qu'ils ne se décident à admettre la vérité qu'autant qu'elle est appuyée par de mauvaises raisons.
    (Pensées et maximes diverses, p.1, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  7. Le jugement est plus compatible avec un coeur sec qu'avec un mauvais caractère.
    (Pensées et maximes diverses, p.2, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  8. L'expérience nous enseigne à être prudent ; le jugement seul nous apprend à être sage.
    (Pensées et maximes diverses, p.2, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  9. Nous raisonnons parfois d'après notre jugement, mais n'agissons guère que d'après nos instincts.
    (Pensées et maximes diverses, p.2, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  10. L'on doit juger les hommes moins par ce qu'ils disent, que par la façon dont ils le disent ; et souvent même, moins par leurs paroles que par leur silence.
    (Pensées et maximes diverses, p.2, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  11. Nous ne saurions guère nous résoudre à expliquer la conduite du prochain par d'autres mobiles que ceux auxquels nous obéissons nous-mêmes.
    (Pensées et maximes diverses, p.2, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  12. L'homme et l'animal ont cela de commun, que ce n'est guère la raison qui dirige leurs actes : mais il y a cette grande supériorité à alléguer en faveur du dernier, c'est qu'il est éclairé et guidé par ses instincts tandis que nous sommes d'ordinaire aveuglés et tyrannisés par les nôtres.
    (Pensées et maximes diverses, p.2, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  13. Les illusions d'optique ne sont guère moins fréquentes au moral qu'au physique : la clairvoyance ne consiste pas tant à voir les choses telles qu'elles sont, qu'à bien deviner, et à induire ce qui est réellement de ce qui paraît à nos yeux.
    (Pensées et maximes diverses, p.2, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  14. La droiture de l'esprit consiste moins souvent à juger sainement des choses qu'à savoir quelquefois s'abstenir de juger.
    (Pensées et maximes diverses, p.2, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  15. Nous voulons toujours juger autrui non tel qu'il est, mais tel que nous sommes, à moins que nous préférions le juger tel qu'il nous serait expédient qu'il fût.
    (Pensées et maximes diverses, p.2, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  16. La domination que l'on prétend imposer au nom de son jugement est plus intolérable que celle que l'on veut exercer au nom de son esprit.
    (Pensées et maximes diverses, p.2, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  17. On a quelquefois du jugement sans expérience ni esprit de conduite, mais on ne saurait acquérir ces derniers sans le jugement.
    (Pensées et maximes diverses, p.2, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  18. L'expérience est le bon sens de ceux qui n'ont pas de jugement.
    (Pensées et maximes diverses, p.3, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  19. Nous prétendons toujours que notre expérience, qui n'a pu suffire à nous corriger, ait pour effet de corriger les autres.
    (Pensées et maximes diverses, p.3, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  20. C'est se montrer presque capable de se passer de l'expérience que de savoir profiter de ses leçons.
    (Pensées et maximes diverses, p.3, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  21. Il en est des leçons de l'expérience comme de ces systèmes d'éclairage inventés par les savants : utiles à ceux qui ont une vue excellente, mais qui aveuglent les autres.
    (Pensées et maximes diverses, p.3, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  22. Les leçons de l'expérience sont peut-être la chose au monde que nous craignons le plus de laisser perdre ; et nous voulons d'autant plus en faire profiter autrui que nous sentons avoir été plus incapables d'en profiter nous-mêmes.
    (Pensées et maximes diverses, p.3, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  23. Nous nous défions souvent trop de nos forces, rarement assez de nos lumières.
    (Pensées et maximes diverses, p.3, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  24. Les hommes tiennent d'ordinaire moins à leurs opinions qu'à leur préjugés, et à leurs préjugés qu'à leurs caprices.
    (Pensées et maximes diverses, p.3, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  25. La preuve la plus éclatante du péché originel, ce n'est pas que les hommes naissent tous pécheurs : c'est qu'ils naissent presque tous des sots.
    (Pensées et maximes diverses, p.3, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  26. L'insuccès profite parfois à l'homme d'esprit, parce qu'il lui donne de l'expérience ; jamais au sot, parce qu'il ne lui donne que de l'humeur.
    (Pensées et maximes diverses, p.3, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  27. Une haute situation fait ressortir les défauts de celui qui l'occupe aux yeux des gens sensés ; elle produit l'effet contraire aux autres, et permet à celui-ci de se montrer sot tout à son aise, sans qu'on ose seulement le trouver ridicule.
    (Pensées et maximes diverses, p.3, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  28. Le sage se console du mépris des sots en songeant que le seul moyen d'y échapper serait d'être comme eux.
    (Pensées et maximes diverses, p.3, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  29. L'homme le plus clairvoyant, pour peu qu'il soit honnête, se trouve fatalement voué au rôle dé dupe ; car il y a dans certaines âmes un tel fond de bassesse et de perversité que, pour s'en rendre compte, il faudrait leur ressembler.
    (Pensées et maximes diverses, p.3, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  30. Le sot le plus insupportable est celui qui ne sait avoir de l'esprit que hors de propos ; et le plus dangereux des fous, celui auquel tout son jugement ne sert qu'à dire des choses raisonnables.
    (Pensées et maximes diverses, p.4, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  31. On peut quelquefois espérer faire sentir à son adversaire qu'il est un sot ; on ne saurait se flatter de le lui faire comprendre.
