Charles Percy Snow
1905-1980
  1. Les non-scientifiques sont fermement convaincus que les scientifiques n'ont aucune conscience de la condition humaine et que leur optimisme est un optimisme de surface. Les scientifiques, de leur côté, croient que les intellectuels littéraires sont des gens aux vues courtes, singulièrement indifférents à leurs semblables, foncièrement anti-intellectuels et soucieux de réduire l'art et la pensée au moment existentiel.
    (Les deux cultures, trad. Claude Noël, p.17, J. J. Pauvert, 1968)
     
  2. La plupart de nos semblables sont sous-alimentés et meurent prématurément. En gros, c'est cela, la condition sociale. La conscience de sa solitude recèle, pour l'homme, un piège moral : il est tentant de se complaire dans l'unicité de son propre drame et de se désintéresser des autres en les laissant mourir de faim dans leur coin.
    (Les deux cultures, trad. Claude Noël, p.19, J. J. Pauvert, 1968)
     
  3. Le chiffre 2 est un chiffre très dangereux : c'est pourquoi la dialectique est, elle aussi, un instrument très dangereux. Toute tentative en vue de diviser quoi que ce soit par deux devrait, à priori, nous inspirer une extrême méfiance.
    (Les deux cultures, trad. Claude Noël, p.21, J. J. Pauvert, 1968)
     
  4. D'instinct, tous ont les mêmes réactions. C'est cela qu'on appelle une culture.
    (Les deux cultures, trad. Claude Noël, p.24, J. J. Pauvert, 1968)
     
  5. J'ai bien des fois assisté à des réunions de personnes qui, d'après les critères de la culture traditionnelle, étaient considérées comme très évoluées, et qui s'étonnaient toutes, avec beaucoup de verve, de ce que les scientifiques fussent si incultes. Il m'est, en une ou deux occasions, arrivé de m'irriter de ces propos et de demander qui, de toute cette honorable compagnie, était capable de dire en quoi consistait la deuxième loi de la thermodynamique. Ma question jeta un froid dans l'assistance et demeura sans réponse : c'était pourtant, dans le domaine de la science, à peu près l'équivalent de la question « Avez-vous lu une oeuvre de Shakespeare ? ».
    (Les deux cultures, trad. Claude Noël, p.29, J. J. Pauvert, 1968)
     
  6. [...] Alors que se construit et s'élève le grand, le merveilleux édifice de la physique moderne, la majorité des meilleurs esprits du monde occidental s'en soucie à peu près autant que s'en seraient soucié leurs ancêtres du néolithique.
    (Les deux cultures, trad. Claude Noël, p.30, J. J. Pauvert, 1968)
     
  7. Les intellectuels, notamment les intellectuels littéraires, sont, par tempérament, des Luddites. [NDLR : Le terme « luddisme » est parfois utilisé pour désigner ceux qui s'opposent aux nouvelles technologies ou critiquent celles-ci.]
    (Les deux cultures, trad. Claude Noël, p.40, J. J. Pauvert, 1968)
     
  8. [...] Les ingénieurs sont presque tous conservateurs. Non pas réactionnaires au sens littéral le plus extrême du terme, mais conservateurs tout court. Absorbés par leur métier, qui consiste à fabriquer des choses, ils se satisfont de l'ordre établi.
    (Les deux cultures, trad. Claude Noël, p.53, J. J. Pauvert, 1968)
     
  9. Il faut regarder les choses en face. Il est techniquement possible d'étendre la révolution scientifique à l'Inde, l'Afrique, l'Asie du sud-est, l'Amérique latine et le Moyen-Orient, et ce en l'espace de cinquante ans. Les Occidentaux n'ont pas le droit de l'ignorer. De même qu'ils n'ont pas le droit d'ignorer que c'est là, pour nous, la seule façon de conjurer les trois dangers qui nous menacent, à savoir la guerre nucléaire, la surpopulation, le fossé entre les riches et les pauvres. Il est des cas où l'innocence devient le pire des crimes.
    (Les deux cultures, trad. Claude Noël, p.74, J. J. Pauvert, 1968)
     
  10. La polémique apporte à la plupart d'entre nous, sur le plan psychologique, beaucoup plus de satisfactions que la réflexion pure et simple : mais il n'empêche qu'elle nous prive de tout possibilité de cerner la vérité de plus près.
    (Les deux cultures, trad. Claude Noël, p.89, J. J. Pauvert, 1968)
     
  11. La curiosité à l'égard du monde physique, l'utilisation de systèmes de pensées symboliques sont deux des plus précieuses et des plus spécifiquement humaines de toutes les qualités humaines.
    (Les deux cultures, trad. Claude Noël, p.97, J. J. Pauvert, 1968)
     
  12. Les mots sont toujours plus simples que la réalité brute qu'ils schématisent : s'ils ne l'étaient pas, il n'y aurait plus de discussion ni de décision collective possible.
    (Les deux cultures, trad. Claude Noël, p.102, J. J. Pauvert, 1968)
     
  13. On a beaucoup de mal à imposer silence aux obsessions de son propre tempérament.
    (Les deux cultures, trad. Claude Noël, p.115, J. J. Pauvert, 1968)
     
  14. Car nous savons bien que, les besoins élémentaires de notre nature une fois satisfaits, il n'est pas facile de faire en sorte que notre propre vie soit digne d'être vécue.
    (Les deux cultures, trad. Claude Noël, p.119, J. J. Pauvert, 1968)
     
  15. On peut enseigner un mythe : mais si, ce mythe étant à vos yeux une réalité, on vous apporte la preuve que cette prétendue réalité est, en fait, une vue de l'esprit, le mythe devient mensonge. Nul n'a le droit d'enseigner un mensonge.
    (Les deux cultures, trad. Claude Noël, p.126, J. J. Pauvert, 1968)
     
  16. Les syndicats, les conventions collectives, tout appareil de l'industrie moderne peuvent paraître exaspérants aux yeux de tous ceux qui n'ont pas eu l'expérience de la pauvreté ; ils n'en forment pas moins un rempart contre l'assertion immédiate de la volonté individuelle. Et l'assertion de la volonté individuelle est la première chose que les pauvres ont refusé d'entériner, aussitôt qu'ils ont commencé à sortir de leur impuissance.
    (Les deux cultures, trad. Claude Noël, p.132, J. J. Pauvert, 1968)
     
  17. Pour peu qu'un écrivain soit bon, la postérité, à la longue, finit par lui pardonner.
    (Les deux cultures, trad. Claude Noël, p.135, J. J. Pauvert, 1968)
     
  18. Les très grands écrivains ont les reins assez solides pour survivre à l'invention de catégories nouvelles ; ils résistent à l'influence des idéologies, y compris et surtout la leur. La lecture permet à notre imagination d'embrasser un champ beaucoup plus vaste que celui de nos croyances. En compartimentant notre esprit pour en exclure tout ce qui n'entre pas dans les petits casiers que nous nous sommes construits, nous nous condamnons à la médiocrité.
    (Les deux cultures, trad. Claude Noël, p.136, J. J. Pauvert, 1968)
     
  19. Évitez les dangers de la science appliquée est une chose. Faire le bien - ce bien simple et évident que la science appliquée a mis en notre pouvoir - en est une autre, plus ardue, qui nécessite plus de qualités humaines et qui, en définitive, est, pour nous tous, infiniment plus enrichissante.
    (Les deux cultures, trad. Claude Noël, p.145, J. J. Pauvert, 1968)