Georges Picard
1945
  1. Le pouvoir rend l'homme fou, et folle la femme, d'une folie intériorisée, socialement acceptable et valorisante, et dont la principale manifestation consiste justement en cette revendication totalitaire : avoir toujours raison.
    (Petit traité à l'usage de ceux qui veulent toujours avoir raison, p.11, José Corti, 1999)
     
  2. Pour maintenir l'humain à son niveau le plus bas, là où il ne risque pas de faire des vagues, rien ne vaut une organisation structurée avec des niveaux de pouvoir et des pions disciplinés capables de les exercer.
    (Petit traité à l'usage de ceux qui veulent toujours avoir raison, p.17, José Corti, 1999)
     
  3. Donnez du pouvoir à votre voisin, il en usera pour imposer son conformisme autour de lui.
    (Petit traité à l'usage de ceux qui veulent toujours avoir raison, p.19, José Corti, 1999)
     
  4. Dans les débats de société, vous pouvez dire n'importe quoi, à condition de parler plus longtemps que l'adversaire : comme dans les querelles de ménage, c'est l'endurance qui fera la différence.
    (Petit traité à l'usage de ceux qui veulent toujours avoir raison, p.26, José Corti, 1999)
     
  5. [...] à toute époque, l'arrogance de l'obscurantisme reste le carrefour des nullités humaines.
    (Petit traité à l'usage de ceux qui veulent toujours avoir raison, p.31, José Corti, 1999)
     
  6. Seuls, les naïfs peuvent croire qu'une discussion vise à résoudre un problème ou à éclaircir une question difficile. En réalité, sa seule justification est d'éprouver la capacité des participants à désarçonner leur adversaire. L'enjeu n'est pas de vérité, mais d'amour-propre.
    (Petit traité à l'usage de ceux qui veulent toujours avoir raison, p.33, José Corti, 1999)
     
  7. Si vous appartenez à une minorité forcément exploitée, minorité linguistique, religieuse, sexuelle, culturelle, sociale, physique, etc., vous serez tenté de transformer votre destin en argument. Ce n'est pas loyal, mais c'est humain et, surtout, efficace dans un débat où dire la vérité importe moins que parler vrai.
    (Petit traité à l'usage de ceux qui veulent toujours avoir raison, p.40, José Corti, 1999)
     
  8. [...] c'est l'importance du média en terme d'audience qui détermine la suprématie d'une opinion. N'importe quelle sottise cathodique émise entre vingt heures et vingt heures trente est plus crédible que la conclusion mûrie d'un colloque de spécialistes. Pourquoi plus crédible ? Parce que plus crue.
    (Petit traité à l'usage de ceux qui veulent toujours avoir raison, p.43, José Corti, 1999)
     
  9. C'est une loi universelle et éternelle selon laquelle l'homme préfère donner son adhésion à celui qui le charme plutôt qu'à celui qui le convainc.
    (Petit traité à l'usage de ceux qui veulent toujours avoir raison, p.48, José Corti, 1999)
     
  10. Il n'y a qu'une façon d'être sincère, il y en a cent d'être habile. Si on n'est vraiment sincère, on n'est pas habile.
    (Petit traité à l'usage de ceux qui veulent toujours avoir raison, p.55, José Corti, 1999)
     
  11. La politique est l'art de faire prendre aux citoyens des vessies pour des lanternes.
    (Petit traité à l'usage de ceux qui veulent toujours avoir raison, p.57, José Corti, 1999)
     
  12. La politique est une arithmétique. Calculette en main, les politiciens doivent faire le compte des intérêts corporatistes qu'ils souhaitent défendre, en défalquant ceux que leur programme ne peut entériner pour des raisons de principes, de tradition ou simplement d'incompatibilité.
    (Petit traité à l'usage de ceux qui veulent toujours avoir raison, p.59, José Corti, 1999)
     
  13. Qu'est-ce qu'une idée ? Un radeau sur l'océan de l'incertitude.
    (Petit traité à l'usage de ceux qui veulent toujours avoir raison, p.64, José Corti, 1999)
     
  14. [...] la pensée tient moins à la nature des idées qu'à la façon singulière dont chacun les appréhende, les porte et les exprime.
    (Petit traité à l'usage de ceux qui veulent toujours avoir raison, p.79, José Corti, 1999)
     
  15. Lorsque nous défendons un point de vue, nous nous défendons d'abord nous-même. Nous sommes les mercenaires de nos préjugés. Au nom de quelle raison supérieure pourrait-on nous convaincre d'abdiquer notre propre identité ? Changer d'avis sur une question importante n'est envisageable que si la différence entre les deux points de vue s'inscrit elle-même dans l'angle plus ou moins fermé de notre moi, ce territoire tellement surdéterminé que l'on peut se demander si c'est bien nous qui pensons ce que nous pensons, et si ce que nous appelons notre liberté n'est pas simplement le moyen de fournir un peu de jeu aux mécanismes serrés de notre esclavage.
    (Petit traité à l'usage de ceux qui veulent toujours avoir raison, p.90, José Corti, 1999)
     
  16. [...] ce n'est que sur les cadavres de nos ennemis que nous pouvons sans risque nous laisser aller à notre inclination à ne pas nous prendre au sérieux.
    (Petit traité à l'usage de ceux qui veulent toujours avoir raison, p.91, José Corti, 1999)
     
  17. Priver notre rage d'avoir raison du prétexte qui la justifie, c'est priver de combustible une chaudière en pleine montée de puissance.
    (Petit traité à l'usage de ceux qui veulent toujours avoir raison, p.93, José Corti, 1999)
     
  18. Lorsque, dans une discussion, quelqu'un lance : « Il faut être logique ! », soyez à peu près sûr qu'une fois sur deux, il s'apprête à s'en abstenir lui-même. Les débatteurs les moins cohérents ne se privent pas de placer leurs inconséquences sous le patronage de la Logique : ils l'invoquent d'autant plus qu'ils ne la respectent pas, comme certains dévots avec leur dieu.
    (Petit traité à l'usage de ceux qui veulent toujours avoir raison, p.95, José Corti, 1999)
     
