Gaston Bachelard
1884-1962
- La flamme nous force à imaginer.
(La flamme d'une chandelle, p.1, Quadrige/PUF n°52)
- [...] un livre a-t-il jamais fini de dire toute la conviction de son auteur ?
(La flamme d'une chandelle, p.2, Quadrige/PUF n°52)
- Un être rêveur heureux de rêver, actif dans sa rêverie, tient une vérité de l'être, un avenir de l'être humain.
(La flamme d'une chandelle, p.2, Quadrige/PUF n°52)
- Tout rêveur de flamme est un poète en puissance. Toute rêverie devant la flamme est une rêverie qui admire.
(La flamme d'une chandelle, p.3, Quadrige/PUF n°52)
- La flamme est un monde pour l'homme seul.
(La flamme d'une chandelle, p.4, Quadrige/PUF n°52)
- On s'endort devant le feu. On ne s'endort pas devant la flamme d'une chandelle.
(La flamme d'une chandelle, p.10, Quadrige/PUF n°52)
- La flamme illustre la solitude du rêveur ; elle illumine le front pensif. La chandelle est l'astre de la page blanche.
(La flamme d'une chandelle, p.13, Quadrige/PUF n°52)
- On ne conçoit pas plus une maison sans lampe qu'une lampe sans maison.
(La flamme d'une chandelle, p.17, Quadrige/PUF n°52)
- Où a régné une lampe, règne le souvenir.
(La flamme d'une chandelle, p.17, Quadrige/PUF n°52)
- Voulez-vous être calme ? Respirez doucement devant la flamme légère qui fait posément son travail de lumière.
(La flamme d'une chandelle, p.21, Quadrige/PUF n°52)
- La flamme est un sablier qui coule vers le haut. Plus légère qu'un sable qui s'écroule, la flamme construit sa forme, comme si le temps lui-même avait toujours quelque chose à faire.
(La flamme d'une chandelle, p.24, Quadrige/PUF n°52)
- Et la flamme meurt bien : elle meurt en s'endormant.
(La flamme d'une chandelle, p.26, Quadrige/PUF n°52)
- A-t-on jamais pu d'ailleurs faire de la poésie avec de la pensée ?
(La flamme d'une chandelle, p.26, Quadrige/PUF n°52)
- Les phénomènes du monde, dès qu'ils ont un peu de consistance et d'unité, deviennent des vérités humaines.
(La flamme d'une chandelle, p.29, Quadrige/PUF n°52)
- L'image démontre, le symbolisme affirme.
(La flamme d'une chandelle, p.30, Quadrige/PUF n°52)
- On ne lit plus dès qu'une lecture sollicite un rêve.
(La flamme d'une chandelle, p.31, Quadrige/PUF n°52)
- Quand un poète parle sympathiquement d'un autre poète, ce qu'il en dit est deux fois vrai.
(La flamme d'une chandelle, p.39, Quadrige/PUF n°52)
- La flamme bruit, la flamme geint. La flamme est un être qui souffre. De sombres murmures sortent de cette géhenne. Toute petite douleur est le signe de la douleur du monde.
(La flamme d'une chandelle, p.41, Quadrige/PUF n°52)
- La solitude n'a pas d'histoire.
(La flamme d'une chandelle, p.54, Quadrige/PUF n°52)
- Seul, la nuit, avec un livre éclairé par une chandelle - livre et chandelle, double îlot de lumière, contre les doubles ténèbres de l'esprit et de la nuit.
J'étudie ! Je ne suis que le sujet du verbe étudier.
Penser je n'ose.
Avant de penser, il faut étudier.
Seuls les philosophes pensent avant d'étudier.
(La flamme d'une chandelle, p.54, Quadrige/PUF n°52)
- Plus simple est leur objet, plus grandes sont les rêveries.
(La flamme d'une chandelle, p.57, Quadrige/PUF n°52)
- Un être se rend libre en se consumant pour se renouveler, en se donnant ainsi le destin d'une flamme, en accueillant surtout le destin d'une sur-flamme qui vient briller au-dessus de sa pointe.
(La flamme d'une chandelle, p.66, Quadrige/PUF n°52)
- Dans la vie il y a aussi tant de choses à réenflammer !
(La flamme d'une chandelle, p.67, Quadrige/PUF n°52)
- La poésie est un émerveillement, très exactement au niveau de la parole, dans la parole, par la parole.
(La flamme d'une chandelle, p.77, Quadrige/PUF n°52)
- L'ivresse de l'homme achève les folies de la vigne.
(La flamme d'une chandelle, p.78, Quadrige/PUF n°52)
- [À noter que la première formule est d'Annunzio]
[...] la couleur est une épiphanie du feu ; la fleur est une ontophanie de la lumière.
(La flamme d'une chandelle, p.85, Quadrige/PUF n°52)
- Le ciel et les fleurs sont d'accord pour apprendre au méditant la méditation lente, la méditation qui prie.
(La flamme d'une chandelle, p.86, Quadrige/PUF n°52)
- Nous sommes entrés dans l'ère de la lumière administrée. Notre seul rôle est de tourner un commutateur. Nous ne sommes plus que le sujet mécanique d'un geste mécanique. Nous ne pouvons pas profiter de cet acte pour nous constituer, en un orgueil légitime, comme le sujet du verbe allumer.
(La flamme d'une chandelle, p.90, Quadrige/PUF n°52)
- On a toujours à gagner à donner aux objets familiers l'amitié attentive qu'ils méritent.
(La flamme d'une chandelle, p.91, Quadrige/PUF n°52)
- Les mots et leurs tendres flexions, nous aident à bien rêver. Donnez des qualités aux choses, donnez, du fond du coeur, leur juste puissance aux êtres agissants, et l'univers resplendit. Une bonne lampe, une bonne mèche, de bonne huile et voilà une lumière qui réjouit le coeur de l'homme. Qui aime la belle flamme aime la bonne huile.
(La flamme d'une chandelle, p.93, Quadrige/PUF n°52)
- Comment aussi un rêveur de mots ne serait-il pas ému quand l'étymologie lui enseigne que le pétrole est de l'huile pétrifiée ? Des profondeurs de la terre, la lampe fait monter la lumière. Plus vieille est la substance qu'elle travaille, plus sûrement la lampe est rêvée dans son statut de créature créante.
(La flamme d'une chandelle, p.94, Quadrige/PUF n°52)
- Oui, la lumière d'un regard, où va-t-elle quand la mort met son doigt froid sur les yeux d'un mourant ?
(La flamme d'une chandelle, p.96, Quadrige/PUF n°52)
- Nous avons souvent lu et relu Hyacinthe [de Henri Bosco à qui, d'ailleurs est dédié ce livre. -GGJ]. Jamais deux fois nous n'avons fait la même lecture... Quel mauvais professeur de littérature nous eussions fait !
(La flamme d'une chandelle, p.105, Quadrige/PUF n°52)
- La page blanche ! ce grand désert à traverser, jamais traversé.
(La flamme d'une chandelle, p.108, Quadrige/PUF n°52)
- Dans la tension devant un livre au développement rigoureux, l'esprit se construit et se reconstruit. Tout devenir de pensée, tout avenir de pensée, est dans une reconstruction de l'esprit.
(La flamme d'une chandelle, p.112, Quadrige/PUF n°52)
- Il suffit que nous parlions d'un objet pour nous croire objectifs. Mais par notre premier choix, l'objet nous désigne plus que nous ne le désignons et ce que nous croyons nos pensées fondamentales sur le monde sont souvent des confidences sur la jeunesse de notre esprit.
(La psychanalyse du feu, p.11, Folio/essais n°25)
- Loin de s'émerveiller, la pensée objective doit ironiser.
(La psychanalyse du feu, p.12, Folio/essais n°25)
- [...] où les poèmes cachent les théorèmes.
(La psychanalyse du feu, p.12, Folio/essais n°25)
- Il ne faut qu'un soir d'hiver, que le vent autour de la maison, qu'un feu clair, pour qu'une âme douloureuse dise à la fois ses souvenirs et ses peines.
(La psychanalyse du feu, p.15, Folio/essais n°25)
- Quand nous nous tournons vers nous-mêmes, nous nous détournons de la vérité.
(La psychanalyse du feu, p.17, Folio/essais n°25)
- Il faut que chacun s'apprenne à échapper à la raideur des habitudes d'esprit formées au contact des expériences familières. Il faut que chacun détruise plus soigneusement encore ses phobies, ses « philies , ses complaisances pour les intuitions premières.
(La psychanalyse du feu, p.18, Folio/essais n°25)
- [...] se moquer de soi-même. Aucun progrès n'est possible dans la connaissance objective sans cette ironie autocritique.
(La psychanalyse du feu, p.18, Folio/essais n°25)
- Quand il s'agit d'écrire des sottises, il serait vraiment trop facile de faire un gros livre.
(La psychanalyse du feu, p.19, Folio/essais n°25)
- Si tout ce qui change lentement s'explique par la vie, tout ce qui change vite s'explique par le feu.
(La psychanalyse du feu, p.23, Folio/essais n°25)
- Parmi tous les phénomènes, [le feu] est vraiment le seul qui puisse recevoir aussi nettement les deux valorisations contraires : le bien et le mal. Il brille au Paradis. Il brûle à l'Enfer.
(La psychanalyse du feu, p.23, Folio/essais n°25)
- Le complexe de Prométhée est le complexe d'OEdipe de la vie intellectuelle.
[GGJ : Bachelard définit le complexe de Prométhée comme étant « toutes les tendances qui nous poussent à savoir autant que nos pères, plus que nos pères, autant que nos maîtres, plus que nos maîtres. » p.30]
(La psychanalyse du feu, p.31, Folio/essais n°25)
- Le feu couve dans une âme plus sûrement que sous la cendre.
(La psychanalyse du feu, p.35, Folio/essais n°25)
- Le rêve chemine linéairement, oubliant son chemin en courant. La rêverie travaille en étoile. Elle revient à son centre pour lancer de nouveaux rayons.
(La psychanalyse du feu, p.36, Folio/essais n°25)
- La conquête du superflu donne une excitation spirituelle plus grande que la conquête du nécessaire. L'homme est une création du désir, non pas une création du besoin.
(La psychanalyse du feu, p.38, Folio/essais n°25)
- La mort dans la flamme est la moins solitaire des morts. C'est vraiment une mort cosmique où tout un univers s'anéantit avec le penseur. Le bûcher est un compagnon d'évolution.
