Au fil de mes lectures : recueil de citations de Georges Elgozy

Georges Elgozy
1909-1989

Lire, c'est épuiser.
(L'esprit des mots ou l'antidictionnaire (Avertissement), p.10, Denoël, 1981)
[...] Les plus hautes vertus, comme les plus hauts fonctionnaires, inspirent le respect aussi longtemps qu'ils demeurent inaccessibles.
(L'esprit des mots ou l'antidictionnaire (Avertissement), p.10, Denoël, 1981)
Pour paraître, un dictionnaire doit en premier lieu paraître sérieux : on ne s'impose pas sans en imposer.
(L'esprit des mots ou l'antidictionnaire (Avertissement), p.11, Denoël, 1981)
[...] le pastiche volontaire, c'est une sous-catégorie d'humour ; et que le pastiche involontaire, c'est de la littérature contemporaine.
(L'esprit des mots ou l'antidictionnaire (Avertissement), p.12, Denoël, 1981)
[...] Il faut définir pour débuter, si l'on ne veut pas finir par buter.
(L'esprit des mots ou l'antidictionnaire (Avertissement), p.15, Denoël, 1981)
Définir est plus complexe qu'on ne croit, sinon plus complexe qu'on ne saurait croire. Au demeurant, il s'avère que tout problème complexe - s'il est traité avec le maximum de scrupule - ne cesse de gagner en complexité.
(L'esprit des mots ou l'antidictionnaire (Avertissement), p.16, Denoël, 1981)
Comme tout art ne vit que par ses dernières résurrections, tout mot ne survit que par ses ultimes missions et se prochaines compromissions.
(L'esprit des mots ou l'antidictionnaire (Avertissement), p.16, Denoël, 1981)
Une idée est fausse dès l'instant où l'on s'en contente, affirme Alain. Que d'idées fausses dont se satisfont nos lexicographes ! Une idée devrait passer pour pire que fausse, à mon sens, dès l'instant où l'on s'en contriste.
(L'esprit des mots ou l'antidictionnaire (Avertissement), p.19, Denoël, 1981)
[...] paradoxes - nom que les imbéciles donnent à la vérité.
(L'esprit des mots ou l'antidictionnaire (Avertissement), p.20, Denoël, 1981)
Âge ingrat : période qui s'étend de la naissance à la mort.
Après la mort, l'ingratitude se perpétue par les héritiers.
(L'esprit des mots ou l'antidictionnaire, p.23, Denoël, 1981)
Alternative : À parler de ce que l'on connaît le mieux, on risque de ne parler que de soi. À parler de ce que l'on connaît moins bien, on risque de passer pour un sot.
À ne point parler, le risque est pire : celui d'entendre les autres parler d'eux.
(L'esprit des mots ou l'antidictionnaire, p.24, Denoël, 1981)
Altruisme : Le comble de l'altruisme, c'est de laisser les autres s'occuper d'autrui.
(L'esprit des mots ou l'antidictionnaire, p.24, Denoël, 1981)
Amour : sentiment proche du stoïcisme qui consiste, pour l'homme, à se satisfaire d'une seule femme. Et pour la femme, à demeurer discrète sur ses autres liaisons.
Gram. - Il est significatif que le substantif « amour », masculin au singulier, soit féminin au pluriel.
(L'esprit des mots ou l'antidictionnaire, p.25, Denoël, 1981)
Anthologie : OEuvre conçue collectivement dont les droits d'auteurs sont perçus individuellement par l'éditeur.
(L'esprit des mots ou l'antidictionnaire, p.27, Denoël, 1981)
Aphorisme : assertion gratuite ou pertinente, péremptoire ou douteuse, dont les termes sont interchangeables.
Ex. - « La poésie est une religion sans espoir », dit Cocteau. Mais la religion est poésie sans espoir, ou espoir sans poésie. Et l'espoir, c'est vraiment une religion sans poésie, sinon une poésie sans religion.
(L'esprit des mots ou l'antidictionnaire, p.28, Denoël, 1981)
Assemblée d'élus : assemblée de candidats à une nouvelle élection.
(L'esprit des mots ou l'antidictionnaire, p.30, Denoël, 1981)
Autodidacte : Personnalité qui s'est façonnée elle-même, et qui croit s'être réussie.
(L'esprit des mots ou l'antidictionnaire, p.32, Denoël, 1981)
Avant-garde : minorité opprimante qui impose ses goûts et ses dégoûts à une majorité déprimante, prête à admirer d'instinct - faute de raison - tout ce qu'elle ne comprend pas.
(L'esprit des mots ou l'antidictionnaire, p.33, Denoël, 1981)
Blasphème : prière d'athée.
