Pierre Sansot
1928-2005
  1. J'estime que vivre constitue en ce qui me concerne une chance, qui ne me sera pas accordée une seconde fois : une chance non point parce que la vie nous fait des cadeaux et que sur une balance idéale la somme des plaisirs excéderait celle des peines, mais parce que je mesure à chaque instant la chance que j'ai d'être un vivant, d'accéder chaque matin à la lumière et chaque soir aux ombres, que les choses n'aient pas perdu leur éclat naissant et que je perçoive aussitôt l'esquisse d'un sourire, le début d'une contrariété sur un visage, bref que le monde me parle.
    La vie elle-même comme ondoiement, comme déploiement, la vie à fines gouttelettes plutôt que comme une tornade ou un fleuve impétueux. Une lumière plutôt qu'une force.

    (Du bon usage de la lenteur, p.14, Éd. Rivages poche n°313)
     
  2. Flâner, ce n'est pas suspendre le temps mais s'en accommoder sans qu'il nous bouscule.
    (Du bon usage de la lenteur, p.33, Éd. Rivages poche n°313)
     
  3. Il existe un ennui noble, en quelque sorte métaphysique, qu'il convient de fuir. C'est celui d'un être pour lequel le quotidien dans sa mesquinerie apparaît dérisoire au regard de l'infini qu'il porte en lui. Il fait ainsi l'expérience du cafard, du néant, car bien mince est la distance qui sépare le peu de chose qu'il croit être et le rien.
    (Du bon usage de la lenteur, p.54, Éd. Rivages poche n°313)
     
  4. S'ennuyer, c'est toujours de quelque manière signifier à un autre qu'il ne présente pas grand intérêt à nos yeux.
    (Du bon usage de la lenteur, p.61, Éd. Rivages poche n°313)
     
  5. Avoir la patience d'attendre celui ou celle qui nous élira et que nous élirons. Une telle attitude exige une âme forte, soucieuse de vérité. Nous sommes pour la plupart impatients de jouer le rôle excitant, gratifiant d'amoureux(se). Parce que tout est signe, il nous est facile de décider et de jurer que c'est là un grand amour. Ou encore, nous croyons plausible d'essayer le scénario à plusieurs reprises, de le peaufiner avant qu'il nous infuse l'harmonie souhaitée. Nous multiplions les castings pour dénicher un figurant à peu près convenable. Nous n'admettons pas que l'amour est un événement improbable et que, sans doute, il ne nous échoira pas. Davantage, nous revendiquons un droit à l'amour tout comme un droit au bonheur, au logement, au travail.
    (Du bon usage de la lenteur, p.75, Éd. Rivages poche n°313)
     
  6. Prier, c'est comme emprunter dans les ténèbres un chemin sans raison et espérer qu'une faible lumière nous assurera que nous ne nous sommes pas égarés.
    (Du bon usage de la lenteur, p.81, Éd. Rivages poche n°313)
     
  7. [...] l'homme dans sa totalité, c'est-à-dire un être capable aussi de vivre en retrait de son époque, susceptible de choisir le silence, le recueillement, même si, par ailleurs, il s'engage dans les acquis et les combats de son temps.
    (Du bon usage de la lenteur, p.92, Éd. Rivages poche n°313)
     
  8. Écrire ou peindre ou danser ou produire des oeuvres musicales - non point d'abord pour éprouver ses talents ou pour dire le monde ou pour aider ses semblables à donner un sens à leur vie, mais pour chercher à s'approcher de soi et ne pas " se louper " durant toute une existence.
    (Du bon usage de la lenteur, p.93, Éd. Rivages poche n°313)
     
  9. La lenteur n'est pas la marque d'un esprit dépourvu d'agilité ou d'un tempérament flegmatique. Elle peut signifier que chacune de nos actions importe, que nous ne devons pas l'entreprendre à la hâte avec le souci de nous en débarrasser.
    (Du bon usage de la lenteur, p.97, Éd. Rivages poche n°313)
     
  10. Ordonner une cave [à vin], c'est se livrer à un acte de foi dans l'avenir.
    (Du bon usage de la lenteur, p.110, Éd. Rivages poche n°313)
     
  11. Un homme libre c'est un individu qui prend conscience des nécessités qui pèsent sur lui et qui tente de les contrarier, ou mieux, de les utiliser pour s'épanouir.
    (Du bon usage de la lenteur, p.142, Éd. Rivages poche n°313)
     
  12. La culture n'est pas un luxe, un divertissement comme on l'a souvent répété, mais une tâche pour être soi-même et pour que les autres deviennent eux-mêmes.
    (Du bon usage de la lenteur, p.142, Éd. Rivages poche n°313)
     
  13. Savoir proposer l'éphémère est devenu l'une des vertus majeures de notre temps.
    (Du bon usage de la lenteur, p.171, Éd. Rivages poche n°313)
     
  14. Habiter c'est d'abord avoir des habitudes à tel point que le dehors devient une enveloppe de mon être et du dedans que je suis. C'est pourquoi on peut affirmer que, d'une certaine manière, j'habite une ligne de bus, dès lors que je l'emprunte chaque jour.
    (Du bon usage de la lenteur, p.173, Éd. Rivages poche n°313)
     
  15. Effleurer et non s'affairer.
    [...] Faisons le serment d'effleurer et non point d'empoigner - et alors les êtres nous livreront ce qu'ils sont, ce qu'ils consentent à être, progressant vers nous à l'allure qui est la leur, parfois sur un mode vivace, parfois sur un mode lent.

    (Du bon usage de la lenteur, p.175, Éd. Rivages poche n°313)
     
  16. Il y a toujours quelque effronterie à regarder de front.
    (Du bon usage de la lenteur, p.177, Éd. Rivages poche n°313)
     
  17. Quand nous cherchons à nous connaître, il vient un moment où la vase remonte à la surface. Décrétez alors qu'il s'agit d'une vaine entreprise puisqu'il n'existe pas de sujet. Portez plutôt attention à toutes les marionnettes qui composent votre personnage. Amusez-vous à les manier avec plus de dextérité. Changer la position du chapeau de l'un. Ajustez le pourpoint de l'autre. Réjouissez-vous de disposer d'un théâtre aussi riche.
    (Du bon usage de la lenteur, p.181, Éd. Rivages poche n°313)