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Louis Dumur
1860-1933
Nous n'avons pour vivre que l'argument seul que nous vivons. Cela suffit en pratique, mais c'est misérable en logique.
(Petits aphorismes (Sur la vie, 1), p.15, Mercure de France T. 4, Janvier 1892)
La vie a au moins ceci d'original que des milliards d'hommes ont déjà vécu sans qu'on sache encore pourquoi.
(Petits aphorismes (Sur la vie, 2), p.15, Mercure de France T. 4, Janvier 1892)
Le temps est un fleuve dont la source et l'embouchure ne sont nulle part.
(Petits aphorismes (Sur la vie, 3), p.15, Mercure de France T. 4, Janvier 1892)
La naissance précipite dans la vie des êtres qui n'ont pas demandé d'y entrer, mais qui demandent encore moins d'en sortir.
(Petits aphorismes (Sur la vie, 4), p.15, Mercure de France T. 4, Janvier 1892)
On n'accepte ni on ne refuse la vie ; la vie n'est ni un mal, ni un bien : c'est une nécessité heureuse ou malheureuse.
(Petits aphorismes (Sur la vie, 5), p.15, Mercure de France T. 4, Janvier 1892)
On n'aime et ne hait que par comparaison ; or, la vie étant sans terme de comparaison, elle ne peut être l'objet ni de haine, ni d'amour. À moins que l'on ne prenne pour terme de comparaison les imaginations que l'on s'en fait !
(Petits aphorismes (Sur la vie, 6), p.15, Mercure de France T. 4, Janvier 1892)
La vie est un miroir qui reflète le visage dont on la regarde.
(Petits aphorismes (Sur la vie, 7), p.15, Mercure de France T. 4, Janvier 1892)
La vie est un cul-de-sac. Le tout est savoir si nous venons du fond ou si nous y allons.
(Petits aphorismes (Sur la vie, 8), p.15, Mercure de France T. 4, Janvier 1892)
On n'a pas la vie qu'on se fait, on a celle dont on est fait.
(Petits aphorismes (Sur la vie, 9), p.15, Mercure de France T. 4, Janvier 1892)
La vie est un abîme d'autant plus insondable qu'on cherche à le sonder.
(Petits aphorismes (Sur la vie, 10), p.15, Mercure de France T. 4, Janvier 1892)
Ce gouffre, dans lequel nous nous plaisons et nous nous effrayons à plonger nos regards, a la profondeur de notre pensée. Pour quelques-uns, il est plat comme une plaine.
(Petits aphorismes (Sur la vie, 11), p.16, Mercure de France T. 4, Janvier 1892)
La vie est une association passée avec le hasard. Nous apportons notre nom, notre argent, notre famille, nos relations, nos capacités, nos projets, nos rêves ; le hasard nous apporte sa coopération féconde ou meurtrière.
(Petits aphorismes (Sur la vie, 12), p.16, Mercure de France T. 4, Janvier 1892)
Dans la lutte pour la vie, il y a certes plus l'amour de la lutte que l'amour de la vie. C'est la vie pour la lutte qui est le vrai principe.
(Petits aphorismes (Sur la vie, 13), p.16, Mercure de France T. 4, Janvier 1892)
Nos impressions sont doublement changeantes, soumises à la fois au changement des choses et au changement de notre esprit.
(Petits aphorismes (Sur la vie, 14), p.16, Mercure de France T. 4, Janvier 1892)
Nous ne vivons que par l'espérance du changement. Les choses passent ; nous changeons ; notre désir d'autre chose seul reste.
(Petits aphorismes (Sur la vie, 15), p.16, Mercure de France T. 4, Janvier 1892)
La rive dont nous nous écartons semble plus belle que celles où nous abordons successivement ; mais celle que nous ne voyons pas et où nous nous proposons d'atterrir définitivement est la plus belle de toutes : malheureusement nous ne l'atteignons jamais.
(Petits aphorismes (Sur la vie, 16), p.16, Mercure de France T. 4, Janvier 1892)
Il faut tout attendre de la vie et n'en espérer rien.
(Petits aphorismes (Sur la vie, 17), p.16, Mercure de France T. 4, Janvier 1892)
La vie est une attente perpétuelle de ce qui peut être, un renoncement perpétuel à ce qui n'est pas, une angoisse perpétuelle de ce qui doit être.
(Petits aphorismes (Sur la vie, 18), p.16, Mercure de France T. 4, Janvier 1892)
- Mon petit ami, vous n'êtes qu'un imbécile : vous n'avez rien, vous espérez tout, et cela suffit à votre joie !
- Mon grand ami, vous n'êtes qu'un pauvre sire : vous avez tout, nous n'espérez rien, et cela suffit à votre joie !
(Petits aphorismes (Sur la vie, 19), p.16, Mercure de France T. 4, Janvier 1892)
L'espérance est la morphine de la vie.
(Petits aphorismes (Sur la vie, 20), p.17, Mercure de France T. 4, Janvier 1892)
La vie est vide pour ceux qui pensent à la vanité de la vie.
(Petits aphorismes (Sur la vie, 21), p.17, Mercure de France T. 4, Janvier 1892)
La vie et la femme sont deux choses qu'il ne faut pas analyser, si l'on veut les aimer.
(Petits aphorismes (Sur la vie, 22), p.17, Mercure de France T. 4, Janvier 1892)
La véritable solution du problème de la vie n'est-elle pas de ne pas se le poser ?
(Petits aphorismes (Sur la vie, 23), p.17, Mercure de France T. 4, Janvier 1892)
Il est préférable de vivre la vie que de vouloir la comprendre. On réussit quelquefois à la vivre, mais jamais à la comprendre.
(Petits aphorismes (Sur la vie, 24), p.17, Mercure de France T. 4, Janvier 1892)
Ne jamais penser qu'au moment présent, lorsqu'on est heureux, et qu'à l'avenir, quand on est malheureux, est un excellent précepte de vie.
(Petits aphorismes (Sur la vie, 25), p.17, Mercure de France T. 4, Janvier 1892)
La vie est un jeu : et, comme le jeu, elle est d'autant plus passionnante que nous l'intéressons.
(Petits aphorismes (Sur la vie, 26), p.17, Mercure de France T. 4, Janvier 1892)
Chacun touche sur la vie les intérêts du capital qu'il a risqué.
(Petits aphorismes (Sur la vie, 27), p.17, Mercure de France T. 4, Janvier 1892)
Exiger le plus pour avoir le moins n'est pas de mise avec la vie.
(Petits aphorismes (Sur la vie, 28), p.17, Mercure de France T. 4, Janvier 1892)
Pour bien vivre, aie un bon estomac et quelque chose à mettre dedans.
(Petits aphorismes (Sur la vie, 29), p.17, Mercure de France T. 4, Janvier 1892)
On prend goût à la vie par l'habitude ; on s'en dégoûte par l'uniformité.
(Petits aphorismes (Sur la vie, 30), p.17, Mercure de France T. 4, Janvier 1892)
Notre imagination surfait toujours l'avenir et notre souvenir le passé.
(Petits aphorismes (Sur la vie, 31), p.18, Mercure de France T. 4, Janvier 1892)
On invite toutes les fées au baptême de la vie. La seule qu'on n'invite pas et qui se venge, c'est la patience.
(Petits aphorismes (Sur la vie, 32), p.18, Mercure de France T. 4, Janvier 1892)
Le temps procure la paix à l'âme humaine : mais il prend sa commission, l'usure.
(Petits aphorismes (Sur la vie, 33), p.18, Mercure de France T. 4, Janvier 1892)
On est toujours volé avec la vie, soit qu'on en attende trop, soit qu'on en attende quelque chose, soit qu'on n'en attende rien.
(Petits aphorismes (Sur la vie, 34), p.18, Mercure de France T. 4, Janvier 1892)
Nous avons beaucoup de sourires pour la vie, qui nous en rend si peu.
(Petits aphorismes (Sur la vie, 35), p.18, Mercure de France T. 4, Janvier 1892)
La vie est un chemin semé de cailloux, dont quelques-uns sont aurifères, mais n'en déchirent pas moins les pieds.
(Petits aphorismes (Sur la vie, 36), p.18, Mercure de France T. 4, Janvier 1892)
Souffrir est un axiome de la vie, alors que ce ne devrait en être qu'un corollaire.
(Petits aphorismes (Sur la vie, 37), p.18, Mercure de France T. 4, Janvier 1892)
Le malheur de l'homme c'est de connaître qu'il peut être malheureux.
(Petits aphorismes (Sur la vie, 38), p.18, Mercure de France T. 4, Janvier 1892)
On craint la mort pour ce qu'elle cèle et la vie pour ce qu'elle recèle.
(Petits aphorismes (Sur la vie, 39), p.18, Mercure de France T. 4, Janvier 1892)
Chacun voudrait recommencer une autre vie, mais peu de personnes voudraient recommencer la leur.
(Petits aphorismes (Sur la vie, 40), p.18, Mercure de France T. 4, Janvier 1892)
L'homme est un mécanisme que l'amour-propre remonte chaque jour.
(Petits aphorismes (Sur l'amour-propre, 1), p.118, Mercure de France T. 4, Février 1892)
Nos mérites, nos désirs, nos prétentions et jusqu'à nos fautes, nous faisons tout entier dans le piédestal de la statue que nous nous élevons à nous-mêmes.
(Petits aphorismes (Sur l'amour-propre, 2), p.118, Mercure de France T. 4, Février 1892)
On renonce au monde plus facilement qu'à soi-même.
(Petits aphorismes (Sur l'amour-propre, 3), p.118, Mercure de France T. 4, Février 1892)
On sacrifie ses goûts à ses préjugés, moins souvent ses intérêts, jamais son amour-propre, vu que l'on se fait gloire justement d'avoir de tels préjugés.
(Petits aphorismes (Sur l'amour-propre, 4), p.118, Mercure de France T. 4, Février 1892)
La satisfaction personnelle que l'on apporte à la vie est le meilleur moyen de la supporter allégrement.
(Petits aphorismes (Sur l'amour-propre, 5), p.118, Mercure de France T. 4, Février 1892)
Nous nous méprenons souvent à nos capacités et toujours à notre mérite. Nous rangeons à l'actif de celui-ci non seulement ce que nous accomplissons réellement, mais encore tout ce que nous voudrions accomplir.
(Petits aphorismes (Sur l'amour-propre, 6), p.118, Mercure de France T. 4, Février 1892)
Il y a des hommes qui ignorent leur véritable mérite ; il n'y en a pas qui soient exempts de prétentions.
(Petits aphorismes (Sur l'amour-propre, 7), p.118, Mercure de France T. 4, Février 1892)
Lorsque l'on s'indigne contre le pharisien, n'est-on pas soi-même pharisien, et ne dit-on pas comme lui : Je te rends grâce, ô Dieu, de ce que je ne suis pas comme cet homme-là ?
(Petits aphorismes (Sur l'amour-propre, 8), p.118, Mercure de France T. 4, Février 1892)
Celui qui est vraiment humble ne blâme personne. Il se garde même de se blâmer soi, car, en le faisant, il se diviserait en deux personnalités, dont l'une blâmant l'autre manquerait par cela d'humilité.
(Petits aphorismes (Sur l'amour-propre, 9), p.119, Mercure de France T. 4, Février 1892)
Si nous sommes parfois plus fiers de nos défauts que de nos qualités, c'est que nous pensons que ceux-là sont plus capables que celles-ci de nous créer une personnalité.
(Petits aphorismes (Sur l'amour-propre, 10), p.119, Mercure de France T. 4, Février 1892)
Nous décernons des prix à nos vertus et des accessits à celles des autres.
(Petits aphorismes (Sur l'amour-propre, 11), p.119, Mercure de France T. 4, Février 1892)
On peut être content de soi et des autres, content de soi et mécontent des autres, mécontent de soi et des autres, jamais mécontent de soi et content des autres.
(Petits aphorismes (Sur l'amour-propre, 12), p.119, Mercure de France T. 4, Février 1892)
L'homme est en général si content de lui, qu'il ne changerait pas sa peau contre celle de celui qu'il envie le plus.
(Petits aphorismes (Sur l'amour-propre, 13), p.119, Mercure de France T. 4, Février 1892)
Nous n'aimons à être plaints de nos malheurs que quand ils sont de nature à nous faire valoir dans l'opinion d'autrui.
(Petits aphorismes (Sur l'amour-propre, 14), p.119, Mercure de France T. 4, Février 1892)
La plus sincère des émotions est celle que l'on éprouve en découvrant que l'on a du génie.
(Petits aphorismes (Sur l'amour-propre, 15), p.119, Mercure de France T. 4, Février 1892)
On prend son plaisir où on le trouve : ordinairement un degré plus bas qu'on ne l'avoue.
(Petits aphorismes (Sur l'amour-propre, 16), p.119, Mercure de France T. 4, Février 1892)
Nous sommes plus attachés à nos convictions qu'à nos certitudes. Dans celles-là nous mettons de notre amour-propre.
(Petits aphorismes (Sur l'amour-propre, 17), p.119, Mercure de France T. 4, Février 1892)
Il arrive qu'on défende par amour-propre des opinions que l'on n'a plus, et cela d'autant plus âprement qu'on les a moins conservées.
(Petits aphorismes (Sur l'amour-propre, 18), p.119, Mercure de France T. 4, Février 1892)
C'est surtout lorsqu'il y a va de notre amour-propre que nous avons le courage de nos opinions.
(Petits aphorismes (Sur l'amour-propre, 19), p.120, Mercure de France T. 4, Février 1892)
Nous avouons notre faiblesse, mais nous ne manquons pas de l'appeler faiblesse humaine.
(Petits aphorismes (Sur l'amour-propre, 20), p.120, Mercure de France T. 4, Février 1892)
L'amour-propre est une pièce de monnaie dont l'orgueil est face, tandis que la vanité est pile. La vanité est de l'amour-propre mal placé.
(Petits aphorismes (Sur l'amour-propre, 21), p.120, Mercure de France T. 4, Février 1892)
L'orgueil a cela de bon qu'il distrait l'homme de sa faiblesse.
(Petits aphorismes (Sur l'amour-propre, 22), p.120, Mercure de France T. 4, Février 1892)
La modestie est un amour-propre réglé par la raison.
(Petits aphorismes (Sur l'amour-propre, 23), p.120, Mercure de France T. 4, Février 1892)
L'hypocrisie et la franchise sont deux modes de l'amour-propre.
(Petits aphorismes (Sur l'amour-propre, 24), p.120, Mercure de France T. 4, Février 1892)
Lorsque nous avons reconnu nos torts, nous pensons avoir plus fait que si nous ne les avions pas eux.
(Petits aphorismes (Sur l'amour-propre, 25), p.120, Mercure de France T. 4, Février 1892)
Le souvenir des plus cruelles souffrances morales ou physiques est moins désagréable que celui de minimes piqûres de l'amour-propre.
(Petits aphorismes (Sur l'amour-propre, 26), p.120, Mercure de France T. 4, Février 1892)
On sent plus vivement la honte d'être ridicule que celle d'être coupable.
(Petits aphorismes (Sur l'amour-propre, 27), p.120, Mercure de France T. 4, Février 1892)
Le coeur pardonne souvent, la raison parfois, l'amour-propre jamais.
(Petits aphorismes (Sur l'amour-propre, 28), p.120, Mercure de France T. 4, Février 1892)
Nos déchéances n'ébranlent pas notre amour-propre.
(Petits aphorismes (Sur l'amour-propre, 29), p.120, Mercure de France T. 4, Février 1892)
Il n'y a qu'une excuse à l'ingratitude, mais elle est bonne : c'est l'humiliation que l'on éprouve d'avoir été obligé.
(Petits aphorismes (Sur l'amour-propre, 30), p.120, Mercure de France T. 4, Février 1892)
Les leçons que nous recevons de la vie nous donnent de l'expérience, rarement de l'humilité.
(Petits aphorismes (Sur l'amour-propre, 31), p.121, Mercure de France T. 4, Février 1892)
On n'arrive à se mépriser soi-même qu'après avoir longtemps méprisé les autres.
(Petits aphorismes (Sur l'amour-propre, 32), p.121, Mercure de France T. 4, Février 1892)
L'indépendance de l'âme consiste à s'affranchir des passions, sa science à la connaître, son bonheur à les assouvir. Conciliez cela !
(Petits aphorismes (Sur les passions, 1), p.121, Mercure de France T. 4, Février 1892)
L'homme ne sent jamais plus vivement sa faiblesse que lorsqu'il entreprend d'épurer son âme.
(Petits aphorismes (Sur les passions, 2), p.121, Mercure de France T. 4, Février 1892)
Le coeur est un élève insubordonné, la raison un maître ignorant.
(Petits aphorismes (Sur les passions, 3), p.121, Mercure de France T. 4, Février 1892)
Les grandes passions sont l'indice de petits caractères ; mais les petits caractères n'ont pas toujours de grandes passions.
(Petits aphorismes (Sur les passions, 4), p.121, Mercure de France T. 4, Février 1892)
Les caprices sont les passions des personnes légères.
(Petits aphorismes (Sur les passions, 5), p.121, Mercure de France T. 4, Février 1892)
Ce qui vient de l'âme est noble, ce qui vient du corps est ignoble. Pour savoir si une passion est noble ou ignoble, il suffit de voir si elle pourrait s'exercer chez un être incorporel. Mais il ne s'en suit pas que les passions immatérielles soient recommandables : elles sont seulement d'un ordre supérieur. L'envie, qui est de cet ordre, et qui n'est par conséquent point une passion ignoble, est une passion mauvaise. La sensualité, par contre, sans être proprement une passion mauvaise, est une passion ignoble. Il y aurait donc quatre catégories de passions. Mais comme ce qui captive l'âme importe plus que ce qui captive le corps, autant une belle passion psychique l'emporte en bien sur une belle passion physique, autant une laide passion psychique l'emporte en mal sur une laide passion physique.
(Petits aphorismes (Sur les passions, 6), p.121, Mercure de France T. 4, Février 1892)
Nos habitudes dégénèrent en vices, et nos vices en habitudes.
(Petits aphorismes (Sur les passions, 7), p.122, Mercure de France T. 4, Février 1892)
Vis-à-vis de nos passions, la retraite n'est jamais qu'une déroute.
(Petits aphorismes (Sur les passions, 8), p.122, Mercure de France T. 4, Février 1892)
La volonté n'a d'action sur les passions que si elle est une passion elle-même.
