Joseph Roux
1834-1905
  1. Émettre des « Pensées », voilà ma consolation, mon délice, ma vie. Moi aussi je m'écrierais, dans un sens autre : « Je pense, donc je suis ! »
    (Pensées, p.37, Lemerre, 1885)
     
  2. Maximiste, pessimiste.
    (Pensées, p.37, Lemerre, 1885)
     
  3. Les « pensées » sont des fruits, les mots des feuilles... Épamprons ! épamprons ! afin que la pensée, mise en lumière, gagne force, beauté et saveur.
    (Pensées, p.37, Lemerre, 1885)
     
  4. On demandait à un religieux : « Vivant dans la solitude, comment connaissez-vous le monde ! — Je l'étudie en moi, » répondit-il.
    Ainsi, je ne vois la société qu'en passant  ; mais le peu que je vois, je l'observe beaucoup, puis j'y pense longuement et fréquemment.

    (Pensées, p.38, Lemerre, 1885)
     
  5. Pascal est sombre, La Rochefoucauld amer, La Bruyère malin, Vanvenargues mélancolique, Chamfort âcre, Joubert bienveillant, Swetchine douce.
    Pascal cherche, La Rochefoucauld suspecte, La Bruyère épie, Vauvenargues opine, Chamfort condamne, Joubert excuse, Swetchine plaint.
    Pascal a une obsession, La Rochefoucauld un parti pris, La Bruyère un point de vue, Vauvenargues un idéal, Chamfort un ressentiment, Joubert une aspiration, Swetchine une espérance.
    Pascal rapporte tout à une folie, La Rochefoucauld à un vice, La Bruyère à un travers, Vauvenargues à un principe, Chamfort à un abus, Joubert à un sentiment, Swetchine à une croyance.
    Pascal est profond, La Rochefoucauld pénétrant, La Bruyère sagace, Vauvenargues délicat, Chamfort paradoxal, Joubert ingénieux, Swetchine contemplative.
    Pascal est un problème, La Rochefoucauld un verdict, La Bruyère une étude, Vauvenargues un aperçu, Chamfort un réquisitoire, Joubert une image, Swttchine une prière.
    Pascal paraît hypocondre, La Rochefoucauld misanthrope, La Bruyère apathique, Vauvenargues cordial, Chamfort rageur, Joubert tranquille, Swetchine sereine...

    (Pensées, p.38, Lemerre, 1885)
     
  6. C'est une entreprise difficile, une entreprise délicate que d'écrire des « pensées ». Quel esprit avisé, quelle imagination féconde, quel sentiment juste et profond des choses, quel style heureux il y faudrait, même pour être médiocre !
    (Pensées, p.39, Lemerre, 1885)
     
  7. Pourquoi ai-je mis sur mes épaules un tel fardeau ? Quel besoin m'incline sur cette tâche ?... Hélas ! l'intelligence de l'homme est un mystère  ; et comme la plante, chacun de nous s'approprie naturellement et s'assimile ce qui, autour de lui, répond à ce qu'il est au dedans.
    (Pensées, p.39, Lemerre, 1885)
     
  8. D'habitude, le commentateur d'un poète incline à l'éloge : histoire de montrer qu'on a du goût ; le commentateur d'un maximiste penche au blâme : affaire de prouver qu'on a du jugement.
    (Pensées, p.40, Lemerre, 1885)
     
  9. De tout ce que j'écris restera-t-il quelque chose, et qu'est-ce que c'est qui en restera ? Si j'obtiens du renom, à quoi le devrai-je ? A mon Grand Dictionnaire limousin ? A mon Épopée limousine ? A ces Pensées ?... Je voudrais le savoir, mais comment le savoir ? Laissons à l'avenir son secret, et confions-nous à Dieu.
    (Pensées, p.40, Lemerre, 1885)
     
  10. « ...C'est une humeur mélancolique, produite par le chagrin de la solitude, qui m'a mis premièrement en tête cette rêverie de me mêler d'écrire. Et puis, me trouvant entièrement despourvu, et vuide de toute aultre matière, je me suis présenté moymesme à moy pour argument et pour subject. » (Essays, Livre II, ch. VIII.)
    Ces raisons de Montaigne sont les miennes, à la différence de son merveilleux esprit, de sa haute position, de sa grande science et de son expérience rare. Ce « chagrin de la solitude » qu'il a connu seulement dans une part de sa vie est mon compagnon de route depuis ma jeunesse. De plus, les Essays, fruits d'une mélancolie ennemie de sa complexion naturelle, diffèrent bien de mon ébauche où se remarque beaucoup de tristesse, voire même un peu d'amertume.

    (Pensées, p.40, Lemerre, 1885)
     
  11. Un auteur a pour ses ouvrages plus de sentiment que de raison.
    (Pensées, p.43, Lemerre, 1885)
     
  12. Je suis à la fois, tour à tour tout images, comme un poète, tout maximes, comme un philosophe.
    (Pensées, p.43, Lemerre, 1885)
     
  13. Le réel donne l'exact ; l'idéal ajoute le vrai. Le réaliste ne reproduit que des choses, l'idéaliste « invente » des êtres.
    (Pensées, p.44, Lemerre, 1885)
     
  14. La poésie est toujours toute-puissante sur les âmes non affadies.
    (Pensées, p.44, Lemerre, 1885)
     
  15. L'artiste, esprit et chair, doit se garder du pur idéal, c'est-à-dire de l'esprit non uni à un corps, et du pur réel, c'est-à-dire du corps non uni à un esprit.
    (Pensées, p.44, Lemerre, 1885)
     