    (Pensées et maximes diverses, p.4, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  32. Chercher à humilier un adversaire, c'est avouer qu'on se sent incapable de le convaincre.
    (Pensées et maximes diverses, p.4, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  33. On peut désarmer parfois vis-à-vis d'un méchant, parce qu'il n'a pas toujours intérêt à l'être ; mais non vis-à-vis d'un sot, parce qu'il ne manquera jamais l'occasion de faire une sottise.
    (Pensées et maximes diverses, p.4, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  34. La société, qui ouvre des asiles pour recevoir et guérir les fous s'est sagement abstenue d'en créer pour les sots ; sans doute parce qu'elle les jugeait à l'avance parfaitement incurables.
    (Pensées et maximes diverses, p.4, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  35. Ce contentement de soi-même, qui résulte de l'ignorance, nous semble une source de bonheur d'autant plus précieuse que c'est peut-être la seule qu'il dépende tout à fait de nous d'empêcher de jamais tarir.
    (Pensées et maximes diverses, p.4, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  36. L'extrême condescendance aux préjugés du monde à ce côté avantageux que, si elle nous rend parfois ridicule, elle nous empêche néanmoins de paraître tels aux yeux de bien des gens.
    (Pensées et maximes diverses, p.4, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  37. On a parfois trop d'esprit, on n'a jamais trop de bon sens.
    (Pensées et maximes diverses, p.4, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  38. La perfection de l'esprit consiste à savoir se cacher à propos.
    (Pensées et maximes diverses, p.4, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  39. L'esprit ne supplée pas plus au jugement, ni la beauté à la grâce, que le superflu ne saurait suppléer à l'utile, ou remplacer le nécessaire.
    (Pensées et maximes diverses, p.4, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  40. L'esprit ne constitue guère un avantage par lui-même, et il faut pour avoir son prix qu'il se trouve uni au bon sens ; l'on peut dire de lui comme de l'argent, que c'est à la fois un détestable maître et un excellent serviteur.
    (Pensées et maximes diverses, p.5, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  41. Le sot fait consister son esprit à se moquer de ce qu'il ne comprend pas, et l'homme sensé à ne se moquer que de ce qu'il juge réellement ridicule.
    (Pensées et maximes diverses, p.5, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  42. Si le raisonnement sert à démontrer les vérités scientifiques, c'est d'ordinaire l'imagination qui a servi à les découvrir.
    (Pensées et maximes diverses, p.5, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  43. Le bon sens nous apprend à nous diriger nous-mêmes, et l'imagination à diriger autrui.
    (Pensées et maximes diverses, p.5, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  44. Ce que la mémoire est à l'intelligence, l'expérience l'est en bon sens ; il ne suffit pas plus d'avoir passé par beaucoup d'épreuves pour devenir sage, que de se rappeler une foule de choses pour avoir jamais rien compris.
    (Pensées et maximes diverses, p.5, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  45. Certaines gens se posent en hommes d'expérience qui qui n'y ont d'autre titre que de s'être trouvés à même de commettre beaucoup de sottises.
    (Pensées et maximes diverses, p.5, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  46. Au point de vue de la réussite, l'énergie de la volonté ne sert de rien sans le jugement, ni le jugement sans l'énergie de la volonté.
    (Pensées et maximes diverses, p.5, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  47. À qui veut une chose mauvaise ou déraisonnable ce n'est pas une excuse que de la vouloir véhémentement et avec passion.
    (Pensées et maximes diverses, p.5, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  48. Il y a infiniment plus de gens sachant agir qu'il n'y en a sachant se décider,
    (Pensées et maximes diverses, p.5, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  49. Chacun de nous sait à peu près ce qu'il désire, presque personne ce qu'il veut.
    (Pensées et maximes diverses, p.5, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  50. Vouloir des choses raisonnables sert peu, si on ne sait les vouloir raisonnablement.
    (Pensées et maximes diverses, p.5, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  51. Un point sur lequel il a plu au bon Dieu de se rapprocher de l'homme, c'est qu'il ne fait pas souvent sa volonté ; il arrive d'ordinaire en ce monde non ce qu'il veut, mais ce qu'il permet, et voilà pourquoi les choses humaines vont si médiocrement.
    (Pensées et maximes diverses, p.6, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  52. La plupart des hommes s'indignent moins qu'on résiste à leurs volontés qu'à leurs caprices.
    (Pensées et maximes diverses, p.6, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  53. Celui qui obéit à ses caprices ne doit pas plus compter réussir dans les affaires sérieuses, que le voyageur qui s'arrête en route ne doit s'attendre à arriver à temps.
    (Pensées et maximes diverses, p.6, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  54. Dans certaines âmes, l'extrême mobilité des impressions ne fait pour ainsi dire qu'en accroître la véhémence ; leurs velléités sont plus fortes que n'est la volonté chez la plupart des autres, et l'on a pu dire avec vérité de cette sorte de gens que, s'ils ne savent jamais ce qu'ils veulent, ils ont au moins le mérite de toujours le vouloir énergiquement.
    (Pensées et maximes diverses, p.6, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  55. L'entêtement et la vanité nous exposent à commettre toutes les fautes qui nous passent par la tête ; et la faiblesse, à commettre toutes celles qui passent par la tête des gens avec qui nous vivons.
    (Pensées et maximes diverses, p.6, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  56. L'excès de sévérité nous fait quelquefois haïr, et l'excès de condescendance toujours mépriser.