(La psychanalyse du feu, p.43, Folio/essais n°25)
- Le rêve est plus fort que l'expérience.
(La psychanalyse du feu, p.44, Folio/essais n°25)
- On ne peut étudier que ce qu'on a d'abord rêvé. La science se forme plutôt sur une rêverie que sur une expérience et il faut bien des expériences pour effacer les brumes du songe.
(La psychanalyse du feu, p.48, Folio/essais n°25)
- L'amour n'est qu'un feu à transmettre. Le feu n'est qu'un amour à surprendre.
(La psychanalyse du feu, p.52, Folio/essais n°25)
- Il suffit en effet de considérer un phénomène nouveau pour constater la difficulté d'une attitude objective vraiment idoine. Il semble que l'inconnu du phénomène s'oppose activement, positivement, à son objectivation. À l'inconnu ne correspond pas l'ignorance, mais bien l'erreur, et l'erreur sous la forme la plus lourde des tares subjectives.
(La psychanalyse du feu, p.53, Folio/essais n°25)
- La profondeur, c'est ce qu'on cache ; c'est ce qu'on tait. On a toujours le droit d'y penser.
(La psychanalyse du feu, p.57, Folio/essais n°25)
- La manière dont on imagine est souvent plus instructive que ce qu'on imagine.
(La psychanalyse du feu, p.58, Folio/essais n°25)
- On ne résiste jamais complètement à un préjugé qu'on perd beaucoup de temps à attaquer.
(La psychanalyse du feu, p.116, Folio/essais n°25)
- L'homme est peut-être le premier objet naturel où la nature essaie de se contredire.
(La psychanalyse du feu, p.132, Folio/essais n°25)
- La psychologie du savant doit tendre à une psychologie clairement normative ; le savant doit se refuser à personnaliser sa connaissance ; corrélativement, il doit s'efforcer de socialiser ses convictions.
(La psychanalyse du feu, p.134, Folio/essais n°25)
- C'est en effet par la contradiction qu'on arrive le plus aisément à l'originalité, et l'originalité est une des prétentions dominantes de l'inconscient.
(La psychanalyse du feu, p.139, Folio/essais n°25)
- Il ne faut pas trop vite s'adresser aux constructions de la raison pour comprendre un génie littéraire original. L'inconscient, lui aussi, est un facteur d'originalité.
(La psychanalyse du feu, p.150, Folio/essais n°25)
- Pas de pensée scientifique sans refoulement. Le refoulement est à l'origine de la pensée attentive, réfléchie, abstraite. Toute pensée cohérente est construite sur un système d'inhibitions solides et claires. Il y a une joie de la raideur au fond de la joie de la culture. C'est en tant qu'il est joyeux que le refoulement bien fait est dynamique et utile.
(La psychanalyse du feu, p.170, Folio/essais n°25)
- Avouer qu'on s'était trompé, c'est rendre le plus éclatant hommage à la perspicacité de son esprit. C'est revivre sa culture, la renforcer, l'éclairer de lumières convergentes. C'est aussi l'extérioriser, la proclamer, l'enseigner. Alors prend naissance la pure jouissance du spirituel.
(La psychanalyse du feu, p.171, Folio/essais n°25)
- [...] un esprit poétique est purement et simplement une syntaxe des métaphores. Chaque poète devrait alors donner lieu à un diagramme qui indiquerait le sens et la symétrie de ses coordinations métaphoriques, exactement comme le diagramme d'une fleur fixe le sens et les symétries de son action florale. Il n'y a pas de fleur réelle sans cette convenance géométrique.
(La psychanalyse du feu, p.185, Folio/essais n°25)
- Psychiquement, nous sommes créés par notre rêverie. Créés et limités par notre rêverie, car c'est la rêverie qui dessine les derniers confins de notre esprit.
(La psychanalyse du feu, p.187, Folio/essais n°25)
- Pour être heureux, il faut penser au bonheur d'un autre.
(La psychanalyse du feu, p.187, Folio/essais n°25)
- Quand une âme sensible et cultivée se souvient de ses efforts pour dessiner, d'après son propre destin intellectuel, les grandes lignes de la Raison, quand elle étudie, par la mémoire, l'histoire de sa propre culture, elle se rend compte qu'à la base des certitudes intimes reste toujours le souvenir d'une ignorance essentielle. Dans le règne de la connaissance elle-même, il y a ainsi une faute originelle, c'est d'avoir une origine ; c'est de faillir à la gloire d'être intemporel ; c'est de ne pas s'éveiller soi-même pour rester soi-même, mais d'attendre du monde obscur la leçon de lumière.
(L'Intuition de l'instant, p.5, Livre de Poche/biblio-essais n°4197)
- Qu'elle vienne de la souffrance ou qu'elle vienne de la joie, tout homme a dans sa vie cette heure de lumière, l'heure où il comprend soudain son propre message, l'heure où la connaissance en éclairant la passion décèle à la fois les règles et la monotonie du Destin, le moment vraiment synthétique où l'échec décisif, en donnant la conscience de l'irrationnel, devient tout de même la réussite de la pensée.
(L'Intuition de l'instant, p.6, Livre de Poche/biblio-essais n°4197)
- [...] une intuition ne se prouve pas, elle s'expérimente.
(L'Intuition de l'instant, p.8, Livre de Poche/biblio-essais n°4197)
- Il faut la mémoire de beaucoup d'instants pour faire un souvenir complet. De même le deuil le plus cruel, c'est la conscience de l'avenir trahi et quand survient l'instant déchirant où un être cher ferme les yeux, immédiatement on sent avec quelle nouveauté hostile l'instant suivant « assaille » notre coeur.
(L'Intuition de l'instant, p.15, Livre de Poche/biblio-essais n°4197)
- [En parlant des mathématiciens]
[...] ces prophètes de l'abstrait [...]
(L'Intuition de l'instant, p.17, Livre de Poche/biblio-essais n°4197)
- [...] la durée est faite d'instants sans durée, comme la droite est faite de points sans dimension.
(L'Intuition de l'instant, p.20, Livre de Poche/biblio-essais n°4197)
- [...] la vie ne peut être comprise dans une contemplation passive ; la comprendre, c'est plus que la vivre, c'est vraiment la propulser.
(L'Intuition de l'instant, p.22, Livre de Poche/biblio-essais n°4197)
- [...] cette toile impressionniste qu'est le livre l'Évolution Créatrice.
(L'Intuition de l'instant, p.24, Livre de Poche/biblio-essais n°4197)
- Dans une évolution vraiment créatrice, il n'y a qu'une loi générale, c'est qu'un accident est à la racine de toute tentative d'évolution.
(L'Intuition de l'instant, p.24, Livre de Poche/biblio-essais n°4197)
- Tout ce qui est simple, tout ce qui est fort en nous, tout ce qui est durable même, est le don d'un instant.
(L'Intuition de l'instant, p.34, Livre de Poche/biblio-essais n°4197)
- On se souvient d'avoir été, on ne se souvient pas d'avoir duré.
(L'Intuition de l'instant, p.34, Livre de Poche/biblio-essais n°4197)
- [...] il n'y a vraiment que le néant qui soit continu.
(L'Intuition de l'instant, p.38, Livre de Poche/biblio-essais n°4197)
- [...] le possible est une tentation que le réel finit toujours par accepter.
(L'Intuition de l'instant, p.55, Livre de Poche/biblio-essais n°4197)
- La plus grande des forces, c'est la naïveté.
(L'Intuition de l'instant, p.66, Livre de Poche/biblio-essais n°4197)
- [...] c'est la pensée qui mène l'être. C'est par la pensée obscure ou claire, par ce qui a été compris et surtout par ce qui a été voulu, dans l'unité et l'innocence de l'acte, que les êtres se transmettent leur héritage.
(L'Intuition de l'instant, p.71, Livre de Poche/biblio-essais n°4197)
- [...] l'habitude est la volonté de commencer à se répéter soi-même.
[...] La répétition qui la caractérise est une répétition qui en s'instruisant construit.
(L'Intuition de l'instant, p.79, Livre de Poche/biblio-essais n°4197)
- [...] ce qui commande l'être, c'est moins les circonstances nécessaires pour subsister que les conditions suffisantes pour progresser.
(L'Intuition de l'instant, p.80, Livre de Poche/biblio-essais n°4197)
- Le temps ne dure qu'en inventant.
(L'Intuition de l'instant, p.86, Livre de Poche/biblio-essais n°4197)
- [...] Guyau disait encore dans un vers de philosophie :
« Le bonheur le plus doux est celui qu'on espère. »
Nous répondons nous-même en évoquant
« Le bonheur le plus pur, celui qu'on a perdu. »
(L'Intuition de l'instant, p.92, Livre de Poche/biblio-essais n°4197)
- Une souffrance est toujours reliée à une rédemption, une joie à un effort intellectuel.
(L'Intuition de l'instant, p.94, Livre de Poche/biblio-essais n°4197)
- La durée intime, c'est toujours la sagesse. Ce qui coordonne le monde ce ne sont pas les forces du passé, c'est l'harmonie tout en tension que le monde va réaliser.
(L'Intuition de l'instant, p.95, Livre de Poche/biblio-essais n°4197)
- [...] cette nécessité métaphysique : On doit faire tenir dans une même pensée le regret et l'espérance.
(L'Intuition de l'instant, p.99, Livre de Poche/biblio-essais n°4197)
- L'amertume de la vie, c'est le regret de ne pouvoir espérer, de ne plus entendre les rythmes qui nous sollicitent à jouer notre partie dans la symphonie du devenir. C'est alors que le « regret souriant » nous conseille d'inviter la Mort et d'accepter, comme une chanson qui berce, les rythmes monotones de la Matière.
(L'Intuition de l'instant, p.100, Livre de Poche/biblio-essais n°4197)
- L'optimisme est volonté alors même que le pessimisme est connaissance claire.
(L'Intuition de l'instant, p.100, Livre de Poche/biblio-essais n°4197)
- [...] le temps de la prosodie est horizontal, le temps de la poésie est vertical.