  16. Les grandes âmes sont harmonieuses.
    (Pensées, p.44, Lemerre, 1885)
     
  17. Le désert attire le nomade ; l'océan, le matelot ; l'infini, le poète.
    (Pensées, p.44, Lemerre, 1885)
     
  18. On cite Virgile et l'on a raison, on cite peu Homère et l'on a tort.
    (Pensées, p.45, Lemerre, 1885)
     
  19. Deux sortes d'écrivains ont du génie : ceux qui pensent et ceux qui font penser.
    (Pensées, p.49, Lemerre, 1885)
     
  20. Ce que nous savons est court ; ce que nous pressentons, immense : par là le poète déborde l'érudit.
    (Pensées, p.49, Lemerre, 1885)
     
  21. Le sentimental est dangereux en piété, en morale, en littérature, en tout !
    (Pensées, p.51, Lemerre, 1885)
     
  22. Ne dites pas : Celui-là choisit mal le temps pour publier son ouvrage... Il faut publier, quand on le peut, à temps et à contretemps. Aujourd'hui est dans notre main, le passé n'y est plus, le futur y sera t-il ? Pourquoi préférer au certain l'incertain ?
    L'heure est mal propice : attendre en amènera-t-il une meilleure ? Il faut respirer, il faut publier présentement. L'oeuvre produite se dégagera à la longue des circonstances défavorables et finira par être estimée à son prix.

    (Pensées, p.51, Lemerre, 1885)
     
  23. Les délicats subissent mieux une sotte critique qu'une sotte louange.
    (Pensées, p.54, Lemerre, 1885)
     
  24. Que reste-t-il de Segrais, Racan, Berlaut, Desportes, etc. ? A peine une stance, tout au plus une tirade. Et néanmoins leur talent fut remarquable ; et leurs noms survivent dans les Poétiques et dans les Anthologies.
    O poètes d'à présent, romantiques, parnassiens, etc., êtes-vous assurés de laisser même un nom ?..

    (Pensées, p.61, Lemerre, 1885)
     
  25. Certain monde se persuade que pour être un écrivain de mérite il n'est besoin ni de raison, ni de jugement, ni de connaissance des hommes, ni d'expérience des choses, ni d'étude assidue, ni d'exercice persévérant, mais seulement de quelque chose d'inconscient, d'involontaire, d'instinctif, qu'on appelle du talent.
    (Pensées, p.64, Lemerre, 1885)
     
  26. Chacun va se poser d'instinct sur les livres qui répondent au besoin de sa nature.
    (Pensées, p.65, Lemerre, 1885)
     
  27. Depuis Voltaire nous ricanons, nous ne rions plus.
    (Pensées, p.66, Lemerre, 1885)
     
  28. Jamais écrivains n'eurent moins et ne parlèrent plus de sensibilité que ceux du dix-huitième siècle.
    (Pensées, p.66, Lemerre, 1885)
     
  29. Toute femme qui écrit sans pudeur vit de même.
    (Pensées, p.71, Lemerre, 1885)
     
  30. La littérature était jadis un art, et la finance un métier ; aujourd'hui c'est l'inverse.
    (Pensées, p.72, Lemerre, 1885)
     
  31. Le travail n'exclut pas le naturel, ni la facilité ne l'implique.
    (Pensées, p.73, Lemerre, 1885)
     
  32. La science est pour ceux qui apprennent ; la poésie, pour ceux qui savent.
    (Pensées, p.73, Lemerre, 1885)
     
  33. L'étymologie, la véritable étymologie, est bonne et utile. Elle profite au grammairien, au poète, à l'orateur, à l'historien, au philosophe. Les mots sont des coquilles. Ouvrez la coquille, vous trouverez l'amande qui vous délectera.
    (Pensées, p.73, Lemerre, 1885)
     
  34. Une belle citation est un diamant au doigt de l'homme d'esprit et un caillou dans la main d'un sot.
    (Pensées, p.74, Lemerre, 1885)
     
  35. Le châtiment des écrivains licencieux est que tout le monde ne saurait les lire ni avouer les avoir lus.
    (Pensées, p.74, Lemerre, 1885)
     
  36. La poésie, c'est la vérité endimanchée.
    (Pensées, p.74, Lemerre, 1885)
     
  37. La meilleure définition de l'éloquence, c'est un homme éloquent.
    (Pensées, p.75, Lemerre, 1885)
     
  38. Intéresser les passions, passionner les intérêts, voilà le but de l'éloquence.
    (Pensées, p.76, Lemerre, 1885)
     
  39. On n'est pas poète sans éloquence ; on n'est pas orateur sans poésie.
    (Pensées, p.76, Lemerre, 1885)
     
  40. Tel désordre, effet d'une puissante nature, est le comble de l'art.
    (Pensées, p.76, Lemerre, 1885)
     
  41. Le verbe ne souffre et ne connaît que la volonté qui le dompte, et n'emporte loin sans péril que l'intelligence qui lui ménage avec empire l'éperon et le frein.
    (Pensées, p.76, Lemerre, 1885)
     
  42. Ne jugeons ni l'éruption à la lave figée, ni l'improvisation à la page écrite.
    (Pensées, p.76, Lemerre, 1885)
     
  43. Parler peu, beaucoup dire.
    (Pensées, p.76, Lemerre, 1885)
     
  44. Un conférencier de Notre-Dame disait : « Il faut, si l'on veut bien prêcher, avoir le diable au corps. » Que n'ajoutait-il : « Et Dieu dans le coeur ! »
    (Pensées, p.78, Lemerre, 1885)
     
  45. Il pleurniche et larmoie, pensant m'attendrir. S'il était tendre, ce serait fait.
    (Pensées, p.78, Lemerre, 1885)
     
  46. Ceux qui veulent trop bien dire ont toujours quelques scrupules sur la manière dont ils ont dit.
    (Pensées, p.82, Lemerre, 1885)
     