    (Pensées et maximes diverses, p.6, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  57. La constance dans les affections annonce plutôt un caractère élevé qu'un coeur tendre.
    (Pensées et maximes diverses, p.6, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  58. Il nous est parfois plus aisé de sacrifier notre intérêt à celui de nos amis, que de n'être pas jaloux du bien qui leur arrive.
    (Pensées et maximes diverses, p.6, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  59. Sacrifier notre intérêt à ceux que nous aimons sert peu si nous ne sommes également disposés à leur sacrifier nos défauts et nos caprices.
    (Pensées et maximes diverses, p.6, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  60. La religion, qui nous fait un devoir de l'amour du prochain, n'exige pas toutefois que nous le sachions mieux aimer que nous ne savons nous aimer nous-mêmes.
    (Pensées et maximes diverses, p.6, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  61. L'amitié consiste à nous faire supporter les défauts de nos amis, et non pas à nous les faire ignorer.
    (Pensées et maximes diverses, p.7, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  62. Il semble que l'amour soit de toutes les passions humaines celle qui revêt les formes les plus diverses. Il n'y a guère qu'une manière de ressentir la haine, la colère, l'envie, et nous ne savons même pas d'ordinaire être sots avec originalité. Les amoureux, au contraire, ont chacun leur manière propre, tout comme les grands artistes et les fous.
    (Pensées et maximes diverses, p.7, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  63. La haine est d'ordinaire plus clairvoyante que l'amitié ; et l'envie, toujours plus constante que l'amour.
    (Pensées et maximes diverses, p.7, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  64. Pas de plaisir plus délicat que de se sentir haï par les gens qu'on a cessé d'aimer et d'estimer.
    (Pensées et maximes diverses, p.7, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  65. Feindre un sentiment que l'on ne ressent pas est plus aisé que de dissimuler celui que l'on éprouve réellement.
    (Pensées et maximes diverses, p.7, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  66. Chacun de nous, en ce monde, a sa manière de goûter le bonheur qui n'est pas du tout celle du voisin ; et c'est un lamentable travers que de vouloir forcer ceux que nous aimons à être heureux à notre guise et non à la leur.
    (Pensées et maximes diverses, p.7, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  67. La noblesse du caractère est souvent nécessaire pour bien apprécier l'ensemble des choses humaine ; de même qu'un point de vue élevé pour jouir d'une perspective étendue.
    (Pensées et maximes diverses, p.7, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  68. La vertu nous apprend à combattre nos défauts, et l'expérience à les dissimuler.
    (Pensées et maximes diverses, p.7, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  69. C'est la fortune adverse qui trempe les caractères énergiques, et la prospérité qui rend meilleures les âmes généreuses.
    (Pensées et maximes diverses, p.7, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  70. Le véritable éloge de l'homme de bien, en ce bas monde, consiste dans les critiques des sots et les dédains des intrigants.
    (Pensées et maximes diverses, p.7, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  71. C'est toujours se montrer d'une exigence ridicule que de réclamer des hommes plus d'honnêteté ou plus d'esprit que nous ne pouvons en fournir nous-mêmes.
    (Pensées et maximes diverses, p.7, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  72. Sauf un peu de bon sens et d'honnêteté, je ne sache pas trop quelle est la qualité que l'on ne puisse espérer rencontrer chez la plupart des hommes, à la condition de la bien chercher.
    (Pensées et maximes diverses, p.8, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  73. Il n'est guère de vertu qu'un homme habile ne parvienne à rendre insupportable, en y mêlant les défauts de son caractère.
    (Pensées et maximes diverses, p.8, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  74. L'honnête homme suivant le monde, c'est celui auquel il n'a manqué qu'une occasion favorable ou un peu d'énergie pour devenir un parfait scélérat.
    (Pensées et maximes diverses, p.8, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  75. Si l'on pouvait pénétrer les motifs qui font agir la plupart des bienfaiteurs, peut-être serait-on surpris de la difficulté qu'il y a à devenir un parfait ingrat.
    (Pensées et maximes diverses, p.8, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  76. Nous taxons plus volontiers d'ingratitude celui qui dédaigne nos bienfaits que l'ingrat qui les oublie.
    (Pensées et maximes diverses, p.8, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  77. Pas de métier qui exige plus de finesse et d'habileté que celui d'homme serviable ; on est toujours sur de faire des mécontents en cas d'insuccès, et des ingrats si l'on réussit.
    (Pensées et maximes diverses, p.8, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  78. Celui qui ne sait rendre de service qu'au dépens d'autrui n'est pas plus digne du nom de bienfaiteur que celui qui emprunte ses mots ne mérite celui d'homme d'esprit.
    (Pensées et maximes diverses, p.8, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  79. Plus un homme s'est montré généreux à notre égard, plus nous aimons nous répéter à nous-mêmes qu'il pourrait davantage s'il le voulait.
    (Pensées et maximes diverses, p.8, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  80. À voir la façon dont certaines gens rendent service, on dirait que ce qu'ils apprécient le plus dans la bienfaisance, c'est le plaisir d'humilier celui qui reçoit.
    (Pensées et maximes diverses, p.8, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  81. Certaines gens ne savent se montrer charitables que par procuration, et se proclament généreux parce qu'ils ont été importuns.
    (Pensées et maximes diverses, p.8, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  82. Ce que nous haïssons dans le bienfaiteur, ce n'est pas la modicité du service rendu, c'est qu'il ait été en état de nous le rendre.