(Instant poétique et instant métaphysique in L'Intuition de l'instant, p.104, Livre de Poche/biblio-essais n°4197)
- Essentiellement, l'instant poétique est une relation harmonique de deux contraires. Dans l'instant passionné du poète, il y a toujours un peu de raison ; dans le refus raisonné, il reste toujours un peu de passion. Les antithèses successives plaisent déjà au poète. Mais pour le ravissement, pour l'extase, il faut que les antithèses se contractent en ambivalence. Alors l'instant poétique surgit...
(Instant poétique et instant métaphysique in L'Intuition de l'instant, p.104, Livre de Poche/biblio-essais n°4197)
- Le mystère poétique est une androgynie.
(Instant poétique et instant métaphysique in L'Intuition de l'instant, p.105, Livre de Poche/biblio-essais n°4197)
- Or le temps est un ordre et n'est rien autre chose. Et tout ordre est un temps.
(Instant poétique et instant métaphysique in L'Intuition de l'instant, p.105, Livre de Poche/biblio-essais n°4197)
- Voici les trois ordres d'expériences successives qui doivent délier l'être enchaîné dans le temps horizontal :
1° s'habituer à ne pas référer son temps propre au temps des autres - briser les cadres sociaux de la durée ;
2° s'habituer à ne pas référer son temps propre au temps des choses - briser les cadres phénoménaux de la durée ;
3° s'habituer - dur exercice - à ne pas référer son temps propre au temps de la vie - ne plus savoir si le coeur bat, si la joie pousse - briser les cadres vitaux de la durée.
(Instant poétique et instant métaphysique in L'Intuition de l'instant, p.106, Livre de Poche/biblio-essais n°4197)
- Pour vivre, il faut toujours trahir des fantômes...
(Instant poétique et instant métaphysique in L'Intuition de l'instant, p.107, Livre de Poche/biblio-essais n°4197)
- La nuit n'est pas un espace. Elle est une menace d'éternité.
(Instant poétique et instant métaphysique in L'Intuition de l'instant, p.110, Livre de Poche/biblio-essais n°4197)
- Rendre géométrique la représentation, c'est-à-dire dessiner les phénomènes et ordonner en série les événements décisifs d'une expérience, voilà la tâche où s'affirme l'esprit scientique.
(La formation de l'esprit scientifique [Incipit], p.5, Librairie Philosophique J. Vrin, 1970)
- La science de la réalité ne se contente plus du comment phénoménologique ; elle cherche le pourquoi mathématique.
(La formation de l'esprit scientifique, p.5, Librairie Philosophique J. Vrin, 1970)
- Il y a si loin du livre imprimé au livre lu, si loin du livre lu au livre compris, assimilé, retenu ! Même chez un esprit clair, il y a des zones obscures, des cavernes où continuent à vivre des ombres. Même chez l'homme nouveau, il reste des vestiges du vieil homme. En nous, le XVIIIe siècle continue sa vie sourde : il peut - hélas - réapparaître.
(La formation de l'esprit scientifique, p.7, Librairie Philosophique J. Vrin, 1970)
- [...] on ne peut se prévaloir d'un esprit scientifique tant qu'on n'est pas assuré, à tous les moments de la vie pensive, de reconstruire tout son savoir. Seuls les axes rationnels permettent ces reconstructions. Le reste est basse mnémotechnie. La patience de l'érudition n'a rien à voir avec la patience scientifique.
(La formation de l'esprit scientifique, p.7, Librairie Philosophique J. Vrin, 1970)
- On tient beaucoup à ce qu'on a péniblement acquis.
(La formation de l'esprit scientifique, p.7, Librairie Philosophique J. Vrin, 1970)
- Donner et surtout garder un intérêt vital à la recherche désintéressée, tel n'est-il pas le premier devoir de l'éducateur, à quelque stade de la formation que ce soit ?
(La formation de l'esprit scientifique, p.9, Librairie Philosophique J. Vrin, 1970)
- [...] la science est l'esthétique de l'intelligence.
(La formation de l'esprit scientifique, p.10, Librairie Philosophique J. Vrin, 1970)
- La connaissance du réel est une lumière qui projette toujours quelque part des ombres. Elle n'est jamais immédiate et pleine. Les révélations du réel sont toujours récurrentes. Le réel n'est jamais « ce qu'on pourrait croire » mais il est toujours ce qu'on aurait dû penser. La pensée empirique est claire, après coup, quand l'appareil des raisons a été mis au point. En revenant sur un passé d'erreurs, on trouve la vérité en un véritable repentir intellectuel. En fait, on connaît contre une connaissance antérieure, en détruisant des connaissances mal faites, en surmontant ce qui, dans l'esprit même, fait obstacle à la spiritualisation.
(La formation de l'esprit scientifique, p.13, Librairie Philosophique J. Vrin, 1970)
- Face au réel, ce qu'on croit savoir clairement offusque ce qu'on devrait savoir. Quand il se présente à la culture scientifique, l'esprit n'est jamais jeune. Il est même très vieux, car il a l'âge de ses préjugés. Accéder à la science, c'est, spirituellement, rajeunir, c'est accepter une mutation brusque qui doit contredire un passé.
(La formation de l'esprit scientifique, p.14, Librairie Philosophique J. Vrin, 1970)
- L'opinion pense mal ; elle ne pense pas : elle traduit des besoins en connaissances. En désignant les objets par leur utilité, elle s'interdit de les connaître. On ne peut rien fonder sur l'opinion : il faut d'abord la détruire. Elle est le premier obstacle à surmonter. Il ne suffirait pas, par exemple, de la rectifier sur des points particuliers, en maintenant, comme une sorte de morale provisoire, une connaissance vulgaire provisoire. L'esprit scientifique nous interdit d'avoir une opinion sur des questions que nous ne comprenons pas, sur des questions que nous ne savons pas formuler clairement. Avant tout, il faut savoir poser des problèmes. Et quoi qu'on dise, dans la vie scientifique, les problèmes ne se posent pas d'eux-mêmes. C'est précisément ce sens du problème qui donne la marque du véritable esprit scientifique. Pour un esprit scientifique, toute connaissance est une réponse à une question. S'il n'y a pas eu de question, il ne peut y avoir connaissance scientifique. Rien ne va de soi. Rien n'est donné. Tout est construit.
(La formation de l'esprit scientifique, p.14, Librairie Philosophique J. Vrin, 1970)
- « Notre esprit, dit justement M. Bergson [in La Pensée et le Mouvant, Paris, 1934, p. 231] a une irrésistible tendance à considérer comme plus claire l'idée qui lui sert le plus souvent. » [...] Il vient un temps où l'esprit aime mieux ce qui confirme son savoir que ce qui le contredit, où il aime mieux les réponses que les questions. Alors l'instinct conservatif domine, la croissance spirituelle s'arrête.
(La formation de l'esprit scientifique, p.15, Librairie Philosophique J. Vrin, 1970)
- [...] c'est verser dans un vain optimisme que de penser que savoir sert automatiquement à savoir, que la culture devient d'autant plus facile qu'elle est plus étendue, que l'intelligence enfin, sanctionnée par des succès précoces, par de simples concours universitaires, se capitalise comme une richesse matérielle. En admettant même qu'une tête bien faite échappe au narcissisme intellectuel si fréquent dans la culture littéraire, dans l'adhésion passionnée aux jugements du goût, on peut sûrement dire qu'une tête bien faite est malheureusement une tête fermée. C'est un produit d'école.
(La formation de l'esprit scientifique, p.15, Librairie Philosophique J. Vrin, 1970)
- [...] l'homme animé par l'esprit scientifique désire sans doute savoir, mais c'est aussitôt pour mieux interroger.
(La formation de l'esprit scientifique, p.16, Librairie Philosophique J. Vrin, 1970)
- L'historien des sciences doit prendre les idées comme des faits. L'épistémologue doit prendre les faits comme des idées, en les insérant dans un système de pensées. Un fait mal interprété par une époque reste un fait pour l'historien. C'est, au gré de l'épistémologue, un obstacle, c'est une contre-pensée.
(La formation de l'esprit scientifique, p.17, Librairie Philosophique J. Vrin, 1970)
- Dans l'éducation, la notion d'obstacle pédagogique est également méconnue. J'ai souvent été frappé du fait que les professeurs de sciences, plus encore que les autres si c'est possible, ne comprennent pas qu'on ne comprenne pas. Peu nombreux sont ceux qui ont creusé la psychologie de l'erreur, de l'ignorance et de l'irréflexion. [...] Les professeurs de sciences imaginent que l'esprit commence comme une leçon, qu'on peut toujours refaire une culture nonchalante en redoublant une classe, qu'on peut faire comprendre une démonstration en la répétant point pour point. Ils n'ont pas réfléchi au fait que l'adolescent arrive dans la classe de Physique avec des connaissances empiriques déjà constituées : il s'agit alors, non pas d'acquérir une culture expérimentale, mais bien de changer de culture expérimentale, de renverser les obstacles déjà amoncelés par la vie quotidienne.
(La formation de l'esprit scientifique, p.18, Librairie Philosophique J. Vrin, 1970)
- Au cours d'une carrière déjà longue et diverse, je n'ai jamais vu un éducateur changer de méthode d'éducation. Un éducateur n'a pas le sens de l'échec précisément parce qu'il se croit un maître. Qui enseigne commande.
(La formation de l'esprit scientifique, p.19, Librairie Philosophique J. Vrin, 1970)
- Il est si doux à la paresse intellectuelle d'être cantonnée dans l'empirisme, d'appeler un fait un fait et d'interdire la recherche d'une loi !
(La formation de l'esprit scientifique, p.30, Librairie Philosophique J. Vrin, 1970)
- Une science qui accepte les images est, plus que toute autre, victime des métaphores. Aussi l'esprit scientifique doit-il sans cesse lutter contre les images, contre les analogies, contre les métaphores.
(La formation de l'esprit scientifique, p.38, Librairie Philosophique J. Vrin, 1970)
- Mieux vaudrait une ignorance complète qu'une connaissance privée de son principe fondamental.
(La formation de l'esprit scientifique, p.40, Librairie Philosophique J. Vrin, 1970)
- Le P. Louis Castel disait fort bien [in L'Optique des couleurs] : « La méthode des faits, pleine d'autorité et d'empire, s'arroge un air de divinité qui tyrannise notre créance, et impose à notre raison. Un homme qui raisonne, qui démontre même, me prend pour un homme : je raisonne avec lui ; il me laisse la liberté du jugement ; et ne me force que par ma propre raison. Celui qui crie voilà un fait, me prend pour un esclave. »
(La formation de l'esprit scientifique, p.41, Librairie Philosophique J. Vrin, 1970)
- Au spectacle des phénomènes les plus intéressants, les plus frappants, l'homme va naturellement avec tous ses désirs, avec toutes ses passions, avec toute son âme. On ne doit donc pas s'étonner que la première connaissance objective soit une première erreur.