  47. L'on devient orateur, l'on naît éloquent.
    (Pensées, p.82, Lemerre, 1885)
     
  48. La sténographie trop exacte nuit aux discours comme la photographie trop fidèle nuit aux visages. Pour que visages et discours « paraissent » beaux sur la toile et sur le vélin, il faut les retoucher.
    (Pensées, p.83, Lemerre, 1885)
     
  49. Une région fertile ne vaut guère sans de beaux chemins ; beaucoup de science sert de peu sans une langue éloquente.
    (Pensées, p.85, Lemerre, 1885)
     
  50. Improvisateurs, prenez garde à ne pas improviser des redites !
    (Pensées, p.85, Lemerre, 1885)
     
  51. Quand orateurs et auditeurs ont mêmes préjugés, ces préjugés risquent fort de valoir pour vérités, pour vérités incontestables.
    (Pensées, p.86, Lemerre, 1885)
     
  52. La pensée fait entendre, l'image fait voir. Il y aura toujours plus d'éloquence dans l'image que dans la pensée.
    (Pensées, p.86, Lemerre, 1885)
     
  53. L'histoire bien comprise donne quelque chose de l'expérience qu'acquerrait un homme contemporain de tous les âges et concitoyen de tous les peuples.
    (Pensées, p.87, Lemerre, 1885)
     
  54. Les anciens firent de l'histoire un panégyrique ; nous en avons fait un libelle.
    (Pensées, p.87, Lemerre, 1885)
     
  55. Rien ne tache et rien ne lave comme le sang.
    (Pensées, p.90, Lemerre, 1885)
     
  56. Pour juger un événement, comme pour mesurer un édifice, il faut se mettre à distance.
    (Pensées, p.90, Lemerre, 1885)
     
  57. Le héros émerveille, mais l'homme intéresse.
    (Pensées, p.91, Lemerre, 1885)
     
  58. Les intérêts désirent l'ordre, les moeurs le donnent.
    (Pensées, p.98, Lemerre, 1885)
     
  59. La conscience de l'homme livré à ses passions est comme la voix du naufragé couverte par la tempête.
    (Pensées, p.99, Lemerre, 1885)
     
  60. Les hommes d'esprit, tant qu'ils n'ont qu'une expérience d'intuition et non pas de manipulation, ne laissent pas de faire des sottises. Il voudraient mener les choses de la vie comme les choses d'idée. De là, force mécomptes. Cependant, après quelques leçons, ils s'amendent.
    (Pensées, p.99, Lemerre, 1885)
     
  61. Il n'y a pas d'humiliation pour l'humilié.
    (Pensées, p.100, Lemerre, 1885)
     
  62. Les imbéciles et les méchants haïssent les gens d'esprit. Les méchants disent que les gens d'esprit sont des imbéciles, et les imbéciles disent que les gens d'esprit sont des méchants.
    (Pensées, p.100, Lemerre, 1885)
     
  63. En fait de louanges, nous consultons plus notre appétit que notre santé.
    (Pensées, p.100, Lemerre, 1885)
     
  64. Quelque soleil qu'il fasse dans une intelligence, toujours des recoins y restent dans l'ombre.
    (Pensées, p.100, Lemerre, 1885)
     
  65. La mémoire loge dans la tête, le souvenir dans le coeur.
    (Pensées, p.100, Lemerre, 1885)
     
  66. Nous aimons beaucoup la justice et peu les hommes justes.
    (Pensées, p.101, Lemerre, 1885)
     
  67. Le sot ne veut jamais ni paraître ignorer ce qu'on lui apprend ni ne paraître pas vous apprendre ce qu'il ignore.
    (Pensées, p.101, Lemerre, 1885)
     
  68. L'homme qui s'abstient par scrupule de flatter les grands a bientôt fait de leur être suspect.
    (Pensées, p.101, Lemerre, 1885)
     
  69. Beaucoup de prudence n'empêche pas toujours de faire des folies, ni beaucoup de raison d'en penser, ni beaucoup d'esprit d'en dire.
    (Pensées, p.101, Lemerre, 1885)
     
  70. Qu'est-ce l'expérience ? Une pauvre petite cabane construite avec les débris de ces palais d'or et de marbre appelés nos illusions.
    (Pensées, p.101, Lemerre, 1885)
     
  71. N'ayons ni la tête dans le coeur, ni le coeur dans la tète.
    (Pensées, p.102, Lemerre, 1885)
     
  72. Quoi de moins difficile à réveiller qu'un amour-propre assoupi, de plus malaisé à endormir qu'un amour-propre éveillé?
    (Pensées, p.102, Lemerre, 1885)
     
  73. Orgueil et volupté engendrent folie.
    (Pensées, p.102, Lemerre, 1885)
     
  74. Aucun labeur n'est sans espérance.
    (Pensées, p.103, Lemerre, 1885)
     
  75. Il y a une franchise brutale, et je la déteste ; une franchise indiscrète, et je la redoute ; une franchise imbécile, et je la plains. Il y a aussi une franchise opportune, et délicate, et bonne ; honneur à celle-là.
    (Pensées, p.103, Lemerre, 1885)
     
  76. Nous sentons mieux que quelqu'un a tort quand c'est envers nous qu'il a tort.
    (Pensées, p.103, Lemerre, 1885)
     
  77. Heureux qui mortifie ce plaisir amer de crier à tout ce qui blesse ou pèse. Il sera en paix avec autrui et avec lui-même.
    (Pensées, p.103, Lemerre, 1885)
     