    (Pensées et maximes diverses, p.8, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  83. Il est des circonstances où nous ne cherchons pas à nous venger de celui qui nous a fait du mal, il n'y en a guère où nous ne cherchions à abuser de celui que nous savons disposé à nous faire du bien.
    (Pensées et maximes diverses, p.9, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  84. Faire le bien parce qu'on cède à l'importunité n'est pas d'un coeur généreux ; c'est payer une rançon, et non rendre un service.
    (Pensées et maximes diverses, p.9, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  85. C'est trop peu de dire que le coeur humain garde le souvenir des bienfaits reçus, il s'attache à lui comme un vêtement empoisonné. Ce qui le prouve, c'est l'aversion que finissent d'ordinaire par nous inspirer ceux qui nous ont rendu trop de services.
    (Pensées et maximes diverses, p.9, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  86. Celui-là seul peut se faire une idée de ce que pèse la reconnaissance dans le coeur de la plupart des hommes, qui a eu besoin des services d'un obligé.
    (Pensées et maximes diverses, p.9, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  87. Il en est souvent du commerce des bienfaits comme de tous les autres ; nous cherchons à payer à vil prix ce que le prochain essaye de nous livrer frelaté.
    (Pensées et maximes diverses, p.9, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  88. Il nous semble d'ordinaire moins dur d'obliger un inconnu qu'un bienfaiteur.
    (Pensées et maximes diverses, p.9, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  89. Le meilleur moyen d'éviter l'ingratitude, c'est de ne s'adresser à la bienveillance du prochain qu'autant que la nécessité nous fait un devoir aussi impérieux de demander qu'à lui de ne pas refuser.
    (Pensées et maximes diverses, p.9, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  90. Ce n'est pas une médiocre preuve de reconnaissance que d'accorder des louanges à son bienfaiteur pour s'éviter l'ennui de lui rendre des services.
    (Pensées et maximes diverses, p.9, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  91. Quand on sera parvenu à rendre les hommes probes, loyaux, sincères, alors il sera permis de s'étonner que l'on éprouve tant de difficulté à les empêcher d'être des ingrats.
    (Pensées et maximes diverses, p.9, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  92. L'intrigant méprise les hommes, mais tâche de s'en servir ; le sage les plaint, et tâche de les servir.
    (Pensées et maximes diverses, p.9, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  93. Certaines gens poussent l'esprit chrétien au point de regarder leur bienfaiteur comme leur obligé, puisqu'ils lui ont fourni l'occasion de faire une bonne action.
    (Pensées et maximes diverses, p.10, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  94. Le juste mépris que peut nous inspirer notre bienfaiteur rend le poids de notre reconnaissance plus lourd, mais ne peut nous dispenser de le porter.
    (Pensées et maximes diverses, p.10, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  95. Nous n'oserions peut-être pas soutenir que notre bienfaiteur nous doit de la reconnaissance pour les services que nous avons daigne recevoir de lui, mais d'ordinaire l'ensemble de notre conduite tend à le faire supposer.
    (Pensées et maximes diverses, p.10, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  96. Nous nous attachons à autrui en raison du bien qu'il a reçu de nous, nous le haïssons en raison du mal que nous lui avons fait et des services qu'il nous a rendus.
    (Pensées et maximes diverses, p.10, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  97. Se montrer bienfaisant est parfois d'une bonne politique. Si l'on ne peut raisonnablement attendre beaucoup de gratitude de la part de ses obligés, il est au moins permis d'espérer la bienveillance des autres qui, n'ayant rien reçu de nous, ne sauraient alléguer de motifs sérieux de nous en vouloir.
    (Pensées et maximes diverses, p.10, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  98. Qui sème ses bienfaits sans discernement ne doit s'attendre à ne récolter que l'ingratitude.
    (Pensées et maximes diverses, p.10, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  99. C'est étonnant comme rien ne nous dispose à la bienveillance vis-à-vis du prochain autant que de savoir qu'il n'a pas besoin de nous et peut se passer de nos services.
    (Pensées et maximes diverses, p.10, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  100. La charité de l'obligé est de ne pas trop scruter les intentions du bienfaiteur.
    (Pensées et maximes diverses, p.10, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  101. Nous gardons volontiers notre gratitude pour les services à venir, et notre oubli pour ceux qui sont déjà rendus.
    (Pensées et maximes diverses, p.10, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  102. Les défauts de notre bienfaiteur nous servent plus souvent de prétexte pour lui refuser notre reconnaissance que de motif pour repousser ses bienfaits.
    (Pensées et maximes diverses, p.10, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  103. Dieu est tout-puissant sans doute, cependant il ne saurait pardonner à qui ne se repent pas.
    (Pensées et maximes diverses, p.10, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  104. Le désespoir est plus fréquent que le repentir.
    (Pensées et maximes diverses, p.11, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  105. On ne se repent bien que des fautes que l'on n'est plus en état de commettre.
    (Pensées et maximes diverses, p.11, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  106. Le châtiment exaspère plus souvent les hommes qu'il ne les corrige.
    (Pensées et maximes diverses, p.11, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  107. Nous confondons volontiers le désappointement avec le remords, et le regret avec le repentir.
    (Pensées et maximes diverses, p.11, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  108. Certaines gens jugent volontiers irréparables les fautes par eux commises pour éviter de se corriger des défauts qui les leur ont fait commettre.
    (Pensées et maximes diverses, p.11, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  109. Ce n'est pas une médiocre preuve de jugement que de vouloir réparer les fautes commises dès qu'on s'est aperçu qu'elles sont irréparables.