(Petits aphorismes (Sur les passions, 9), p.122, Mercure de France T. 4, Février 1892)
Il faut traiter les passions comme certaines maladies : les couper à leur début, ou alors les laisser couler.
(Petits aphorismes (Sur les passions, 10), p.122, Mercure de France T. 4, Février 1892)
Pour l'âme, comme pour le corps, la chirurgie est plus sûre que la médecine.
(Petits aphorismes (Sur les passions, 11), p.122, Mercure de France T. 4, Février 1892)
Nous conserverions peut-être des passions éteintes des souvenirs assez doux, si elles ne laissaient pas en nous les traces de leurs ravages.
(Petits aphorismes (Sur les passions, 12), p.122, Mercure de France T. 4, Février 1892)
Nous regrettons de nous être guéris de nos passions, lorsque la sagesse ou la charité ne viennent pas remplir le vide que cause leur absence.
(Petits aphorismes (Sur les passions, 13), p.122, Mercure de France T. 4, Février 1892)
L'envie est la seule passion qui ne procure aucune jouissance.
(Petits aphorismes (Sur l'envie, 1), p.122, Mercure de France T. 4, Février 1892)
L'envie est un sentiment irréfrénable ; la seule chose que nous puissions faire, c'est de l'emprisonner soigneusement en nous.
(Petits aphorismes (Sur l'envie, 2), p.122, Mercure de France T. 4, Février 1892)
On est jaloux par tempérament ; on est envieux par vocation.
(Petits aphorismes (Sur l'envie, 3), p.122, Mercure de France T. 4, Février 1892)
On ne se décourage jamais d'être envieux, surtout lorsqu'on réussit.
(Petits aphorismes (Sur l'envie, 4), p.123, Mercure de France T. 4, Février 1892)
L'envie est tellement illogique, qu'elle s'attaque de préférence à ceux dont les succès nous sont le plus utiles.
(Petits aphorismes (Sur l'envie, 5), p.123, Mercure de France T. 4, Février 1892)
Nous éprouvons de réelle sympathie que pour ceux qui nous font pitié ; dès qu'ils ne sont plus absolument pitoyables, l'envie vient peu à peu ronger la sympathie.
(Petits aphorismes (Sur l'envie, 6), p.123, Mercure de France T. 4, Février 1892)
On rend d'autant mieux hommage à un mort, qu'on n'a plus à l'envier.
(Petits aphorismes (Sur l'envie, 7), p.123, Mercure de France T. 4, Février 1892)
Tu aimeras le bien par tous les moyens qui tendront à le faire croire : tel est le premier et le plus grand commandement. Et voici le second, qui lui est semblable : tu tromperas ton prochain comme toi-même.
(Petits aphorismes (Sur l'hypocrisie, 1), p.123, Mercure de France T. 4, Février 1892)
Nos paroles démentent nos pensées, et nos actions nos paroles. C'est d'une double hypocrisie que nous vivons.
(Petits aphorismes (Sur l'hypocrisie, 2), p.123, Mercure de France T. 4, Février 1892)
La vanité commet plus de mensonges que l'intérêt.
(Petits aphorismes (Sur l'hypocrisie, 3), p.123, Mercure de France T. 4, Février 1892)
Un sourire du coeur se répercute toujours sur les lèvres : rarement un sourire des lèvres se répercute dans le coeur.
(Petits aphorismes (Sur l'hypocrisie, 4), p.123, Mercure de France T. 4, Février 1892)
Il y a des gens qui, par haine contre l'hypocrisie, feignent des vices qu'ils n'ont pas. Ce sont des hypocrites du mal.
(Petits aphorismes (Sur l'hypocrisie, 5), p.123, Mercure de France T. 4, Février 1892)
Sauvons les apparences : elles nous sauvent à leur tour.
(Petits aphorismes (Sur l'hypocrisie, 6), p.124, Mercure de France T. 4, Février 1892)
Il faut mentir pour être cru.
(Petits aphorismes (Sur l'hypocrisie, 7), p.124, Mercure de France T. 4, Février 1892)
Les hommes ne demandent pas la vérité : ils demandent seulement qu'on leur déguise le mensonge.
(Petits aphorismes (Sur l'hypocrisie, 8), p.124, Mercure de France T. 4, Février 1892)
Celui qui ne veut pas mentir lorsqu'il le faut est semblable à un maniaque qui s'obstinerait à marcher droit dans une rue tortueuse.
(Petits aphorismes (Sur l'hypocrisie, 9), p.124, Mercure de France T. 4, Février 1892)
Il n'est point permis de blâmer l'hypocrisie à celui que la vie n'a jamais acculé à la nécessité d'en user.
(Petits aphorismes (Sur l'hypocrisie, 10), p.124, Mercure de France T. 4, Février 1892)
C'est l'intolérance qui a créé l'hypocrisie.
(Petits aphorismes (Sur l'hypocrisie, 11), p.124, Mercure de France T. 4, Février 1892)
L'hypocrisie bien comprise n'est autre chose qu'une pudeur.
(Petits aphorismes (Sur l'hypocrisie, 12), p.124, Mercure de France T. 4, Février 1892)
Faire croire aux autres que nous sommes ce que nous voudrions être n'est pas tant d'un méchant que d'un idéaliste.
(Petits aphorismes (Sur l'hypocrisie, 13), p.124, Mercure de France T. 4, Février 1892)
La folie de l'ambitieux est de monter toujours, fût-ce à reculons, fût-ce à plat ventre.
(Petits aphorismes (Sur l'ambition, 1), p.220, Mercure de France T. 4, Mars 1892)
Il n'y a pas d'ambition qui n'ait coûté mille fois plus de bonheur qu'elle n'en procure.
(Petits aphorismes (Sur l'ambition, 2), p.220, Mercure de France T. 4, Mars 1892)
L'ambition est le ressort du monde, et c'est l'envie qui le tend.
(Petits aphorismes (Sur l'ambition, 3), p.220, Mercure de France T. 4, Mars 1892)
On ambitionne ce qu'on croit mériter ; on envie ce qu'on sait ne pas mériter ; on jalouse ce qu'on mérite sans pouvoir l'atteindre. Des trois, c'est l'ambition qui a les plus hautes visées.
(Petits aphorismes (Sur l'ambition, 4), p.220, Mercure de France T. 4, Mars 1892)
Celui qui se dit dépourvu d'ambition a, au moins, celle d'être plus sage que les autres.
(Petits aphorismes (Sur l'ambition, 5), p.220, Mercure de France T. 4, Mars 1892)
On ne dissimule son ambition que pour mieux s'en nourrir.
(Petits aphorismes (Sur l'ambition, 6), p.220, Mercure de France T. 4, Mars 1892)
Si l'amour-propre redresse les hommes, l'ambition se charge de les courber.
(Petits aphorismes (Sur l'ambition, 7), p.220, Mercure de France T. 4, Mars 1892)
Les trois grandes puissances de l'homme sont : l'ambition, l'amour-propre et l'intérêt.
(Petits aphorismes (Sur l'intérêt, 1), p.220, Mercure de France T. 4, Mars 1892)
L'homme atteint son maximum d'énergie par la triple alliance de l'ambition, de l'amour-propre et de l'intérêt.
(Petits aphorismes (Sur l'intérêt, 2), p.220, Mercure de France T. 4, Mars 1892)
Il est rare que l'ambition, l'amour-propre et l'intérêt ne se fassent pas par échec mutuellement.
(Petits aphorismes (Sur l'intérêt, 3), p.220, Mercure de France T. 4, Mars 1892)
Au grand soleil de l'intérêt, toutes les hypocrisies fondent comme des masques de cire.
(Petits aphorismes (Sur l'intérêt, 4), p.221, Mercure de France T. 4, Mars 1892)
Nos actions, même nos actions généreuses, ne sont le plus souvent que des spéculations : et, comme à la Bourse, nous en espérons la plus-value.
(Petits aphorismes (Sur l'intérêt, 5), p.221, Mercure de France T. 4, Mars 1892)
Nous négligeons volontiers nos intérêts, lorsque nous avons un intérêt supérieur à faire preuve de désintéressement.
(Petits aphorismes (Sur l'intérêt, 6), p.221, Mercure de France T. 4, Mars 1892)
Tout se réduit au plaisir. L'intérêt n'est qu'une préparation de plaisir mise en conserve et accumulée.
(Petits aphorismes (Sur l'intérêt, 7), p.221, Mercure de France T. 4, Mars 1892)
Nous ne nous occupons jamais des autres qu'en tant qu'ils nous intéressent. Le véritable désintéressement serait de nous occuper de ceux qui ne nous intéressent pas.
(Petits aphorismes (Sur l'intérêt, 8), p.221, Mercure de France T. 4, Mars 1892)
Ce sont ceux qui vivent le plus des autres qui se plaignent le plus fort de leur égoïsme.
(Petits aphorismes (Sur l'intérêt, 9), p.221, Mercure de France T. 4, Mars 1892)
La philanthropie nuit aux hommes en leur donnant à penser qu'ils peuvent compter sur d'autres que sur eux-mêmes.
(Petits aphorismes (Sur l'intérêt, 10), p.221, Mercure de France T. 4, Mars 1892)
L'argent n'est pas le bonheur, c'est certain : mais, en dehors des conditions qui échappent par nature à l 'effort humain, l'argent est la plus importante des conditions du bonheur.
(Petits aphorismes (De l'argent, 1), p.221, Mercure de France T. 4, Mars 1892)
Médire de l'argent, c'est témoigner qu'au cas échéant on ne saurait pas en faire usage.
(Petits aphorismes (De l'argent, 2), p.221, Mercure de France T. 4, Mars 1892)
L'argent est le dieu du jour. Cela vaut toujours mieux que la noblesse ou que la gloire : c'est palpable.
(Petits aphorismes (De l'argent, 3), p.221, Mercure de France T. 4, Mars 1892)
- J'aime l'argent.
- Homme vulgaire !
- J'ai de l'argent.
- Homme sublime !
(Petits aphorismes (De l'argent, 4), p.222, Mercure de France T. 4, Mars 1892)
La fortune qui vient aux faibles ne leur inspire par meilleure confiance en eux-mêmes ; mais elle inspire aux autres la précaution d'abuser moins de leur faiblesse.
(Petits aphorismes (De l'argent, 5), p.222, Mercure de France T. 4, Mars 1892)
L'argent hérité est plus noble que l'argent gagné.
(Petits aphorismes (De l'argent, 6), p.222, Mercure de France T. 4, Mars 1892)
Un lingot d'or à la place du coeur vaut encore mieux qu'un caillou.
(Petits aphorismes (De l'argent, 7), p.222, Mercure de France T. 4, Mars 1892)
L'argent et l'opinion étant la constante préoccupation des hommes, les hommes se divisent en deux catégories : ceux qui s'attaquent d'abord à l'argent, pour arriver par lui à l'opinion ; ceux qui entreprennent d'abord l'opinion pour parvenir par elle à l'argent.
(Petits aphorismes (De l'argent, 8), p.222, Mercure de France T. 4, Mars 1892)
La plupart des filons seraient honnêtes, si leurs spéculations avaient réussi. De l'homme probe au filou, il n'y a souvent que la distance d'un coup d'audace.
(Petits aphorismes (De l'argent, 9), p.222, Mercure de France T. 4, Mars 1892)
On s'acharne sur ceux qui se sont laissé prendre, et ceux qui s'acharnent le plus sont ceux qui ne se sont pas laissé prendre.
(Petits aphorismes (De l'argent, 10), p.222, Mercure de France T. 4, Mars 1892)
L'inquiétude, en affaires, est une fâcheuse maladie ; c'est la conscience qui bat trop fort.
(Petits aphorismes (De l'argent, 11), p.222, Mercure de France T. 4, Mars 1892)
On a des palpitations de conscience, comme on a des palpitations de coeur. On ne peut pas plus être, dans le premier cas, un homme d'affaires, que, dans le second, un homme d'amour.
(Petits aphorismes (De l'argent, 12), p.222, Mercure de France T. 4, Mars 1892)
Le succès tient beaucoup aux circonstances, un peu à nous-mêmes et pas du tout à la valeur intrinsèque de nos oeuvres. Charlotte Corday tue Marat : et voilà célèbre à toute éternité, parce que c'est Marat qu'elle a tué. Le même meurtre - et il s'en est certainement commis des milliers de cet ordre - exécuté avec le même courage, sous l'empire des mêmes mobiles, sur quelque tyran domestique, serait resté profondément inconnu. Tel fait d'armes héroïque, ayant des témoins, devient la proie de la renommée ; sans témoins, et partant plus héroïque encore, il demeure ignoré. un pamphlet médiocre, bien lancé et venant à point, soulève un peuple et ruine un empire. Et parfois, dans quelque recoin poudreux de bibliothèque, nous découvrons de merveilleuses pages, dont l'auteur, parfaitement obscur, avait certainement plus de génie que douze de nos romanciers à la mode.
(Petits aphorismes (Sur le succès, 1), p.223, Mercure de France T. 4, Mars 1892)
Sans sa querelle avec les Jésuites, Pascal aurait-il été célèbre ? Et n'étant pas célèbre, aurait-on recueilli ses Pensées ? À quoi tient un grand homme ! Il s'est peut-être trouvé dans le monde beaucoup de Pascals qui n'ont jamais en l'occasion d'écrire.
(Petits aphorismes (Sur le succès, 2), p.223, Mercure de France T. 4, Mars 1892)
La renommée est une femme que certains encensent, que d'autres violent, mais qui ne fait jamais les avances.
(Petits aphorismes (Sur le succès, 3), p.223, Mercure de France T. 4, Mars 1892)
On est porté, quelquefois très haut, par le succès : mais, qu'il lâche prise, la chute est d'autant plus terrible, si l'on n'a pas d'ailes soi-même.
(Petits aphorismes (Sur le succès, 4), p.223, Mercure de France T. 4, Mars 1892)
Le succès précipite l'opinion de ceux qui n'en ont pas.
(Petits aphorismes (Sur le succès, 5), p.223, Mercure de France T. 4, Mars 1892)
L'opinion publique est comme un de ces vieux chevaux rétifs, qu'on ne fait lever qu'à grands coups de fouet, mais qui, une fois partis, prennent le mors aux dents.
(Petits aphorismes (Sur le succès, 6), p.224, Mercure de France T. 4, Mars 1892)
Le public, qui fait les renommées, n'en acquiert pas une bien bonne à ce jeu-là.
(Petits aphorismes (Sur le succès, 7), p.224, Mercure de France T. 4, Mars 1892)
L'opinion publique juge, mais pas en dernier ressort.
(Petits aphorismes (Sur le succès, 8), p.224, Mercure de France T. 4, Mars 1892)
Pactiser avec la sottise est le meilleur moyen de s'assurer le succès et de s'interdire la gloire.
(Petits aphorismes (Sur le succès, 9), p.224, Mercure de France T. 4, Mars 1892)
La véritable prééminence s'impose d'en haut et ne s'élève pas d'en bas.
(Petits aphorismes (Sur le succès, 10), p.224, Mercure de France T. 4, Mars 1892)
Le succès est la raison de ceux qui agissent sans raison.
(Petits aphorismes (Sur le succès, 11), p.224, Mercure de France T. 4, Mars 1892)
Il ne faut jamais se reposer sur ses lauriers : ce n'est pas un siège bien solide.
(Petits aphorismes (Sur le succès, 12), p.224, Mercure de France T. 4, Mars 1892)
Il faut déguster la gloire comme les vins, par petites lampées, qu'on recherche aussitôt de peur de s'enivrer.
(Petits aphorismes (Sur le succès, 13), p.224, Mercure de France T. 4, Mars 1892)
La gloire s'abat sur certains comme un coup de massue qui les assomme.
(Petits aphorismes (Sur le succès, 14), p.224, Mercure de France T. 4, Mars 1892)
Les sentiers les moins fréquentés sont toujours les plus pénibles et ne sont pas toujours les plus glorieux.
(Petits aphorismes (Sur le succès, 15), p.224, Mercure de France T. 4, Mars 1892)
Les succès d'amour ont ce désavantage sur les autres qu'il est défendu de s'en faire gloire.
(Petits aphorismes (Sur le succès, 16), p.224, Mercure de France T. 4, Mars 1892)
Un galant homme ne publie jamais ses succès d'amour, mais il pousse rarement la galanterie jusqu'à ne pas les laisser deviner.
(Petits aphorismes (Sur le succès, 17), p.224, Mercure de France T. 4, Mars 1892)
Nous recherchons les hommages non pour ce qu'ils valent, mais pour ce qu'ils nous font valoir.
(Petits aphorismes (Sur le succès, 18), p.225, Mercure de France T. 4, Mars 1892)
- Le succès a dépassé mes espérances.
- Vous vous en jugez donc indigne ?
- Monsieur !
(Petits aphorismes (Sur le succès, 19), p.225, Mercure de France T. 4, Mars 1892)
Nous préférons triompher nous-mêmes avec les idées des autres, que de voir nos idées triompher avec les autres.
(Petits aphorismes (Sur le succès, 20), p.225, Mercure de France T. 4, Mars 1892)
Il y a des hommes assez jaloux pour que leur propre succès leur soit gâté par l'idée de ce qu'ils en doivent à ceux qui y ont travaillé.
(Petits aphorismes (Sur le succès, 21), p.225, Mercure de France T. 4, Mars 1892)
Nous voyons dans le succès des autres une injustice à notre égard.
(Petits aphorismes (Sur le succès, 22), p.225, Mercure de France T. 4, Mars 1892)
Une injustice dont nous profitons s'appelle de la chance ; une injustice dont un autre profite s'appelle un scandale.
(Petits aphorismes (Sur le succès, 23), p.225, Mercure de France T. 4, Mars 1892)
On pardonne tout à l'homme qui a de la chance, sauf sa chance.
(Petits aphorismes (Sur le succès, 24), p.225, Mercure de France T. 4, Mars 1892)
Nous démêlons mal notre mérite de notre chance, et tout cela s'amalgame pour former notre fortune.
(Petits aphorismes (Sur le succès, 25), p.225, Mercure de France T. 4, Mars 1892)
La chance vaut sans le mérite ; le mérite ne vaut rien sans la chance.
(Petits aphorismes (Sur le succès, 26), p.225, Mercure de France T. 4, Mars 1892)
Il semble que la gloire soit une femme publique, dont chacun voudrait faire sa femme légitime.