  78. Ah ! qu'un honnête homme est seul !
    (Pensées, p.103, Lemerre, 1885)
     
  79. Notre expérience se compose plutôt d'illusions perdues que de sagesse acquise.
    (Pensées, p.103, Lemerre, 1885)
     
  80. L'homme qui n'est pas à sa place est d'embarras pour soi et pour autrui.
    (Pensées, p.104, Lemerre, 1885)
     
  81. Le sel, répandu sur la terre, la stérilise ; mêlé avec la terre, la féconde.
    (Pensées, p.105, Lemerre, 1885)
     
  82. « Toute opinion sincère est respectable... » Je distingue : la sincérité est chose respectable. L'opinion... oui, si elle est honnête. Sinon, non.
    (Pensées, p.105, Lemerre, 1885)
     
  83. Nos jugements s'inspirent de nos actes plus que nos actes de nos jugements.
    (Pensées, p.105, Lemerre, 1885)
     
  84. La conscience de l'homme livré à ses passions est comme la voix du naufragé couverte parla tempête.
    (Pensées, p.106, Lemerre, 1885)
     
  85. Combien sacrifient l'honneur, chose de nécessité, à la gloire, chose de luxe !
    (Pensées, p.106, Lemerre, 1885)
     
  86. Les calomniés sont comme les fruits, ils sont mordus, donc ils sont bons.
    (Pensées, p.106, Lemerre, 1885)
     
  87. Imiter est un besoin de nature ; nous imitons, jeunes, autrui ; vieux, nous-mêmes.
    (Pensées, p.106, Lemerre, 1885)
     
  88. Le téméraire prévaut là et maintenant ; le prudent à la longue et partout.
    (Pensées, p.107, Lemerre, 1885)
     
  89. Traverser ce bas monde comme des naufragés qui fendent la mer, la tète hors des flots, l'oeil et les bras vers le rivage.
    (Pensées, p.107, Lemerre, 1885)
     
  90. Un mérite incontesté n'a pas grand'peine à paraître modeste.
    (Pensées, p.107, Lemerre, 1885)
     
  91. Le succès nous fait plus louer que connaître.
    (Pensées, p.107, Lemerre, 1885)
     
  92. La cause du bien a contre elle et les pervers qui la guerroient, et les justes qui la défendent mal ou ne la défendent point.
    (Pensées, p.107, Lemerre, 1885)
     
  93. Vous avez du talent ? soit. Mais le faites-vous valoir ? C'est-à-dire vous imposez-vous peu ou prou selon les temps, les lieux et les gens ? Si vous vous proposez seulement, si vous ne vous imposez pas, votre talent ne profitera probablement à personne, et certainement ne profitera pas à vous.
    (Pensées, p.108, Lemerre, 1885)
     
  94. Le bruit n'est pas plus la force que le tonnerre n'est la foudre.
    (Pensées, p.108, Lemerre, 1885)
     
  95. Un haut personnage de naissance infime fait-il une bassesse : « Il s'oublie », dit plus d'un. Eh ! non, il se ressouvient !
    (Pensées, p.108, Lemerre, 1885)
     
  96. « Simple, innocent, candide, naïf... » Ces mots prennent un sens qui fait sourire au fur et à mesure que les moeurs publiques prennent une tournure qui fait pleurer.
    (Pensées, p.108, Lemerre, 1885)
     
  97. L'esprit subtil excelle à donner les raisons d'une chose, l'esprit pénétrant à en trouver la raison.
    (Pensées, p.109, Lemerre, 1885)
     
  98. Qui souffre davantage, du capable qui est en bas et devrait être en haut, ou du médiocre qui est en haut et devrait être en bas ?
    (Pensées, p.110, Lemerre, 1885)
     
  99. Il n'y a pas si loin du coeur à la bouche que de la bouche à la main.
    (Pensées, p.110, Lemerre, 1885)
     
  100. Tous nous nous vantons de quelque chose, qui de ses ancêtres, qui de ses alliances, qui de sa figure, qui de son esprit, qui de son coeur, qui de ses espérances, qui de ses mécomptes, qui de sa fortune, qui de sa pauvreté, qui de ses vertus, qui de ses vices... Celui-là ne se vante pas le moins qui se vante de ne pas se vanter.
    (Pensées, p.110, Lemerre, 1885)
     
  101. Quelle vertu n'est pas indispensable à l'homme d'esprit pour qu'il se refuse le plaisir d'un trait malin ! Jean Racine, au temps de sa plus grande ferveur, se mordait les lèvres jusqu'au sang afin de retenir une saillie.
    (Pensées, p.110, Lemerre, 1885)
     
  102. Le génie perce avec tant de peine, parce que ce bas monde est aux mains de deux toutes-puissances, celle des méchants et celle des sots.
    (Pensées, p.111, Lemerre, 1885)
     
  103. Nos sentiments, nos pensées, nos paroles perdent leur rectitude en entrant dans certains esprits, comme les bâtons qui plongés dans l'eau s'y tordent.
    (Pensées, p.111, Lemerre, 1885)
     
  104. Nous nous corrigeons moins de nos défauts que de nos qualités.
    (Pensées, p.111, Lemerre, 1885)
     
  105. L'irrésolu bénit la nécessité qui l'absoudra d'avoir pris un parti quelconque.
    (Pensées, p.111, Lemerre, 1885)
     
  106. N'avez-vous ni vertus ni vices, réjouissez-vous, on dira que vous êtes bon ; manquez-vous d'esprit et d'imagination, consolez-vous, on vous trouvera sensé et « positif ».
    (Pensées, p.111, Lemerre, 1885)
     
  107. Ce qui achève de pervertir le méchant finit de convertir le bon.
    (Pensées, p.112, Lemerre, 1885)
     
  108. Qu'est-ce que la médisance ? Un verdict de culpabilité prononcé en l'absence de l'accusé, à huis-clos, sans défense ni appel, par un juge intéressé et passionné.
    (Pensées, p.112, Lemerre, 1885)
     