    (Pensées et maximes diverses, p.11, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  110. L'homme de caractère sait être sévère pour ses propres défauts ; il n'y a que l'intrigant ou l'homme sincèrement religieux qui sachent être indulgents pour les défauts d'autrui.
    (Pensées et maximes diverses, p.11, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  111. L'homme habile aime à rendre des services ; seul l'homme de bien cherche à rendre service.
    (Pensées et maximes diverses, p.11, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  112. Pas d'honnêteté véritable sans délicatesse de sentiments ; et l'honneur qui nous permet de ménager les méchants lorsque l'intérêt nous y convie, n'est guère moins déshonorant que le crime lui-même.
    (Pensées et maximes diverses, p.11, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  113. L'honneur est l'image de la vertu, de même que l'hypocrisie en est le masque.
    (Pensées et maximes diverses, p.11, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  114. L'honneur est à l'honnêteté ce que le scrupule est à la vertu ; si on parvenait à le dégager d'une certaine dose d'exagération qui lui semble essentielle, il cesserait d'être pour se confondre avec la droiture et la probité.
    (Pensées et maximes diverses, p.11, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  115. Celui-là ne mérite pas le nom d'homme d'honneur, qui craindrait plus d'être flétri aux yeux d'autrui qu'aux siens propres.
    (Pensées et maximes diverses, p.11, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  116. Nous recherchons comme des complices ceux qui ont nos vices, et fuyons comme des rivaux ceux qui partagent nos travers.
    (Pensées et maximes diverses, p.12, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  117. Nul ne ressemble plus à un homme dénué de toute vertu que celui qui n'est vertueux que par tempérament.
    (Pensées et maximes diverses, p.12, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  118. Ce qui prouve la parfaite honnêteté de la plupart des hommes, c'est le petit nombre de restitutions et de réparations qui se font au lit de mort, c'est à-dire au moment où d'elles seules dépend notre salut éternel.
    (Pensées et maximes diverses, p.12, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  119. Tolérer les vices de son prochain est d'ordinaire plus aisé que de tolérer ses travers.
    (Pensées et maximes diverses, p.12, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  120. Si nous voyons un homme malheureux, parions hardiment qu'il l'est cent fois moins qu'il ne le mérite.
    (Pensées et maximes diverses, p.12, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  121. Ce qui démontre l'ignominie naturelle du genre humain, c'est que la plupart des hommes par lui qualifiés de grands ne l'ont été ni par le coeur ni par le caractère.
    (Pensées et maximes diverses, p.12, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  122. La preuve la plus certaine que nous ayons de la culpabilité d'un malhonnête homme, ce n'est pas que nous lui ayons vu commettre le méfait, mais que nous sachions qu'il a été à même de le commettre.
    (Pensées et maximes diverses, p.12, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  123. Nous ne pardonnons pas le désintéressement à l'homme dont l'ambition pourrait servir nos convoitises.
    (Pensées et maximes diverses, p.12, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  124. La déloyauté du coquin consiste à être de mauvaise foi avec les autres ; et celle de l'honnête homme, à être de mauvaise foi avec lui-même.
    (Pensées et maximes diverses, p.12, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  125. L'amour de la domination, chez certaines âmes, vient du sentiment secret de leur incapacité ; elles tiennent à l'autorité comme à un bien dont la possession ne leur semble jamais assurée, puisque leurs fautes mériteraient à chaque instant de la leur faire perdre.
    (Pensées et maximes diverses, p.12, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  126. La plupart des hommes désirent le pouvoir comme un ornement dont on se pare sans s'en servir, et se croient ambitieux parce qu'ils ont de la vanité.
    (Pensées et maximes diverses, p.12, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  127. Il y a moins loin de la vanité à la modestie qu'à une véritable ambition.
    (Pensées et maximes diverses, p.13, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  128. Quelque puissant que soit l'intérêt sur le coeur de l'homme, le besoin de se sentir adulé est encore plus fort ; et l'on peut dire, à cet égard, que nous cherchons bien moins souvent à tromper notre prochain qu'à être trompés par lui.
    (Pensées et maximes diverses, p.13, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  129. Pour certains hommes blasés par le succès, la louange est devenue comme un pain quotidien que l'on savoure sans plaisir, mais dont on ne saurait se passer.
    (Pensées et maximes diverses, p.13, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  130. Nous pardonnons plus volontiers à nos semblables de manquer de vertu que des vices dont nous espérions tirer profit.
    (Pensées et maximes diverses, p.13, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  131. Le vice, qui abrutit l'âme vulgaire, produit quelquefois un effet différent sur l'homme généreux, et le rend d'autant plus pointilleux sur l'honneur que c'est en définitive le seul bien qui lui reste.
    (Pensées et maximes diverses, p.13, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  132. Le côté faible du mérite, même transcendant, c'est qu'il ne suffit pas toujours à nous préserver de la vanité.
    (Pensées et maximes diverses, p.13, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  133. C'est déjà presque de la vertu, que de savoir préférer son orgueil à sa vanité.
    (Pensées et maximes diverses, p.13, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  134. Ce qui rend le bavard et le vaniteux des êtres si particulièrement insupportables, c'est qu'ils ne peuvent se livrer à leurs défauts de prédilection sans gêner ceux du prochain.