  19. Aldous Huxley disait : « Tout événement ressemble essentiellement à la nature de l'homme qui le subit », parole d'une grande profondeur qui éclaire l'aveuglement inouï de bien des acteurs de l'Histoire. L'objectivité des faits est le masque dont se parent la subjectivité militante des acteurs et la subjectivité angoissée des témoins.
    (Petit traité à l'usage de ceux qui veulent toujours avoir raison, p.104, José Corti, 1999)
     
  20. L'histoire des sciences ressemble à un champ illimité où quelques raisons éternelles veillent sur un cimetière toujours plus peuplé de raisons défuntes.
    (Petit traité à l'usage de ceux qui veulent toujours avoir raison, p.108, José Corti, 1999)
     
  21. La plupart des idées sont des opinions.
    (Petit traité à l'usage de ceux qui veulent toujours avoir raison, p.109, José Corti, 1999)
     
  22. [...] si nous savions ce qui nous incite subjectivement à embrasser la cause d'une théorie particulière, nous risquerions de nous déprendre d'elle, pour la même raison que nous cessons d'aimer une femme ou un homme quand nous savons trop bien pourquoi nous en étions amoureux.
    (Petit traité à l'usage de ceux qui veulent toujours avoir raison, p.110, José Corti, 1999)
     
  23. [...] l'absurdité est infinie, c'est une hydre dont chaque bras arraché repousse presque aussitôt.
    (Petit traité à l'usage de ceux qui veulent toujours avoir raison, p.115, José Corti, 1999)
     
  24. [...] ce qui ne se prouve pas en une heure ne se prouvera pas mieux en une vie.
    (Petit traité à l'usage de ceux qui veulent toujours avoir raison, p.117, José Corti, 1999)
     
  25. Si les raisons d'autrui vous paraissent obscures, dites-vous que les vôtres ne le sont pas moins à ses yeux. Que cela ne vous oblige pas à accabler le monde d'explications : expliquer revient souvent à délayer dans l'insignifiance ce qu'une croyance avait de plus ferme ; c'est ouvrir le poing pour libérer du vide. Si l'on insiste en vous sommant de vous expliquer quand même, prenez l'air profond et parlez d'autre chose.
    (Petit traité à l'usage de ceux qui veulent toujours avoir raison, p.119, José Corti, 1999)
     
  26. Il est normal de se méfier des coupeurs de cheveux en quatre qui finiraient par vous aimer l'ignorance (bien que l'ignorance ne soit, elle-même, qu'une accumulation géologique de vérités abusivement simplistes). Lancer à quelqu'un : « ce n'est pas si simple ! » est toujours assez risqué : on donne l'impression de vouloir l'entraîner au fond d'un bois pour abuser de lui.
    (Petit traité à l'usage de ceux qui veulent toujours avoir raison, p.129, José Corti, 1999)
     
  27. L'ironie est une manière de guérilla.
    (Petit traité à l'usage de ceux qui veulent toujours avoir raison, p.134, José Corti, 1999)
     
  28. Les orateurs barbants ont compris le truc : les plus malins concluent généralement sur un bon mot censé racheter le reste, prouvant ainsi que l'humour est aussi la politesse des gens ennuyeux.
    (Petit traité à l'usage de ceux qui veulent toujours avoir raison, p.139, José Corti, 1999)
     
  29. La plupart des contemporains, abrutis d'informations, ont l'oreille dure et l'intelligence lourde.
    (Petit traité à l'usage de ceux qui veulent toujours avoir raison, p.141, José Corti, 1999)
     
  30. Sur dix idées publiques, huit ou neuf ont été imposées par matraquage. Seraient-elles vraies, nous ne les avons pas domestiquées nous-mêmes, ce sont elles qui nous ont assaillis de force. Comme disait un Ancien, un fou qui crie qu'il fait jour en plein jour n'en est pas moins fou. Répéter ce qui se dit, même si ce qui se dit est vrai, relève du simple psittacisme tant que l'on n'a pas décortiqué soi-même l'idée et essayé d'en vérifier le bien-fondé.
    (Petit traité à l'usage de ceux qui veulent toujours avoir raison, p.146, José Corti, 1999)
     
  31. L'originalité n'est payante que comme adjuvant pittoresque au conformisme. Elle ne doit pas mettre ses bases en péril, seulement les ébranler légèrement : il s'agit de jouer à faire peur, pas d'effrayer vraiment. Une bonne partie de notre culture est fondée sur cet équilibre judicieux. Ceux qui en font trop se déconsidèrent, ceux qui n'en font pas assez n'existent pas. Pour obtenir un résultat, il faut doser l'impertinence, mesurer l'excès, pousser jusqu'aux limites du tolérable en se gardant de les franchir.
    (Petit traité à l'usage de ceux qui veulent toujours avoir raison, p.152, José Corti, 1999)
     
  32. Lorsqu'une discussion ne tourne pas à notre avantage, il reste, en dernier ressort, à placer une statistique. Les médecins de Molière avaient le grec et le latin ; nous avons les statistiques et les sondages. Jadis, la pédanterie était éloquente ; désormais, elle est sèche et scientifique.
    (Petit traité à l'usage de ceux qui veulent toujours avoir raison, p.159, José Corti, 1999)
     
  33. [...] la modération intransigeante, tout aussi ruineuse pour la notion de vérité que le fanatisme intellectuel. L'excès n'est pas toujours là où on l'attend : attention aux sages qui, au nom de la mesure, finissent par aplanir toute idée saillante et par recouvrir de sable les pistes les mieux tracées. Avec eux, il y a risque de tout perdre, à commencer par la compréhension de notre propre point de vue.
    (Petit traité à l'usage de ceux qui veulent toujours avoir raison, p.167, José Corti, 1999)
     