(La formation de l'esprit scientifique, p.54, Librairie Philosophique J. Vrin, 1970)
- Une connaissance générale est presque fatalement une connaissance vague.
(La formation de l'esprit scientifique, p.72, Librairie Philosophique J. Vrin, 1970)
- Ce qui est occulte est enfermé.
(La formation de l'esprit scientifique, p.98, Librairie Philosophique J. Vrin, 1970)
- On pense comme on voit, on pense ce qu'on voit : une poussière colle à la paroi électrisée, donc l'électricité est une colle, une glue.
(La formation de l'esprit scientifique, p.103, Librairie Philosophique J. Vrin, 1970)
- L'imagination travaille en dépit des oppositions de l'expérience. On ne se détache pas du merveilleux quand une fois on lui a donné sa créance, et pendant longtemps on s'acharne à rationaliser la merveille plutôt qu'à la réduire.
(La formation de l'esprit scientifique, p.108, Librairie Philosophique J. Vrin, 1970)
- [...] moins une idée est précise et plus on trouve de mots pour l'exprimer. Au fond, le progrès de la pensée scientifique revient à diminuer le nombre des adjectifs qui conviennent à un substantif et non point à l'augmenter. On pense scientifiquement des attributs en les hiérarchisant et non pas en les juxtaposant.
(La formation de l'esprit scientifique, p.112, Librairie Philosophique J. Vrin, 1970)
- [...] cet optimisme récurrent des historiens des sciences qui veulent souvent plaquer sur les découvertes anciennes les valeurs nouvelles.
(La formation de l'esprit scientifique, p.123, Librairie Philosophique J. Vrin, 1970)
- Le signe premier de la certitude scientifique, c'est qu'elle peut être revécue aussi bien dans son analyse que dans sa synthèse.
(La formation de l'esprit scientifique, p.133, Librairie Philosophique J. Vrin, 1970)
- Mme Metzger écrit justement [in Les Doctrines chimiques en France] : « Les passions n'agiraient pas longtemps dans le même sens si elles ne rencontraient quelque complice dans l'esprit de ceux qui se laissent séduire par elles. ». On peut, en d'autres occasions, inverser très exactement le rapport et dire « la pensée n'agirait pas longtemps dans le même sens si elle ne rencontrait quelque complice dans les passions de ceux qui se laissent guider par les lumières de la pensée ».
(La formation de l'esprit scientifique, p.145, Librairie Philosophique J. Vrin, 1970)
- Dans le domaine de la culture intellectuelle, plus la faute est récente, et plus le péché est grave...
(La formation de l'esprit scientifique, p.155, Librairie Philosophique J. Vrin, 1970)
- Aux hommes les plus cultivés, il suffit parfois d'un commencement ou d'un prétexte de rationalisation pour accepter la « science » de la baguette magique.
(La formation de l'esprit scientifique, p.165, Librairie Philosophique J. Vrin, 1970)
- On ne critique pas la technique de ses pères.
(La formation de l'esprit scientifique, p.175, Librairie Philosophique J. Vrin, 1970)
- C'est aimer profondément que d'aimer des qualités contradictoires.
(La formation de l'esprit scientifique, p.181, Librairie Philosophique J. Vrin, 1970)
- On ne peut penser longtemps à un mystère, à une énigme, à une entreprise chimérique, sans en sexualiser, d'une manière plus ou moins sourde, le principe et les péripéties.
(La formation de l'esprit scientifique, p.185, Librairie Philosophique J. Vrin, 1970)
- [...] des absurdités cohérentes.
(La formation de l'esprit scientifique, p.185, Librairie Philosophique J. Vrin, 1970)
- La désillusion de l'enfant toujours déçu par l'intérieur du polichinelle n'a d'égale que la désillusion de l'amoureux quand il connaît sa maîtresse.
(La formation de l'esprit scientifique, p.193, Librairie Philosophique J. Vrin, 1970)
- [...] deux interlocuteurs, qui s'entretiennent en apparence d'un objet précis, nous renseignent plus sur eux-mêmes que sur cet objet.
(La formation de l'esprit scientifique, p.193, Librairie Philosophique J. Vrin, 1970)
- Dans un travail monotone - et tout travail instruit est monotone - l'home faber ne fait pas de géométrie, il fait des vers.
(La formation de l'esprit scientifique, p.194, Librairie Philosophique J. Vrin, 1970)
- Une philosophie n'est pas cohérente par son objet ; elle n'a comme cohésion que la communauté des valeurs affectives de l'auteur et du lecteur.
(La formation de l'esprit scientifique, p.203, Librairie Philosophique J. Vrin, 1970)
- On le voit, c'est l'homme tout entier avec sa lourde charge d'ancestralité et d'inconscience, avec toute sa jeunesse confuse et contingente, qu'il faudrait considérer si l'on voulait prendre la mesure des obstacles qui s'opposent à la connaissance objective, à la connaissance tranquille. Hélas ! les éducateurs ne travaillent guère à donner cette tranquillité ! Partant, ils ne guident pas les élèves vers la connaissance de l'objet. Ils jugent plus qu'ils n'enseignent ! Ils ne font rien pour guérir l'anxiété qui saisit tout esprit devant la nécessité de corriger sa propre pensée et de sortir de soi pour trouver la vérité objective.
(La formation de l'esprit scientifique, p.209, Librairie Philosophique J. Vrin, 1970)
- L'excès de précision, dans le règne de la quantité, correspond très exactement à l'excès du pittoresque, dans le règne de la qualité. La précision numérique est souvent une émeute de chiffres, comme le pittoresque est, pour parler comme Baudelaire, « une émeute de détails ».
(La formation de l'esprit scientifique, p.212, Librairie Philosophique J. Vrin, 1970)
- Il faut réfléchir pour mesurer et non pas mesurer pour réfléchir.
(La formation de l'esprit scientifique, p.213, Librairie Philosophique J. Vrin, 1970)
- Mais l'enseignement des résultats de la science n'est jamais un enseignement scientifique. Si l'on n'explicite pas la ligne de production spirituelle qui a conduit au résultat, on peut être sûr que l'élève combinera le résultat avec ses images les plus familières. Il faut bien « qu'il comprenne ». On ne peut retenir qu'en comprenant. L'élève comprend à sa manière.
(La formation de l'esprit scientifique, p.234, Librairie Philosophique J. Vrin, 1970)
- Dis-moi ce que tu vois et je te dirai ce que c'est.
(La formation de l'esprit scientifique, p.241, Librairie Philosophique J. Vrin, 1970)
- Ce n'est pas en pleine lumière, c'est au bord de l'ombre que le rayon en se diffractant, nous confie ses secrets.
(La formation de l'esprit scientifique, p.241, Librairie Philosophique J. Vrin, 1970)
- [...] il faut comprendre que le microscope est une prolongement de l'esprit plutôt que de l'oeil. Ainsi la précision discursive et sociale fait éclater les insuffisances intuitives et personnelles. Plus une mesure est fine, plus elle est indirecte. La science du solitaire est qualitative. La science socialisée est quantitative.
(La formation de l'esprit scientifique, p.242, Librairie Philosophique J. Vrin, 1970)
- Et murmurons à notre tour, tout entier à la vie intellectuelle : erreur, tu n'es pas un mal.
(La formation de l'esprit scientifique, p.243, Librairie Philosophique J. Vrin, 1970)
- Qui est enseigné doit enseigner. Une instruction qu'on reçoit sans la transmettre forme des esprits sans dynamisme, sans autocritique.
(La formation de l'esprit scientifique, p.244, Librairie Philosophique J. Vrin, 1970)
- Il ne suffit point à l'homme d'avoir raison, il faut qu'il ait raison contre quelqu'un. Sans l'exercice social de sa conviction rationnelle, la raison profonde n'est pas loin d'être une rancune.
(La formation de l'esprit scientifique, p.245, Librairie Philosophique J. Vrin, 1970)
- [...] il court toujours un jeu de nuances philosophiques sur un enseignement vivant : un enseignement reçu est psychologiquement un empirisme ; un enseignement donné est psychologiquement un rationalisme. Je vous écoute : je suis tout ouïe. Je vous parle : je suis tout esprit. Même si nous disons la même chose, ce que vous dites est toujours un peu irrationnel ; ce que je dis est toujours un peu rationnel. Vous avez toujours un peu tort, et j'ai toujours un peu raison. La matière enseignée importe peu. L'attitude psychologique faite, d'une part, de résistance et d'incompréhension, d'autre part, d'impulsion et d'autorité, devient l'élément décisif dans l'enseignement réel, quand on quitte le livre pour parler aux hommes.
(La formation de l'esprit scientifique, p.246, Librairie Philosophique J. Vrin, 1970)
- Balzac disait que les célibataires remplacent les sentiments par les habitudes. De même, les professeurs remplacent les découvertes par des leçons. Contre cette indolence intellectuelle qui nous prive peu à peu de notre sens des nouveautés spirituelles, l'enseignement des découvertes le long de l'histoire scientifique est d'un grand secours. Pour apprendre aux élèves à inventer, il est bon de leur donner le sentiment qu'ils auraient pu découvrir.
(La formation de l'esprit scientifique, p.247, Librairie Philosophique J. Vrin, 1970)
- Ce qui sert la vie l'immobilise. Ce qui sert l'esprit le met en mouvement.
(La formation de l'esprit scientifique, p.251, Librairie Philosophique J. Vrin, 1970)
- Alors oui, l'École continue tout le long d'une vie. Une culture bloquée sur un temps scolaire est la négation même de la culture scientifique. Il n'y a de science que par une École permanente. C'est cette école que la science doit fonder. Alors les intérêts sociaux seront définitivement inversés : la Société sera faite pour l'École et non pas l'École pour la Société.
(La formation de l'esprit scientifique [Excipit], p.252, Librairie Philosophique J. Vrin, 1970)
- La science crée en effet de la philosophie.