    (Pensées et maximes diverses, p.13, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  135. Nous ne nous résignons guère à attribuer du mérite à autrui qu'en raison de celui que nous le croyons disposé à nous attribuer à nous-mêmes.
    (Pensées et maximes diverses, p.13, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  136. Quelque difficile à garder que soit un secret, tout le monde en vient à bout, pour peu que sa vanité s'y trouve intéressée.
    (Pensées et maximes diverses, p.13, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  137. L'envie est par excellence le vice des esprits étroits ; un homme tout à fait nul peut y échapper, jamais un homme médiocre.
    (Pensées et maximes diverses, p.13, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  138. Le premier châtiment de l'envie est de se sentir méprisé des gens qu'il jalouse.
    (Pensées et maximes diverses, p.14, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  139. Il s'en faut bien que le coeur humain soit, comme l'ont prétendu certains penseurs moroses, toujours dominé par l'égoïsme ; ce qui prouve bien le contraire, c'est sa tendance naturelle aux sentiments de haine et d'envie, et le plaisir si vif que nous éprouvons souvent à nuire au prochain, fût-ce à notre détriment.
    (Pensées et maximes diverses, p.14, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  140. C'est se moquer des gens, que de les louer d'une bonne action que soi-même on aurait été incapable ou très fâché d'accomplir.
    (Pensées et maximes diverses, p.14, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  141. L'injustice nous révolte d'ordinaire moins que l'injure; et l'injure, presque toujours moins que la vérité.
    (Pensées et maximes diverses, p.14, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  142. Nous entendons par dessus tout garder nos défauts, et nous nous berçons de l'illusion de croire que nous le pourrons impunément.
    (Pensées et maximes diverses, p.14, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  143. À en juger par la plupart de ses effets, on ne voit pas trop comment distinguer l'esprit d'intrigue de la spiritualité la plus raffinée. Il façonne l'homme à la pratique des vertus de perfection, lui apprend à être humble, exempt de rancune, indulgent aux travers et défauts de son prochain, à rechercher les avanies et mortifications toutes les fois qu'il croit avoir quelque chose à y gagner. Parfois même il nous rend plus chrétiens que l'Évangile, puisqu'il nous enseigne à nous dégager des biens de famille et affections terrestres, et à oublier nos amis pour leur préférer nos ennemis.
    (Pensées et maximes diverses, p.14, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  144. L'intolérance qui prend sa source dans l'intérêt personnel est beaucoup plus âpre que celle qui découle de la conviction.
    (Pensées et maximes diverses, p.14, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  145. On se corrige difficilement d'un vice, jamais d'un défaut.
    (Pensées et maximes diverses, p.14, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  146. L'homme est un être si essentiellement incorrigible que les plus cuisantes épreuves, les leçons les plus dures, ne parviennent presque jamais à le corriger du moindre de ses travers.
    (Pensées et maximes diverses, p.14, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  147. Quelques hommes poussent l'honnêteté jusqu'à convenir de leurs défauts, bien peu jusqu'à les combattre, personne, ou à peu près, au point de les corriger.
    (Pensées et maximes diverses, p.15, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  148. Ce que le microscope est pour l'oeil, l'alambic pour les liqueurs, on dirait que la coterie l'est à l'esprit mondain : elle ne le crée point, mais elle le concentre, l'amplifie et, le dégageant de tout alliage étranger, le fait paraître dans sa laideur et son ineptie naturelles.
    (Pensées et maximes diverses, p.15, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  149. La vraie prudence a ceci de commun avec la grandeur d'âme, qu'elle nous préserve du soupçon, des craintes exagérées ; elle nous enseigne moins encore à nous défier de nos ennemis qu'à savoir à qui donner notre confiance, et à bien choisir nos amis.
    (Pensées et maximes diverses, p.15, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  150. Il est quelquefois permis de croire que l'on a raison contre tout le monde ; mais il ne faut pas s'attendre alors à son approbation, ni à ce qu'il nous sache gré de notre perspicacité.
    (Pensées et maximes diverses, p.15, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  151. Il est certaines circonstances dans la vie où on peut avoir intérêt à être un imprudent ou un fou, jamais à être un sot.
    (Pensées et maximes diverses, p.15, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  152. Le travers le plus habituel des gens de mérite est de vouloir être universels, et de se supposer des aptitudes spéciales précisément pour des choses auxquelles ils n'entendent rien.
    (Pensées et maximes diverses, p.15, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  153. C'est un amour-propre insupportable que de s'attribuer plus d'esprit qu'à tout le monde ; mais il est toujours permis de se croire supérieur à cet égard à ceux que l'on sait pertinemment être des sots.
    (Pensées et maximes diverses, p.15, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  154. Savoir à propos se rendre ridicule à ses propres yeux constitue parfois un excellent moyen de ne pas passer pour tel aux yeux du monde.
    (Pensées et maximes diverses, p.15, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  155. C'est trop compter sur l'affection des gens que de croire nos amis disposés à se donner plus de mal pour nos propres affaires qu'ils ne nous savent décidés à nous en donner nous-mêmes.
    (Pensées et maximes diverses, p.15, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  156. Dans les affaires importantes, négliger l'emploi des petits moyens, c'est parfois s'enlever certaines chances de réussite ; c'est se les retirer toutes que de leur donner une importance exclusive.
    (Pensées et maximes diverses, p.16, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  157. C'est une triste infirmité que d'avoir le goût des choses dont on ne possède ni l'intelligence ni la capacité.