(Petits aphorismes (Sur le succès, 27), p.225, Mercure de France T. 4, Mars 1892)
La gloire posthume vient à point pour qui sait attendre.
(Petits aphorismes (Sur le succès, 28), p.225, Mercure de France T. 4, Mars 1892)
On n'aime vraiment une femme que quand on ne la connaît pas ; on ne la connaît que quand on ne l'aime plus.
(Petits aphorismes (Sur les femmes, 1), p.329, Mercure de France T. 4, Avril 1892)
Il ne faut point étudier la femme par l'analyse, mais par la synthèse. Tout ce qu'on met en elle, elle l'est ; rien de ce qu'on cherche en elle ne s'y trouve.
(Petits aphorismes (Sur les femmes, 2), p.329, Mercure de France T. 4, Avril 1892)
Il n'y a ni à comprendre, ni à connaître la femme : il n'y a qu'à la goûter.
(Petits aphorismes (Sur les femmes, 3), p.329, Mercure de France T. 4, Avril 1892)
Il faut se méfier d'une femme, si on ne l'aime pas, avoir confiance en elle, si on l'aime. Ce n'est pas très sûr, mais le bonheur en dépend. Si l'on veut être en sûreté, il vaut mieux ne pas aimer.
(Petits aphorismes (Sur les femmes, 4), p.329, Mercure de France T. 4, Avril 1892)
Avec les femmes dont on ne peut rien espérer, un brin de cour est néanmoins utile : elles savent gré du sentiment qu'elles provoquent et du respect qu'elles inspirent.
(Petits aphorismes (Sur les femmes, 5), p.329, Mercure de France T. 4, Avril 1892)
Une femme veut toujours être courtisée, même lorsqu'elle est décidée à n'y faire aucune attention.
(Petits aphorismes (Sur les femmes, 6), p.329, Mercure de France T. 4, Avril 1892)
Faites la cour, sans la compromettre, à une femme qui peut vous être utile, compromettez, sans lui faire la cour, une femme qui peut vous nuire.
(Petits aphorismes (Sur les femmes, 7), p.329, Mercure de France T. 4, Avril 1892)
Comme pour une place forte, il y a trois manières de prendre une femme : l'assaut, la ruse, la famine.
(Petits aphorismes (Sur les femmes, 8), p.329, Mercure de France T. 4, Avril 1892)
Une femme doit laver matin et soir son corps d'eau fraîche et son âme de grâce.
(Petits aphorismes (Sur les femmes, 9), p.330, Mercure de France T. 4, Avril 1892)
Le sentiment le plus exquis de la femme, la pudeur, est trop proche parent de son défaut le plus répugnant, la pudibonderie.
(Petits aphorismes (Sur les femmes, 10), p.330, Mercure de France T. 4, Avril 1892)
Une femme doit avoir de l'esprit sur les lèvres et de la naïveté dans le coeur.
(Petits aphorismes (Sur les femmes, 11), p.330, Mercure de France T. 4, Avril 1892)
La piété sied aux femmes, à condition qu'elles restent mystiques dans l'amour.
(Petits aphorismes (Sur les femmes, 12), p.330, Mercure de France T. 4, Avril 1892)
Les femmes sont comme les oiseaux : elles charment si ce sont des rossignols, elles agacent si ce sont des pies.
(Petits aphorismes (Sur les femmes, 13), p.330, Mercure de France T. 4, Avril 1892)
Il y a des femmes qui sont des fleurs sans parfum, et d'autres des parfums sans fleur.
(Petits aphorismes (Sur les femmes, 14), p.330, Mercure de France T. 4, Avril 1892)
Une jolie femme a beaucoup à faire pour obtenir les suffrages des femmes, et une laide pour obtenir ceux des hommes.
(Petits aphorismes (Sur les femmes, 15), p.330, Mercure de France T. 4, Avril 1892)
La laideur n'est pas un vice : c'est une tare.
(Petits aphorismes (Sur les femmes, 16), p.330, Mercure de France T. 4, Avril 1892)
Savoir porter la laideur est un grand art chez une femme ; c'est plus qu'un art, c'est une vertu.
(Petits aphorismes (Sur les femmes, 17), p.330, Mercure de France T. 4, Avril 1892)
Les vieilles femmes sont déplaisantes non parce qu'elles ne sont plus jeunes, mais parce qu'elles font trop sentir qu'elles ont été jeunes.
(Petits aphorismes (Sur les femmes, 18), p.330, Mercure de France T. 4, Avril 1892)
Les femmes aiment les compliments comme les bonbons : pour les mettre sur le devant de leur loge et les manger en public.
(Petits aphorismes (Sur les femmes, 19), p.330, Mercure de France T. 4, Avril 1892)
Avec les femmes, il faut toujours voir plus bas. Quand elles disent ;: J'ai mal à la tête, comprenez : J'ai mal au coeur ; et quand elles disent : J'ai mal à l'estomac, traduisez....
(Petits aphorismes (Sur les femmes, 20), p.330, Mercure de France T. 4, Avril 1892)
Quand une femme trompe son mari, elle le hait quelquefois ; quand elle trompe son amant, elle le hait toujours.
(Petits aphorismes (Sur les femmes, 21), p.331, Mercure de France T. 4, Avril 1892)
Une femme enceinte n'est plus une femme et n'est pas encore une mère : ce n'est plus qu'une femelle.
(Petits aphorismes (Sur les femmes, 22), p.331, Mercure de France T. 4, Avril 1892)
Les plus sottes en savent encore beaucoup plus qu'on ne croit : les plus spirituelles, par contre, en savent si peu, que l'on reste stupéfait lorsqu'on va au fond de leur esprit.
(Petits aphorismes (Sur les femmes, 23), p.331, Mercure de France T. 4, Avril 1892)
Beaucoup d'hommes apprécient plus la grâce que la beauté, la coquetterie que la grâce, l'effronterie que la coquetterie, l'impudence que l'effronterie, la perversité que l'impudence.
(Petits aphorismes (Sur les femmes, 24), p.331, Mercure de France T. 4, Avril 1892)
Les hommes qui ont l'habitude des femmes honnêtes sont timides auprès des femmes galantes et n'osent rien leur proposer ; ceux qui fréquentent les femmes galantes osent tout proposer aux femmes honnêtes : les seconds seuls savent vivre.
(Petits aphorismes (Sur les femmes, 25), p.331, Mercure de France T. 4, Avril 1892)
Tel se venge des femmes par le mépris. Qui s'en vengera par le silence ?
(Petits aphorismes (Sur les femmes, 26), p.331, Mercure de France T. 4, Avril 1892)
L'amour est la plus noble des passions : mais les passions sont les moins nobles des facultés de l'âme.
(Petits aphorismes (Sur l'amour, 1), p.331, Mercure de France T. 4, Avril 1892)
L'amour étant de toutes les passions celle qui affecte le plus l'humanité est aussi la plus mal connue.
(Petits aphorismes (Sur l'amour, 2), p.331, Mercure de France T. 4, Avril 1892)
Il y a deux modes dans l'amour : le corps et l'âme. Il n'y a qu'une substance : la vie.
(Petits aphorismes (Sur l'amour, 3), p.332, Mercure de France T. 4, Avril 1892)
L'amour ne rend pas meilleur, il rend autre.
(Petits aphorismes (Sur l'amour, 4), p.332, Mercure de France T. 4, Avril 1892)
Il y a plus à gagner à aimer ; il y a moins à perdre à ne pas aimer.
(Petits aphorismes (Sur l'amour, 5), p.332, Mercure de France T. 4, Avril 1892)
L'incertitude du coeur est l'aléa de l'amour : c'est sans doute ce qui fait qu'on se passionne de ce jeu-là.
(Petits aphorismes (Sur l'amour, 6), p.332, Mercure de France T. 4, Avril 1892)
L'amour de la gloire est si grand que, lorsque tout nous échappe, nous nous donnons au moins la gloire de l'amour.
(Petits aphorismes (Sur l'amour, 7), p.332, Mercure de France T. 4, Avril 1892)
La pitié, l'honnêteté, l'inertie jouent un grand rôle dans l'amour. Si on brisait là dès qu'on n'aime plus, il n'y aurait guère d'unions durables. La séparation est une mesure extrême motivée non par l'épuisement de l'amour, mais par l'engendrement de la haine.
(Petits aphorismes (Sur l'amour, 8), p.332, Mercure de France T. 4, Avril 1892)
On aime rarement ceux qu'on a intérêt à aimer.
(Petits aphorismes (Sur l'amour, 9), p.332, Mercure de France T. 4, Avril 1892)
Quand on mêle le devoir à l'amour, l'idée du devoir finit par absorber l'idée de l'amour.
(Petits aphorismes (Sur l'amour, 10), p.332, Mercure de France T. 4, Avril 1892)
Lorsqu'on fait valoir ses droits à être aimé, c'est que déjà on n'est pas aimé.
(Petits aphorismes (Sur l'amour, 11), p.332, Mercure de France T. 4, Avril 1892)
La tyrannie de l'amour ne se fait jamais plus sentir que lorsqu'il n'y a plus d'amour.
(Petits aphorismes (Sur l'amour, 12), p.332, Mercure de France T. 4, Avril 1892)
L'amour doit être l'Alphée de ces écuries d'Augias, les sens.
(Petits aphorismes (Sur l'amour, 13), p.332, Mercure de France T. 4, Avril 1892)
La poésie et la physiologie sont les deux pôles de l'amour.
(Petits aphorismes (Sur l'amour, 14), p.332, Mercure de France T. 4, Avril 1892)
En amour, comme dans beaucoup de maladies, une rechute est toujours grave.
(Petits aphorismes (Sur l'amour, 15), p.332, Mercure de France T. 4, Avril 1892)
Pour être très fort en amour deux conditions sont nécessaires : espérer tout et n'ignorer rien.
(Petits aphorismes (Sur l'amour, 16), p.333, Mercure de France T. 4, Avril 1892)
La jalousie est une passion de même ordre que l'avarice.
(Petits aphorismes (Sur l'amour, 17), p.333, Mercure de France T. 4, Avril 1892)
Il n'y a pas de femmes dangereuses pour les aveugles : il n'y a pas d'hommes dangereux pour les sourdes.
(Petits aphorismes (Sur l'amour, 18), p.333, Mercure de France T. 4, Avril 1892)
Les hommes en racontent beaucoup plus qu'ils n'en ont fait, et les femmes beaucoup moins.
(Petits aphorismes (Sur l'amour, 19), p.333, Mercure de France T. 4, Avril 1892)
Les hommes aiment à se vanter d'avoir possédé un grand nombre de femmes, sans en avoir jamais aimé ; les femmes d'avoir été aimées par un grand nombre d'hommes, sans avoir jamais cédé.
(Petits aphorismes (Sur l'amour, 20), p.333, Mercure de France T. 4, Avril 1892)
La femme a l'imagination des sens, et l'homme la sensualité de l'imagination.
(Petits aphorismes (Sur l'amour, 21), p.333, Mercure de France T. 4, Avril 1892)
Les femmes sont plus savantes, et les hommes plus expérimentés.
(Petits aphorismes (Sur l'amour, 22), p.333, Mercure de France T. 4, Avril 1892)
Tout l'art de l'amour consiste pour l'homme à deviner la femme, pour la femme à comprendre l'homme.
(Petits aphorismes (Sur l'amour, 23), p.333, Mercure de France T. 4, Avril 1892)
L'homme est un mystère pour la femme, la femme une énigme pour l'homme.
(Petits aphorismes (Sur l'amour, 24), p.333, Mercure de France T. 4, Avril 1892)
À cette chose si simple et si naturelle, l'amour, l'homme a substitué cette machinerie compliquée et encombrante, le mariage. Comme on reconnaît bien là l'inventeur de la jurisprudence, de l'administration, de la nationalité, et celui dont une des plus vieilles légendes est le lit de Procuste !
(Petits aphorismes (Sur le mariage, 1), p.333, Mercure de France T. 4, Avril 1892)
Le mariage, comme la loterie, est une de ces choses où il est prouvé que l'on est fatalement mis dedans, et où l'on se laisse toujours prendre.
(Petits aphorismes (Sur le mariage, 2), p.334, Mercure de France T. 4, Avril 1892)
Le mariage est un esclavage, quelquefois de l'un des époux vis-à-vis de l'autre, le plus souvent de tous deux vis-à-vis de la société.
(Petits aphorismes (Sur le mariage, 3), p.334, Mercure de France T. 4, Avril 1892)
Le mariage est un gage sur lequel on cherche à emprunter de l'amour.
(Petits aphorismes (Sur le mariage, 4), p.334, Mercure de France T. 4, Avril 1892)
Le mariage est un moyen terme entre l'amour et la chasteté.
(Petits aphorismes (Sur le mariage, 5), p.334, Mercure de France T. 4, Avril 1892)
Si l'on pouvait essayer de vingt femmes, avant de se marier, on finirait peut-être par trouver celle qu'il faut : mais l'enthousiasme n'y serait plus.
(Petits aphorismes (Sur le mariage, 6), p.334, Mercure de France T. 4, Avril 1892)
Le mariage rompt de pernicieuses habitudes pour en faire contracter de déprimantes.
(Petits aphorismes (Sur le mariage, 7), p.334, Mercure de France T. 4, Avril 1892)
Les laides renoncent à l'amour : elles ne renoncent pas au mariage.
(Petits aphorismes (Sur le mariage, 8), p.334, Mercure de France T. 4, Avril 1892)
- Êtes-vous heureux en ménage ?
- Autant qu'on peut l'être.
Réponse banale qui en dit long sur les joies du mariage.
(Petits aphorismes (Sur le mariage, 9), p.334, Mercure de France T. 4, Avril 1892)
« Ils furent heureux et ils eurent beaucoup d'enfants. »
Ces deux propositions ne jurent-elles pas de se voir accouplées ?
(Petits aphorismes (Sur le mariage, 10), p.334, Mercure de France T. 4, Avril 1892)
Contre la communauté des femmes, je lis dans Épictète cette maxime :
« Le théâtre est commun à tous les citoyens, mais sitôt que les places sont prises, tu ne peux ni ne dois déplacer ton voisin pour te mettre à sa place. Les femmes sont communes de même, mais sitôt que le législateur les a distribuées et qu'elles ont chacune leur mari, en bonne foi, n'est-il pas permis de ne pas te contenter de la tienne et de prendre celle de ton voisin ? »
J'aime cette comparaison parce qu'elle va à fin contraire de ce qu'elle veut prouver : les femmes sont à qui les paie, et telle qui a été prise par autrui la veille peut-être occupée par toi le lendemain.
(Petits aphorismes (Sur le mariage, 11), p.334, Mercure de France T. 4, Avril 1892)
Le mariage est une prison dont les portes sont toujours ouvertes sur l'adultère.
(Petits aphorismes (Sur le mariage, 12), p.335, Mercure de France T. 4, Avril 1892)
Un mari trompé sera toujours ridicule, pour avoir cru que la protection des lois était efficace là où il était incapable de se protéger lui-même.
(Petits aphorismes (Sur le mariage, 13), p.335, Mercure de France T. 4, Avril 1892)
Il y a des cas de fidélité, comme il y a des cas de diplosomie.
(Petits aphorismes (Sur le mariage, 14), p.335, Mercure de France T. 4, Avril 1892)
On n'est pas toujours le fils de son père, mais on est toujours le père de son fils.
(Petits aphorismes (Sur le mariage, 15), p.335, Mercure de France T. 4, Avril 1892)
Comment se fait-il qu'on soit moralement obligé d'épouser une jeune fille que l'on a séduite, et légalement empêché d'offir la même réparation à une femme que l'on a compromise et contre qui, par suite, son mari a fait prononcer le divorce ?
(Petits aphorismes (Sur le mariage, 16), p.335, Mercure de France T. 4, Avril 1892)
Le divorce est un remède qui a plus d'un caractère commun avec l'amputation, entre autres celui-ci : on a souvent mal au membre qu'on n'a plus.
(Petits aphorismes (Sur le mariage, 17), p.335, Mercure de France T. 4, Avril 1892)
Le coeur est un levier puissant que doit mettre en oeuvre la raison.
(Petits aphorismes (Sur la sensibilité, 1), p.54, Mercure de France T. 5, Mai 1892)
Rien n'est si dangereux qu'un homme de coeur qui a des idées fausses.
(Petits aphorismes (Sur la sensibilité, 2), p.54, Mercure de France T. 5, Mai 1892)
Le coeur, c'est l'enthousiasme : c'est aussi le fanatisme.
(Petits aphorismes (Sur la sensibilité, 3), p.54, Mercure de France T. 5, Mai 1892)
Le coeur est un volcan, dangereux quand il est en activité, laid quand il est éteint.
(Petits aphorismes (Sur la sensibilité, 4), p.54, Mercure de France T. 5, Mai 1892)
Le coeur donne quelquefois de l'esprit ; l'esprit ne donne jamais du coeur.
(Petits aphorismes (Sur la sensibilité, 5), p.54, Mercure de France T. 5, Mai 1892)
Il ne suffit pas que le coeur soit d'or : il faut encore qu'il soit délicatement ouvré.
(Petits aphorismes (Sur la sensibilité, 6), p.54, Mercure de France T. 5, Mai 1892)
Trop de raisons jette sur tous les sentiments une disgrâce.
(Petits aphorismes (Sur la sensibilité, 7), p.54, Mercure de France T. 5, Mai 1892)
Les contradictions du coeur n'en sont pas.
(Petits aphorismes (Sur la sensibilité, 8), p.54, Mercure de France T. 5, Mai 1892)
Notre coeur nous emporte au large ; notre raison nous retient sur le rivage. De là tant de naufrages pour le coeur et tant de dépendances pour la raison.
(Petits aphorismes (Sur la sensibilité, 9), p.54, Mercure de France T. 5, Mai 1892)
L'égoïsme du coeur est le plus noble de tous les égoïsmes : mais c'est aussi le plus tyrannique.
(Petits aphorismes (Sur la sensibilité, 10), p.54, Mercure de France T. 5, Mai 1892)
L'incrédulité du coeur est un vice, le coeur étant fait pour être crédule, comme l'esprit pour ne l'être pas.
(Petits aphorismes (Sur la sensibilité, 11), p.54, Mercure de France T. 5, Mai 1892)
La beauté d'un sentiment nous illusionne souvent sur sa légitimité.