(Le nouvel esprit scientifique, p.7, PUF, 1934)
- Mais si on ne fait pas indûment abstraction de la psychologie du mathématicien, on ne tarde pas à s'apercevoir qu'il y a dans l'activité mathématique plus qu'une organisation formelle de schèmes et que toute idée pure est doublée d'une application psychologique, d'un exemple qui fait office de réalité. Et l'on s'aperçoit, à méditer le travail mathématicien, qu'il provient toujours d'une extension d'une connaissance prise sur le réel et que, dans les mathématiques mêmes, la réalité se manifeste en sa fonction essentielle : faire penser.
(Le nouvel esprit scientifique, p.8, PUF, 1934)
- Le temps des hypothèses décousues et mobiles est passé, comme est passé le temps des expériences isolées et curieuses. Désormais, l'hypothèse est synthèse.
(Le nouvel esprit scientifique, p.10, PUF, 1934)
- Toute vérité nouvelle naît malgré l'évidence, toute expérience nouvelle naît malgré l'expérience immédiate.
(Le nouvel esprit scientifique, p.11, PUF, 1934)
- Tout le long de notre enquête, nous trouverons les mêmes caractères d'extension, d'inférence, d'induction, de généralisation, de complément, de synthèse, de totalité. Autant de substituts de l'idée de nouveauté. Et cette nouveauté est profonde, car ce n'est pas la nouveauté d'une trouvaille, mais la nouveauté d'une méthode.
(Le nouvel esprit scientifique, p.12, PUF, 1934)
- [...] les conditions expérimentales sont des conditions d'expérimentation.
(Le nouvel esprit scientifique, p.13, PUF, 1934)
- [...] une méthode excellente finit par perdre sa fécondité si on ne renouvelle pas son objet.
(Le nouvel esprit scientifique, p.14, PUF, 1934)
- Comme le dit M. Lalande, la science ne vise pas seulement à « l'assimilation des choses entre elles, mais aussi et avant tout à l'assimilation des esprits entre eux ». Sans cette dernière assimilation, il n'y aurait pour ainsi dire pas de problème. Devant le réel le plus complexe, si nous étions livrés à nous-mêmes, c'est du côté du pittoresque, du pouvoir évocateur que nous chercherions la connaissance: le monde serait notre représentation. Par contre, si nous étions livrés tout entiers à la société, c'est du côté du général, de l'utile, du convenu, que nous chercherions la connaissance : le monde serait notre convention. En fait, la vérité scientifique est une prédiction, mieux, une prédication. Nous appelons les esprits à la convergence en annonçant la nouvelle scientifique, en transmettant du même coup une pensée et une expérience, liant la pensée à l'expérience dans une vérification : le monde scientifique est donc notre vérification. Au-dessus du sujet, au-delà de l'objet immédiat, la science moderne se fonde sur le projet. Dans la pensée scientifique, la méditation de l'objet par le sujet prend toujours la forme du projet.
(Le nouvel esprit scientifique, p.15, PUF, 1934)
- [...] on démontre le réel, on ne le montre pas.
(Le nouvel esprit scientifique, p.15, PUF, 1934)
- Déjà l'observation a besoin d'un corps de précautions qui conduisent à réfléchir avant de regarder, qui réforment du moins la première vision, de sorte que ce n'est jamais la première observation qui est la bonne. L'observation scientifique est toujours une observation polémique, elle confirme ou infirme une thèse antérieure, un schéma préalable, un plan d'observation; elle montre en démontrant ; elle hiérarchise les apparences; elle transcende l'immédiat; elle reconstruit le réel après avoir reconstruit ses schémas. Naturellement, dès qu'on passe de l'observation à l'expérimentation, le caractère polémique de la connaissance devient plus net encore. Alors il faut que le phénomène soit trié, filtré, épuré, coulé dans le moule des instruments, produit sur le plan des instruments. Or les instruments ne sont que des théories matérialisées. Il en sort des phénomènes qui portent de toutes parts la marque théorique.
(Le nouvel esprit scientifique, p.16, PUF, 1934)
- La véritable phénoménologie scientifique est donc bien essentiellement une phénoménotechnique. Elle renforce ce qui transparaît derrière ce qui apparaît. Elle instruit par ce qu'elle construit. La raison thaumaturge dessine ses cadres sur le schéma de ses miracles.
(Le nouvel esprit scientifique, p.17, PUF, 1934)
- C'est en faisant correspondre les géométries que la pensée mathématique prend une réalité. De cette manière, on connaît la forme mathématique par ses transformations. On pourrait dire à l'être mathématique : dis-moi comment l'on te transforme, je te dirai qui tu es.
(Le nouvel esprit scientifique, p.32, PUF, 1934)
- [...] qu'est-ce que la croyance en la réalité, qu'est-ce que l'idée de réalité, quelle est la fonction métaphysique primordiale du réel ? C'est essentiellement la conviction qu'une entité dépasse son donné immédiat, ou, pour parler plus clairement, c'est la conviction que l'on trouvera plus dans le réel caché que dans le donné évident.
(Le nouvel esprit scientifique, p.34, PUF, 1934)
- C'est beaucoup trop simple de répéter sans cesse que le mathématicien ne sait pas de quoi il parle ; en réalité, il affecte de ne le point savoir ; il doit parler comme s'il ne le savait pas il refoule l'intuition ; il sublime l'expérience.
(Le nouvel esprit scientifique, p.36, PUF, 1934)
- Psychologiquement, le physicien contemporain se rend compte que les habitudes rationnelles nées dans la connaissance immédiate et dans l'action utilitaire sont autant d'ankyloses dont il faut triompher pour retrouver le mouvement spirituel de la découverte.
(Le nouvel esprit scientifique, p.43, PUF, 1934)
- [...] c'est le réel et non pas la connaissance qui porte la marque de l'ambiguïté.
(Le nouvel esprit scientifique, p.55, PUF, 1934)
- Si l'on veut bien admettre que, dans son essence, la pensée scientifique est une objectivation, on doit conclure que les rectifications et les extensions en sont les véritables ressorts. C'est là qu'est écrite l'histoire dynamique de la pensée. C'est au moment où un concept change de sens qu'il a le plus de sens, c'est alors qu'il est, en toute vérité, un événement de la conceptualisation.
(Le nouvel esprit scientifique, p.56, PUF, 1934)
- Avec la Relativité, l'esprit scientifique se fait juge de son passé spirituel.
(Le nouvel esprit scientifique, p.57, PUF, 1934)
- Avant l'ère mathématique, durant l'âge du solide, il fallait que le Réel désignât au physicien, dans une prodigalité d'exemples, l'idée à généraliser : la pensée était alors un résumé d'expériences accomplies. Dans la nouvelle science relativiste, un unique symbole mathématique dont la signification est prolixe désigne les mille traits d'une Réalité cachée : la pensée est un programme d'expériences à réaliser.
(Le nouvel esprit scientifique, p.59, PUF, 1934)
- [...] les pures possibilités mathématiques appartiennent au phénomène réel, même contre les premières instructions d'une expérience immédiate. Ce qui pourrait être, au jugement du Mathématicien, peut toujours être réalisé par le Physicien. Le possible est homogène à l'Être.
(Le nouvel esprit scientifique, p.60, PUF, 1934)
- Par son développement énergétique, l'atome est devenir autant qu'être, il est mouvement autant que chose. Il est l'élément du devenir-être schématisé dans l'espace-temps.
(Le nouvel esprit scientifique, p.72, PUF, 1934)
- Exprimons donc cette double suprématie du nombre sur la chose et du probable sur le nombre par une formule polémique : la substance chimique n'est que l'ombre d'un nombre.
(Le nouvel esprit scientifique, p.86, PUF, 1934)
- Plus l'esprit est délié, moins l'irrationnel est compact.
(Le nouvel esprit scientifique, p.92, PUF, 1934)
- [...] des pensées rectifiées ne reviennent jamais à leur point de départ.
(Le nouvel esprit scientifique, p.97, PUF, 1934)
- [...] l'onde est un tableau de jeux, le corpuscule est une chance.
(Le nouvel esprit scientifique, p.101, PUF, 1934)
- [Bachelard a en tête l'astronomie.] Le Déterminisme est descendu du Ciel sur la Terre.
(Le nouvel esprit scientifique, p.104, PUF, 1934)
- Le sentiment du déterminé, c'est le sentiment de l'ordre fondamental, le repos d'esprit que donnent les symétries, la sécurité des liaisons mathématiques.
(Le nouvel esprit scientifique, p.106, PUF, 1934)
- Il n'y a pas de déterminisme sans un choix, sans une mise à l'écart des phénomènes perturbants ou insignifiants. Très souvent d'ailleurs un phénomène est insignifiant parce qu'on néglige de l'interroger.
(Le nouvel esprit scientifique, p.108, PUF, 1934)
- Parler d'un état de l'Univers à un instant déterminé, c'est se livrer non seulement à l'arbitraire de l'instant choisi, mais encore à l'arbitraire de l'état dans l'instant même.
(Le nouvel esprit scientifique, p.110, PUF, 1934)
- Le déterminisme scientifique se prouve sur des phénomènes simplifiés et solidifiés : le causalisme est solidaire du chosisme. Le déterminisme mécanique se prouve sur une mécanique mutilée, livrée à l'analyse incorrecte de l'espace-temps. Le déterminisme de la science physique se prouve sur des phénomènes hiérarchisés, en majorant des variables particulières. Le déterminisme de la science chimique se prouve sur des corps purifiés, en se référant à des qualités énumérées.
(Le nouvel esprit scientifique, p.111, PUF, 1934)
- Mais reconnaître n'est pas connaître. On reconnaît facilement ce qu'on ne connaît pas.
(Le nouvel esprit scientifique, p.113, PUF, 1934)
- Le temps se charge de réaliser le probable, de rendre effective la probabilité.
(Le nouvel esprit scientifique, p.122, PUF, 1934)
- En microphysique, il n'y a donc pas de méthode d'observation sans action des procédés de la méthode sur l'objet observé. Il y a donc une interférence essentielle de la méthode et de l'objet.
(Le nouvel esprit scientifique, p.126, PUF, 1934)
- L'individualité est un apanage de la complexité, et un corpuscule isolé est trop simple pour être doué d'individualité.
(Le nouvel esprit scientifique, p.132, PUF, 1934)
- Nous sommes devant l'infiniment petit physique dans le même embarras que la pensée géométrique du XVIIe siècle devant l'infiniment petit mathématique.