  34. La force de Socrate n'est pas tant dans la supériorité intrinsèque de ses opinions que dans son habileté rhétorique à mettre la pression au moment et au point de l'échange chosiis par lui. Au fond, il nous prouve qu'il n'est pas si compliqué de déstabiliser un esprit incapable d'assimiler ses propres contradictions.
    (Petit traité à l'usage de ceux qui veulent toujours avoir raison, p.171, José Corti, 1999)
     
  35. Les manipulateurs d'opinion ou, pour utiliser un mot plus civil, les communicateurs [...]
    (Petit traité à l'usage de ceux qui veulent toujours avoir raison, p.174, José Corti, 1999)
     
  36. Il y a deux façons de disqualifier quelqu'un : le traiter d'imbécile ou d'intellectuel.
    (Petit traité à l'usage de ceux qui veulent toujours avoir raison, p.179, José Corti, 1999)
     
  37. Tel est le but véritable de l'institution du débat médiatique : bétonner de part et d'autre les positions, compter les troupes et ragaillardir son monde en le rassurant sur le bénéfice d'une victoire à terme.
    (Petit traité à l'usage de ceux qui veulent toujours avoir raison, p.192, José Corti, 1999)
     
  38. Que de vérités universelles ont tourné à l'illusion idéologique après coup ! L'histoire des idéologies est le recensement des valeurs unanimes et périmées d'une époque - autant de croyances-cathédrales qui finissent en ruines... Les vérités trop partagées ont quelque chose de suspect, comme si leur extension exagérée en épuisait la force.
    (Petit traité à l'usage de ceux qui veulent toujours avoir raison, p.197, José Corti, 1999)
     
  39. Les vérités valent par la singularité de leur surgissement, beaucoup moins par l'universalisme supposé de leur rayonnement. Les vérités ne devraient pas vieillir.
    (Petit traité à l'usage de ceux qui veulent toujours avoir raison, p.199, José Corti, 1999)
     
  40. La critique est encore plus aisée que le prétend le proverbe, car c'est la forme ordinaire de l'estimation qui détermine nos goûts et nos dégoûts.
    (Petit traité à l'usage de ceux qui veulent toujours avoir raison, p.208, José Corti, 1999)
     
  41. Je lis, donc je pense, mais ma pensée est un clignotement le long d'une autre. Pour être au clair avec soi-même, pour savoir de quoi sa propre pensée est réellement capable, l'épreuve de l'écriture me paraît cruciale. Peut-être publie-t-on trop, mais il n'est pas sûr que l'on écrive suffisamment. Tout le monde devrait écrire pour soi dans la concentration et la solitude : un bon moyen de savoir ce que l'on sait et d'entrevoir ce que l'on ignore sur le mécanisme de son cerveau, sur son pouvoir de captation et d'interprétation des stimuli extérieurs.
    (Tout le monde devrait écrire, p.12, José Corti, 2006)
     
  42. L'écriture est le plus ambigu et le plus solliciteur des miroirs. Après vingt ans d'écriture (ce qui est peu, finalement), je me demande quelle surprise j'attends encore de moi. Cette question, je me la pose avant chaque livre ; elle est mon meilleur stimulant.
    (Tout le monde devrait écrire, p.14, José Corti, 2006)
     
  43. Le plus beau de l'écriture, c'est cette tension entre ce qui est écrit et ce qui est à écrire, c'est l'usage d'une liberté qui prend ses risques en laissant ses traces.
    (Tout le monde devrait écrire, p.16, José Corti, 2006)
     
  44. C'est une sottise de croire qu'un charme puisse naître d'une volonté.
    (Tout le monde devrait écrire, p.22, José Corti, 2006)
     
  45. Les « grands écrivains » ne sont pas ceux que j'admire, ce sont ceux que j'aime.
    (Tout le monde devrait écrire, p.22, José Corti, 2006)
     
  46. [...] les lecteurs ont tout à gagner à aborder les livres sur le mode érotique, c'est-à-dire avec une passion sincère et inspirée. La première lecture me semble d'autant plus prometteuse qu'elle se place sous le signe presque exclusif du plaisir non prévenu. Lecture naïve, libre, jouissive : la lecture, comment l'oublier, consacre la pénétration d'une intimité par une autre.
    (Tout le monde devrait écrire, p.23, José Corti, 2006)
     
  47. Concilier l'inspiration et la maîtrise est le but poursuivi depuis toujours par les artistes et les écrivains ; aucune époque ne peut échapper à ce sempiternel questionnement.
    (Tout le monde devrait écrire, p.25, José Corti, 2006)
     
  48. On ne m'enlèvera pas de l'idée que, passé un certain niveau de profondeur, les notes valent mieux que les mots et que certaine qualité de silence touche plus au fond des choses que les plus beaux discours.
    (Tout le monde devrait écrire, p.38, José Corti, 2006)
     
  49. Écrire oblige à choisir parmi des amas d'idées initialement vagues celles qui trouveront leur densité dans les limites de la syntaxe et du style. Comme l'ont pensé maintes sociétés de tradition orale, l'écriture piège celui qui s'en sert - qui s'enserre, justement, dans une formulation dont il doit ensuite répondre, ne serait-ce qu'à l'égard de lui-même.
    (Tout le monde devrait écrire, p.40, José Corti, 2006)
     
  50. « J'écris, donc je suis » peut fonder une éthique de l'existence personnelle.
    (Tout le monde devrait écrire, p.48, José Corti, 2006)
     
  51. Mais qu'est-ce que la littérature sinon une manipulation morose ou heureuse de la réalité ?
    (Tout le monde devrait écrire, p.51, José Corti, 2006)
     
  52. Faut-il avoir quelque chose à dire pour écrire ? J'ai moi-même inversé le sens de la formule en commençant par noter qu'il faut plutôt écrire pour avoir quelque chose à dire.
    (Tout le monde devrait écrire, p.60, José Corti, 2006)
     
  53. Les moyens et la fin se conditionnent mutuellement dans l'écriture : style, vision du monde et tempérament sont les aperçus d'une même réalité, celle qui fait l'oeuvre et l'écrivain.
    (Tout le monde devrait écrire, p.61, José Corti, 2006)
     