(Petits aphorismes (Sur la sensibilité, 12), p.55, Mercure de France T. 5, Mai 1892)
Le coeur est un organe essentiellement lâche, qu'il soit ouvert ou qu'il soit fermé.
(Petits aphorismes (Sur la sensibilité, 13), p.55, Mercure de France T. 5, Mai 1892)
Une excessive sensibilité témoigne plus de nerfs malades que de délicatesse de coeur.
(Petits aphorismes (Sur la sensibilité, 14), p.55, Mercure de France T. 5, Mai 1892)
Les personnes qui s'émeuvent facilement n'ont pas plus de coeur que les autres : elles l'ont plus mou.
(Petits aphorismes (Sur la sensibilité, 15), p.55, Mercure de France T. 5, Mai 1892)
Il y a souvent, chez les personnes d'extérieur froid, une émotion intérieure d'autant plus violente qu'elle est comprimée.
(Petits aphorismes (Sur la sensibilité, 16), p.55, Mercure de France T. 5, Mai 1892)
Celui qui s'émeut de tout ignore les émotions.
(Petits aphorismes (Sur la sensibilité, 17), p.55, Mercure de France T. 5, Mai 1892)
L'impassibilité est une force, à condition qu'elle ne se communique pas ; la sensibilité en est une autre, à condition qu'elle se communique.
(Petits aphorismes (Sur la sensibilité, 18), p.55, Mercure de France T. 5, Mai 1892)
Pour réussir, il faut parler avec le coeur et agir sans lui.
(Petits aphorismes (Sur la sensibilité, 19), p.55, Mercure de France T. 5, Mai 1892)
Le degré d'émotion auquel un homme amène une foule est en raison directe de son sang-froid.
(Petits aphorismes (Sur la sensibilité, 20), p.55, Mercure de France T. 5, Mai 1892)
L'évolution du sentiment chez le sage : égoïsme, amour de la famille, patriotisme, amour de la civilisation, amour de l'humanité, détachement de la civilisation, détachement de la patrie, détachement de la famille, détachement de soi-même.
(Petits aphorismes (Sur la sensibilité, 21), p.55, Mercure de France T. 5, Mai 1892)
L'indépendance du coeur est le triomphe de l'égoïsme.
(Petits aphorismes (Sur la sensibilité, 22), p.55, Mercure de France T. 5, Mai 1892)
Ce qu'on nomme indifférence n'est que l'accaparement de l'âme par un objet au détriment de tout le reste.
(Petits aphorismes (Sur la sensibilité, 23), p.55, Mercure de France T. 5, Mai 1892)
Le coeur a ses prodigues et ses avares ; il a aussi ses économistes qui le discutent comme un budget.
(Petits aphorismes (Sur la sensibilité, 24), p.56, Mercure de France T. 5, Mai 1892)
Quelques-uns font carrière par l'élégie ; ils savent pincer adroitement leur coeur, jusqu'à lui faire pousser des cris de douleur.
(Petits aphorismes (Sur la sensibilité, 25), p.56, Mercure de France T. 5, Mai 1892)
Les femmes sensibles se donnent facilement et se reprennent de même.
(Petits aphorismes (Sur la sensibilité, 26), p.56, Mercure de France T. 5, Mai 1892)
Rien n'est moins digne de sympathie qu'une sensibilité qui n'est pas doublée de charité.
(Petits aphorismes (Sur la sensibilité, 27), p.56, Mercure de France T. 5, Mai 1892)
Les égoïstes de la sensibilité agacent plus qu'ils n'émeuvent.
(Petits aphorismes (Sur la sensibilité, 28), p.56, Mercure de France T. 5, Mai 1892)
Les larmes ne viennent jamais des couches profondes du coeur.
(Petits aphorismes (Sur la sensibilité, 29), p.56, Mercure de France T. 5, Mai 1892)
Les détresses du coeur sont des faiblesses de l'âme.
(Petits aphorismes (Sur la sensibilité, 30), p.56, Mercure de France T. 5, Mai 1892)
Pour ne pas se perdre dans le labyrinthe du coeur, il faut ce fil d'Ariane : le mépris.
(Petits aphorismes (Sur la sensibilité, 31), p.56, Mercure de France T. 5, Mai 1892)
Mépriser les souffrances du coeur ne veut pas dire ne pas souffrir, mais garder son sang-froid dans la souffrance.
(Petits aphorismes (Sur la sensibilité, 32), p.56, Mercure de France T. 5, Mai 1892)
Les souffrances du coeur ne doivent faire crier qu'élégamment.
(Petits aphorismes (Sur la sensibilité, 33), p.56, Mercure de France T. 5, Mai 1892)
Un coeur éprouvé se barde d'un triple airain : mais souvent cet airain ne recouvre plus qu'un cadavre.
(Petits aphorismes (Sur la sensibilité, 34), p.56, Mercure de France T. 5, Mai 1892)
On s'aperçoit du mal à son actualité et du bien à sa virtualité.
(Petits aphorismes (Sur le bien, 1), p.135, Mercure de France T. 5, Juin 1892)
Nous pensons au bien sans le faire ; nous faisons le mal sans y penser.
(Petits aphorismes (Sur le bien, 2), p.135, Mercure de France T. 5, Juin 1892)
Faire le bien n'est pas tout : il faut le bien faire.
(Petits aphorismes (Sur le bien, 3), p.135, Mercure de France T. 5, Juin 1892)
L'abîme qui sépare le bien et le mal est aisément comblé par l'intérêt.
(Petits aphorismes (Sur le bien, 4), p.135, Mercure de France T. 5, Juin 1892)
Il n'y a aucun mérite à faire le bien, lorsqu'on n'a pas d'intérêt à faire le mal.
(Petits aphorismes (Sur le bien, 5), p.135, Mercure de France T. 5, Juin 1892)
On se repent d'une mauvaise action, lorsqu'elle a été inutile.
(Petits aphorismes (Sur le bien, 6), p.135, Mercure de France T. 5, Juin 1892)
Nous faisons le bien avec un grand plaisir, lorsqu'il est dans notre intérêt de le faire.
(Petits aphorismes (Sur le bien, 7), p.135, Mercure de France T. 5, Juin 1892)
Le bien que l'on fait par intérêt est-il moins du bien que l'autre ?
(Petits aphorismes (Sur le bien, 8), p.135, Mercure de France T. 5, Juin 1892)
Ce qui prouve que l'homme est bon, c'est qu'il lui arrive de faire le bien sans que son intérêt l'y pousse ; jamais le mal.
(Petits aphorismes (Sur le bien, 9), p.135, Mercure de France T. 5, Juin 1892)
Il y a trois manières de faire le bien : avec intérêt, sans intérêt, contre l'intérêt. La première seule rend parfaitement heureux.
(Petits aphorismes (Sur le bien, 10), p.135, Mercure de France T. 5, Juin 1892)
Plus on fait le bien d'une façon désintéressée, plus on est sensible à l'ingratitude.
(Petits aphorismes (Sur le bien, 11), p.135, Mercure de France T. 5, Juin 1892)
La sympathie va aux faibles bien plus parce qu'ils sont impuissants que parce qu'ils sont malheureux.
(Petits aphorismes (Sur le bien, 12), p.136, Mercure de France T. 5, Juin 1892)
Se dévouer pour son prochain est d'un noble coeur et d'un petit esprit.
(Petits aphorismes (Sur le bien, 13), p.136, Mercure de France T. 5, Juin 1892)
La vertu est un gâteau un peu lourd pour les estomacs modernes et dont on fait bien de ne prendre qu'une tranche.
(Petits aphorismes (Sur le bien, 14), p.136, Mercure de France T. 5, Juin 1892)
La charité dépasse le jugement. Ce sentiment est si beau, que, fût-il le plus déraisonnable de tous, on ne devrait se lasser de l'admirer.
(Petits aphorismes (Sur la charité, 1), p.136, Mercure de France T. 5, Juin 1892)
Ne recherchez jamais la part d'ostentation, d'intérêt ou d'hypocrisie qui se glisse dans la charité : ce serait ravager le champ de roses sous prétexte d'en reconnaître l'engrais.
(Petits aphorismes (Sur la charité, 2), p.136, Mercure de France T. 5, Juin 1892)
Les charités diffèrent de la charité comme les amours de l'amour.
(Petits aphorismes (Sur la charité, 3), p.136, Mercure de France T. 5, Juin 1892)
L'amour est une passion ; la charité est une vertu. La charité n'est donc point l'amour de l'humanité. C'en serait plutôt la pitié, si l'on tient compte toutefois que la pitié n'est que le côté négatif de la charité.
(Petits aphorismes (Sur la charité, 4), p.136, Mercure de France T. 5, Juin 1892)
Des trois vertus théologales l'humanité future ne retiendra qu'une seule : elle laissera la foi aux fous et l'espérance aux sots.
(Petits aphorismes (Sur la charité, 5), p.136, Mercure de France T. 5, Juin 1892)
On arrivera peut-être à sonder le coeur de l'homme ; mais ce ne sera pas le coeur d'un homme charitable.
(Petits aphorismes (Sur la charité, 6), p.136, Mercure de France T. 5, Juin 1892)
La dernière religion qui persistera sur le globe sera celle qui mit la charité le plus haut.
(Petits aphorismes (Sur la charité, 7), p.137, Mercure de France T. 5, Juin 1892)
La charité est triste. Quand la charité inonde le coeur d'une douce joie, elle cesse à ce moment d'être charité, pour devenir amour.
(Petits aphorismes (Sur la charité, 8), p.137, Mercure de France T. 5, Juin 1892)
L'invective soulage, mais il n'y a que le trait d'esprit qui venge.
(Petits aphorismes (Sur la vengeance, 1), p.137, Mercure de France T. 5, Juin 1892)
On se venge plus souvent pour les autres que pour soi.
(Petits aphorismes (Sur la vengeance, 2), p.137, Mercure de France T. 5, Juin 1892)
On ne convie guère le public à sa vengeance, lorsque l'insulte a trop bien porté.
(Petits aphorismes (Sur la vengeance, 3), p.137, Mercure de France T. 5, Juin 1892)
Il n'y a pas de vengeance là où celui qui se venge souffre.
(Petits aphorismes (Sur la vengeance, 4), p.137, Mercure de France T. 5, Juin 1892)
C'est à la manière de se venger qu'on reconnaît l'homme.
(Petits aphorismes (Sur la vengeance, 5), p.137, Mercure de France T. 5, Juin 1892)
Le sot se venge brutalement, l'homme d'esprit se venge avec raffinement,le chrétien se venge en pardonnant, le philosophe ne se venge pas.
(Petits aphorismes (Sur la vengeance, 6), p.137, Mercure de France T. 5, Juin 1892)
Il y a une certaine noblesse à se bien venger, lorsque la vengeance est difficile ; il y en a davantage à dédaigner la vengeance, lorsqu'elle est facile.
(Petits aphorismes (Sur la vengeance, 7), p.137, Mercure de France T. 5, Juin 1892)
Les souffrances de l'âme ennoblissent ; celles du corps dégradent. Affligé d'une colique, je me sens ravalé vers la brute ; tourmenté d'une responsabilité, je me rends mieux compte de ce qui m'en sépare. La douleur physique irrite tellement ma raison, que je préfère les plus énormes effondrements moraux à un simple mal de dents.
(Petits aphorismes (Sur la souffrance, 1), p.138, Mercure de France T. 5, Juin 1892)
On peut se prémunir contre la douleur morale par l'ablation du sens moral : contre la souffrance physique il n'y a pas d'ablation possible, sauf celle de la vie.
(Petits aphorismes (Sur la souffrance, 2), p.138, Mercure de France T. 5, Juin 1892)
Il est terrible de penser que les seuls moyens découverts jusqu'à présent par l'homme pour apaiser la souffrance, le chloroforme, l'opium, la morphine, l'hypnotisme, ne sont, en réalité, que des approximatifs de la mort.
(Petits aphorismes (Sur la souffrance, 3), p.138, Mercure de France T. 5, Juin 1892)
Bien des choses ne sont justes que dans la mesure où nous le décrétons. Nous avons même créé un mot pour indiquer ces choses qui sont justes sans l'être : le mot légal. Il est légal de posséder de l'argent sans l'avoir gagné ; il est légal que les enfants d'une femme aient un père et que ceux d'une autre n'en aient pas. Il est illégal, par contre, de se refuser à prendre les armes pour aller tuer son prochain de l'autre côté de la frontière.
(Petits aphorismes (Sur la justice, 1), p.213, Mercure de France T. 5, Juillet 1892)
La propriété n'est plus le vol : il y a prescription.
(Petits aphorismes (Sur la justice, 2), p.213, Mercure de France T. 5, Juillet 1892)
Il y a deux sortes d'inégalités : les inégalités artificielles et les inégalités naturelles. L'égalité consiste à supprimer les inégalités artificielles au profit des inégalités naturelles.
(Petits aphorismes (Sur la justice, 3), p.213, Mercure de France T. 5, Juillet 1892)
Nous jugeons des autres par leurs actions, de nous-mêmes par nos intentions.
(Petits aphorismes (Sur la justice, 4), p.213, Mercure de France T. 5, Juillet 1892)
Nous nous jugeons sur nos qualités ; les autres nous jugent sur nos défauts.
(Petits aphorismes (Sur la justice, 5), p.213, Mercure de France T. 5, Juillet 1892)
Nous ne pouvons nous juger du même oeil dont nous jugeons autrui : nous connaissons trop la façon naturelle dont s'agencent tous nos actes. Nous nous comprenons, et, partant, nous nous pardonnons.
(Petits aphorismes (Sur la justice, 6), p.213, Mercure de France T. 5, Juillet 1892)
Nous ne blâmerions jamais, si nous pouvions saisir chez les autres, comme en nous-mêmes, les moindres causes des actions.
(Petits aphorismes (Sur la justice, 7), p.213, Mercure de France T. 5, Juillet 1892)
On s'indigne bien souvent contre un acte qu'avec les circonstances on aurait commis soi-même.
(Petits aphorismes (Sur la justice, 8), p.214, Mercure de France T. 5, Juillet 1892)
L'indignation est toujours étagée sur l'ignorance.
(Petits aphorismes (Sur la justice, 9), p.214, Mercure de France T. 5, Juillet 1892)
Il n'y a de justice indubitable que celle que l'on exerce envers soi-même, et elle est toujours partiale.
(Petits aphorismes (Sur la justice, 10), p.214, Mercure de France T. 5, Juillet 1892)
On juge les hommes beaucoup plus mal qu'ils ne méritent, quoique chacun d'eux ait fait beaucoup plus de mal qu'on ne pense.
(Petits aphorismes (Sur la justice, 11), p.214, Mercure de France T. 5, Juillet 1892)
Nos fautes sont des pavés qui retombent le plus souvent sur la tête des autres.
(Petits aphorismes (Sur la justice, 12), p.214, Mercure de France T. 5, Juillet 1892)
Nous sommes plus portés à juger avec notre goût qu'avec notre raison.
(Petits aphorismes (Sur la justice, 13), p.214, Mercure de France T. 5, Juillet 1892)
Le premier devoir du moraliste, c'est d'oublier qu'il y a une morale.
(Petits aphorismes (Sur la justice, 14), p.214, Mercure de France T. 5, Juillet 1892)
Pour juger sainement, il ne faut pas partir des principes, mais des faits.
(Petits aphorismes (Sur la justice, 15), p.214, Mercure de France T. 5, Juillet 1892)
En morale, comme partout, il ne s'agit pas de juger, mais d'expliquer.
(Petits aphorismes (Sur la justice, 16), p.214, Mercure de France T. 5, Juillet 1892)
L'explication d'un crime satisfait bien plus l'esprit que sa condamnation ne satisfait la conscience.
(Petits aphorismes (Sur la justice, 17), p.214, Mercure de France T. 5, Juillet 1892)
La justice dégénère vite en vengeance, aussitôt que l'on perd de vue sa seule raison, la raison sociale.
(Petits aphorismes (Sur la justice, 18), p.214, Mercure de France T. 5, Juillet 1892)
Il est plus important de faire croire à la justice que de l'appliquer.
(Petits aphorismes (Sur la justice, 19), p.214, Mercure de France T. 5, Juillet 1892)
Érostrate était-il si fou que cela, lui qui brûlait le temple d'Éphèse pour laisser son nom à la postérité ? Et ne sommes-nous pas bien plus fous que lui, nous qui, dotés par la nature d'une conscience qui devrait être impérissable, la sacrifions si souvent à l'opinion commune ?
(Petits aphorismes (Sur la conscience, 1), p.215, Mercure de France T. 5, Juillet 1892)
Nous contentons notre conscience plus facilement que notre amour-propre.
(Petits aphorismes (Sur la conscience, 2), p.215, Mercure de France T. 5, Juillet 1892)
Il n'y a pas de conscience plus ou moins calme : il n'y a que plus ou moins de conscience.
(Petits aphorismes (Sur la conscience, 3), p.215, Mercure de France T. 5, Juillet 1892)
Les satisfactions de la conscience n'ont d'autre valeur que celle de la conscience elle-même. La conscience de Robespierre dut être satisfaite le jour où il eu fait guillotiner Danton.
(Petits aphorismes (Sur la conscience, 4), p.215, Mercure de France T. 5, Juillet 1892)
Les inquiétudes de la conscience sont les aphrodisiaques de l'âme.
(Petits aphorismes (Sur la conscience, 5), p.215, Mercure de France T. 5, Juillet 1892)
Les plus sensibles désillusions sont celles de l'amour-propre ; les plus cruelles, celles de la conscience.
(Petits aphorismes (Sur la conscience, 6), p.215, Mercure de France T. 5, Juillet 1892)
Les gens qui ne transigent jamais avec leur conscience ont une conscience bien proche parente de leur intérêt.
(Petits aphorismes (Sur la conscience, 7), p.215, Mercure de France T. 5, Juillet 1892)
Chacun se fait une morale à son usage personnel pour pouvoir, la conscience à l'aise, se livrer à ses petites malhonnêtetés.
(Petits aphorismes (Sur la conscience, 8), p.215, Mercure de France T. 5, Juillet 1892)
Lorsque l'on raisonne sur un cas de conscience, c'est un mauvais cas.