  109. Le méchant a deux façons de nuire, en faisant le mal, et en faisant le bien.
    (Pensées, p.112, Lemerre, 1885)
     
  110. La langue se mettant à l'aise met tout à la gêne.
    (Pensées, p.113, Lemerre, 1885)
     
  111. Très peu d'hommes sont capables de juger. « L'opinion générale » n'est souvent que l'opinion de quelques-uns acceptée par tous.
    (Pensées, p.113, Lemerre, 1885)
     
  112. Les arbres à tète haute ont moins d'ombre à leur pied.
    (Pensées, p.113, Lemerre, 1885)
     
  113. On fait mieux son chemin avec de l'agrément sans mérite qu'avec du mérite sans agrément.
    (Pensées, p.113, Lemerre, 1885)
     
  114. Le monde se fait le juge et le bourreau de quiconque lui sacrifie sa conscience.
    (Pensées, p.114, Lemerre, 1885)
     
  115. Les hommes de conscience sont, un peu partout, moins encouragés que tolérés.
    (Pensées, p.114, Lemerre, 1885)
     
  116. Telle humilité provient d'orgueil ; tel orgueil provient d'humilité.
    (Pensées, p.114, Lemerre, 1885)
     
  117. Celui qui dit : « J'ai mal fait, » si méchant qu'il soit, pourrait l'être davantage.
    (Pensées, p.114, Lemerre, 1885)
     
  118. La sottise que nous aurions faite est celle que nous pardonnons le moins à autrui.
    (Pensées, p.114, Lemerre, 1885)
     
  119. Quand ceux qui doivent et peuvent nous faire du bien se contentent de nous payer en compliments sonores, consolons-nous par la pensée que nous sommes au-dessus d'eux de toute leur bassesse.
    (Pensées, p.115, Lemerre, 1885)
     
  120. Tout un ciel est dans une goutte de rosée, toute une âme est dans une larme.
    (Pensées, p.115, Lemerre, 1885)
     
  121. Chose assez rare un homme de talent qui arrive par son talent.
    (Pensées, p.115, Lemerre, 1885)
     
  122. On n'est bien servi que par ce qu'on supporte bien.
    (Pensées, p.115, Lemerre, 1885)
     
  123. Les dignités sont fécondes ; la dignité, hélas ! est stérile.
    (Pensées, p.115, Lemerre, 1885)
     
  124. Il faut des toutous au lion en cage, et de petits esprits remuants et flatteurs au despote dans son palais.
    (Pensées, p.115, Lemerre, 1885)
     
  125. Les mêmes nuages qui s'épaississaient et s'obscurcissaient, pour empêcher le soleil de luire, se revêtent de souplesse et de transparence, lorsque le soleil les a forcés de lui faire place.
    (Pensées, p.116, Lemerre, 1885)
     
  126. Il est une lenteur en affaires qui les mûrit, et une lenteur qui les pourrit.
    (Pensées, p.116, Lemerre, 1885)
     
  127. Le sage met à devenir un homme le temps que l'ambitieux dépense à devenir un personnage.
    (Pensées, p.116, Lemerre, 1885)
     
  128. Comme ces statues qu'il faut faire plus grandes que « nature », afin que, vues d'en bas ou de loin, elles paraissent de grandeur « naturelle », certaines vérités ont besoin d'être « forcées », pour que le public s'en fasse une idée juste.
    (Pensées, p.117, Lemerre, 1885)
     
  129. Ah ! que nous connaissent peu ceux qui nous connaissent le plus !
    (Pensées, p.117, Lemerre, 1885)
     
  130. Rien ne fait vivre et rien ne tue comme les émotions.
    (Pensées, p.120, Lemerre, 1885)
     
  131. Les grandes joies pleurent, les grandes douleurs rient.
    (Pensées, p.120, Lemerre, 1885)
     
  132. Le malheur présent est égoïste ; le malheur passé est compatissant.
    (Pensées, p.120, Lemerre, 1885)
     
  133. Préférons, n'excluons point.
    (Pensées, p.120, Lemerre, 1885)
     
  134. Certaine tristesse constitue un raffinement de volupté particulier à l'orgueil.
    (Pensées, p.120, Lemerre, 1885)
     
  135. Les passions ont je ne sais quoi qui tente toujours et qui ne contente jamais.
    (Pensées, p.120, Lemerre, 1885)
     
  136. Espérer déçoit, jouir désabuse.
    (Pensées, p.121, Lemerre, 1885)
     
  137. Peu savent souffrir, faute de coeur, ou jouir, faute d'esprit.
    (Pensées, p.121, Lemerre, 1885)
     
  138. Pressez toute chose, un gémissement en sortira.
    (Pensées, p.121, Lemerre, 1885)
     
  139. L'adversité est meilleure à celui-ci, et la prospérité à celui-là.
    (Pensées, p.121, Lemerre, 1885)
     
  140. Plusieurs conditions sont nécessaires au bonheur, qui se rencontrent rarement ensemble.
    (Pensées, p.121, Lemerre, 1885)
     
  141. Qui n'apprécie point ne possède point.
    (Pensées, p.122, Lemerre, 1885)
     
  142. Nous saurons que nous avons été heureux, nous ne savons pas si nous le sommes.
    (Pensées, p.122, Lemerre, 1885)
     
  143. « J'ignorais, j'étais heureux !.. » tous les fiers esprits, inquiets pour ignorer, plus inquiets pour savoir, exhalent ce cri de douleur, depuis Adam, le premier désireux, le premier déçu.
    (Pensées, p.122, Lemerre, 1885)
     
  144. Le plaisir goûté satisfait moins que le désir éprouvé ne tourmente.
    (Pensées, p.124, Lemerre, 1885)
     
  145. Ne dites aucun bien de vous, l'on se méfierait ; ne dites de vous aucun mal, l'on vous prendrait au mot.
    (Pensées, p.124, Lemerre, 1885)
     