  54. La diversité est le premier principe qui, selon moi, doit gouverner les arts et la littérature, ce qui suppose une tolérance presque excessive, rarement comprise par ceux qui exhaussent leur parti pris en dogme. Je sais ce que j'aime lire et ce qui m'ennuie ou me dégoûte, mais je serais terrorisé si tous les auteurs se mettaient à écrire selon mes préférences.
    (Tout le monde devrait écrire, p.69, José Corti, 2006)
     
  55. Si les hommes étaient immortels, le besoin de création se limiterait sans doute à celui du divertissement. Ce n'est pas seulement l'appétit de postérité du créateur qui donne à la grande oeuvre une allure presque surhumaine, bien qu'on ne puisse pas sous-estimer la force d'une telle ambition. C'est aussi, et principalement, l'illusion de recadrer le réel aux normes de la subjectivité - ce qui s'appelle donner un sens au monde en espérant faire coïncider sa singularité avec l'universel.
    (Tout le monde devrait écrire, p.76, José Corti, 2006)
     
  56. Ce que nous aimons ne doit pas se laisser partager trop aisément.
    (Tout le monde devrait écrire, p.79, José Corti, 2006)
     
  57. Quiconque touche à l'idéal de la culture pour tous (qui n'a peut-être jamais été aussi peu réalisé, ce pourquoi il est si frénétiquement proclamé) risque d'être caricaturé en « élitiste », injure décisive qui clôt tout débat. [...] Les pédagogues sincères ont la tâche impossible, coincés entre l'indifférence méprisante de publics qui revendiquent « leur » propre culture et l'édulcoration démagogique à laquelle ils sont obligés de se livrer s'ils veulent bousculer les frontières. Mieux vaut ne pas lire Rimbaud que le lire n'importe comment !
    (Tout le monde devrait écrire, p.81, José Corti, 2006)
     
  58. [...] Roland Barthes disait de façon peut-être prémonitoire : « J'imagine une sorte d'utopie où des textes écrits dans la jouissance pourraient circuler en dehors de toute instance mercantile [...]. Ces textes circuleraient dans de petits groupes, dans des amitiés, au sens phalanstérien du mot, et par conséquent, ce serait vraiment la circulation du désir d'écrire, de la jouissance d'écrire et de la jouissance de lire, qui ferait boule... ».
    (Tout le monde devrait écrire, p.96, José Corti, 2006)
     
  59. Je suis dérangé d'apprendre que quelqu'un que je n'estime pas s'est passionné pour l'un de mes ouvrages de prédilection, ressentant cette promiscuité de goût comme une sorte d'indécence. Inversement, il me faut faire un effort pour surmonter ma déception en constatant qu'une personne que j'aime ou que j'admire reste froide devant un texte à mes yeux important.
    (Tout le monde devrait écrire, p.98, José Corti, 2006)
     
  60. Créer du désir n'est certainement pas une tâche facile ; je ne vois pas pourtant comment on peut ouvrir autrement l'accès aux oeuvres. Dans ce domaine, la réussite repose sur une pédagogie par imitation, un objet devenant désirable par le truchement du désir d'un tiers (René Girard), il faut alors se rendre à l'évidence : les instituteurs et les professeurs sont rarement à la hauteur de cet enjeu affectif.
    (Tout le monde devrait écrire, p.113, José Corti, 2006)
     
  61. [...] au verdict, un peu fruste mais efficace, décidant qu'un livre est « ennuyeux » ou pas. À cette aune, neuf chefs-d'oeuvre sur dix ne passeraient pas la rampe chez neuf lecteurs sur dix, inconscients du fait que l'ennui réside généralement dans celui qui l'éprouve plutôt que dans sa cause supposée. En exagérant un peu, on pourrait soutenir qu'il n'existe pas de livres ennuyeux, mais seulement des lecteurs incapables de concentration suffisante. Un bon lecteur devrait relever le défi d'un texte jugé fastidieux en s'efforçant d'y pénétrer à coeur par des lectures renouvelées. C'est une sorte de devoir déontologique que l'on doit aux grands textes désignés par la postérité, et à tout texte ayant été aimé une fois par un lecteur sincère.
    (Tout le monde devrait écrire, p.131, José Corti, 2006)
     
  62. Je ne peux pas m'empêche d'avoir du mépris pour les gens qui craignent l'ennui intellectuel. Hors toute apologie, l'ennui est le vestibule des pensées et des arts difficiles qui, sans être forcément plus profonds que les autres, les pensées et les arts avenants et ouverts, sollicitent au moins le goût du défi.
    (Tout le monde devrait écrire, p.132, José Corti, 2006)
     
  63. On est plus naturellement dupe de la facilité que de l'austérité. Quand la difficulté est visible, on l'affronte, l'esprit tendu et sur ses gardes.
    (Tout le monde devrait écrire, p.133, José Corti, 2006)
     
  64. La parole est indigente par rapport à l'écrit. Nécessaire socialement, psychiquement et même biologiquement ; mais l'on s'en passe sans dommage quand on peut accéder directement aux livres.
    (Tout le monde devrait écrire, p.134, José Corti, 2006)
     
  65. La création, c'est l'inédit, l'unique. Certes, chaque personne est unique, mais rares sont celles qui en tirent les conséquences.
    (Tout le monde devrait écrire, p.142, José Corti, 2006)
     
  66. Si l'on veut écrire comme personne, mieux vaut commencer par écrire comme tout le monde. La personnalité n'est pas affaire de trucs ou de simagrées ; la singularité percera toujours, forcément.
    (Tout le monde devrait écrire, p.143, José Corti, 2006)
     
  67. Une écriture à usage strictement personnel, télégraphique, allusive, approximative, bref économique, risque de n'être qu'un brouillon d'écriture, donc un brouillon de pensée. La pensée écrite demande de la précision. La pensée, ce sont les nuances de la pensée ; on pense mal à grands traits.
    (Tout le monde devrait écrire, p.146, José Corti, 2006)
     