(Petits aphorismes (Sur la conscience, 9), p.215, Mercure de France T. 5, Juillet 1892)
La conscience est un juge qui accorde toujours des circonstances atténuantes. L'opinion en est un autre qui n'en accorde jamais.
(Petits aphorismes (Sur la conscience, 10), p.215, Mercure de France T. 5, Juillet 1892)
Ceux qui sont à cheval sur les principes savent très bien en descendre pour franchir à pied les mauvais pas.
(Petits aphorismes (Sur la conscience, 11), p.216, Mercure de France T. 5, Juillet 1892)
Une conscience trop scrupuleuse empêche parfois un honnête homme de devenir un grand homme.
(Petits aphorismes (Sur la conscience, 12), p.216, Mercure de France T. 5, Juillet 1892)
L'intégrité n'est la suprême habileté que quand on a l'habitude de la faire valoir.
(Petits aphorismes (Sur la conscience, 13), p.216, Mercure de France T. 5, Juillet 1892)
Le danger du crime teinte d'héroïsme certains criminels.
(Petits aphorismes (Sur la conscience, 14), p.216, Mercure de France T. 5, Juillet 1892)
Risquer sa vie pour un peu d'or ne sera jamais à la portée du premier venu.
(Petits aphorismes (Sur la conscience, 15), p.216, Mercure de France T. 5, Juillet 1892)
Le remords est une faiblesse qui perd certains criminels, une habileté qui en sauve d'autres.
(Petits aphorismes (Sur la conscience, 16), p.216, Mercure de France T. 5, Juillet 1892)
Les criminels à remords sont indignes du crime.
(Petits aphorismes (Sur la conscience, 17), p.216, Mercure de France T. 5, Juillet 1892)
Les gens capables d'éprouver du remords ne commettent généralement par de crimes.
(Petits aphorismes (Sur la conscience, 18), p.216, Mercure de France T. 5, Juillet 1892)
On voit des gens d'affaires commettre des faux pendant vingt ans et n'éprouver de remords que le jour où ils sont pris.
(Petits aphorismes (Sur la conscience, 19), p.216, Mercure de France T. 5, Juillet 1892)
La minute où le remords est le plus vif est la minute de la guillotine.
(Petits aphorismes (Sur la conscience, 20), p.216, Mercure de France T. 5, Juillet 1892)
La psychologie du crime serait sans doute intéressante, si le criminel n'était pas le plus souvent un être dénué de toute psychologie.
(Petits aphorismes (Sur la conscience, 21), p.216, Mercure de France T. 5, Juillet 1892)
L'honneur n'est autre chose que le cas qu'on fait de sa personne ; les fats en ont beaucoup, les modestes fort peu.
(Petits aphorismes (Sur l'honneur, 1), p.217, Mercure de France T. 5, Juillet 1892)
Il y a un faux honneur, qui est l'honneur, et un véritable, qui est l'honnêteté.
(Petits aphorismes (Sur l'honneur, 2), p.217, Mercure de France T. 5, Juillet 1892)
L'honneur est souvent entaché là où l'honnêteté ne l'est pas : le contraire se voit aussi.
(Petits aphorismes (Sur l'honneur, 3), p.217, Mercure de France T. 5, Juillet 1892)
L'honneur procède tellement de l'amour-propre, qu'on se demande s'il ne doit pas être rangé parmi les vices plutôt que parmi les vertus.
(Petits aphorismes (Sur l'honneur, 4), p.217, Mercure de France T. 5, Juillet 1892)
On est d'autant plus à cheval sur son honneur que l'on se tient plus mal en selle.
(Petits aphorismes (Sur l'honneur, 5), p.217, Mercure de France T. 5, Juillet 1892)
L'honneur doit être fait de l'estime que les autres ont pour nous, et non de celle en laquelle nous nous tenons nous-mêmes.
(Petits aphorismes (Sur l'honneur, 6), p.217, Mercure de France T. 5, Juillet 1892)
L'honneur est comme le vêtement : il y en a sur mesure et il y en a de confection.
(Petits aphorismes (Sur l'honneur, 7), p.217, Mercure de France T. 5, Juillet 1892)
La plupart des hommes ne tiennent à l'honneur que pour en couvrir leur malhonnêteté.
(Petits aphorismes (Sur l'honneur, 8), p.217, Mercure de France T. 5, Juillet 1892)
Le moment où l'on se targue le plus de son honneur est celui où l'on médite une coquinerie.
(Petits aphorismes (Sur l'honneur, 9), p.217, Mercure de France T. 5, Juillet 1892)
Pour être un parfait homme d'honneur, il faut savoir tout sacrifier à son honneur, même l'honneur.
(Petits aphorismes (Sur l'honneur, 10), p.217, Mercure de France T. 5, Juillet 1892)
La liberté a ses tyrans : ce sont ceux qui empêchent Martine d'être battue.
(Petits aphorismes (Sur la liberté, 1), p.217, Mercure de France T. 5, Juillet 1892)
La liberté consiste à se soustraire à la tyrannie des hommes pour tomber sous celle des choses.
(Petits aphorismes (Sur la liberté, 2), p.218, Mercure de France T. 5, Juillet 1892)
Tout est à la fois déterminant et déterminé. La liberté, c'est le jeu régulier des déterminations naturelles.
(Petits aphorismes (Sur la liberté, 3), p.218, Mercure de France T. 5, Juillet 1892)
Il n'y a pas liberté là où une cause étrangère, artificielle, non nécessaire, vient troubler le jeu des déterminations naturelles.
(Petits aphorismes (Sur la liberté, 4), p.218, Mercure de France T. 5, Juillet 1892)
L'humanité est déterminée par un nombre infini de causes. Le progrès dans la liberté consiste à les supprimer les unes après les autres, en commençant par les plus superficielles, les causes sociales.
(Petits aphorismes (Sur la liberté, 5), p.218, Mercure de France T. 5, Juillet 1892)
Pratiquons le fatalisme dans tout ce qui ne dépend pas de nous et le libre arbitre dans tout ce qui en dépend.
(Petits aphorismes (Sur la liberté, 6), p.218, Mercure de France T. 5, Juillet 1892)
Nous sommes maîtres de nos actions jusqu'au moment même de l'action ; aussitôt exécutées, nous en devenons les esclaves.
(Petits aphorismes (Sur la liberté, 7), p.218, Mercure de France T. 5, Juillet 1892)
C'est être esclave que d'être borné par la liberté des autres.
(Petits aphorismes (Sur la liberté, 8), p.218, Mercure de France T. 5, Juillet 1892)
On dit : esclave de son devoir, comme on dit : esclave de ses passions. Ces deux esclavages-là ne sont-ils pas les plus terribles de tous ?
(Petits aphorismes (Sur la liberté, 9), p.218, Mercure de France T. 5, Juillet 1892)
Les esclavages que l'on se crée sont plus funestes que ceux que l'on subit : toute l'énergie disponible est employée à briser ceux-ci et à resserrer ceux-là.
(Petits aphorismes (Sur la liberté, 10), p.218, Mercure de France T. 5, Juillet 1892)
Point d'esclaves sans maîtres, semble-t-il. Or, devant l'esclavage universel, on se demande où sont les maîtres.
(Petits aphorismes (Sur la liberté, 11), p.218, Mercure de France T. 5, Juillet 1892)
Les conventions sociales sont des compromis entre la justice et l'intérêt.
(Petits aphorismes (Sur la société, 1), p.340, Mercure de France T. 5, Août 1892)
La société n'a pas de morale : elle n'a que des moeurs.
(Petits aphorismes (Sur la société, 2), p.340, Mercure de France T. 5, Août 1892)
La société fait les lois suivant ses instincts, et les viole suivant ses besoins.
(Petits aphorismes (Sur la société, 3), p.340, Mercure de France T. 5, Août 1892)
On prend les hommes pour ce qu'ils se donnent ; on en a pour ce qu'ils sont ; on les juge pour ce qu'ils devraient être.
(Petits aphorismes (Sur la société, 4), p.340, Mercure de France T. 5, Août 1892)
Tout ce que nous valons comme hommes, nous le déprécions comme individus sociaux.
(Petits aphorismes (Sur la société, 5), p.340, Mercure de France T. 5, Août 1892)
Plus une société est fortement constituée, plus les individus qui la composent le sont faiblement.
(Petits aphorismes (Sur la société, 6), p.340, Mercure de France T. 5, Août 1892)
Le travail dégrade l'homme plus qu'il ne l'ennoblit.
(Petits aphorismes (Sur la société, 7), p.340, Mercure de France T. 5, Août 1892)
Les animaux que l'homme a associés à son travail semblent accablés du même poids qui oppresse leur tyran.
(Petits aphorismes (Sur la société, 8), p.340, Mercure de France T. 5, Août 1892)
Il n'y a de vraiment digne que le travail libre, celui que l'homme entreprend poussé par un seul instinct d'activité, sans y être contraint par la nécessité de gagner sa vie.
(Petits aphorismes (Sur la société, 9), p.340, Mercure de France T. 5, Août 1892)
Le travail forcé a cette conséquence néfaste de dégoûter l'homme du travail.
(Petits aphorismes (Sur la société, 10), p.340, Mercure de France T. 5, Août 1892)
Le monde moderne périra pour avoir à la fois trop travaillé et mal travaillé.
(Petits aphorismes (Sur la société, 11), p.341, Mercure de France T. 5, Août 1892)
La moitié au moins de l'effort moderne est dissipé à la construction de tours de Babel inutiles.
(Petits aphorismes (Sur la société, 12), p.341, Mercure de France T. 5, Août 1892)
Les pyramides sont le plus vénérable monument de la sottise humaine.
(Petits aphorismes (Sur la société, 13), p.341, Mercure de France T. 5, Août 1892)
Tout travail qui n'a pas pour but exclusif la satisfaction des besoins physiques ou intellectuels de l'homme n'est pas autre chose que le rocher de Sisyphe.
(Petits aphorismes (Sur la société, 14), p.341, Mercure de France T. 5, Août 1892)
« S'il n'y avait aucune vertu, dit Vauvenargues, nous aurions pour toujours la paix. »
Le contraire est, au moins, aussi vrai : s'il n'y avait aucun vice, nous n'aurions jamais la guerre. Ce qu'il faut dire, c'est un mélange de vices et de vertus qui fomente la guerre. Je me méfie même un peu de ces vertus guerrières. On les tient encore pour telles dans notre état de civilisation, mais chacun sent déjà qu'elles sont illogiques et barbares.
(Petits aphorismes (Sur la société, 15), p.341, Mercure de France T. 5, Août 1892)
La force ne prime pas le droit, le droit étant lui-même une force : mais le droit des forts prime le droit des faibles.
(Petits aphorismes (Sur la société, 16), p.341, Mercure de France T. 5, Août 1892)
La concurrence est l'âme de la vie sociale, mais c'en est l'âme damnée.
(Petits aphorismes (Sur la société, 17), p.341, Mercure de France T. 5, Août 1892)
Il y a des gens qui rendent service comme on prête à usure.
(Petits aphorismes (Sur la société, 18), p.341, Mercure de France T. 5, Août 1892)
On de défie de soi ; on se méfie des autres.
(Petits aphorismes (Sur la société, 19), p.341, Mercure de France T. 5, Août 1892)
Éviter les inconvénients de la franchise sans tomber dans les complaisances de la flatterie est un des plus délicats problèmes de la morale sociale.
(Petits aphorismes (Sur la société, 20), p.341, Mercure de France T. 5, Août 1892)
La vérité est toujours bonne à dire, lorsqu'elle flatte ; mais c'est généralement alors qu'on ne la dit pas. On préfère flatter par le mensonge.
(Petits aphorismes (Sur la société, 21), p.342, Mercure de France T. 5, Août 1892)
Il est très facile de se taire, mais il est très difficile de savoir se taire.
(Petits aphorismes (Sur la société, 22), p.342, Mercure de France T. 5, Août 1892)
La politesse est l'hypocrisie de la bienveillance.
(Petits aphorismes (Sur la société, 23), p.342, Mercure de France T. 5, Août 1892)
À défaut de l'originalité de l'esprit, on arbore celle des moeurs.
(Petits aphorismes (Sur la société, 24), p.342, Mercure de France T. 5, Août 1892)
L'excentricité est la fausse monnaie de l'originalité.
(Petits aphorismes (Sur la société, 25), p.342, Mercure de France T. 5, Août 1892)
Un imbécile en quête d'originalité est pire que le dernier mouton de Panurge.
(Petits aphorismes (Sur la société, 26), p.342, Mercure de France T. 5, Août 1892)
Ceux qui vivent seuls sont des délicats de l'âme, mais des grossiers du coeur.
(Petits aphorismes (Sur la société, 27), p.342, Mercure de France T. 5, Août 1892)
Un solitaire a des manies, il n'a pas de passions.
(Petits aphorismes (Sur la société, 28), p.342, Mercure de France T. 5, Août 1892)
Si tu vis seul, la calomnie s'acharnera sur toi : mais si tu ne vis pas seul, ce sera bien pis.
(Petits aphorismes (Sur la société, 29), p.342, Mercure de France T. 5, Août 1892)
Celui qui s'ennuie seul avec lui-même doit bien penser qu'il ennuie aussi les autres.
(Petits aphorismes (Sur la société, 30), p.342, Mercure de France T. 5, Août 1892)
Être avide de distractions, c'est avouer qu'on n'en trouve pas en soi-même.
(Petits aphorismes (Sur la société, 31), p.342, Mercure de France T. 5, Août 1892)
Rien n'est pire que la solitude pour les sots, rien n'est pire aussi pour l'homme d'esprit : il n'y a que les sages qui la goûtent.
(Petits aphorismes (Sur la société, 32), p.342, Mercure de France T. 5, Août 1892)
Aimez-vous l'humanité : lisez l'histoire, vous la haïrez. Haïssez-vous l'humanité : lisez l'histoire, vous l'aimeriez.
(Petits aphorismes (Sur la société, 33), p.342, Mercure de France T. 5, Août 1892)
La politique est l'art de se servir des hommes en leur faisait croire qu'on les sert.
(Petits aphorismes (Sur la politique), p.343, Mercure de France T. 5, Août 1892)
L'homme d'esprit garde le souvenir de ses sottises, le sot celui de celles des autres.
(Petits aphorismes (Sur la sottise, 1), p.343, Mercure de France T. 5, Août 1892)
La solidarité des sots est la pierre angulaire de l'opinion.
(Petits aphorismes (Sur la sottise, 2), p.343, Mercure de France T. 5, Août 1892)
La nature fut clémente pour les sots en les dotant aussi de fatuité.
(Petits aphorismes (Sur la sottise, 3), p.343, Mercure de France T. 5, Août 1892)
La sincérité n'est point de mise avec les sots : ils la croient toujours dictée par l'envie.
(Petits aphorismes (Sur la sottise, 4), p.343, Mercure de France T. 5, Août 1892)
Il y a des abîmes de sottise, comme il y a des puits de science ; quand on se penche au-dessus d'eux pour les sonder, on reste effrayé de la profondeur de l'être humain.
(Petits aphorismes (Sur la sottise, 5), p.343, Mercure de France T. 5, Août 1892)
La prospérité des sots est plus une injure pour notre bon sens que celle des méchants pour notre conscience.
(Petits aphorismes (Sur la sottise, 6), p.343, Mercure de France T. 5, Août 1892)
Modérer ses appétits, surtout ses appétits spirituels, est la première condition d'une bonne hygiène.
(Petits aphorismes (Sur la sottise, 7), p.343, Mercure de France T. 5, Août 1892)
Maintiens-toi toujours la tête libre, comme le ventre.
(Petits aphorismes (Sur la sottise, 8), p.343, Mercure de France T. 5, Août 1892)
La santé intellectuelle exige que l'on ne soumette point son cerveau à des efforts trop violents : autrement on risque les hernies, les protubérances, les inflammations, les engorgements, les lésions, anomalies que l'on déguise sous les euphémismes d'originalité, de talent, de génie, mais qui n'en sont que plus justement honnies de tous les gens sensés.
(Petits aphorismes (Sur la sottise, 9), p.343, Mercure de France T. 5, Août 1892)
Les dérangements cérébraux sont les plus dangereux : ils font école.
(Petits aphorismes (Sur la sottise, 10), p.344, Mercure de France T. 5, Août 1892)
Certaines personnes déploient une habileté prodigieuse à se tirer des mauvais pas que la plus vulgaire prudence leur aurait évités.
(Petits aphorismes (Sur la sottise, 11), p.344, Mercure de France T. 5, Août 1892)
Les hommes déchaînent souvent de grands maux pour la défense de petits intérêts.
(Petits aphorismes (Sur la sottise, 12), p.344, Mercure de France T. 5, Août 1892)
L'homme fait plus vite son deuil des désillusions qu'il ne se corrige des illusions.
(Petits aphorismes (Sur la sottise, 13), p.344, Mercure de France T. 5, Août 1892)
Nous ne voulons comprendre que ce que nous sentons ; et ce que nous ne sentons pas, nous le réprouvons, comme si nous n'avions pas une raison pour suppléer à l'insuffisance de nos sens.
(Petits aphorismes (Sur la sottise, 14), p.344, Mercure de France T. 5, Août 1892)
On est banal chaque fois qu'on accepte les opinions d'autrui sans, au moins, se les être faites à nouveau.
(Petits aphorismes (Sur la sottise, 15), p.344, Mercure de France T. 5, Août 1892)
Contentez-vous de peu, on vous plaindra ; ne vous contentez de rien, on vous enviera.
(Petits aphorismes (Sur la sottise, 16), p.344, Mercure de France T. 5, Août 1892)
Il est très facile de tromper le peuple, même par des paroles, et très difficile de le détromper, même par des actions.
(Petits aphorismes (Sur la sottise, 17), p.344, Mercure de France T. 5, Août 1892)
L'imbécillité contemporaine détourne du présent les esprits délicats ; ils se réfugient dans le passé, où la plèbe révoltante des sots, emportée par l'oubli, n'offusque plus leur regard, et où subsiste seule la compagnie des hommes intelligents et valables.
(Petits aphorismes (Sur la sottise, 18), p.344, Mercure de France T. 5, Août 1892)
Nous méprisons parfois l'opinion sans cesser d'y être sensibles.
(Petits aphorismes (Sur l'opinion, 1), p.70, Mercure de France T. 6, Septembre 1892)
L'opinion est comme la société : les hommes la font et en sont esclaves.