  146. Ces hommes qui ont le dos si élastique pour se courber devant vous au temps de votre prospérité, ne l'auront pas moins élastique pour se redresser contre vous aux jours de votre infortune.
    (Pensées, p.124, Lemerre, 1885)
     
  147. Le malheur excitant l'intérêt, plusieurs, pour se rendre intéressants, se « font » malheureux.
    (Pensées, p.124, Lemerre, 1885)
     
  148. Ce qui fait surtout notre misère, ce n'est pas la violence de nos passions, mais la faiblesse de nos vertus.
    (Pensées, p.124, Lemerre, 1885)
     
  149. Nous avons souvent plus de regret au parti laissé que de plaisir au parti préféré.
    (Pensées, p.124, Lemerre, 1885)
     
  150. Tous les moralistes ont vu un rapport mystérieux entre l'orgueil, cette volupté de l'esprit, et la volupté, cet orgueil de la chair.
    (Pensées, p.125, Lemerre, 1885)
     
  151. La même vanité fait qu'on se dit « nouveau » quant à l'esprit et aux idées ; « ancien » quant à la descendance et à la noblesse.
    (Pensées, p.125, Lemerre, 1885)
     
  152. Les grands abattements suivent les grands enthousiasmes.
    (Pensées, p.125, Lemerre, 1885)
     
  153. L'imagination passe le plaisir, mais non la souffrance.
    (Pensées, p.125, Lemerre, 1885)
     
  154. Un long bonheur semble avoir besoin d'excuse et un long malheur, de pardon.
    (Pensées, p.125, Lemerre, 1885)
     
  155. Un grain de sable arrête la mer, qui n'arrêterait pas un torrent.
    (Pensées, p.125, Lemerre, 1885)
     
  156. Malheureux, l'on doute de tout ; heureux, l'on ne doute de rien.
    (Pensées, p.125, Lemerre, 1885)
     
  157. Notre folie ne laisse pas de chercher le bonheur là même où notre raison sait bien qu'il n'est pas.
    (Pensées, p.125, Lemerre, 1885)
     
  158. Quiconque se méconnaît dans le bonheur, devra, dans le malheur, se reconnaître d'autant.
    (Pensées, p.126, Lemerre, 1885)
     
  159. Le bonheur qui manque fait trouver insupportable même le bonheur qu'on a.
    (Pensées, p.126, Lemerre, 1885)
     
  160. Je regarde ce que je n'ai pas, et je me crois malheureux ; on regarde ce que j'ai, et l'on me croit heureux.
    (Pensées, p.126, Lemerre, 1885)
     
  161. L'homme n'est pas fait pour la joie, et il s'habitue à la joie, jusqu'au blasement ; l'homme est fait pour la peine, et il se raidit contre la peine jusqu'au désespoir : double mystère !
    (Pensées, p.126, Lemerre, 1885)
     
  162. Réussir fait valoir nos qualités ; ne pas réussir fait valoir nos défauts.
    (Pensées, p.126, Lemerre, 1885)
     
  163. Nous sommes déçus par nos espérances et par nos craintes.
    (Pensées, p.127, Lemerre, 1885)
     
  164. Les âmes délicates semblent plus à l'aise dans les corps délicats.
    (Pensées, p.127, Lemerre, 1885)
     
  165. Le mal triomphe souvent, il ne vainc jamais.
    (Pensées, p.127, Lemerre, 1885)
     
  166. « Je le croyais fidèle... Il m'a trompé ! » Dire : « Je me suis trompé », serait plus juste.
    (Pensées, p.127, Lemerre, 1885)
     
  167. Tout ce qui est exquis se cache.
    (Pensées, p.128, Lemerre, 1885)
     
  168. Le plaisir attire... comme le vide.
    (Pensées, p.128, Lemerre, 1885)
     
  169. Ce qui nous trompe, et nous fait du mal, nous détrompe aussi, et nous fait du bien.
    (Pensées, p.128, Lemerre, 1885)
     
  170. Le mérite se sent ; au besoin il réclame... Heureux, s'il n'est que débouté !..
    (Pensées, p.129, Lemerre, 1885)
     
  171. On a, jeune, des larmes sans chagrin ; vieux, des chagrins sans larmes.
    (Pensées, p.129, Lemerre, 1885)
     
  172. Il n'y a pas d'humiliation pour l'humilité.
    (Pensées, p.129, Lemerre, 1885)
     
  173. Préférons, n'excluons point.
    (Pensées, p.129, Lemerre, 1885)
     
  174. Les imbéciles et les méchants haïssent les gens d'esprit. Les méchants disent que les gens d'esprit sont des imbéciles, et les imbéciles disent que les gens d'esprit sont des méchants.
    (Pensées, p.129, Lemerre, 1885)
     
  175. En fait de louanges, nous consultons plus notre appétit que notre santé.
    (Pensées, p.129, Lemerre, 1885)
     
  176. Quelque soleil qu'il fasse dans une intelligence, toujours des recoins y restent dans l'ombre.
    (Pensées, p.130, Lemerre, 1885)
     