  68. [...] l'art n'est jamais simple ; en cela, il est plus proche de la vie que les approches fonctionnelles. Le préjugé selon lequel la vraie vie consiste à avoir les pieds sur terre, c'est-à-dire à privilégier la partie solide et animale qui est en nous, est une grossière réduction qui ignore ce qui fait la valeur et le charme de l'existence.
    (Tout le monde devrait écrire, p.150, José Corti, 2006)
     
  69. Rien n'allant de soi, sauf ce qui va à sa perte, et y va vite par les temps qui courent - je veux parler des formes les plus civilisées de l'échange -, l'écriture acharnée qui force à réfléchir reste l'une des armes les plus solides contre la sauvagerie ou l'impuissance. Chacun avec ses moyens propres peut facilement s'en emparer.
    (Tout le monde devrait écrire, p.152, José Corti, 2006)
     
  70. Il ne faudrait jamais faire porter nos jugements au-delà de la sphère délimitée par notre capacité d'action. Réserver notre perspicacité à notre entourage devrait suffire, encore que l'objet soit un peu trop près de nos yeux pour se détacher avec toute la clarté désirable.
    (Tous fous, p.13, José Corti, 2003)
     
  71. [...] il n'y a rien de plus fou que la Raison enivrée d'elle-même, décapée des scories de l'approximatisme, pure et tranchante comme un couperet.
    (Tous fous, p.18, José Corti, 2003)
     
  72. Tout individu qui a présidé une fois veut présider toujours.
    (Tous fous, p.21, José Corti, 2003)
     
  73. L'imagination est la seconde chance de la réalité quand celle-ci est à court de moyens.
    (Tous fous, p.25, José Corti, 2003)
     
  74. Être dans le flou ou être dans le fou, j'hésiterais si je devais choisir.
    (Tous fous, p.29, José Corti, 2003)
     
  75. [...] toute pensée personnelle tourne tout au plus autour de deux ou trois pivots, et [...] l'individu, aussi savant soit-il, ne peut pas se déprendre, dans l'intimité de sa réflexion, d'une simplification sans laquelle la réalité manquerait de prise.
    (Tous fous, p.30, José Corti, 2003)
     
  76. [...] le ridicule ne tue pas, car si cela était, une bonne partie de l'humanité actuelle aurait déjà disparu depuis longtemps.
    (Tous fous, p.32, José Corti, 2003)
     
  77. L'une des grandes faiblesses humaines est l'incapacité d'observer ses fous avec des yeux qui leur accordent un tant soit peu de raison, ou de s'observer soi-même par les yeux de ses fous sous l'angle où eux-mêmes ne s'admettent pas fous. En philosophie, la première maxime devrait être : ne termine jamais une partie sans avoir touché autant de fois le fou blanc que le fou noir.
    (Tous fous, p.40, José Corti, 2003)
     
  78. [...] qui est fou ? Le fou, c'est l'Autre, évidemment. Il est presque excitant de voir avec quelle habileté l'homme dénonce l'homme, chaque parti le parti adverse, et comment la bipolarisation (pour utiliser un mot à la mode) fonctionne merveilleusement dans presque tous les secteurs de l'activité humaine.
    (Tous fous, p.45, José Corti, 2003)
     
  79. Penser, c'est plus que jamais penser contre autrui. Une idée s'affirme d'autant plus puissamment qu'elle rencontre une résistance qui l'oblige à se blinder. Sans contradicteurs, nos idées se déliteraient dans le relativisme et l'incertitude. Nous finirions par nous lasser de nos plus intimes convictions.
    (Tous fous, p.46, José Corti, 2003)
     
  80. Un peu de folie sauve, alors que le refus buté de toute folie rend fou à coup sûr.
    (Tous fous, p.61, José Corti, 2003)
     
  81. Il vient un moment où l'on peut se demander si le refus d'être dupe n'a pas tourné à l'obsession, voire à la manie, au point de transformer un scepticisme naturel en ricanement systématique.
    (Tous fous, p.70, José Corti, 2003)
     
  82. [...] le seul acte vraiment purificateur, pour ne pas dire philosophique, c'est évidemment de tirer la langue à son propre reflet, double singulier de soi-même tout autant que figure allégorique de la clownerie humaine.
    (Tous fous, p.80, José Corti, 2003)
     
  83. Les réalistes ne sont pas moins fous que les irréalistes, ils le sont seulement de façon plus terne.
    (Tous fous, p.98, José Corti, 2003)
     
  84. Notre époque démocratique a ceci d'amusant, qu'elle fournit une pâture à peu près inépuisable à la mauvaise humeur des gens de bons sens. Mais elle a aussi ceci d'intéressant qu'elle donne à chacun la liberté d'y être indifférent.
    (Tous fous, p.103, José Corti, 2003)
     
  85. L'esprit est décidément géomètre. Il est arpenteur et comptable. Il ne peut se passer de mesures, de jauges, d'étalons et, pour finir, de podiums. Encore que l'on voie ce qu'il y a de faux, voire de ridicule, dans des classifications portant sur des matières inappréhendables en termes quantitatifs, c'est avec une sorte de passion maniaque que l'on s'y livre à la première occasion. Je me défends de trop classer, conscient de l'inanité d'établir des hiérarchies intellectuelles, non seulement soumises un jour ou l'autre à révision, mais dérisoires, mystificatrices et apportant un faux confort de l'esprit qui risque de réduire la pensée à une réitération de poncifs. Il n'est pas facile de résister à ce ridicule : si j'y réussis néanmoins, c'est par l'agacement de voir autour de moi des gens et les médias se livrer à la fureur de donner des notes, des appréciations, des numéros à tout, à tous et à tout propos. Si l'on objecte qu'il n'y a pas de folie à faire état de préférences, je veux bien l'admettre jusqu'au point au-delà duquel l'esprit, prenant la partie pour le tout, chavire dans une interprétation totalement subjective des valeurs, oubliant qu'il n'est pas dieu le père, mais un myrmidon perdu dans un univers humain dont il ne connaît pas la trillionième partie.
    (Tous fous, p.107, José Corti, 2003)
     