(L'esprit des mots ou l'antidictionnaire, p.36, Denoël, 1981)
[...] Un peu d'intelligence suffit pour supporter toute la sottise des autres ; il faut beaucoup d'intelligence pour supporter sa propre sottise.
(L'esprit des mots ou l'antidictionnaire, p.36, Denoël, 1981)
Briller : Dans une assemblée d'hommes cultivés, c'est l'imbécile qui brille par son absence d'esprit.
(L'esprit des mots ou l'antidictionnaire, p.39, Denoël, 1981)
Caméra : Talisman que tout voyageur porte sur soi pour conjuger l'ennui qu'il porte en soi.
(L'esprit des mots ou l'antidictionnaire, p.41, Denoël, 1981)
Chance : Seule explication admissible de la réussite d'autrui.
ANT. - « Malchance » : seule explication admissible de son propre échec.
(L'esprit des mots ou l'antidictionnaire, p.43, Denoël, 1981)
Chasteté : Jouissance de ne pas jouir.
(L'esprit des mots ou l'antidictionnaire, p.44, Denoël, 1981)
Club politique : Société ouverte d'esprits relativement fermés.
(L'esprit des mots ou l'antidictionnaire, p.46, Denoël, 1981)
Connaître : À quoi bon connaître les femmes ? Une ignorance encyclopédique du moteur automobile, du téléphone, de l'ordinateur ne prive personne des joies ou des services qu'il en attend.
(L'esprit des mots ou l'antidictionnaire, p.51, Denoël, 1981)
Connerie : D'aucuns estiment que la connerie est héréditaire ; les autres ont des enfants.
(L'esprit des mots ou l'antidictionnaire, p.51, Denoël, 1981)
Conviction personnelle : opinion empruntée à autrui soit par instinct d'imitation, soit par esprit de contradiction.
(L'esprit des mots ou l'antidictionnaire, p.54, Denoël, 1981)
Cours magistral : séance d'hypnotisme sans magnétiseur.
(L'esprit des mots ou l'antidictionnaire, p.56, Denoël, 1981)
Culture : vaste machination ourdie pour fabriquer des professeurs qui, à leur tour, fabriqueront des professeurs qui fabriqueront...
(L'esprit des mots ou l'antidictionnaire, p.58, Denoël, 1981)
Définir : cerner de traits figuratifs un concept abstrait.
(L'esprit des mots ou l'antidictionnaire, p.60, Denoël, 1981)
Définition : préalable indispensable pour éviter tout accord.
(L'esprit des mots ou l'antidictionnaire, p.60, Denoël, 1981)
Démagogue : orateur politique, qui promet à tous ce qu'il refuse à chacun, s'il est de gauche. Et qui promet à chacun ce qu'il refuse à tous, s'il est de droite.
(L'esprit des mots ou l'antidictionnaire, p.61, Denoël, 1981)
Démocrate : conjonction de démoniaque et d'autocrate.
Un démocrate est un citoyen assez candide pour croire à l'avènement d'un système fondé sur l'infaillibilité d'une foule d'individualistes, appelée peuple.
(L'esprit des mots ou l'antidictionnaire, p.61, Denoël, 1981)
Diplôme : permis d'oublier ou - à tout le moins - de ne plus apprendre.
(L'esprit des mots ou l'antidictionnaire, p.65, Denoël, 1981)
Diriger : décider sans gérer.
ANT. - « Gérer » : diriger sans décider.
(L'esprit des mots ou l'antidictionnaire, p.66, Denoël, 1981)
Divinité : Le dieu des oursins ressemble à une gigantesque pelote d'épingles ; celui des libellules, à un Concorde ; celui des papillons, à une toile non figurative.
Chaque espèce animale crée Dieu à son image, faute d'imagination. Ou par mesure de rétorsion.
(L'esprit des mots ou l'antidictionnaire, p.67, Denoël, 1981)
Doute : cancer de la foi.
ANT. - « Foi » : cancer du doute.
(L'esprit des mots ou l'antidictionnaire, p.68, Denoël, 1981)
Écrivain : race d'intellectuels à audience limitée et à présomption illimitée.
(L'esprit des mots ou l'antidictionnaire, p.70, Denoël, 1981)
Éditorialiste : Le devoir d'un éditorialiste, c'est de dire la vérité. Son métier, de faire croire qu'il la connaît.
(L'esprit des mots ou l'antidictionnaire, p.70, Denoël, 1981)
Enseignement : un vocabulaire qui recouvre une ignorance.
DÉR. - « Enseignangnant » : « Aveugle, porteur de flambeau », Alain.
(L'esprit des mots ou l'antidictionnaire, p.73, Denoël, 1981)
Environronnement : ronronnement officiel qui tient lieu de politique pour protéger l'environnement.