(Le nouvel esprit scientifique, p.134, PUF, 1934)
- Nous ne sommes pas capables de descendre par l'imagination plus bas que par la sensation. En vain accole-t-on un nombre à l'image d'un objet pour marquer la petitesse de cet objet : l'imagination ne suit pas la pente mathématique. Nous ne pouvons plus penser que mathématiquement ; du fait même de la défaillance de l'imagination sensible, nous passons donc sur le plan de la pensée pure où les objets n'ont de réalité que dans leurs relations. Voilà donc bien une borne humaine du réel imaginé, autrement dit, une limite à la détermination imagée du réel.
(Le nouvel esprit scientifique, p.136, PUF, 1934)
- C'est dans le domaine mathématique que sont les sources de la pensée expérimentale contemporaine.
(Le nouvel esprit scientifique, p.138, PUF, 1934)
- Il arrive toujours une heure où l'on n'a plus intérêt à chercher le nouveau sur les traces de l'ancien, où l'esprit scientifique ne peut progresser qu'en créant des méthodes nouvelles. Les concepts scientifiques eux-mêmes peuvent perdre leur universalité. [...] un discours sur la méthode scientifique sera toujours un discours de circonstance, il ne décrira pas une constitution définitive de l'esprit scientifique.
(Le nouvel esprit scientifique, p.139, PUF, 1934)
- [...] l'esprit scientifique est strictement contemporain de la méthode explicitée. Il ne faut rien confier aux habitudes quand on observe. La méthode fait corps avec son application. Même sur le plan de la pensée pure, la réflexion sur la méthode doit rester active. Comme le dit très bien M. Dupréel (De la nécessité, Archives de la Société belge de philosophie, 1928, p.13) « une vérité démontrée demeure constamment soutenue non sur son évidence propre, mais sur sa démonstration ».
Nous en arrivons alors à nous demander si la psychologie de l'esprit scientifique n'est pas purement et simplement une méthodologie consciente.
(Le nouvel esprit scientifique, p.140, PUF, 1934)
- [...] dans les essais expérimentaux, on commence par ce qu'on croit logique. Dès lors un échec expérimental, c'est tôt ou tard un changement de logique, un changement profond de la connaissance.
(Le nouvel esprit scientifique, p.141, PUF, 1934)
- [...] la méthode cartésienne qui réussit si bien à expliquer le Monde, n'arrive pas à compliquer l'expérience, ce qui est la vraie fonction de la recherche objective.
(Le nouvel esprit scientifique, p.142, PUF, 1934)
- Dis-moi comment l'on te cherche, je te dirai qui tu es.
(Le nouvel esprit scientifique, p.143, PUF, 1934)
- Plus le grain de matière est petit, plus il a de réalité substantielle ; en diminuant de volume, la matière s'approfondit.
(Le nouvel esprit scientifique, p.144, PUF, 1934)
- Il ne s'agit pas de recenser des richesses, mais d'actualiser une méthode d'enrichissement.
(Le nouvel esprit scientifique, p.148, PUF, 1934)
- Un axiome étant posé il faut toujours un second acte pour en affirmer une application quelconque, c'est-à-dire pour reconnaître les circonstances où cet axiome peut être invoqué.
(Le nouvel esprit scientifique, p.149, PUF, 1934)
- En réalité, il n'y a pas de phénomènes simples ; le phénomène est un tissu de relations. Il n'y a pas de nature simple, de substance simple la substance est une contexture d'attributs. Il n'y a pas d'idée simple, parce qu'une idée simple, comme l'a bien vu M. Dupréel, doit être insérée, pour être comprise, dans un système complexe de pensées et d'expériences. L'application est une complication. Les idées simples sont des hypothèses de travail, des concepts de travail, qui devront être révisés pour recevoir leur juste rôle épistémologique. Les idées simples ne sont point la base définitive de la connaissance.
(Le nouvel esprit scientifique, p.152, PUF, 1934)
- [...] les traits les plus apparents ne sont pas toujours les traits les plus caractéristiques ; il faut résister à un positivisme de premier examen. Si l'on manque à cette prudence, on risque de prendre une dégénérescence pour une essence.
(Le nouvel esprit scientifique, p.159, PUF, 1934)
- Garder une sorte de doute récurrent ouvert sur le passé de connaissances certaines, voilà encore une attitude qui dépasse, prolonge, amplifie la prudence cartésienne et qui mérite d'être dite non-cartésienne, toujours dans ce même sens où le non-cartésianisme est du cartésianisme complété.
(Le nouvel esprit scientifique, p.169, PUF, 1934)
- C'est encore en méditant l'objet que le sujet a le plus de chance de s'approfondir.
(Le nouvel esprit scientifique, p.170, PUF, 1934)
- L'action scientifique est par essence complexe. C'est du côté des vérités factices et complexes et non pas du côté des vérités adventices et claires que se développe l'empirisme actif de la science. Bien entendu des vérités innées ne sauraient intervenir dans la science. Il faut former la raison de la même manière qu'il faut former l'expérience.
(Le nouvel esprit scientifique, p.176, PUF, 1934)
- [...] l'histoire humaine peut bien, dans ses passions, dans ses préjugés, dans tout ce qui relève des impulsions immédiates, être un éternel recommencement mais il y a des pensées qui ne recommencent pas ; ce sont les pensées qui ont été rectifiées, élargies, complétées. Elles ne retournent pas à leur aire restreinte ou chancelante. Or l'esprit scientifique est essentiellement une rectification du savoir, un élargissement des cadres de la connaissance. Il juge son passé historique en le condamnant. Sa structure est la conscience de ses fautes historiques. Scientifiquement, on pense le vrai comme rectification historique d'une longue erreur, on pense l'expérience comme rectification de l'illusion commune et première. Toute la vie intellectuelle de la science joue dialectiquement sur cette différentielle de la connaissance, a la frontière de l'inconnu. L'essence même de la réflexion, c'est de comprendre qu'on n'avait pas compris.
(Le nouvel esprit scientifique, p.177, PUF, 1934)
- Une idée qui évolue est un centre organique qui s'agglomère.
(Le nouvel esprit scientifique, p.181, PUF, 1934)
- Il n'y a alors de propriétés substantielles qu'au-dessus - non pas au-dessous - des objets microscopiques. La substance de l'infiniment petit est contemporaine de la relation.
(Études, p.13, Vrin, 2002)
- Une mesure précise est toujours une mesure complexe.
(Études, p.13, Vrin, 2002)
- La connaissance scientifique est toujours la réforme d'une illusion.
(Études, p.14, Vrin, 2002)
- Jadis, la philosophie générale de l'expérience en physique eût été assez bien exprimée par cette formule de Paul Valéry : il faut, dit le poète, tout à la gloire de la vision, « réduire ce qui se voit à ce qui se voit ». Nous dirions maintenant, si nous voulions traduire la véritable tâche de la microphysique : il faut réduire ce qui ne se voit pas à ce qui ne se voit pas, en passant par l'expérience visible. Notre intuition intellectuelle a désormais le pas sur l'intuition sensible. Notre domaine de vérification matérielle ne fournit guère qu'une preuve surnuméraire pour ceux qui n'ont pas la foi rationnelle. Peu à peu, c'est la cohérence rationnelle qui en vient à supplanter en force de conviction la cohésion de l'expérience usuelle. La microphysique est non plus une hypothèse entre deux expériences, mais bien plutôt une expérience entre deux théorèmes. Elle commence par une pensée, elle s'achève en un problème.
(Études, p.15, Vrin, 2002)
- [...] il ne s'agit plus, comme on le répétait sans cesse au XIXe siècle, de traduire dans le langage mathématique les faits livrés par l'expérience. Il s'agit plutôt, tout à l'inverse, d'exprimer dans le langage de l'expérience commune une réalité profonde qui a un sens mathématique avant d'avoir une signification phénoménale.
(Études, p.16, Vrin, 2002)
- Ainsi le monde caché dont nous parle le physicien contemporain est d'essence mathématique. Le physicien fait ses expériences en se fondant sur le caractère rationnel du monde inconnu.
(Études, p.17, Vrin, 2002)
- Au commencement est la Relation, c'est pourquoi les mathématiques règnent sur le réel.
(Études, p.18, Vrin, 2002)
- Dans le monde infinitésimal, rien ne s'énumère, tout s'agglomère. [...] Nous pénétrons dans une zone où le concret s'imprègne de mathématique et où l'indépendance formelle trouve une limitation.
(Études, p.30, Vrin, 2002)
- Si l'on voulait caractériser philosophiquement ce rapport complexe de la catégorie d'unité à la catégorie de totalité, il faudrait peut-être dire que la métaphysique atomique envisage une interférence de la notion de nombre et de la notion d'ordre. Une somme d'objets concerts peut très bien porter trace des opérations d'addition par lesquelles est a été formée. L'arithmétique ordinaire de l'atome n'est pas nécessairement une simple redite de l'arithmétique cardinale résumée par le langage usuel.
(Études, p.21, Vrin, 2002)
- [...] toute objectivation est hésitation.
(Études, p.25, Vrin, 2002)
- [...] le démon de la simplification [...]
(Études, p.29, Vrin, 2002)
- Le germe de la représentation, avant de devenir un point précis, avant de se rapprocher du point réel, a été un point imaginaire situé au centre d'une rêverie ou d'un souvenir. Les choses apparaissent d'abord où on les guette, on ne les place que lentement où elles sont.
(Études, p.30, Vrin, 2002)
- Quand la Physique mathématique contemporaine se sert d'images, elle emploie ces images après l'équation, pour illustrer de véritables théorèmes. La science réaliste antécédente emploie, au contraire, les images avant la pensée, croyant pouvoir fonder une science réaliste de la mesure en s'appuyant partout et toujours sur des objets. Les travaux modernes ont montré des dangers de cette philosophie scientifique.
(Études, p.57, Vrin, 2002)
- [...] c'est l'objectivation qui domine l'objectivité ; l'objectivité n'est que le produit d'une objectivation correcte.
(Études, p.61, Vrin, 2002)
- Or pour l'esprit scientifique, tracer nettement une frontière, c'est déjà la dépasser.
(Études, p.71, Vrin, 2002)
- D'une manière générale, tous les progrès scientifiques se présentent comme un redoublement de preuves, comme des confirmations indirectes. Les plus frappantes des vérifications sont les plus indirectes. Ainsi la cohérence finit par primer l'évidence.