  86. Toute passion qui se projette exagérément épuise la complexité humaine, la schématise. Elle sacrifie la variété du présent à l'obsession unilatérale du désir. L'avidité de « réussir » tourne à la monomanie : combien de gens dans tous les secteurs de l'activité sociale sont des malades qui s'ignorent, rongés par un cancer d'envie, par une lèpre d'ambition que même la réussite, surtout si elle vient tard, n'est par sûre de guérir.
    (Tous fous, p.113, José Corti, 2003)
     
  87. Bien entendu, la finalité d'une collection n'est pas d'être exhaustive, mais de tendre vers l'exhaustivité en espérant secrètement ne jamais l'atteindre.
    (Tous fous, p.119, José Corti, 2003)
     
  88. Tout savoir de presque rien n'est pas plus satisfaisant que peu savoir de presque tout.
    (Tous fous, p.121, José Corti, 2003)
     
  89. Le collectionneur, l'érudit et le sage, trois visages d'une folie capable de défendre tour à tour, et très bien, ses raisons.
    (Tous fous, p.122, José Corti, 2003)
     
  90. Regardons le monde et ses saloperies, et remarquons en médecins lucides que, de ce côté-là, ça va, les choses sont comme elles ont toujours été, normalement répugnantes. Puis tournons-nous vers la bonté, la gentillesse, le dévouement, le désintéressement et poussons des cris d'étonnement en nous jurant de ne jamais chercher à guérir des difformités aussi intéressantes. Car pourquoi faudrait-il, au nom d'un rousseauisme plus ou moins conscient, continuer à croire que la bonté est originelle et naturelle ? Pourquoi le bien ne serait-il pas une perversion du mal, plutôt que le contraire - une perversion décidément inguérissable et désirable ?
    (Tous fous, p.126, José Corti, 2003)
     
  91. [...] je ne fais que constater qu'il n'y a rien de plus sérieux que le jeu, que nous sommes des joueurs impénitents dans les actes futiles comme dans les actions décisives de notre existence, et que ce qui donne le plus à rire n'est pas le jeu lui-même, mais le désir de le masquer derrière une mauvaise foi partagée. Car si, pour jouer, il faut être au moins deux, pour se livrer à cette dénégation du jeu qui veut en imposer, il est nécessaire de s'en faire accroire mutuellement. La maturité n'est que l'acceptation de cette face nécessaire.
    (Tous fous, p.132, José Corti, 2003)
     
  92. Tout individu ayant quelque sens métaphysique, c'est-à-dire sensible au tragique humain, est tenté, à un moment ou à un autre, de devenir fou exprès pour avoir le dernier mot.
    (Tous fous, p.144, José Corti, 2003)
     
  93. L'art des fous n'est ni plus ni moins fou que l'art tout court.
    (Tous fous, p.155, José Corti, 2003)
     
  94. Qui peut soutenir que pour vivre profondément il soit nécessaire de se débarrasser de toute futilité ? La profondeur existentielle, ce n'est pas l'unilatéralisme du Sérieux et de la Raison, c'est la capacité à faire coexister en soi de façon heureuse les contradictions de la personnalité et de l'esprit.
    (Tous fous, p.157, José Corti, 2003)
     
  95. Que serait un monde évacuant la Folie ? Un internat rébarbatif tenu par des pions exerçant leur discipline sur des cerveaux calibrés. Cette caserne de la Raison militarisée a été imaginée par des utopies philosophiques et réalisée par les dictatures communistes.
    (Tous fous, p.168, José Corti, 2003)
     
  96. « Nous ne savons pas, mais au moins nous savons de mieux en mieux ce que nous ne savons pas » : telle est, en substance, la vraie sagesse scientifique dont le prolongement rejoint sur l'horizon intellectuel cette Folie persévérante évoquée par William Blake.
    (Tous fous, p.182, José Corti, 2003)
     
  97. Il n'y a rien de plus profondément plaisant que de rire sans savoir pourquoi. C'est une grâce qui est refusée à ceux qui cherchent une cause à tout et finissent, tant pis, par la trouver. Ma philosophie du bonheur n'admet pas de cause. Être heureux parce que ceci ou parce que cela, ce n'est que du plaisir ou de la joie, ce n'est pas encore toucher par tous les pores de son être au bonheur gratuit d'être en vie.
    (Tous fous, p.188, José Corti, 2003)
     
  98. Rousseau disait : l'homme naît bon ; je dis : l'homme naît con.
    (De la connerie, p.7, José Corti, 2004)
     
  99. Le propre de la connerie est de ne pas se voir, de ne pas se savoir. Véritable drame dont on n'épuisera jamais le fond d'amertume.
    (De la connerie, p.8, José Corti, 2004)
     
  100. Rien de con comme cette maxime de père de famille : « Crois en ce que tu fais ». Le début ou la fin ?) de la philosophie serait plutôt de ne pas trop y croire, tout en faisant avec professionnalisme, humour et, si possible, aussi bien que n'importe qui.
    (De la connerie, p.12, José Corti, 2004)
     
  101. Parler, ne pas parler : quand on hésite, mieux vaut encore se taire.
    (De la connerie, p.17, José Corti, 2004)
     
  102. Le langage est une succession de pièges à. Ouvrir la bouche, c'est prendre position à la manière du tireur d'élite qui ne comprend pas que son avantage réside dans sa clandestinité et que le premier coup tiré, il sera repéré e abattu à son tour. Tant que vous la fermez, on vous ignore ou l'on vous crédite d'une vigilance critique.
    (De la connerie, p.22, José Corti, 2004)
     