(L'esprit des mots ou l'antidictionnaire, p.73, Denoël, 1981)
Esprit : L'esprit est à l'intelligence ce que le gaz carbonique est au champagne.
Un verre de mousse paraît aussi imbuvable qu'un verre de champagne éventé. L'esprit de la bière est dans son faux col. Il faut du corps aux idées, et de la matière à l'esprit.
(L'esprit des mots ou l'antidictionnaire, p.75, Denoël, 1981)
Évêque : prêtre qui croit en Dieu, la bague au doigt.
(L'esprit des mots ou l'antidictionnaire, p.77, Denoël, 1981)
Fausse modestie : art d'éclabousser par son humilité.
(L'esprit des mots ou l'antidictionnaire, p.80, Denoël, 1981)
Faux problème : problème qui dispense de chercher une vraie solution.
(L'esprit des mots ou l'antidictionnaire, p.80, Denoël, 1981)
foi : mouvement de l'âme capable de soulever des montagnes et même des hommes, mais qui est incapable de déplacer un gramme d'argent ou une once d'or.
(L'esprit des mots ou l'antidictionnaire, p.82, Denoël, 1981)
Foi chrétienne : croyance partagée par des milliards d'incrédules - malgré des millions de propagandistes - grâce à [un] seul martyr et quelques persécutions.
(L'esprit des mots ou l'antidictionnaire, p.83, Denoël, 1981)
Fonctionnaire responsable : expression anti-pléonastique.
(L'esprit des mots ou l'antidictionnaire, p.83, Denoël, 1981)
Fou : rationaliste en avance sur son temps.
(L'esprit des mots ou l'antidictionnaire, p.85, Denoël, 1981)
Franchise : brutalité des faibles ; idée fixe de menteur.
(L'esprit des mots ou l'antidictionnaire, p.85, Denoël, 1981)
Immortalité : Aucune jouissance n'égale celle d'être immortel, ne fût-ce que pour un temps.
LITTÉR. - « Cette immortalité me donne un beau trépas », Corneille.
(L'esprit des mots ou l'antidictionnaire, p.97, Denoël, 1981)
Importance : Chaque individu a moins d'importance qu'il ne le croit, mais sensiblement plus que les autres ne croient.
(L'esprit des mots ou l'antidictionnaire, p.97, Denoël, 1981)
Inégalité : les plus intolérables des inégalités sont celles dont on ne profite pas.
(L'esprit des mots ou l'antidictionnaire, p.99, Denoël, 1981)
Informaticien : calculateur sur calculatrice, qui croirait pouvoir obtenir un enfant en un mois, en fécondant neuf femmes à la fois.
(L'esprit des mots ou l'antidictionnaire, p.100, Denoël, 1981)
Information : faisceau de données indispensables pour ne pas décider.
(L'esprit des mots ou l'antidictionnaire, p.101, Denoël, 1981)
Injustice : Un bellâtre con est un con ; une vedette conne, c'est une vedette. Ou bien un pléonasme.
Un milliardaire con est un milliardaire ; un professeur con n'est qu'un con.
(L'esprit des mots ou l'antidictionnaire, p.101, Denoël, 1981)
Insinuer : affirmer à moitié, pour être cru en entier.
(L'esprit des mots ou l'antidictionnaire, p.102, Denoël, 1981)
Intérêt général : intérêt qui coïncide avec celui de la technocratie.
(L'esprit des mots ou l'antidictionnaire, p.103, Denoël, 1981)
Kinésithérapeute : guérisseur non médecin, qui soigne les malades des médecins non guérisseurs.
(L'esprit des mots ou l'antidictionnaire, p.106, Denoël, 1981)
Langage : camouflage d'idée, ou opium de l'intelligence.
Le langage trompe tout le monde, mais n'intéresse personne : ce que l'on dit est toujours moins important que ce que l'on tait.
Seuls, les langages sans mots sont crédibles. Exemple : le langage des fleurs.
(L'esprit des mots ou l'antidictionnaire, p.107, Denoël, 1981)
Lequel : Quand un homme et une femme se marient, ils ne font plus qu'un. Reste à savoir lequel...
(L'esprit des mots ou l'antidictionnaire, p.107, Denoël, 1981)
Lesbienne : femme qui jouit sans penser à mâle.
(L'esprit des mots ou l'antidictionnaire, p.107, Denoël, 1981)
« Libéralisme » : absence d'idée qui fait son chemin.
(L'esprit des mots ou l'antidictionnaire, p.108, Denoël, 1981)
Liberté surveillée : archétype d'anti-pléonasme.
(L'esprit des mots ou l'antidictionnaire, p.108, Denoël, 1981)
Métaphysique divine : Si Dieu avait éprouvé une tendresse particulière pour les pauvres, il les aurait rendus riches.