  177. La mémoire loge dans la tête, le souvenir dans le coeur.
    (Pensées, p.130, Lemerre, 1885)
     
  178. Nous aimons beaucoup la justice et peu les hommes justes.
    (Pensées, p.130, Lemerre, 1885)
     
  179. Vivre, survivre, revivre serait tout l'homme.
    (Pensées, p.132, Lemerre, 1885)
     
  180. Tout ce qui passe fait songer.
    (Pensées, p.133, Lemerre, 1885)
     
  181. Un peu plus j'écrasais ce ver qui doit me dévorer demain.
    (Pensées, p.133, Lemerre, 1885)
     
  182. Homme fanfaron ! « Je tue le temps, » dit-il, et c'est le temps qui le tue.
    (Pensées, p.133, Lemerre, 1885)
     
  183. Ce que nous avons désiré le plus est ce qui nous châtiera le mieux.
    (Pensées, p.134, Lemerre, 1885)
     
  184. Le manque de crédit est pire que le manque d'argent. « Perte d'argent n'est pas mortelle » dit le proverbe. L'argent se remplace. Mais qu'est-ce qui remplacera le crédit et l'honneur ?
    (Pensées, p.136, Lemerre, 1885)
     
  185. Un homme qui n'est pas à sa place est comme un os luxé; il souffre, et il fait souffrir.
    (Pensées, p.136, Lemerre, 1885)
     
  186. Notre caractère fait notre conscience.
    (Pensées, p.136, Lemerre, 1885)
     
  187. Le malheur présent est égoïste ; le malheur passé est compatissant.
    (Pensées, p.136, Lemerre, 1885)
     
  188. On ne sait que répéter . « Il n'y a plus d'enfants ! » — Mais de parents, y en a-t-il encore ?
    (Pensées, p.137, Lemerre, 1885)
     
  189. Le bonheur n'arrive que d'un côté, le malheur vient de partout.
    (Pensées, p.137, Lemerre, 1885)
     
  190. La vie se passe à désirer ce qu'on n'a pas, à regretter ce qu'on n'a plus.
    (Pensées, p.138, Lemerre, 1885)
     
  191. Donner de bonne heure à l'enfant la plus grande somme possible d'idées, de saines, larges et grandes idées. L'homme n'aime apprendre que ce qu'il sait. Or s'il n'est pas prévenu à temps de ce qui est juste, beau et bon, il risque de repousser plus tard le juste comme faux, le beau comme laid, le bon comme mauvais ; et ce sera tant pis pour lui ; et aussi, et surtout tant pis pour la société.
    (Pensées, p.138, Lemerre, 1885)
     
  192. « Ce vieillard !... Ce jeune homme !... » L'âge est donc un mal, un mal qui dépend de l'homme, qu'on se le reproche ainsi, à tout propos !
    (Pensées, p.139, Lemerre, 1885)
     
  193. L'éducation bien entendue est celle qui apprend à discerner, afin de l'aimer ou de le haïr, ce qui est véritablement aimable ou haïssable.
    (Pensées, p.140, Lemerre, 1885)
     
  194. On dit à l'enfant : — Aime celui-ci ; hais celui-là ; et l'enfant, qui s'en rapporte, chérit l'un et déteste l'autre.
    Beaucoup de grandes personnes sont enfants en cela, aimant ou haïssant sur la parole d'autrui.

    (Pensées, p.140, Lemerre, 1885)
     
  195. « Il n'y a plus d'enfants ! » — Il le faut bien, puisqu'il n'y a plus de parents.
    (Pensées, p.146, Lemerre, 1885)
     
  196. Trois sortes de personnes meurent sans façons, le prêtre, le soldat, le paysan.
    (Pensées, p.180, Lemerre, 1885)
     
  197. Un paysan est un homme à peu près comme un bloc de marbre est une statue.
    (Pensées, p.181, Lemerre, 1885)
     
  198. Ni la ville n'ôte, ni la campagne ne donne la solitude : la solitude est en nous.
    (Pensées, p.182, Lemerre, 1885)
     
  199. Le paysan meurt de faim toute sa vie pour avoir de quoi vivre après sa mort.
    (Pensées, p.183, Lemerre, 1885)
     
  200. Le saint goûte la mort, le philosophe la boit, le paysan l'avale.
    (Pensées, p.187, Lemerre, 1885)
     
  201. Aimer, c'est choisir.
    (Pensées, p.192, Lemerre, 1885)
     
  202. Les amis sont rares par la bonne raison que les hommes ne sont pas communs.
    (Pensées, p.192, Lemerre, 1885)
     
  203. La confiance compose l'air respirable de l'amitié. L'amitié dépérit à mesure que cet air diminue.
    (Pensées, p.192, Lemerre, 1885)
     
  204. Nous nous méfions trop de notre coeur, et pas assez de notre tète.
    (Pensées, p.192, Lemerre, 1885)
     
  205. Nous aimons en autrui nos idées, nos goûts, nos opinions... — Et nos talents ? — Point.
    (Pensées, p.194, Lemerre, 1885)
     
  206. Un visage toujours serein possède un mystérieux et puissant attrait : les coeurs tristes s'y viennent réchauffer comme au soleil.
    (Pensées, p.195, Lemerre, 1885)
     
  207. Je n'admire pas toujours ce que j'aime, ni je n'aime toujours ce que j'admire.
    (Pensées, p.195, Lemerre, 1885)
     
  208. Lea consolations banales sont dures aux douleurs délicates.
    (Pensées, p.195, Lemerre, 1885)
     
  209. Votre ami revient d'un long voyage... Faut-il vous livrer à lui de prime abord ? Cela n'est guère prudent. S'il était changé ?... Tâtez-le donc près du coeur, au moins un instant.
    (Pensées, p.196, Lemerre, 1885)
     
  210. « Comprenez-moi, et vous m'aimerez ! ... » — « Aimez-moi et vous me comprendrez ! » disent à l'envi l'homme de génie et l'homme de coeur.
    (Pensées, p.196, Lemerre, 1885)
     
  211. Aimés par une personne ou par plus d'une, nous prenons si bien cette douceur en habitude, que nous sommes tentés de crier à l'injustice, lorsque, dehors, nous choppons contre un ennemi, que dis-je, contre un indifférent.
    (Pensées, p.196, Lemerre, 1885)
     