  103. À quoi reconnaît-on la profondeur d'une pensée ? À ce qu'elle ne croit pas utile d'inventer des gouffres, de ménager artificiellement des angoisses métaphysiques, étant elle-même une haleine suspendue au-dessus de cette béance vertigineuse, la connerie.
    (De la connerie, p.23, José Corti, 2004)
     
  104. Rien de plus délicat que le dosage, le tamisage, l'affinage, le polissage et le pesage des mots. J'ai parfois l'impression qu'un livre sur deux est trop court et un livre sur deux trop long.
    (De la connerie, p.25, José Corti, 2004)
     
  105. Vouloir se mesurer, se comparer, se situer dans une hiérarchie imaginaire, je le dis tout cru, est une preuve de faiblesse mentale.
    (De la connerie, p.34, José Corti, 2004)
     
  106. Le rire, un excellent cache-misère.
    (De la connerie, p.34, José Corti, 2004)
     
  107. La vraie liberté est celle du masque. Celui qui nous colle à la peau symbolise la plus dure des nécessités : n'être que soi-même.
    (De la connerie, p.39, José Corti, 2004)
     
  108. Tout professeur que vous êtes, tout écrivain, journaliste, penseur profond, vous partagez le sort commun. Les académiciens sont simplement des cons plus chamarrés que les autres. Les agrégés ont la connerie diplômée, ce qui est un avantage pour leur carrière, mais ne vaut pas lourd au regard d'une pesée humaine.
    (De la connerie, p.56, José Corti, 2004)
     
  109. La disparition de la connerie télévisuelle semble aujourd'hui un pur sujet de science-fiction.
    (De la connerie, p.58, José Corti, 2004)
     
  110. Pourquoi la beauté du diable paraît-elle plus aguichante que la sagesse des anges ? Je n'ai pas encore vu une représentation d'ange qui laisse supposer que l'intelligence de ces envoyés de Dieu dépasse le coefficient intellectuel moyen d'un élève de Sixième.
    (De la connerie, p.71, José Corti, 2004)
     
  111. [...] l'incompréhension la plus tragique de toutes, l'incompréhension de la souffrance de l'autre. Possible définition du con : celui qui est incapable de se mettre à la place d'autrui.
    (De la connerie, p.73, José Corti, 2004)
     
  112. La connerie a un sens forcené de l'utilitaire. « À quoi ça sert ? » (sous-entendu, ça ne sert à rien) fait partie de ses leitmotivs préférés.
    (De la connerie, p.78, José Corti, 2004)
     
  113. Sans vouloir discuter courbes et logarithmes, je crois assez que la connerie entretient un rapport évident avec le collectif : l'histoire des nations ne dément pas cette thèse pessimiste. L'observation des comportements des supporters sportifs et des membres distingués des colloques scientifiques non plus. Plus on est de cons, plus on blablate. Plus on glapit. Le cas échéant, plus on lynche.
    (De la connerie, p.82, José Corti, 2004)
     
  114. Jamais les hommes politiques ne vous laissent espérer qu'ils ne sont pas dupes de la comédie, qu'il existe, entre eux et vous, une intelligence secrète de la situation. Imaginons un discours à double sens où, derrière les phrases qui s'adressent au citoyen, pointeraient celles qui parlent à l'individu. Les premières lisses, présentables, digestes ; les secondes sans apprêt. On se sentirait quand même moins con en lisant le journal.
    (De la connerie, p.88, José Corti, 2004)
     
  115. La rhétorique possède la poussée linéaire d'un moteur : insuffisamment bridée, elle vous envoie un beau parleur droit dans les récifs de l'exagération.
    (De la connerie, p.93, José Corti, 2004)
     
  116. Mot hideux : hit-parade dont la fortune est à la mesure du ratatinement cérébral affectant des populations entières d'abrutis de tous âges, béant devant le succès et le fric rapides.
    (De la connerie, p.98, José Corti, 2004)
     
  117. L'imbécillité et le génie, ces deux tentations extrêmes de l'esprit.
    (Le génie à l'usage de ceux qui n'en ont pas, p.15, Corti/Les Massicotés n°8, 2004)
     
  118. Contre l'ennui mortel, il n'existe que deux remèdes définitifs : l'imbécillité et le génie. Car tous deux sont immortels. Si le génie te fait défaut, cultive ta bêtise.
    (Le génie à l'usage de ceux qui n'en ont pas, p.16, Corti/Les Massicotés n°8, 2004)
     
  119. Gratter un sol aride ne sert qu'à faire lever la poussière.
    (Le génie à l'usage de ceux qui n'en ont pas, p.26, Corti/Les Massicotés n°8, 2004)
     
  120. La hantise de se distinguer, intellectuellement ou par ses moeurs, m'a toujours semblé aussi vulgaire que vaine. Aujourd'hui où tout le monde aspire à l'exception, l'originalité consisterait plutôt à s'accommoder des routines et des conventions ou, en tout cas, à en donner l'apparence.
    (Le génie à l'usage de ceux qui n'en ont pas, p.44, Corti/Les Massicotés n°8, 2004)
     
  121. Le génial n'est-il pas, après coup, de l'absurde domestiqué ?
    (Le génie à l'usage de ceux qui n'en ont pas, p.64, Corti/Les Massicotés n°8, 2004)
     
  122. [...] Dieu n'a rien d'un génie. Non seulement, il a eu besoin de se prouver qu'il pouvait faire un monde - une démonstration assez peu concluante si l'on s'en tient à la qualité du résultat -, mais il semble qu'il se soit beaucoup dépensé pour obtenir des éloges de la part de ses créatures. Quel cabotinage !
    (Le génie à l'usage de ceux qui n'en ont pas, p.95, Corti/Les Massicotés n°8, 2004)
     
  123. Peut-être le talent a-t-il été donné à l'homme pour le consoler de ne pas avoir partie liée avec le divin. Avoir un don est la moindre des compensations. Le don est cette petite chose attrayante qui fait de vous un géant aux yeux des imbéciles sans, pour autant, vous rassurer vous-mêmes.
    (Le génie à l'usage de ceux qui n'en ont pas, p.108, Corti/Les Massicotés n°8, 2004)
     