(Petits aphorismes (Sur l'opinion, 2), p.70, Mercure de France T. 6, Septembre 1892)
On s'aperçoit de l'inertie des choses jusque dans le monde des idées, où, s'il est difficile d'imprimer un mouvement, il est encore plus difficile de l'enrayer.
(Petits aphorismes (Sur l'opinion, 3), p.70, Mercure de France T. 6, Septembre 1892)
Dans la marche en avant de la civilisation, les idées morales forment l'arrière-garde.
(Petits aphorismes (Sur l'opinion, 4), p.70, Mercure de France T. 6, Septembre 1892)
En un siècle où la chimie s'est renouvelée tant de fois, la morale en est encore à se demander si elle a bougé depuis Solon.
(Petits aphorismes (Sur l'opinion, 5), p.70, Mercure de France T. 6, Septembre 1892)
Il est prudent d'avoir des opinions ; il est sage de n'en pas avoir.
(Petits aphorismes (Sur l'opinion, 6), p.70, Mercure de France T. 6, Septembre 1892)
L'opinion publique a trop de poids pour qu'on la néglige et trop d'inconstance pour qu'on en tienne compte.
(Petits aphorismes (Sur l'opinion, 7), p.70, Mercure de France T. 6, Septembre 1892)
Nos opinions traînent partout ; nous les ramassons dans le ruisseau plus souvent que dans notre esprit.
(Petits aphorismes (Sur l'opinion, 8), p.70, Mercure de France T. 6, Septembre 1892)
Il est si rare d'oser braver l'opinion, qu'on peut pardonner à ceux qui la bravent à tort.
(Petits aphorismes (Sur l'opinion, 9), p.70, Mercure de France T. 6, Septembre 1892)
Avoir de l'esprit n'est pas suffisant : il faut en avoir avec esprit.
(Petits aphorismes (Sur l'esprit, 1), p.71, Mercure de France T. 6, Septembre 1892)
Ceux qui n'ont pas d'esprit s'en félicitent presque, se jugeant d'autant plus profonds.
(Petits aphorismes (Sur l'esprit, 2), p.71, Mercure de France T. 6, Septembre 1892)
La profondeur n'exclut pas l'esprit : elle le rend profond.
(Petits aphorismes (Sur l'esprit, 3), p.71, Mercure de France T. 6, Septembre 1892)
L'étendue de l'esprit ne préjuge en rien sa profondeur.
(Petits aphorismes (Sur l'esprit, 4), p.71, Mercure de France T. 6, Septembre 1892)
L'esprit de la femme voltige ; celui de l'homme cabriole.
(Petits aphorismes (Sur l'esprit, 5), p.71, Mercure de France T. 6, Septembre 1892)
Se venger d'un sot par un mot d'esprit, c'est décocher une flèche à un rhinocéros.
(Petits aphorismes (Sur l'esprit, 6), p.71, Mercure de France T. 6, Septembre 1892)
Il n'y a pas de pire sot que l'homme d'esprit qui veut en mettre partout.
(Petits aphorismes (Sur l'esprit, 7), p.71, Mercure de France T. 6, Septembre 1892)
La moquerie découvre le ridicule des individus et ne voit pas le ridicule de l'espèce. Elle est le fait d'esprits superficiels, égoïstes et vaniteux.
(Petits aphorismes (Sur l'esprit, 8), p.71, Mercure de France T. 6, Septembre 1892)
Notre esprit, comme notre appartement, devrait être chaque jour débarrassé de ses ordures ménagères.
(Petits aphorismes (Sur l'esprit, 9), p.71, Mercure de France T. 6, Septembre 1892)
L'enthousiasme est plus facile que l'admiration, car dans l'enthousiasme on met son coeur et dans l'admiration son esprit. Le premier est plus accessible.
(Petits aphorismes (Sur l'esprit, 10), p.71, Mercure de France T. 6, Septembre 1892)
L'étroitesse d'esprit est un étau qui comprime aussi le coeur.
(Petits aphorismes (Sur l'esprit, 11), p.71, Mercure de France T. 6, Septembre 1892)
L'homme d'esprit l'emporte neuf fois sur dix sur l'homme de coeur ; mais, la dixième, l'homme de coeur l'emporte définitivement.
(Petits aphorismes (Sur l'esprit, 12), p.71, Mercure de France T. 6, Septembre 1892)
Il y a de l'esprit de mauvais aloi : c'est celui qui ne se fonde ni sur le coeur, ni sur la raison.
(Petits aphorismes (Sur l'esprit, 13), p.72, Mercure de France T. 6, Septembre 1892)
Les gens qui ne sont que spirituels sont comme les hannetons : ils s'abattent au beau milieu de n'importe quoi, et souvent les pattes en l'air.
(Petits aphorismes (Sur l'esprit, 14), p.72, Mercure de France T. 6, Septembre 1892)
On préfère être intelligent et paresseux plutôt que borné et travailleur. Pourquoi ? Le travail est une intelligence capable de plus que l'intelligence.
(Petits aphorismes (Sur l'esprit, 15), p.72, Mercure de France T. 6, Septembre 1892)
Les femmes croient que l'on pardonne tout à leur beauté et les hommes à leur esprit.
(Petits aphorismes (Sur l'esprit, 16), p.72, Mercure de France T. 6, Septembre 1892)
Tolérer les idées d'autrui est la marque d'un esprit faible : ne pas les tolérer est celle d'un esprit étroit. Ce qu'il faut, c'est être enclin, par nature, à ne pas tolérer les idées d'autrui, et se forcer à les tolérer, par philosophie.
(Petits aphorismes (Sur l'esprit, 17), p.72, Mercure de France T. 6, Septembre 1892)
L'intolérance fut la force et la barbarie des siècles passés.
(Petits aphorismes (Sur l'esprit, 18), p.72, Mercure de France T. 6, Septembre 1892)
Avec la tolérance, on gagne en sagesse ce que l'on perd en énergie.
(Petits aphorismes (Sur l'esprit, 19), p.72, Mercure de France T. 6, Septembre 1892)
Les nations en décadence ont toujours été tolérantes ; et pourtant la tolérance est une manifestation du progrès.
(Petits aphorismes (Sur l'esprit, 20), p.72, Mercure de France T. 6, Septembre 1892)
La franchise du caractère en met encore plus en relief les défauts que les qualités.
(Petits aphorismes (Sur le caractère, 1), p.72, Mercure de France T. 6, Septembre 1892)
Nous ne saurions trop estimer la franchise chez les autres. Elle nous épargne les longs tâtonnements pour savoir à qui nous avons affaire. Nous pouvons éconduire du premier coup les sots, les vaniteux et les parasites.
(Petits aphorismes (Sur le caractère, 2), p.73, Mercure de France T. 6, Septembre 1892)
Ce qui nous surprend le plus chez un homme, c'est de le découvrir bienveillant.
(Petits aphorismes (Sur le caractère, 3), p.73, Mercure de France T. 6, Septembre 1892)
Il n'y a ni bonheur, ni malheur : il y a des caractères heureux et des caractères malheureux.
(Petits aphorismes (Sur le caractère, 4), p.73, Mercure de France T. 6, Septembre 1892)
Les biens et les maux ne sont que les coefficients du caractère.
(Petits aphorismes (Sur le caractère, 5), p.73, Mercure de France T. 6, Septembre 1892)
Y a-t-il des caractères assez neutres pour que les biens et les maux décident de leur bonheur ou de leur malheur ?
(Petits aphorismes (Sur le caractère, 6), p.73, Mercure de France T. 6, Septembre 1892)
Il faut avoir beaucoup de caractère pour entreprendre de le réformer.
(Petits aphorismes (Sur le caractère, 7), p.73, Mercure de France T. 6, Septembre 1892)
Un caractère violent est un caractère faible.
(Petits aphorismes (Sur le caractère, 8), p.73, Mercure de France T. 6, Septembre 1892)
Les esprits légers supportent tout aisément ; c'est un privilège en même temps qu'une infériorité.
(Petits aphorismes (Sur le caractère, 9), p.73, Mercure de France T. 6, Septembre 1892)
La méchanceté vient souvent d'un énervement continu de la vie.
(Petits aphorismes (Sur le caractère, 10), p.73, Mercure de France T. 6, Septembre 1892)
La bonté n'est parfois que de la faiblesse. Méchants au fond, nous ne paraissons bons que parce que nous manquons de force pour soutenir notre méchanceté.
(Petits aphorismes (Sur le caractère, 11), p.73, Mercure de France T. 6, Septembre 1892)
Nous ne souffrons guère de nos défauts que par les désagréments qu'ils nous attirent.
(Petits aphorismes (Sur le caractère, 12), p.73, Mercure de France T. 6, Septembre 1892)
Il faut savoir se décider, fût-ce pour le mal.
(Petits aphorismes (Sur le caractère, 13), p.73, Mercure de France T. 6, Septembre 1892)
Nous souffrons de l'indécision comme d'une gangrène morale, alors qu'elle provient souvent de trop d'honnêteté
(Petits aphorismes (Sur le caractère, 14), p.74, Mercure de France T. 6, Septembre 1892)
L'indécision rend le hasard décisif.
(Petits aphorismes (Sur le caractère, 15), p.74, Mercure de France T. 6, Septembre 1892)
La fortune aide les audacieux, mais elle ne trahit qu'eux.
(Petits aphorismes (Sur le caractère, 16), p.74, Mercure de France T. 6, Septembre 1892)
Faire le mal, comme faire le bien, exige du tempérament : la plupart des hommes ne font que le médiocre.
(Petits aphorismes (Sur le caractère, 17), p.74, Mercure de France T. 6, Septembre 1892)
La honte est la lâcheté du mal.
(Petits aphorismes (Sur le caractère, 18), p.74, Mercure de France T. 6, Septembre 1892)
Élever un enfant consiste généralement à abaisser son caractère.
(Petits aphorismes (Sur le caractère, 19), p.74, Mercure de France T. 6, Septembre 1892)
L'esprit de l'enfant est une pâte plus ou moins fine, que l'éducation manipule plus ou moins habilement, et que la vie cuit avec plus ou moins de succès, quand elle ne la fait pas sauter.
(Petits aphorismes (Sur le caractère, 20), p.74, Mercure de France T. 6, Septembre 1892)
Le caractère se trempe là où le coeur se fond.
(Petits aphorismes (Sur le caractère, 21), p.74, Mercure de France T. 6, Septembre 1892)
Le caractère fait valoir la vie, comme le sel les aliments. Le tout est de saler à point.
(Petits aphorismes (Sur le caractère, 22), p.74, Mercure de France T. 6, Septembre 1892)
La vie émousse les caractères, lorsqu'ils se présentent à elle par le tranchant.
(Petits aphorismes (Sur le caractère, 23), p.74, Mercure de France T. 6, Septembre 1892)
Il ne faudrait point douter de Dieu pour n'avoir jamais eu affaire à la Providence : mais il en faudrait douter pour avoir eu maille à partir avec elle.
(Petits aphorismes (Sur la religion, 1), p.146, Mercure de France T. 6, Octobre 1892)
Dieu ne serait-il pas le prénom familier de tout ce que nous ignorons ?
(Petits aphorismes (Sur la religion, 2), p.146, Mercure de France T. 6, Octobre 1892)
On dit : Aimer Dieu ! Mais comme Dieu ce n'est ni le prochain, qui serait plutôt le diable, ni l'humanité, qui est presque entière vouée à l'enfer, ni les femmes, qui sont un objet de perdition, ni la matière, d'où vient tout le mal, ni la nature, qui est imparfaite par définition, il en résulte qu'aimer Dieu c'est s'aimer soi-même dans la partie orgueilleuse de son père.
(Petits aphorismes (Sur la religion, 3), p.146, Mercure de France T. 6, Octobre 1892)
Dieu, définit-on, est la cause suprême. Il faudrait d'abord s'entendre sur ce que c'est qu'une cause, et expliquer comment une cause peut être suprême.
(Petits aphorismes (Sur la religion, 4), p.146, Mercure de France T. 6, Octobre 1892)
Si de ce qui existe vous enlevez tout ce qui n'est pas Dieu, que reste-t-il ? Rien. Donc : ou Dieu n'existe pas, ou Dieu n'est autre chose que ce qui existe, et par conséquent n'existe pas.
(Petits aphorismes (Sur la religion, 5), p.146, Mercure de France T. 6, Octobre 1892)
Mais, ô subtilité ! Dieu serait-il ce qui existe considéré à un certain point de vue, comme vous parlez d'amour à propos des femmes que vous aimez ou de beauté à propos des spectacles que vous admirez ? Dans ce cas, Dieu est une abstraction et n'existe pas en dehors du cerveau humain qui la crée. Et alors, étrange chose, c'est l'homme qui devient Dieu et Dieu qui est la créature.
(Petits aphorismes (Sur la religion, 6), p.146, Mercure de France T. 6, Octobre 1892)
Que supposer : ou que Dieu est, au qu'il n'est pas ? Si Dieu est, est-il en dehors de moi, ou suis-je en lui ? S'il est en dehors de moi, il n'est pas infini, puisque j'en suis excepté ; et si je suis en lui, il n'est pas parfait, puisque je suis immonde. Je suppose donc que Dieu n'est pas : car supposer Dieu limité ou imparfait, ce n'est pas supposer Dieu.
(Petits aphorismes (Sur la religion, 7), p.147, Mercure de France T. 6, Octobre 1892)
A-t-on songé que Dieu, étant par essence un, doit être la totalité ? Or, faisant partie du tout, je suis partie de Dieu. Dieu ne pouvant distraire aucune partie de lui-même, sous peine de ne plus être la totalité, c'est-à-dire Dieu, il appert que je puis me conduire comme je veux, sans cesser d'être divin.
(Petits aphorismes (Sur la religion, 8), p.147, Mercure de France T. 6, Octobre 1892)
Trouver Dieu ne veut pas dire l'avoir cherché ; chercher Dieu ne veut pas dire le devoir trouver. Il n'y a d'authentiquement déistes que ceux qui ont trouvé Dieu après l'avoir cherché. Ce sont les parvenus du déisme, tandis que les premiers en sont les fils de famille, et les seconds les modestes travailleurs. Comme dans la vie, ces trois classes se méprisent l'une l'autre.
(Petits aphorismes (Sur la religion, 9), p.147, Mercure de France T. 6, Octobre 1892)
Bien des gens se disent déistes, qui sont athées : croire en un Dieu qui n'est pas séparé de la nature, c'est être athée.
(Petits aphorismes (Sur la religion, 10), p.147, Mercure de France T. 6, Octobre 1892)
J'ignore ce que je suis, d'où je viens, où je vais ; j'ignore même si je suis. J'ignore tout, sauf mon ignorance, même. J'appellerai donc Dieu tout ce qui n'est pas mon ignorance. Mais, comme je l'ignore, je n'en suis pas plus savant. Je n'ai qu'un mot de plus que j'ai fait résonner dans le vide.
(Petits aphorismes (Sur la religion, 11), p.147, Mercure de France T. 6, Octobre 1892)
Toute religion est incurablement viciée, d'anthropomorphisme, l'homme ne pouvant imaginer Dieu dans des modes autres que ceux qu'il trouve en lui-même.
(Petits aphorismes (Sur la religion, 12), p.148, Mercure de France T. 6, Octobre 1892)
La seule manière logique de concevoir Dieu, c'est de ne pas le concevoir : car sitôt que nous le concevons, nous le concevons suivant les modes de notre esprit et, par conséquent, anthropomorphiquement.
(Petits aphorismes (Sur la religion, 13), p.148, Mercure de France T. 6, Octobre 1892)
- Qui prête au pauvre prête à Dieu.
- Mauvais placement : le débiteur pourrait bien être insolvable.
(Petits aphorismes (Sur la religion, 14), p.148, Mercure de France T. 6, Octobre 1892)
La pratique d'une religion est une paralysie de la foi.
(Petits aphorismes (Sur la religion, 15), p.148, Mercure de France T. 6, Octobre 1892)
Les prophètes sont les plus ardents des croyants : ils croient en eux.
(Petits aphorismes (Sur la religion, 16), p.148, Mercure de France T. 6, Octobre 1892)
Le sage croit à toutes les religions ou ne croit à aucune.
(Petits aphorismes (Sur la religion, 17), p.148, Mercure de France T. 6, Octobre 1892)
On croit par habitude ; on ne croit pas par indifférence ; on ne croit plus par fatigue.
(Petits aphorismes (Sur la religion, 18), p.148, Mercure de France T. 6, Octobre 1892)
Les certitudes de la foi sont autrement puissantes que celles de la science, peut-être parce qu'elles ne reposent sur rien.
(Petits aphorismes (Sur la religion, 19), p.148, Mercure de France T. 6, Octobre 1892)
On croit plus facilement aux principes des autres qu'aux siens propres, parce qu'on distingue moins bien sur quelles bases chancelantes ils sont fondés.
(Petits aphorismes (Sur la religion, 20), p.148, Mercure de France T. 6, Octobre 1892)
On ns'imagine toujours que la foi des autres est fondée sur des raisons d'autant plus sérieuses qu'elles nous sont plus inconnues.
(Petits aphorismes (Sur la religion, 21), p.148, Mercure de France T. 6, Octobre 1892)
La foi ne vaut que par les sacrifices qu'elle exige.
(Petits aphorismes (Sur la religion, 22), p.149, Mercure de France T. 6, Octobre 1892)
La foi la plus respectable serait celle qui ne flatterait aucune espérance.
(Petits aphorismes (Sur la religion, 23), p.149, Mercure de France T. 6, Octobre 1892)
L'incertitude où nous sommes des choses de la métaphysique est précisément ce qui nous vaut notre qualité d'êtres pensants.
Je doute, donc, je suis
me semble être à la base du
Cogito, ergo sum.
(Petits aphorismes (Sur la religion, 24), p.149, Mercure de France T. 6, Octobre 1892)
L'incrédulité ne consiste pas à ne pas croire, mais à croire que ce que les autres croient est faux. Le véritable libre-penseur doit être incrédule sur les points où la preuve peut être faite et agnostique sur ceux où elle est impossible.
(Petits aphorismes (Sur la religion, 25), p.149, Mercure de France T. 6, Octobre 1892)
Sous prétexte qu'il rejette les croyances d'une certaine religion, le libre penseur n'aura-t-il pas le droit de se créer une foi, à son usage personnel et pour ne pas demeurer l'esprit vide, d'après ce qu'il juge être le plus vraisemblable ?