    (Pensées et maximes diverses, p.16, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  158. On inspire parfois une résolution, jamais une conduite.
    (Pensées et maximes diverses, p.16, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  159. Se plaire à vivre d'illusions, c'est acheter quelques instants d'un doux repos au prix d'un réveil parfois terrible, imiter ce voyageur qui, tombant d'une tour élevée, trouvait le trajet assez agréable, et ne craignait que l'arrivée.
    (Pensées et maximes diverses, p.16, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  160. Quelle que soit leur rage de réussir, la plupart des hommes cherchent moins à employer les moyens qui conviennent que ceux qui leur conviennent personnellement : et telle est la cause la plus fréquente de leurs échecs.
    (Pensées et maximes diverses, p.16, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  161. Nous avons beau nous moquer du joueur qui risque sa fortune sur une carte, nous ne sommes pas, dans l'ordinaire de la vie, beaucoup plus sages que lui ; et il suffit d'examiner notre conduite pour se convaincre que tous nous croyons à notre étoile et nous jugeons favorisés d'un hasard particulier.
    (Pensées et maximes diverses, p.16, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  162. C'est parfois louable persévérance de ne pas se laisser détourner du but à atteindre par des échecs répétés ; et sottise, de s'obstiner dans l'emploi des mêmes procédés lorsque l'expérience nous a prouvé leur inefficacité.
    (Pensées et maximes diverses, p.16, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  163. Rien de plus vain que d'espérer réussir uniquement par les fautes de ses adversaires, quand on ne s'est pas mis d'avance soi-même en état d'en profiter.
    (Pensées et maximes diverses, p.16, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  164. Il faut se défier également, et de l'homme réputé honnête qui réussit trop souvent dans ses entreprises, parce que la loyauté n'est pas toujours compatible avec le succès, et de l'intrigant qui échoue dans les siennes, car il prouve par là qu'il n'est qu'un imbécile.
    (Pensées et maximes diverses, p.16, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  165. C'est le propre d'un sot de ne jamais désespérer de la réussite d'une entreprise tant qu'il lui reste une occasion de commettre de nouvelles sottises.
    (Pensées et maximes diverses, p.17, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  166. Nous pouvons compter quelquefois sur le hasard pour réparer les fautes commises, jamais pour réparer celles que nous aurions l'intention de commettre à l'avenir.
    (Pensées et maximes diverses, p.17, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  167. Le hasard a ceci de commun avec la Providence qu'il ne vient guère en aide qu'aux gens qui ont commencé par s'aider eux-mêmes, et n'est réellement secourable qu'à ceux qui se sont arrangés pour pouvoir se passer de lui.
    (Pensées et maximes diverses, p.17, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  168. S'en rapporter au hasard quand la réussite dépend de notre intelligence et de notre activité, c'est se reconnaître à l'avance incapable de profiter de ses faveurs.
    (Pensées et maximes diverses, p.17, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  169. Les maximes et prescriptions du monde sont à la pratique de la vie ce que les menues pièces de monnaie sont à la circulation quotidienne : quelque peu qu'on les estime, on ne saurait longtemps s'en passer ; c'est précisément la bassesse de leur titre qui les rend indispensables, et leur absence de valeur réelle qui permet de leur en donner une de convention.
    (Pensées et maximes diverses, p.17, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  170. On réussit dans le monde assez souvent par ses défauts, quelquefois par ses qualités, jamais ou presque jamais par ses vertus.
    (Pensées et maximes diverses, p.17, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  171. Le monde subit quelquefois l'ascendant du mérite, mais au fond il n'adore que la médiocrité et flétrit du nom d'original quiconque dépasse le niveau commun soit par l'esprit soit par le caractère.
    (Pensées et maximes diverses, p.17, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  172. La droiture du jugement, l'aménité des manières, l'esprit de suite constituent sans doute de puissants moyens de parvenir ; mais, toutes réunies, ces qualités ne valent pas d'ordinaire la souplesse de caractère et l'absence de scrupules.
    (Pensées et maximes diverses, p.17, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  173. Défendre ses opinions avec feu est parfois un bon moyen de se pousser dans le monde ; il faut prendre garde seulement qu'elles ne dégénèrent en convictions.
    (Pensées et maximes diverses, p.18, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  174. La médiocrité des sentiments et l'absence d'idées personnelles constituent sans doute d'excellents moyens de réussir ; mais il faudrait avoir l'esprit de n'en pas abuser.
    (Pensées et maximes diverses, p.18, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  175. Pour réussir dans le monde, la médiocrité de l'esprit constitue évidemment une qualité bien précieuse, mais non pas indispensable : celle du caractère suffit.
    (Pensées et maximes diverses, p.18, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  176. Le ridicule qui tue aux yeux du monde est plutôt celui qui blesse ses usages et ses préjugés que celui qui se borne à offenser le sens commun.
    (Pensées et maximes diverses, p.18, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  177. On rencontre dans le monde force gens qui savent se montrer séduisants et aimables à leurs heures ; le difficile est d'en trouver de tout-à-fait supportables.
    (Pensées et maximes diverses, p.18, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  178. Ce qui nous empêche d'acquérir de l'empire sur les autres, ce ne sont pas tant nos passions et nos vices que nos caprices et notre versabilité.
    (Pensées et maximes diverses, p.18, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  179. Diriger de travers ceux qui dépendent de lui est la revanche la plus chère au coeur de celui qui n'est pas bien sûr de savoir se diriger lui-même.