(Études, p.74, Vrin, 2002)
- Par certains côtés, il ne nous semble pas plus utile de parler des frontières de la Chimie que des frontières de la Poésie.
(Études, p.74, Vrin, 2002)
- Philosophiquement, toute frontière absolue proposée à la science est la marque d'un problème mal posé. Il est impossible de penser richement une impossibilité. Dès qu'une frontière épistémologique paraît nette, c'est qu'elle s'arroge le droit de trancher à propos des intuitions premières. Or les intuitions premières sont toujours des intuitions à corriger.
(Études, p.75, Vrin, 2002)
- [...] la philosophie scientifique doit être essentiellement pédagogie scientifique. Or, à science nouvelle, pédagogie nouvelle. Ce dont nous manquons le plus c'est d'une doctrine du savoir élémentaire d'accord avec le savoir scientifique. Bref, les a priori de la pensée ne sont pas définitifs. Eux aussi doivent subir la transmutation des valeurs rationnelles. Nous devons réaliser les conditions sine qua non de l'expérience scientifique. Nous demandons par conséquent que la philosophie scientifique renonce au réel immédiat et qu'elle aide la science dans sa lutte contre les intuitions premières. Les frontières opprimantes sont des frontières illusoires.
(Études, p.76, Vrin, 2002)
- Rien ne nous est pleinement et définitivement donné, pas même nous-mêmes à nous-mêmes.
(Études, p.77, Vrin, 2002)
- [...] pour bien faire valoir le prix d'une idée objective, il faut la replacer dans le halo des illusions immédiates. Il faut errer pour aboutir.
Ainsi toute objectivation procède d'une élimination des erreurs subjectives et, psychologiquement, elle vaut comme une conscience de cette élimination. Ce n'est pas tant une question de fait qu'une question de droit. Une vérité n'a son plein sens qu'au terme d'une polémique. Il ne saurait y avoir de vérité première. Il n'y a que des erreurs premières. On ne doit donc pas hésiter à inscrire à l'actif du sujet son expérience essentiellement malheureuse. La première et la plus essentielle fonction de l'activité du sujet est de se tromper. Plus complexe sera son erreur, plus riche sera son expérience. L'expérience est très précisément le souvenir des erreurs rectifiées. L'être pur est l'être détrompé.
(Études, p.79, Vrin, 2002)
- Jamais l'émerveillement d'un esprit n'est si grand que lorsqu'il s'aperçoit qu'il a été trompé. Cet émerveillement, ce réveil intellectuel, est la source d'une intuition nouvelle, toute rationnelle, toute polémique, qui s'anime dans la défaite de ce qui fut une certitude première, dans la douce amertume d'une illusion perdue. Alors la conscience de l'être spirituel se double d'une conscience d'un devenir spirituel. L'esprit se révèle comme un être à instruire, autant dire comme un être à créer.
(Études, p.80, Vrin, 2002)
- Il y a dans toute conquête un sacrifice.
(Études, p.82, Vrin, 2002)
- En prenant conscience de mon erreur objective, je prends conscience de ma liberté d'orientation. Cette orientation libérée et réfléchie, c'est déjà le voyage potentiel hors de moi, à la recherche d'un nouveau destin spirituel. Je me trompais sur les choses. Je ne suis donc pas vraiment celui que je croyais être.
(Études, p.83, Vrin, 2002)
- Ce n'est d'ailleurs que dans le récit de mes renoncements que je prends pour autrui une apparence objective. C'est par la comparaison de nos renoncements que nous avons quelques chances de nous ressembler, c'est-à-dire de trouver ailleurs l'écho de notre volonté. C'est par le renoncement que le monastère est communauté. En fait nous ne sommes originaux que par nos fautes. Nous ne sommes vraiment des êtres que par une rédemption. Cette rédemption a un sens foncièrement créateur. Une faute est toujours un déficit d'être.
(Études, p.85, Vrin, 2002)
- [...] je suis la limite de mes illusions perdues.
(Études, p.85, Vrin, 2002)
- Penser scientifiquement, c'est se placer dans le champ épistémologique intermédiaire entre théorie et pratique, entre mathématiques et expérience. Connaître scientifiquement une loi naturelle, c'est la connaître à la fois comme phénomène et comme noumène.
(La philosophie du non, p.5, Quadrige/PUF n°9)
- Finalement la philosophie de la science physique est peut-être la seule philosophie qui s'applique en déterminant un dépassement de ses principes. Bref, elle est la seule philosophie ouverte. Toute autre philosophie pose ses principes comme intangibles, ses premières vérités comme totales et achevées. Toute autre philosophie se fait gloire de sa fermeture.
(La philosophie du non, p.7, Quadrige/PUF n°9)
- Pour le savant, la connaissance sort de l'ignorance comme la lumière sort des ténèbres. Le savant ne voit pas que l'ignorance est un tissu d'erreurs positives, tenaces, solidaires. Il ne se rend pas compte que les ténèbres spirituelles ont une structure et que, dans ces conditions, toute expérience objective correcte doit toujours déterminer la correction d'une erreur subjective. Mais on ne détruit pas les erreurs une à une facilement. Elles sont coordonnées. L'esprit scientifique ne peut se constituer qu'en détruisant l'esprit non scientifique. Trop souvent le savant se confie à une pédagogie fractionnée alors que l'esprit scientifique devrait viser à une réforme subjective totale. Tout réel progrès dans la pensée scientifique nécessite une conversion. Les progrès de la pensée scientifique contemporaine ont déterminé des transformations dans les principes mêmes de la connaissance.
(La philosophie du non, p.8, Quadrige/PUF n°9)
- Avant tout, il faut prendre conscience du fait que l'expérience nouvelle dit non à l'expérience ancienne, sans cela, de toute évidence, il ne s'agit pas d'une expérience nouvelle.
(La philosophie du non, p.9, Quadrige/PUF n°9)
- L'esprit peut changer de métaphysique ; il ne peut se passer de métaphysique. Nous demanderons donc aux savants : comment pensez-vous, quels sont vos tâtonnements, vos essais, vos erreurs ? Sous quelle impulsion changez-vous d'avis ? Pourquoi restez-vous si succincts quand vous parlez des conditions psychologiques d'une nouvelle recherche ? Donnez-nous surtout vos idées vagues, vos contradictions, vos idées fixes, vos convictions sans preuve.
(La philosophie du non, p.13, Quadrige/PUF n°9)
- [...] la philosophie du non n'est pas psychologiquement un négativisme et [elle] ne conduit pas, en face de la nature, à un nihilisme. Elle procède au contraire, en nous et hors de nous, d'une activité constructive. Elle prétend que l'esprit au travail est un facteur d'évolution. Bien penser le réel, c'est profiter de ses ambiguïtés pour modifier et alerter la pensée.
(La philosophie du non, p.17, Quadrige/PUF n°9)
- Il y a d'ailleurs un symptôme très curieux sur lequel on ne réfléchira jamais trop : c'est la rapidité avec laquelle un concept animiste est compris. Il ne faut que quelques mots pour enseigner ce qu'est la charge d'affectivité. C'est là, d'après nous, un mauvais signe. En ce qui concerne la connaissance théorique du réel, c'est-à-dire en ce qui concerne une connaissance qui dépasse la portée d'une simple description - en laissant aussi de côté l'arithmétique et la géométrie - , tout ce qui est facile à enseigner est inexact.
(La philosophie du non, p.25, Quadrige/PUF n°9)
- La raison n'est nullement une faculté de simplification. C'est une faculté qui s'éclaire en s'enrichissant. Elle se développe dans le sens d'une complexité croissante [...]
(La philosophie du non, p.28, Quadrige/PUF n°9)
- [...] un atome notionnel peut se décomposer ; on arrive donc à ce paradoxe métaphysique : l'élément est complexe.
(La philosophie du non, p.31, Quadrige/PUF n°9)
- Il n'y a qu'un moyen de faire avancer la science, c'est de donner tort à la science déjà constituée, autant dire de changer sa constitution.
(La philosophie du non, p.32, Quadrige/PUF n°9)
- Le réalisme est une philosophie qui ne s'engage pas, alors que le rationalisme s'engage toujours, se risque tout entier sur chaque expérience.
(La philosophie du non, p.33, Quadrige/PUF n°9)
- Ainsi la réalisation prime la réalité. Cette primauté de la réalisation déclasse la réalité. [...] Il faut forcer la nature à aller aussi loin que notre esprit.
(La philosophie du non, p.36, Quadrige/PUF n°9)
- Quand on suit les efforts de la pensée contemporaine pour comprendre l'atome, on n'est pas loin de penser que le rôle fondamental de l'atome c'est d'obliger les hommes à faire des mathématiques.
(La philosophie du non, p.39, Quadrige/PUF n°9)
- La hiérarchie des choses est plus complexe que la hiérarchie des hommes. L'atome est une société mathématique qui ne nous a pas encore dit son secret ; on ne commande pas cette société avec une arithmétique de militaire.
(La philosophie du non, p.40, Quadrige/PUF n°9)
- Le profil épistémologique de la notion d'énergie chez Nietzsche, par exemple, suffirait peut-être à expliquer son irrationalisme. Avec une fausse notion, on peut faire une grande doctrine.
(La philosophie du non, p.47, Quadrige/PUF n°9)
- À notre point de vue, tout n'est pas réel de la même façon, la substance n'a pas, à tous les niveaux, la même cohérence ; l'existence n'est pas une fonction monotone ; elle ne peut pas s'affirmer partout et toujours du même ton.
(La philosophie du non, p.54, Quadrige/PUF n°9)
- [...] c'est la méthode qui définit les êtres.
(La philosophie du non, p.55, Quadrige/PUF n°9)
- La philosophie chimique qui était compliquée et brisée avec quatre éléments devient simple et unitaire avec quatre-vingt-douze éléments !
(La philosophie du non, p.57, Quadrige/PUF n°9)
- Il semble même qu'un réel ne soit instructif et sûr que s'il a été réalisé et surtout s'il a été replacé dans son juste voisinage, à son rang de création progressive.
(La philosophie du non, p.58, Quadrige/PUF n°9)
- C'est donc toujours le même paradoxe : on connaît clairement ce qu'on connaît grossièrement. Si l'on veut connaître distinctement, la connaissance se pluralise, le noyau unitaire du concept de premier examen éclate.