(Petits aphorismes (Sur la religion, 26), p.149, Mercure de France T. 6, Octobre 1892)
Il n'est guère possible aux hommes de rester absolument sans croyances. Les uns, dépourvus de raisonnement et d'imagination métaphysique, se contentent des croyances transmises par leurs pères ; d'autres, pourvus de raisonnement, mais sans imagination métaphysique, comparent les religions et les systèmes philosophiques et adoptent ce qui plaît à leur esprit ; d'autres enfin, favorisés d'imagination métaphysique, conçoivent les croyances qui correspondent le mieux à leurs besoins et à leurs désirs. Les premiers acceptent leur foi ; les seconds la choisissent ; les derniers la créent.
(Petits aphorismes (Sur la religion, 27), p.149, Mercure de France T. 6, Octobre 1892)
Les grands chrétiens croient moins en Dieu qu'au juste ; les petits chrétiens croient moins au juste qu'en Dieu. Le Dieu des uns n'est pas le Dieu des autres. Chez ceux-là, Dieu est en avant ; chez ceux-ci, il est en arrière. Les premières mettent en Dieu toutes les générosités de leur âme ; les seconds toutes les sévérités de la leur. Là, ce sont les oeuvres malgré la foi ; ici, c'est la foi malgré les oeuvres. Les premiers peuvent n'avoir jamais mis le pied dans une église ; les autres n'y ont jamais mis le coeur.
(Petits aphorismes (Sur la religion, 28), p.150, Mercure de France T. 6, Octobre 1892)
On sort de la foi par la raison ; on y rentre par raison.
(Petits aphorismes (Sur la religion, 29), p.150, Mercure de France T. 6, Octobre 1892)
Le doute n'est point un état pénible ; c'est le chemin qui y mène qui est douloureux.
(Petits aphorismes (Sur le doute, 1), p.150, Mercure de France T. 6, Octobre 1892)
Se complaire dans le doute est évidemment le seul idéal possible de l'homme moderne.
(Petits aphorismes (Sur le doute, 2), p.150, Mercure de France T. 6, Octobre 1892)
Il n'y a aucun intérêt à douter : il y en a beaucoup à croire. Si donc l'on doute, c'est qu'on doute ; mais si l'on croit, il n'est pas très sûr qu'on croie vraiment.
(Petits aphorismes (Sur le doute, 3), p.150, Mercure de France T. 6, Octobre 1892)
Un peu de philosophie rend doctrinaire ; beaucoup de philosophie rend sceptique ; pas du tout de philosophie rend philosophe.
(Petits aphorismes (Sur le doute, 4), p.150, Mercure de France T. 6, Octobre 1892)
Le progrès de la philosophie consiste à grossir le stock des questions et à rendre celles-ci toujours plus irrésolubles.
(Petits aphorismes (Sur le doute, 5), p.150, Mercure de France T. 6, Octobre 1892)
Le seul but que puisse se proposer la philosophie, c'est d'entretenir chez les hommes le malaise de l'inconnu.
(Petits aphorismes (Sur le doute, 6), p.150, Mercure de France T. 6, Octobre 1892)
Les philosophes se disputent comme des hommes de nations différentes et ne parlant chacun que sa langue. Au fond, tous disent la même chose ; il n'y a que les termes qui varient : mais ils se croient en désaccord parce qu'ils ne le disent pas la même chose.
(Petits aphorismes (Sur le doute, 7), p.151, Mercure de France T. 6, Octobre 1892)
La science fait de l'esprit de l'homme une chaudière toujours prête à éclater, s'il ne s'y trouve pas cette soupape de sûreté : l'humilité.
(Petits aphorismes (Sur le doute, 8), p.151, Mercure de France T. 6, Octobre 1892)
La science mise au service des instincts vulgaires de l'homme est navrante comme une grande dame qu'on prostitue.
(Petits aphorismes (Sur le doute, 9), p.151, Mercure de France T. 6, Octobre 1892)
Une science supérieure arrive souvent à affirmer des faits constatés par les âges d'ignorance et qu'une science moins avancée avait niés.
(Petits aphorismes (Sur le doute, 10), p.151, Mercure de France T. 6, Octobre 1892)
Savoir est un diminutif d'ignorer.
(Petits aphorismes (Sur le doute, 11), p.151, Mercure de France T. 6, Octobre 1892)
Pourquoi les choses sont ainsi et non autrement est une question que la science de Dieu lui-même ne saurait résoudre.
(Petits aphorismes (Sur le doute, 12), p.151, Mercure de France T. 6, Octobre 1892)
Comment ne serait-on pas sceptique, quand on pense que toutes les opinions ont été soutenues par des hommes compétents, et que toutes ont été contestées par des hommes non moins compétents ?
(Petits aphorismes (Sur le doute, 13), p.151, Mercure de France T. 6, Octobre 1892)
Le mystère attire l'homme comme la lumière les chauves-souris, qui ne sont pourtant à l'aise que dans les ténèbres.
(Petits aphorismes (Sur le doute, 14), p.151, Mercure de France T. 6, Octobre 1892)
Un homme qui croit au progrès cite l'imprimerie, les chemins de fer, l'électricité ; un homme qui n'y croit pas cite Socrate, Virgile, Auguste. Pour se mettre d'accord ou poursuivre la discussion à leur aise, les deux interlocuteurs entrent au café voisin et prennent l'absinthe en fumant un cigare.
- Les Romains n'en avaient pas ! s'écrie le progressiste radieux.
(Petits aphorismes (Sur le doute, 15), p.151, Mercure de France T. 6, Octobre 1892)
L'État laïque est un progrès sur l'Inquisition : mais l'Inquisition était une jolie rétrogradation sur Solon. Avons-nous rattrapé Solon ?
(Petits aphorismes (Sur le doute, 16), p.152, Mercure de France T. 6, Octobre 1892)
Ne pas connaître ses défauts, c'est ignorer la honte d'en être affligé ; ne pas connaître ses qualités, c'est ignorer la blessure de les voir méconnaître par les autres. Le vrai bonheur consiste à s'ignorer soi-même.
(Petits aphorismes (Sur le doute, 17), p.152, Mercure de France T. 6, Octobre 1892)
Les conséquences de nos actes nous échappent : celles de nos pensées bien davantage.
(Petits aphorismes (Sur le doute, 18), p.152, Mercure de France T. 6, Octobre 1892)
Il n'y a rien de réel que par notre esprit, dont nous nions cependant parfois la réalité.
(Petits aphorismes (Sur le doute, 19), p.152, Mercure de France T. 6, Octobre 1892)
Toutes les opinions sont conciliables : mais plus on les concilie, plus on en étend la base, qui finit par embrasser l'infini, c'est-à-dire par s'effondrer dans le néant.
(Petits aphorismes (Sur le doute, 20), p.152, Mercure de France T. 6, Octobre 1892)
L'inquiétude du penseur est plus noble que la certitude du simple : mais elle est bien moins réconfortante. C'est comme le roseau pensant de Pascal ; il est plus noble que l'univers qui le broie : mais il est broyé.
(Petits aphorismes (Sur le doute, 21), p.152, Mercure de France T. 6, Octobre 1892)
Il y a le scepticisme qui nie et le scepticisme qui affirme. Le premier pense que rien n'est probable, l'autre que tout est probable ; celui-là est partout disposé à dire : Je n'y crois pas, celui-ci : J'y crois; et, sans qu'aucun des deux soit jamais sûr de rien, l'un est pessimiste dans son doute, l'autre optimiste.
(Petits aphorismes (Sur le doute, 22), p.152, Mercure de France T. 6, Octobre 1892)
L'énergie manque aux âmes supérieures, énergie qui seule serait capable de les détourner du pessimisme. Mais à quoi l'appliqueraient-elles, conscientes qu'elles sont de la vanité de la vie ?
(Petits aphorismes (Sur le pessimisme, 1), p.153, Mercure de France T. 6, Octobre 1892)
L'optimisme n'est conséquent que s'il est à la fois matérialiste et se satisfaisant de la matière. L'optimiste qui aurait recours, pour soutenir son optimisme, au monde spirituel et à la vie future, avouerait par cela même l'insuffisance de l'existence actuelle et serait pessimiste.
(Petits aphorismes (Sur le pessimisme, 2), p.153, Mercure de France T. 6, Octobre 1892)
Le pessimisme ne conclut pas absolument au néant ; il n'y conclut que relativement à la vie connue et seulement dans l'hypothèse de l'impossibilité d'une vie inconnue et supérieure.
(Petits aphorismes (Sur le pessimisme, 3), p.153, Mercure de France T. 6, Octobre 1892)
Toutes les religions sont pessimistes.
(Petits aphorismes (Sur le pessimisme, 4), p.153, Mercure de France T. 6, Octobre 1892)
Le pessimisme seul est capable des grandes actions : toute grande action étant une révolte contre ce qui est pour l'établissement de quelque chose qui n'est pas encore et à quoi l'on ne penserait pas, si ce qui est n'était jugé insuffisant. Le pessimisme est l'âme du progrès.
(Petits aphorismes (Sur le pessimisme, 5), p.153, Mercure de France T. 6, Octobre 1892)
Le pessimiste a l'esprit plus noble et plus porté vers le beau et le bien que l'optimiste. S'il n'avait pas un idéal supérieur à la nature, il ne trouverait pas celle-ci insuffisante. Le pessimiste est donc, en réalité, un idéaliste. Le pessimisme est le signe de l'aristocratie intellectuelle. La foule ne sera jamais qu'optimiste, incapable qu'elle est de rêver un univers différent de celui qu'elle voit.
(Petits aphorismes (Sur le pessimisme, 6), p.153, Mercure de France T. 6, Octobre 1892)
Il existe un pessimisme transcendant, qui juge inutile la destruction de ce qui est, persuadé que ce qui sera ne vaudra pas mieux. Il est pourtant de même essence progressive ; mais il méprise les degrés infimes de l'évolution et ne tendrait à rien de moins qu'à l'abandon définitif de tout ce qui est du ressort terrestre pour l'avènement d'un état surhumain tellement au-dessus de ce qui existe, qu'incapable de le définir et même de le concevoir autrement que par de vagues désirs, il retombe par cet excès même à l'inaction, se bornant à attendre, à souffrir et parfois, effrayé de son rêve, à désespérer.
(Petits aphorismes (Sur le pessimisme, 7), p.154, Mercure de France T. 6, Octobre 1892)
Pourquoi le roman naturaliste est-il en général pessimiste ? N'est-ce pas dire que la vie considérée dans sa réalité est un mal ? La gaieté elle-même n'est-elle pas essentiellement pessimiste, fondée qu'elle est sur le malheur d'autrui ? L'inspiration de la majorité des oeuvres gaies n'est, en effet, pas autre chose que la peinture des ridicules. Je cherche en vain des oeuvres joyeuses : celles qui font pleurer font pleurer, et celles qui font rire devraient logiquement faire pleurer.
(Petits aphorismes (Sur le pessimisme, 8), p.154, Mercure de France T. 6, Octobre 1892)
Le pessimisme s'exprime plus encore par le rire que par les larmes.
(Petits aphorismes (Sur le pessimisme, 9), p.154, Mercure de France T. 6, Octobre 1892)
Le rire est un accès de méchanceté d'un caractère particulier.
(Petits aphorismes (Sur le pessimisme, 10), p.154, Mercure de France T. 6, Octobre 1892)
Le sourire peut parfois être le signe d'une joie bienveillante, le rire jamais.
(Petits aphorismes (Sur le pessimisme, 11), p.154, Mercure de France T. 6, Octobre 1892)
Démocrite était un bien plus grand pessimiste qu'Héraclite.
(Petits aphorismes (Sur le pessimisme, 12), p.154, Mercure de France T. 6, Octobre 1892)
La joie n'est pas joyeuse.
(Petits aphorismes (Sur le pessimisme, 13), p.154, Mercure de France T. 6, Octobre 1892)
Au temps des fables, on aurait pu dire : Dieu, voyant le triste sort de l'homme, imagina, pour l'en distraire, de le faire prendre plaisir à son malheur, et lui donna le rire.
(Petits aphorismes (Sur le pessimisme, 14), p.154, Mercure de France T. 6, Octobre 1892)
On ne devrait rire décemment que de l'homme qui ne sent pas ses imperfections ou s'en satisfait.
(Petits aphorismes (Sur le pessimisme, 15), p.155, Mercure de France T. 6, Octobre 1892)
Le comique et le tragique sont les deux modes du mal.
(Petits aphorismes (Sur le pessimisme, 16), p.155, Mercure de France T. 6, Octobre 1892)
Un bossu ou un aveugle sont, en réalité, tout aussi comiques qu'un avare ou qu'un sot. Pourquoi a-t-on la pudeur de ne pas rire de ceux-là et rit-on de ceux-ci ?
(Petits aphorismes (Sur le pessimisme, 17), p.155, Mercure de France T. 6, Octobre 1892)
Le ridicule est un déguisement que nous jetons sur le mal pour pouvoir le considérer avec plaisir.
(Petits aphorismes (Sur le pessimisme, 18), p.155, Mercure de France T. 6, Octobre 1892)
Dénigrer la vie, c'est lui être ou inférieur, ou supérieur ; l'apprécier, ce n'est jamais que lui être égal.
(Petits aphorismes (Sur le pessimisme, 19), p.155, Mercure de France T. 6, Octobre 1892)
Nous jugeons de la vie par la nôtre. Pour arriver à un jugement équitable, il faudrait procéder à une sorte de plébiscite sur la vie. Et serait-on même certain que le résultat de ce plébiscite ne varierait pas de date à date, de latitude à latitude, suivant les remous de l'histoire et les configurations de la géographie ? Pessimiste au nord, optimiste au midi ! enthousiaste en quatre-vingt-neuf, désespéré en quatre-vingt-treize !
(Petits aphorismes (Sur le pessimisme, 20), p.155, Mercure de France T. 6, Octobre 1892)
S'il y a du ridicule à haïr la vie, il y a de la mesquinerie à l'aimer.
(Petits aphorismes (Sur le pessimisme, 21), p.155, Mercure de France T. 6, Octobre 1892)
Comme en société l'on est toujours plus joyeux qu'on ne l'est dans sa propre intimité, il en résulte que l'on se fait de la joie qui règne dans le monde une idée beaucoup trop exagérée.
(Petits aphorismes (Sur le pessimisme, 22), p.155, Mercure de France T. 6, Octobre 1892)
Soyons tristes, si tel est notre tempérament, mais pour les autres paraissons gais : on se détourne des tristes comme des lépreux.
(Petits aphorismes (Sur le pessimisme, 23), p.156, Mercure de France T. 6, Octobre 1892)
La joie est plus inhérente au coeur des hommes que la tristesse. Ils sont souvent joyeux dans le malheur, fort rarement tristes dans le bonheur.
(Petits aphorismes (Sur le pessimisme, 24), p.156, Mercure de France T. 6, Octobre 1892)
Si l'on considère le mal qui règne dans le monde, on devient pessimiste ; mais si l'on songe à celui qui pourrait y régner, on redevient optimiste.
(Petits aphorismes (Sur le pessimisme, 25), p.156, Mercure de France T. 6, Octobre 1892)
Bien écrire, c'est exprimer quelque chose avec caractère. Mais l'idée et le mot ne constituant qu'une seule et même substance, ou plutôt n'acquérant d'existence que par leur mutuelle évocation, il en résulte que bien écrire c'est exprimer quelque chose de caractéristique. On n'exprime pas quelque chose qui a déjà été exprimé avec le même caractère. Ce n'est point la nouveauté d'une chose qui en fait le caractère : c'est le caractère nouveau d'une chose qui la fait caractéristique. Un lieu commun peut être une chose caractéristique, s'il est exprimé avec un caractère nouveau. Un écrivain qui exprime une chose nouvelle avec un caractère connu imite ; un écrivain qui exprime une chose connue avec un caractère nouveau crée. Il n'y a de grand écrivain que celui qui écrit quelque chose de caractéristique, où chose et caractère soient nouveaux.
(Petits aphorismes (Sur le Belles-Lettres, 1), p.254, Mercure de France T. 6, Novembre 1892)
Tout homme a été auteur au moins une fois dans sa vie ; mais il y a des auteurs qui n'ont jamais été hommes.
(Petits aphorismes (Sur le Belles-Lettres, 2), p.254, Mercure de France T. 6, Novembre 1892)
Beaucoup d'écrivains pensent ; peu font penser.
(Petits aphorismes (Sur le Belles-Lettres, 3), p.254, Mercure de France T. 6, Novembre 1892)
La littérature doit-elle faire penser ou sentir ? Grave question, que l'on éluderait peut-être en disant que la littérature doit faire penser des sentiments et sentir des pensées.
(Petits aphorismes (Sur le Belles-Lettres, 4), p.254, Mercure de France T. 6, Novembre 1892)
Qui faut-il louer plus, ou de ceux qui se sont exprimées eux-mêmes, ou de ceux qui ont exprimé leur époque.
(Petits aphorismes (Sur le Belles-Lettres, 5), p.255, Mercure de France T. 6, Novembre 1892)
L'originalité implique deux choses rares : être original et se donner tel qu'on est.
(Petits aphorismes (Sur le Belles-Lettres, 6), p.255, Mercure de France T. 6, Novembre 1892)
Il ne faut blâmer l'obscurité en art que lorsque l'effet voulu par l'artiste pouvait être produit par la clarté.
(Petits aphorismes (Sur le Belles-Lettres, 7), p.255, Mercure de France T. 6, Novembre 1892)
Une idée exprimée simplement s'expose toute nue à l'admiration ou aux outrages.
(Petits aphorismes (Sur le Belles-Lettres, 8), p.255, Mercure de France T. 6, Novembre 1892)
On ne parle bien que de ce qu'on aime. Chaque critique devrait se cantonner dans le petit champ de ses préférences et se borner à le défricher et à le cultiver de son mieux. Qu'il s'épargne d'inutiles et ridicules incursions sur les territoires qu'il ne connaît pas. Ce qui déprécie un critique, ce sont ses haines.
(Petits aphorismes (Sur le Belles-Lettres, 9), p.255, Mercure de France T. 6, Novembre 1892)
Une oeuvre de génie est un croc-en-jambe donné à la mort.
(Petits aphorismes (Sur le Belles-Lettres, 10), p.255, Mercure de France T. 6, Novembre 1892)
Le bizarre est une protestation du mauvais goût contre la banalité.