    (Pensées et maximes diverses, p.18, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  180. Entre l'art de connaître les hommes et celui d'en tirer parti il y a toute la différence qui sépare la théorie de la pratique ; et de là vient que les esprits les plus clairvoyants ne sont pas ceux qui réussissent le mieux dans la vie publique.
    (Pensées et maximes diverses, p.18, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  181. Pas de situation plus enviable que celle de l'homme de bien réfractaire au rôle de dupe ; à part les sots et les intrigants, les naïfs et les faiseurs, il est sûr d'avoir le genre humain tout entier pour partisan.
    (Pensées et maximes diverses, p.18, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  182. C'est par la flatterie que l'on acquiert de l'empire sur l'esprit des hommes, et par la crainte qu'on la conserve.
    (Pensées et maximes diverses, p.18, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  183. Celui-là serait bien près de gagner l'affection de ses semblables, qui saurait à un degré égal s'en faire craindre et s'en faire estimer.
    (Pensées et maximes diverses, p.18, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  184. On s'attache les mortels, non par le bien qu'ont leur fait, mais par les espérances qu'on leur donne ; l'homme pratique est celui qui sait joindre à l'art de séduire son prochain par de belles paroles celui de reconduire sans trop le désobliger.
    (Pensées et maximes diverses, p.19, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  185. Le sot qui sait prendre les hommes par l'intérêt et la vanité montre en réalité bien plus de sagesse pratique que l'homme sensé qui prétend les diriger par les simples lumières de la raison et du sens commun.
    (Pensées et maximes diverses, p.19, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  186. Il y a presque toujours moins d'inconvénients à se donner des torts vis-à-vis du prochain qu'à se montrer trop sensible à ceux qu'il a eus à notre égard.
    (Pensées et maximes diverses, p.19, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  187. Nous nous figurons toujours qu'il nous sera aussi facile de celer nos défauts au prochain qu'impossible à lui de nous cacher les siens.
    (Pensées et maximes diverses, p.19, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  188. Nous donnons notre confiance à un homme et le chargeons de nos affaires parce que nous le savons loyal, droit, incapable de tromper ; et ensuite nous nous indignons si parfois il sacrifie nos intérêts aux scrupules de sa conscience.
    (Pensées et maximes diverses, p.19, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  189. Se montrer indulgent pour les travers de ses subordonnés et en même temps ne pas savoir ménager leur amour-propre, constitue le moyen le plus efficace de s'en faire haïr sans parvenir à gagner leur estime.
    (Pensées et maximes diverses, p.19, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  190. Il n'est guère d'intrigant qui ne devienne la première dupe de ses propres manoeuvres.
    (Pensées et maximes diverses, p.19, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  191. Nous n'employons guère pour tromper autrui que les moyens par lesquels nous pourrions être trompés nous-mêmes.
    (Pensées et maximes diverses, p.19, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  192. Nous sommes plus souvent pris à nos propres pièges qu'à ceux que nous tend autrui.
    (Pensées et maximes diverses, p.19, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  193. L'un des principaux inconvénients de l'esprit d'intrigue, c'est qu'il nous conduit à faire de l'habileté plutôt un moyen qu'un but, et à ne plus savoir nous en passer même lorsque notre intérêt nous conseillerait d'être simple.
    (Pensées et maximes diverses, p.19, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  194. Il en est des concessions comme des définitions : d'ordinaire elles ne parviennent à satisfaire que leurs auteurs.
    (Pensées et maximes diverses, p.20, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  195. Le véritable esprit de concession est de savoir accorder à temps ce que la prudence nous interdit de refuser.
    (Pensées et maximes diverses, p.20, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  196. La plupart des hommes sont d'un naturel si conciliant qu'on les trouve généralement disposés à toutes les concessions, pourvu qu'elles ne froissent ni leurs passions, ni leurs préjugés, ni leurs intérêts, ni leurs caprices.
    (Pensées et maximes diverses, p.20, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  197. C'est une question délicate de savoir quel est le plus sot, ou de celui qui refuse d'écouter un bon conseil, ou de celui qui s'amuse à le donner en pure perte.
    (Pensées et maximes diverses, p.20, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  198. Il en est des meilleurs conseils comme des plus belles maximes des sages de l'antiquité, lesquelles pouvaient avoir tous les mérites possibles, hors bien entendu celui de l'utilité pratique.
    (Pensées et maximes diverses, p.20, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  199. Au premier rang des paroles oiseuses dont Dieu nous demandera compte, il convient sans aucun doute de placer la plupart des bons avis par nous donnés au prochain ; car nous ne pouvions à l'avance nous faire aucun doute sur leur parfaite inutilité.
    (Pensées et maximes diverses, p.20, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  200. Il semble qu'il en soit des conseils comme des aliments : ce ne sont pas toujours les meilleurs qui nous profitent, mais ceux qui se trouvent le plus conformes à notre tempérament.
    (Pensées et maximes diverses, p.20, Annales de philosophie chrétienne, 1888)
     
  201. On dirait que la nature a donné à tant d'hommes la démangeaison d'offrir leurs conseils au prochain par la même raison qu'elle a muni certaines plantes d'une quantité infinie de graines : c'est qu'elle savait bien à l'avance que la plupart étaient destinées à se perdre, et qu'il fallait en semer des milliers pour qu'une seule arrivât à germer.
    (Pensées et maximes diverses, p.20, Annales de philosophie chrétienne, 1888)