  124. [...] la paresse, quand on a du talent, ressemble à une vertu aristocratique.
    (Le génie à l'usage de ceux qui n'en ont pas, p.109, Corti/Les Massicotés n°8, 2004)
     
  125. Non, le génie ne s'attrape pas. Il accable.
    (Le génie à l'usage de ceux qui n'en ont pas, p.119, Corti/Les Massicotés n°8, 2004)
     
  126. On dit parfois que le travail prépare le génie : sottise ! « Seul un être privé de raison comme la fourmi de la fable peut élever le travail au rang de vertu » (Tolstoï).
    (Le génie à l'usage de ceux qui n'en ont pas, p.133, Corti/Les Massicotés n°8, 2004)
     
  127. La déception est l'ordinaire des gens qui voient loin.
    (Le génie à l'usage de ceux qui n'en ont pas, p.158, Corti/Les Massicotés n°8, 2004)
     
  128. [...] on ne parle jamais aussi bien de ce qu'on ne connaît pas mais l'on désire connaître ; après, on ne fait que professer.
    (Le génie à l'usage de ceux qui n'en ont pas, p.175, Corti/Les Massicotés n°8, 2004)
     
  129. Philosopher, c'est d'abord définir.
    (Le génie à l'usage de ceux qui n'en ont pas, p.194, Corti/Les Massicotés n°8, 2004)
     
  130. [Le génie] est une forme de monstruosité positive.
    (Le génie à l'usage de ceux qui n'en ont pas, p.196, Corti/Les Massicotés n°8, 2004)
     
  131. Dans le domaine philosophique, est génial celui qui ose. Le prudent ne sera jamais qu'un petit maître, relégué en fin de chapitre dans les appendices en corps 4 que personne ne lit - sauf besoin de s'alimenter clandestinement en idées volées à des auteurs de deuxième rayon, avec d'autant moins de vergogne que l'on peut se tailler une réputation à leurs dépens en leur attribuant, pour les réfuter, des thèses idiotes qu'ils n'ont jamais défendues.
    (Le génie à l'usage de ceux qui n'en ont pas, p.200, Corti/Les Massicotés n°8, 2004)
     
  132. De nos jours, le seul niveau qui monte est celui du bruit.
    (Le génie à l'usage de ceux qui n'en ont pas, p.201, Corti/Les Massicotés n°8, 2004)
     
  133. Bientôt, le génie individuel sera à la Pensée ce que le virus de logiciel est à la fiabilité des programmes d'ordinateur.
    (Le génie à l'usage de ceux qui n'en ont pas, p.206, Corti/Les Massicotés n°8, 2004)
     
  134. [...] l'incertitude, l'indécision et le doute, ces trois morceaux de la même croix.
    (Le génie à l'usage de ceux qui n'en ont pas, p.221, Corti/Les Massicotés n°8, 2004)
     
  135. [...] ces passagers barbouillés de fatigue et de routine [...]
    (Le Philosophe facétieux, p.11, José Corti, 2008)
     
  136. L'être humain de façon générale, n'est-il pas une sorte de charlatan vivant d'apparences et de mendicité émotionnelle ?
    (Le Philosophe facétieux, p.14, José Corti, 2008)
     
  137. Déjà, gamin, je m'entendais dire : « on ne lit pas en classe » , « on ne lit pas pendant le gym » , « on ne lit pas à table » , « on ne lit pas au lit » ; heureusement, il restait les WC.
    (Le Philosophe facétieux, p.22, José Corti, 2008)
     
  138. [...] une sorte de Moyen Âge, les années soixante.
    (Le Philosophe facétieux, p.26, José Corti, 2008)
     
  139. Pour ma part, je refusais d'accorder le titre de philosophe aux fonctionnaires psittacistes qui prétendaient nous enseigner à penser, alors qu'ils nous apprenaient surtout à répéter.
    (Le Philosophe facétieux, p.32, José Corti, 2008)
     
  140. Un projet a pour seule positivité de maintenir l'esprit sous tension en évitant le relâchement déprimant consécutif à tout accomplissement.
    (Le Philosophe facétieux, p.39, José Corti, 2008)
     
  141. Qu'est-ce qu'un philosophe professionnel ? Un commentateur de textes. Un rat de bibliothèque. Un remueur de poussière. Un professeur.
    (Le Philosophe facétieux, p.56, José Corti, 2008)
     
  142. Parler long, c'était mener une guerre d'usure contre la résistance des idées difficiles. Mais dire court, c'était les saisir par surprise.
    (Le Philosophe facétieux, p.60, José Corti, 2008)
     
  143. [...] il en faut beaucoup, et d'audace et d'inconscience, pour prétendre apporter au monde un système d'explication.
    (Le Philosophe facétieux, p.61, José Corti, 2008)
     
  144. « Il y a de certaines choses que l'on entend jamais quand on ne les entend pas d'abord. » Je suis reconnaissant à Madame de Sévigné de me fournir sous sa forme le plus condensée une idée qui m'a toujours tenu à coeur et qui, malgré l'apparence, n'a rien d'un paradoxe.
    (Le Philosophe facétieux, p.82, José Corti, 2008)
     
  145. Mieux vaut rire de ceux qui pensent encore que la philosophie est le plus souvent la recherche de la vérité. Non, le plus souvent, la philosophie est l'affirmation d'une volonté de puissance dans l'ordre intellectuel.
    (Le Philosophe facétieux, p.82, José Corti, 2008)
     
  146. [...] les poètes, race féline et noctiluque qui phosphore dans l'obscurité générale.
    (Le Philosophe facétieux, p.84, José Corti, 2008)
     
  147. [...] une insignifiance toute universitaire.
    (Le Philosophe facétieux, p.90, José Corti, 2008)
     
  148. Je conçois la philosophie plutôt comme une pelote d'aiguilles que comme un matelas rembourré de vieux bouquins.
    (Le Philosophe facétieux, p.108, José Corti, 2008)