(L'esprit des mots ou l'antidictionnaire, p.116, Denoël, 1981)
Métier : meilleur moyen de mal gagner sa vie.
ANT. - « Art » : meilleur moyen de ne pas gagner sa vie.
(L'esprit des mots ou l'antidictionnaire, p.117, Denoël, 1981)
Ministre : gouvernant qui croit pouvoir utiliser les technocrates, comme le marin, les vents ; quelles que soient leur direction ou leur force.
De là vient qu'il louvoie ou qu'il échoue plus souvent qu'il n'arrive à bon port.
(L'esprit des mots ou l'antidictionnaire, p.118, Denoël, 1981)
Mondain : jean-foutre qui ne sait que penser, et qui échange des propos qui ne veulent rien dire avec d'autres jean-foutre qui ne savent que dire.
Les mondains ne perdent rien à de tels échanges, puisqu'ils n'ont rien à perdre, sinon leur ennui et leur temps.
(L'esprit des mots ou l'antidictionnaire, p.119, Denoël, 1981)
Objectivité : camouflage de subjectivité.
(L'esprit des mots ou l'antidictionnaire, p.125, Denoël, 1981)
« Parole » : substitut de la pensée ; forme supérieure de l'action politique.
(L'esprit des mots ou l'antidictionnaire, p.132, Denoël, 1981)
Pensée politique : L'histoire de la pensée politique ne remonte ni à Confucius ni à Socrate. Elle ne commence ni au Moyen Âge ni au XVIII^e siècle ; elle n'a pas encore commencé.
(L'esprit des mots ou l'antidictionnaire, p.134, Denoël, 1981)
Plagiat : Le plagiat volontaire, c'est une contribution à l'humour. Le plagiat involontaire, c'est de la littérature contemporaine.
(L'esprit des mots ou l'antidictionnaire, p.137, Denoël, 1981)
Poétesse : Une femme poète est excitante jusqu'à vingt ans, intéressante jusqu'à trente, tolérable jusqu'à quarante, assommante jusqu'à cinquante. Et farfelue jusqu'à ce que mort s'ensuive.
Les femmes non poètes présentent souvent les mêmes particularités.
(L'esprit des mots ou l'antidictionnaire, p.139, Denoël, 1981)
Politique : La politique républicaine, c'est l'art de faire croire au peuple qu'il est gouverné. La politique démocratique, l'art de lui faire croire qu'il gouverne. La révolution, c'est quand il le croit.
(L'esprit des mots ou l'antidictionnaire, p.140, Denoël, 1981)
Promesse : Les promesses n'engagent pas ceux qui les font ; mais ceux à qui on les fait.
POLIT. - Le politicien démagogue fait cent promesses et n'en tient aucune. Le non-démagogue en fait dix, et n'est pas élu. Quant à l'honnête homme - qui tiendrait ses promesses - il fuit la politique.
(L'esprit des mots ou l'antidictionnaire, p.146, Denoël, 1981)
Réforme administrative : substitution d'un formulaire nouveau à un ancien - aussi inapplicable - mais un peu plus abscons.
(L'esprit des mots ou l'antidictionnaire, p.153, Denoël, 1981)
Religion : Si la religion était joie, amour et enthousiasme - au lieu d'être pharisaïsme, bigoterie et psittacisme - agnostiques et athées diraient des messes jusqu'à croire en Dieu, au diable et à tout le saint-frusquin.
(L'esprit des mots ou l'antidictionnaire, p.155, Denoël, 1981)
République : système idéal qui confère à la moitié plus un d'une population une tyrannie qu'elle exerce sur l'autre moitié moins un.
(L'esprit des mots ou l'antidictionnaire, p.156, Denoël, 1981)
Routine administrative : L'imagination est la folle du logis ; ce n'est pas celle du bureau. Par chance ;! Que deviendraient les administrateurs, si les bureaucrates prenaient, de temps à autre, quelque initiative ?
(L'esprit des mots ou l'antidictionnaire, p.159, Denoël, 1981)
« Art oratoire » : art de dire le minimum de choses dans le maximum de mots.
(L'esprit des mots ou l'antidictionnaire, p.163, Denoël, 1981)
Sincérité : ultime recours de ceux qui mentent mal.
Autant se trahit quiconque change de mensonge, autant peut convaincre quiconque change de sincérité.
(L'esprit des mots ou l'antidictionnaire, p.165, Denoël, 1981)
Snobisme : art de conseiller mille manières d'être ou de paraître, de se distraire ou de s'ennuyer ; mais de pratique la mille et unième.
(L'esprit des mots ou l'antidictionnaire, p.166, Denoël, 1981)
Tourisme : On ne va jamais chercher assez loin l'envie de rentrer chez soi.
(L'esprit des mots ou l'antidictionnaire, p.177, Denoël, 1981)