  212. J'aime les enthousiastes ; les exaltés me font peur.
    (Pensées, p.197, Lemerre, 1885)
     
  213. Voici deux amours étranges, notre amour pour nous-mêmes, si misérables ; et notre amour pour cette vie, si pleine de maux.
    (Pensées, p.197, Lemerre, 1885)
     
  214. Certaine médisance vient d'amour.
    (Pensées, p.197, Lemerre, 1885)
     
  215. Combien aiment Dieu si fort, si fort, qu'ils n'en peuvent aimer le prochain.
    (Pensées, p.197, Lemerre, 1885)
     
  216. Tant qu'on aime, l'on prête à l'objet aimé des qualités d'esprit et de coeur qu'on lui reprend au jour des mécomptes.
    (Pensées, p.198, Lemerre, 1885)
     
  217. Qu'est-ce que l'amour ? Deux âmes et une chair ; l'amitié ? deux corps et une âme.
    (Pensées, p.199, Lemerre, 1885)
     
  218. Nous vantons notre ami, homme de talent, moins parce qu'il a du talent que parce qu'il est notre ami.
    (Pensées, p.199, Lemerre, 1885)
     
  219. Toujours l'on se méfie trop ou pas assez.
    (Pensées, p.199, Lemerre, 1885)
     
  220. L'amitié, c'est l'idéal ; les amis, c'est la réalité ; toujours la réalité reste loin de l'idéal.
    (Pensées, p.199, Lemerre, 1885)
     
  221. Notre ami, au jour de la rupture, se fait une arme contre nous de ce que nous sommes mal avec un autre, justement ou non.
    (Pensées, p.200, Lemerre, 1885)
     
  222. Soyons fiers d'une amitié, n'en soyons jamais vains.
    (Pensées, p.200, Lemerre, 1885)
     
  223. Si éprouvée qu'une amitié paraisse, il est des confidences qu'elle ne doit pas entendre, et des sacrifices qu'il ne faut pas lui demander.
    (Pensées, p.200, Lemerre, 1885)
     
  224. Ni tous ceux qui nous font du bien ne nous aiment, ni tous ceux qui nous font du mal ne nous haïssent.
    (Pensées, p.200, Lemerre, 1885)
     
  225. L'intérêt, l'ambition, la fortune, le temps, l'humeur, l'amour tuent l'amitié.
    (Pensées, p.201, Lemerre, 1885)
     
  226. La tempête fortifie le chêne, et l'épreuve corrobore l'amitié.
    (Pensées, p.202, Lemerre, 1885)
     
  227. Ni assez léger pour avoir des camarades, ni assez crédule pour avoir des amis.
    (Pensées, p.202, Lemerre, 1885)
     
  228. Eucome m'adresse une louange. Il sait bien que je ne la mérite point, je le sais aussi. Cependant je ne laisse pas de lui sourire avec gratitude... O force de la flatterie ! ô faiblesse de l'homme !
    (Pensées, p.203, Lemerre, 1885)
     
  229. L'amour est presque tout dans les romans, presque rien dans la vie.
    (Pensées, p.203, Lemerre, 1885)
     
  230. Il y en a qui rient pour montrer leurs belles dents, qui pleurent pour montrer leur bon coeur.
    (Pensées, p.203, Lemerre, 1885)
     
  231. Un rayon de soleil apporte plus de bien-être au pauvre peuple que toutes les rêveries de nos économistes.
    (Pensées, p.206, Lemerre, 1885)
     
  232. L'égoïsme généralise volontiers ; quelque chose lui va-t-il, « tout » va bien ; quelque chose ne lui va-t-il pas, « tout » va mal.
    (Pensées, p.206, Lemerre, 1885)
     
  233. Deux sortes d'hommes méprisent l'opinion : les scélérats et les saints.
    (Pensées, p.208, Lemerre, 1885)
     
  234. Espérer de saisir telle ou telle vérité, à force d'abstraction, c'est vouloir attraper le soleil ou la lune, en sautant : l'on retombe vite.
    (Pensées, p.215, Lemerre, 1885)
     
  235. L'analyse, la synthèse, le raisonnement, l'abstraction, l'expérience voulant tenir conseil ensemble, commencent par jeter à la porte le sentiment, qui, en s'en allant, emporte la lumière, et les laisse dans l'obscurité.
    (Pensées, p.215, Lemerre, 1885)
     
  236. Se connaître, c'est le vrai ; se combattre, c'est le bien ; se vaincre c'est le beau.
    (Pensées, p.218, Lemerre, 1885)
     
  237. Une feuille de peuplier nous dérobe la vue du soleil : l'exiguïté d'un souci terrestre nous cache Dieu immense et rayonnant.
    (Pensées, p.219, Lemerre, 1885)
     
  238. Des philosophes appellent Dieu « le grand inconnu. » « Le grand méconnu » serait plus juste.
    (Pensées, p.219, Lemerre, 1885)
     
  239. L'erreur est contagieuse par nature... Par sa nature ? —Non, par la nôtre.
    (Pensées, p.220, Lemerre, 1885)
     
  240. Les vérités, à moins qu'on ne les arrose de sang, ne prennent point racine.
    (Pensées, p.220, Lemerre, 1885)
     
  241. Les demi-remèdes empirent les grandes maladies.
    (Pensées, p.220, Lemerre, 1885)
     
  242. L'incrédulité prend sa source dans trop de vice plutôt que dans trop d'ignorance.
    (Pensées, p.221, Lemerre, 1885)
     
  243. La solitude est peuplée ; le silence parle.
    (Pensées, p.226, Lemerre, 1885)
     
  244. Aimer savoir est humain ; savoir aimer est divin.
    (Pensées, p.226, Lemerre, 1885)