(Petits aphorismes (Sur le Belles-Lettres, 11), p.255, Mercure de France T. 6, Novembre 1892)
Le goût est moins une supériorité de l'esprit qu'une délicatesse de l'âme.
(Petits aphorismes (Sur le Belles-Lettres, 12), p.255, Mercure de France T. 6, Novembre 1892)
Former le goût public est une rude tâche, et l'on risque d'y perdre le sien.
(Petits aphorismes (Sur le Belles-Lettres, 13), p.255, Mercure de France T. 6, Novembre 1892)
On ne goûte pas toujours ce qu'on admire, et encore moins ce qu'on aime.
(Petits aphorismes (Sur le Belles-Lettres, 14), p.255, Mercure de France T. 6, Novembre 1892)
Le goût est indépendant du génie. Les plus grands génies n'ont généralement pas été des hommes de goût. C'est presque faire preuve de goût que de n'avoir pas de génie.
(Petits aphorismes (Sur le Belles-Lettres, 15), p.255, Mercure de France T. 6, Novembre 1892)
À défaut d'idées, les descriptions soutiennent un ouvrage. Elles sont d'une utilité d'autant
(Petits aphorismes (Sur le Belles-Lettres, 16), p.256, Mercure de France T. 6, Novembre 1892)
Aimer la nature, c'est se donner le plaisir d'être poète sans avoir la peine de rimer.
(Petits aphorismes (Sur le Belles-Lettres, 17), p.256, Mercure de France T. 6, Novembre 1892)
Décrire la nature, c'est faire étalage, pour l'ennui du public, de tout ce qu'on se croit de poésie dans l'âme.
(Petits aphorismes (Sur le Belles-Lettres, 18), p.256, Mercure de France T. 6, Novembre 1892)
Le pittoresque est l'esprit de la description.
(Petits aphorismes (Sur le Belles-Lettres, 19), p.256, Mercure de France T. 6, Novembre 1892)
Chaque quart de siècle découvre un nouveau sens à la nature. Elle est le miroir mobile où se reflètent les sensations, les aspirations, les émotions de l'époque. Le soleil se lève pour nous autrement que pour nos pères.
(Petits aphorismes (Sur le Belles-Lettres, 20), p.256, Mercure de France T. 6, Novembre 1892)
La nature est un expédient qui nous facilite la connaissance de nous-mêmes.
(Petits aphorismes (Sur le Belles-Lettres, 21), p.256, Mercure de France T. 6, Novembre 1892)
Les auteurs qui abusent de la nature et qui nous décrivent un clair de lune pour nous faire assister à la rêverie d'une amante sont comme des musiciens peu experts qui, ne sachant déchaîner l'orchestre, se contentent du forte-piano.
(Petits aphorismes (Sur le Belles-Lettres, 22), p.256, Mercure de France T. 6, Novembre 1892)
La nature est contenue dans l'homme, et non l'homme dans la nature.
(Petits aphorismes (Sur le Belles-Lettres, 23), p.256, Mercure de France T. 6, Novembre 1892)
Chaque homme se regarde lui-même dans la nature. C'est pourquoi les observations sur la nature sont généralement optimistes, tandis que celles sur l'humanité sont généralement pessimistes.
(Petits aphorismes (Sur le Belles-Lettres, 24), p.256, Mercure de France T. 6, Novembre 1892)
Il faut moins accuser le naturalisme de négliger l'âme humaine que de l'encrasser. Les Grecs s'exemptaient tout aussi peu de liens charnels. Mais combien un corps est supérieur à une âme naturaliste.
(Petits aphorismes (Sur le Belles-Lettres, 25), p.257, Mercure de France T. 6, Novembre 1892)
- M. Z
** est notre plus grand romancier : l'humanité chez lui n'est qu'un troupeau de porcs.
- Non, c'est M. Y*** : l'humanité chez lui n'est qu'un frémissement d'ailes d'anges.
- Laisse
Un auteur s'écrie : J'ai vécu cela !
- C'est pourquoi c'est si peu vrai, êtes-vous tenté de répondre.
(Petits aphorismes (Sur le Belles-Lettres, 27), p.257, Mercure de France T. 6, Novembre 1892)
- Que cultivez-vous de préférence, les vers ou la prose ?
- Ma personnalité littéraire, dont les vers ou la prose ne sont que l'engrais.
(Petits aphorismes (Sur le Belles-Lettres, 28), p.257, Mercure de France T. 6, Novembre 1892)
Un auteur accordera toujours plus de talent à son dernier caudataire qu'à son plus grand rival.
(Petits aphorismes (Sur le Belles-Lettres, 29), p.257, Mercure de France T. 6, Novembre 1892)
On voit errer, sur l'océan de la littérature, de nombreux radeaux de la Méduse, où des affamés de gloire se dévorent entre eux.
(Petits aphorismes (Sur le Belles-Lettres, 30), p.257, Mercure de France T. 6, Novembre 1892)
Les pires ennemis de l'homme de lettres sont la cupidité, s'il a du talent, le désintéressement, s'il n'en a pas.
(Petits aphorismes (Sur le Belles-Lettres, 31), p.257, Mercure de France T. 6, Novembre 1892)
- Ce roman est faux d'un bout à l'autre.
- Oui, mais le chèque de l'éditeur n'était pas faux.
(Petits aphorismes (Sur le Belles-Lettres, 32), p.257, Mercure de France T. 6, Novembre 1892)
- Que vaut ce livre ?
- Cent mille francs.
- Et cet autre ?
- Moins que rien : la gloire posthume.
(Petits aphorismes (Sur le Belles-Lettres, 33), p.257, Mercure de France T. 6, Novembre 1892)
Les livres qui se vendent le moins ne sont pas les meilleurs ; mais il y a plus de chance qu'ils le soient que ceux qui se vendent le plus.
(Petits aphorismes (Sur le Belles-Lettres, 34), p.258, Mercure de France T. 6, Novembre 1892)
La lecture doit-elle être un délassement ou une occupation ? Vaine question. Tout délassement est une occupation qui a des charmes. La lecture de Platon a autant de charmes pour certains esprits que celle du roman-feuilleton pour d'autres. Mais comme les esprits futiles sont en beaucoup plus grand nombre que les esprits élevés, c'est la littérature légère qui dispose de la majorité des lecteurs.
(Petits aphorismes (Sur le Belles-Lettres, 35), p.258, Mercure de France T. 6, Novembre 1892)
Il faut tenir compte de l'art jusque dans l'infamie du roman-feuilleton. Même à ce degré inférieur, où, d'en haut, tout semble se confondre, il y a les romanciers habiles et ceux qui ne le sont pas.
(Petits aphorismes (Sur le Belles-Lettres, 36), p.258, Mercure de France T. 6, Novembre 1892)
Dans la littérature qui s'adresse aux foules j'exige au moins la morale.
(Petits aphorismes (Sur le Belles-Lettres, 37), p.258, Mercure de France T. 6, Novembre 1892)
Ce qui fait que l'on lit volontiers des oeuvres manifestement inintelligentes, c'est que l'on éprouve la satisfaction de se sentir supérieur à elles.
(Petits aphorismes (Sur le Belles-Lettres, 38), p.258, Mercure de France T. 6, Novembre 1892)
Celui qui veut débiter son esprit, comme un épicier son vin, est obligé, pour faire ses frais, de le couper de beaucoup de sottise.
(Petits aphorismes (Sur le Belles-Lettres, 39), p.258, Mercure de France T. 6, Novembre 1892)
Avoir les femmes pour soi est un des grands soucis des écrivains. Qu'ils se tranquillisent ! Ils ont toujours les femmes pour eux ; mais ils ont celles qu'ils méritent.
(Petits aphorismes (Sur le Belles-Lettres, 40), p.258, Mercure de France T. 6, Novembre 1892)
Il faut pardonner à un auteur d'être méchant : jamais d'être bête.
(Petits aphorismes (Sur le Belles-Lettres, 41), p.259, Mercure de France T. 6, Novembre 1892)
Un écrivain qui se résout au rôle d'amuseur public devrait vendre ses livres enfarinés comme une tête de pitre.
(Petits aphorismes (Sur le Belles-Lettres, 42), p.259, Mercure de France T. 6, Novembre 1892)
Pour avoir écrit une oeuvre passable, combien d'auteurs se permettant vingt livres ridicules !
(Petits aphorismes (Sur le Belles-Lettres, 43), p.259, Mercure de France T. 6, Novembre 1892)
Nous avons des trésors d'indulgence pour la sottise d'un écrivain qui une fois, par hasard, a trouvé une page qui nous charme.
(Petits aphorismes (Sur le Belles-Lettres, 44), p.259, Mercure de France T. 6, Novembre 1892)
Un auteur réputé qui commet un mauvais livre est un falsificateur qui vend un produit frauduleux sous une étiquette authentique.
(Petits aphorismes (Sur le Belles-Lettres, 45), p.259, Mercure de France T. 6, Novembre 1892)
Rien de plus juste qu'on profite de l'engouement du public pour une oeuvre ; rien de plus malhonnête qu'on profite de son engouement pour un nom.
(Petits aphorismes (Sur le Belles-Lettres, 46), p.259, Mercure de France T. 6, Novembre 1892)
Il n'y a pas de faillites, en littérature : il n'y a que des banqueroutes.
(Petits aphorismes (Sur le Belles-Lettres, 47), p.259, Mercure de France T. 6, Novembre 1892)
Le beau domine le vrai comme le ciel la terre.
(Petits aphorismes (Sur le beau, 1), p.29, Mercure de France T. 7, Janvier 1893)
Être sensible au beau, c'est le concevoir. Le beau se trouve donc être la synthèse du monde sensible et du monde idéal.
(Petits aphorismes (Sur le beau, 2), p.29, Mercure de France T. 7, Janvier 1893)
Le beau et le laid, comme le chaud et le froid, sont d'ordre identique. Le laid n'existe pas : il n'y a que plus ou moins de beauté. On appelle beau ce qui plaît, laid ce qui déplaît. Entre eux, comme entre le chaud et le froid, existe un degré d'indifférence, tout conventionnel, le zéro. Mais là, à l'encontre du zéro thermométrique, le zéro callimétrique ne peut être fixé, même par une convention. Il varie d'individu à individu, entraînant avec lui toute la série des degrés. L'un trouve beau ce que l'autre trouve laid, comme le climat de Paris paraît chaud à un Sibérien et froid à un Indou. Le laid même, en déplaisant, peut plaire et revêtir une beauté : comme en amour nombre de personnes éprouvent une volupté à de brutales et douloureuses caresses.
(Petits aphorismes (Sur le beau, 3), p.29, Mercure de France T. 7, Janvier 1893)
Il y a un beau inférieur, qui est ce qui plaît sans causer aucun travail à l'intelligence. Ce beau a un grand succès auprès des foules. Elles le préfèrent au beau supérieur, quoiqu'elles se rendent fort bien compte de son infériorité. Neuf personnes sur dix entendent plus volontiers la musique d'Offenbach que celle de Beethoven ; cependant toutes dix sont d'accord pour proclamer Beethoven un plus grand musicien qu'Offenbach.
(Petits aphorismes (Sur le beau, 4), p.29, Mercure de France T. 7, Janvier 1893)
Les plus belles choses ne résistent pas à leur vulgarisation.
(Petits aphorismes (Sur le beau, 5), p.29, Mercure de France T. 7, Janvier 1893)
Le beau doit être entouré de quelque mystère pour exercer tout son empire.
(Petits aphorismes (Sur le beau, 6), p.30, Mercure de France T. 7, Janvier 1893)
Ce que le coeur trouve beau paraît plus beau que ce que la raison trouve beau.
(Petits aphorismes (Sur le beau, 7), p.30, Mercure de France T. 7, Janvier 1893)
La vraie beauté doit éblouir toutes les facultés à la fois.
(Petits aphorismes (Sur le beau, 8), p.30, Mercure de France T. 7, Janvier 1893)
Le dernier mot de la vie, c'est la mort : et personne ne sait encore ce qu'il signifie.
(Petits aphorismes (Sur la mort, 1), p.30, Mercure de France T. 7, Janvier 1893)
La mort ne peut guère être un mal, puisqu'en mettant les choses au pis elle ne serait que l'anéantissement. Or, l'anéantissement, étant l'absence même d'existence, n'est point un mal, si ce n'est point un bien. Si, au contraire, la mort n'est point l'anéantissement, elle est l'abandon de la matière corporelle. Or, les trois quarts des maux provenant du corps et les maladies morales elles-mêmes ayant souvent pour cause l'état matériel du cerveau, la mort, en ce second cas du dilemme, serait une amélioration.
(Petits aphorismes (Sur la mort, 2), p.30, Mercure de France T. 7, Janvier 1893)
L'homme agit comme s'il ne devait jamais mourir, et sans cela il n'agirait guère.
(Petits aphorismes (Sur la mort, 3), p.30, Mercure de France T. 7, Janvier 1893)
La peur de la mort afflige généralement ceux qui ont peur de la vie.
(Petits aphorismes (Sur la mort, 4), p.30, Mercure de France T. 7, Janvier 1893)
On plaint les condamnés qui attendent pendant trois mois l'heure fatale, et qui souvent sont graciés ; on ne plaint pas les hommes qui l'attendent des années, et qui ne sont jamais graciés.
(Petits aphorismes (Sur la mort, 5), p.30, Mercure de France T. 7, Janvier 1893)
Certaines personnes se confinent dans leur deuil comme dans une maison campagne isolée, entourée d'un petit jardin où elles ont planté des cyprès, dont elles surveillent avec amour la croissance.
(Petits aphorismes (Sur la mort, 6), p.30, Mercure de France T. 7, Janvier 1893)
Il y a dans le macabre quelque chose de grossier et d'enfantin qui fait rire plus qu'il n'effraie. C'est à la fois le naturalisme et le romantisme de la mort.
(Petits aphorismes (Sur la mort, 7), p.31, Mercure de France T. 7, Janvier 1893)
Il faut du courage pour vivre ; il en faut davantage pour s'ôter la vie ; il en faut davantage encore pour vivre malgré le désir de s'ôter la vie.
(Petits aphorismes (Sur la mort, 8), p.31, Mercure de France T. 7, Janvier 1893)
Un homme qui se suicide ne mérite pas d'être traité de lâche, surtout par ceux qui n'ont aucune envie de se suicider.
(Petits aphorismes (Sur la mort, 9), p.31, Mercure de France T. 7, Janvier 1893)
Si le suicide est un crime, pourquoi ne condamne-t-on pas en justice les gens qui ont attenté à leur vie ?
(Petits aphorismes (Sur la mort, 10), p.31, Mercure de France T. 7, Janvier 1893)
Tout homme a le droit de sortir d'un lieu où il a été introduit par surprise. Et même y eût-il donné son assentiment, ce droit lui resterait acquis. En recevant la vie, personne ne s'est engagé à vivre.
(Petits aphorismes (Sur la mort, 11), p.31, Mercure de France T. 7, Janvier 1893)
L'esclavage a été aboli : on n'a oublié que celui de la vie.
(Petits aphorismes (Sur la mort, 12), p.31, Mercure de France T. 7, Janvier 1893)
On croit communément à l'immortalité de l'âme, mais point assez sûrement pour qu'on se conduise en conséquence.
(Petits aphorismes (Sur l'âme, 1), p.31, Mercure de France T. 7, Janvier 1893)
Nul besoin n'est d'imaginer l'âme comme spirituelle, c'est-à-dire d'essence autre que la matière. Nous connaissons trois états de la matière ; il est probable qu'il y en a une infinité : et, grâce à cette plausible hypothèse, nous laissons l'âme matérielle et nous ne détruisons pas l'unité philosophique de la substance.
(Petits aphorismes (Sur l'âme, 2), p.31, Mercure de France T. 7, Janvier 1893)
Il faut croire décidément à la dualité de l'âme et du corps. Remarquez que plus l'on s'exerce à penser, plus semble s'opérer une sorte de désagrégation de l'être, qui va jusqu'à la constitution d'un être intérieur presque indépendant et très différent de l'être extérieur. Nous percevons alors en nous une personnalité que nous sentons devoir être très pure, quoiqu'elle soit toujours imprégnée des impuretés que ne peuvent lui épargner les rapports nécessaires avec l'enveloppe de moeurs, d'habitudes, d'instincts, de facultés plus ou moins adaptées qui l'emprisonnent. Elle ne peut se manifester extérieurement qu'à travers cette accumulation d'obstacles ; et encore n'arrive-t-elle au jour, quand elle le peut, que chargée et empêtrée de leurs alliages, qui la rendent méconnaissable. Celui qui est arrivé à discerner en lui ce personnage intime, privé de toutes communications authentiques avec le dehors, s'aperçoit bien de la dissemblance prodigieuse qui le sépare du reste de sa nature. Autant il reconnaît l'influence de l'hérédité dans ses sens, ses goûts, ses manières, ses gestes, le vêtement de ses paroles, ses conditions morales, ses passions et ses vices, autant il voit son âme comme lui étant foncièrement personnelle et dégagée d'atavisme. Cela lui devient une certitude, à mesure qu'il constate les incessantes contradictions qui règnent entre ses lointaines perceptions internes et tout l'attirail de sa vie. Il est timide, il est lourd, il est souffrant, il est embarrassé pour exprimer sa pensée ; et là-bas, dans le silence des nuits, alors que le monde se tait, que ses facultés dorment, que le souci d'agir et d'avoir commerce avec les autres n'existe plus, il sent, au fond de son cerveau, une entité calme et sereine, étrangère aux faiblesses humaines, rayonnante, pensant sans mots et d'une insigne noblesse.
(Petits aphorismes (Sur l'âme, 3), p.32, Mercure de France T. 7, Janvier 1893)
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François (1)
Guth
Paul (12)
Guttinguer
Ulric (18)
Hadamard
Jacques (29)
Haddon
Mark (4)
Hamsun
Knut (2)
Handke
Peter (14)
Hanff
Helene (5)
Hashi
Kanseki (1)
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Helvétius
(145)
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(1)
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R. (1)
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Hermann (86)
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(20)
Lachièze-Rey
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Le Monnier
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Leblanc
Antoine (14)
Lec
(166)
Leclerc
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Marc-Antoine (19)
Lehane
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Lewis
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Rey
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Reza
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Riboutté
François-Louis (26)
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