(La philosophie du non, p.79, Quadrige/PUF n°9)
- Au rien ne se perd du réaliste, il faudrait opposer le tout se distribue des disciples de Dirac.
(La philosophie du non, p.87, Quadrige/PUF n°9)
- La véritable solidarité du réel est d'essence mathématique.
(La philosophie du non, p.88, Quadrige/PUF n°9)
- Un élément n'est donc pas un ensemble de propriétés différentes comme le veut l'intuition substantialiste usuelle. C'est une collection d'états possibles pour une propriété particulière. Un élément n'est pas une hétérogénéité particulière. C'est une homogénéité dispersée. Son caractère élémentaire est démontré par la cohérence rationnelle qui résulte d'une distribution régulière de ses états possibles.
(La philosophie du non, p.89, Quadrige/PUF n°9)
- Le monde où l'on pense n'est pas le monde où l'on vit. La philosophie du non se constituerait en doctrine générale si elle pouvait coordonner tous les exemples où la pensée rompt avec les obligations de la vie.
(La philosophie du non, p.110, Quadrige/PUF n°9)
- Nous devons profiter de tous les enseignements de la science, si spéciaux soient-ils, pour déterminer des structures spirituelles nouvelles. Nous devons comprendre que la possession d'une forme de connaissance est automatiquement une réforme de l'esprit. Il faut donc diriger nos recherches du côté d'une nouvelle pédagogie.
(La philosophie du non, p.126, Quadrige/PUF n°9)
- La pensée scientifique est le principe qui donne le plus de continuité à une vie ; elle est, entre toutes, riche d'une puissance de cohérence temporelle ou, pour employer un concept cher à Korzybski, la pensée scientifique est éminemment time binding. Par elle, les instants isolés et décousus se lient fortement.
(La philosophie du non, p.127, Quadrige/PUF n°9)
- [...] la belle pensée de Paul Valéry : « On pense comme on se heurte. »
(La philosophie du non, p.127, Quadrige/PUF n°9)
- L'enfant naît avec un cerveau inachevé et non pas, comme le postulat de l'ancienne pédagogie l'affirmait, avec un cerveau inoccupé.
(La philosophie du non, p.128, Quadrige/PUF n°9)
- Pour que nous ayons quelque garantie d'être du même avis, sur une idée particulière, il faut, pour le moins, que nous n'ayons pas été du même avis. Deux hommes, s'ils veulent s'entendre vraiment, ont dû d'abord se contredire. La vérité est fille de la discussion, non pas fille de la sympathie.
(La philosophie du non, p.134, Quadrige/PUF n°9)
- [...] l'arithmétique n'est pas plus que la géométrie une promotion naturelle d'une raison immuable. L'arithmétique n'est pas fondée sur la raison. C'est la doctrine de la raison qui est fondée sur l'arithmétique élémentaire. Avant de savoir compter, je ne savais guère ce qu'était la raison. En général, l'esprit doit se plier aux conditions du savoir. Il doit créer en lui une structure correspondant à la structure du savoir. Il doit se mobiliser autour d'articulations qui correspondent aux dialectiques du savoir. Que serait une fonction sans des occasions de fonctionner ? Que serait la raison sans des occasions de raisonner ? La pédagogie de la raison doit donc profiter de toutes les occasions de raisonner. Elle doit chercher la variété des raisonnements, ou mieux les variations du raisonnement. Or, les variations du raisonnement sont maintenant nombreuses dans les sciences géométriques et physiques ; elles sont toutes solidaires d'une dialectique des principes de raison, d'une activité de la philosophie du non. Il faut en accepter la leçon. La raison, encore une fois, doit obéir à la science. La géométrie, la physique, l'arithmétique sont des sciences ; la doctrine traditionnelle d'une raison absolue et immuable n'est qu'une philosophie. C'est une philosophie périmée.
(La philosophie du non (Excipit), p.144, Quadrige/PUF n°9)
- Un philosophe ne peut pas chercher tranquillement la quiétude. Il lui faut des preuves métaphysiques pour qu'il accepte le repos comme un droit de la pensée ; il lui faut des expériences multiples et de longues discussions pour qu'il admette le repos comme un des éléments du devenir.
(La dialectique de la durée, p.V, Quadrige/PUF, n°104)
- Un botaniste qui bornerait sa science à dire que toutes les fleurs se fanent serait le digne émule du philosophe qui fonde sa doctrine en répétant : tout s'écoule et le temps fuit.
(La dialectique de la durée, p.vii, Quadrige/PUF, n°104)
- Les événements exceptionnels doivent trouver en nous des résonances pour nous marquer profondément. De cette banalité : « La vie est harmonie » nous oserions donc finalement faire une vérité. Sans harmonie, sans dialectique réglée, sans rythme, une vie et une pensée ne peuvent être stables et sûres : le repos est une vibration heureuse.
(La dialectique de la durée, p.ix, Quadrige/PUF, n°104)
- Seule la paresse est homogène; on ne peut garder qu'en reconquérant ; on ne peut maintenir qu'en reprenant.
(La dialectique de la durée, p.8, Quadrige/PUF, n°104)
- La pensée pure doit commencer par un refus de la vie. La première pensée claire c'est la pensée du néant.
(La dialectique de la durée, p.9, Quadrige/PUF, n°104)
- Le miracle de l'être est aussi extraordinaire que le miracle de la résurrection.
(La dialectique de la durée, p.11, Quadrige/PUF, n°104)
- [...] la connaissance n'est-elle pas, dans son essence, une polémique ?
(La dialectique de la durée, p.12, Quadrige/PUF, n°104)
- Toujours et partout on n'affirme psychologiquement que ce qui a été nié, ce qu'on conçoit comme niable. La négation est la nébuleuse dont se forme le jugement positif réel.
(La dialectique de la durée, p.13, Quadrige/PUF, n°104)
- Toute connaissance prise au moment de sa constitution est une connaissance polémique ; elle doit d'abord détruire pour faire la place de ses constructions. La destruction est souvent totale et la construction jamais achevée. La seule positivité claire d'une connaissance se prend dans la conscience des rectifications nécessaires, dans la joie d'imposer une idée.
(La dialectique de la durée, p.14, Quadrige/PUF, n°104)
- Un concept net doit porter la trace de tout ce que nous avons refusé d'y incorporer.
(La dialectique de la durée, p.15, Quadrige/PUF, n°104)
- Penser c'est faire abstraction de certaines expériences, c'est les plonger de plein gré dans l'ombre du néant.
(La dialectique de la durée, p.16, Quadrige/PUF, n°104)
- Pour penser, pour sentir, pour vivre, il faut mettre de l'ordre dans nos actions, en agglomérant des instants dans la fidélité des rythmes, en unissant des raisons pour faire une conviction vitale.
(La dialectique de la durée, p.20, Quadrige/PUF, n°104)
- [Le néant] est en nous-mêmes, éparpillé le long de notre durée, brisant à chaque instant notre amour, notre foi, notre volonté, notre pensée. Notre hésitation temporelle est ontologique.
(La dialectique de la durée, p.29, Quadrige/PUF, n°104)
- Pour M. Pierre Janet, savoir c'est toujours enseigner. Peu importe d'ailleurs qu'on communique ou non son savoir, car la pensée intime est elle-même « une manière de se parler à soi-même, une manière de s'enseigner soi-même »(1).
Pierre Janet, L'évolution de la mémoire et de la notion de temps, 1928, p. 22.
(La dialectique de la durée, p.31, Quadrige/PUF, n°104)
- En bonne méthode, on ne doit pas s'accorder le droit de parler d'une connaissance qui ne serait pas communicable.
(La dialectique de la durée, p.32, Quadrige/PUF, n°104)
- Nous ne devons pas confondre le souvenir de notre passé et le souvenir de notre durée.
(La dialectique de la durée, p.35, Quadrige/PUF, n°104)
- [...] On ne vit pas plus une ignorance qu'on ne voit les ténèbres.
(La dialectique de la durée, p.36, Quadrige/PUF, n°104)
- [...] On ne trouve au temps une longueur que lorsqu'on le trouve trop long.
(La dialectique de la durée, p.37, Quadrige/PUF, n°104)
- [...] Ce qui fait marcher la locomotive, c'est le sifflet du chef de gare. La vie consciente est de même une activité de signaux. C'est une activité de chef. Une intuition claire est un commandement.
(La dialectique de la durée, p.42, Quadrige/PUF, n°104)
- Commencer et changer sont loin de correspondre. On peut clairement enseigner un commencement ; on ne peut guère que suggérer un changement.
(La dialectique de la durée, p.43, Quadrige/PUF, n°104)
- [...] On se souvient d'une action plus sûrement en la liant à ce qui la suit qu'en la liant à ce qui la précède.
(La dialectique de la durée, p.45, Quadrige/PUF, n°104)
- Dans le monde lent et terne de l'expérience grossière, on désapprend bien vite de s'étonner.
(La dialectique de la durée, p.55, Quadrige/PUF, n°104)
- Avant l'intuition, il y a l'étonnement.
(La dialectique de la durée, p.56, Quadrige/PUF, n°104)
- [...] peupler le temps d'une manière discontinue comme l'atomisme a peuplé l'espace.
(La dialectique de la durée, p.60, Quadrige/PUF, n°104)
- On ne définit complètement que ce qu'on comprend.
(La dialectique de la durée, p.60, Quadrige/PUF, n°104)
- Il est très instructif de voir que l'évolution est la rançon d'une complexité non analysée.
(La dialectique de la durée, p.61, Quadrige/PUF, n°104)
- [...] la maxime de Jacques Maritain : « Distinguer pour unir. »
(La dialectique de la durée, p.75, Quadrige/PUF, n°104)
- [...] La durée est, non pas une donnée, mais une oeuvre.
(La dialectique de la durée, p.77, Quadrige/PUF, n°104)
- Mais le métronome est un instrument grossier. C'est le compte-fils, ce n'est pas le métier à tisser.
(La dialectique de la durée, p.117, Quadrige/PUF, n°104)
- Être poète, c'est multiplier la dialectique temporelle, c'est refuser la continuité facile de la sensation et de la déduction ; c'est refuser le repos catagénique pour accueillir le repos vibré, le psychisme vibré.
(La dialectique de la durée, p.125, Quadrige/PUF, n°104)
- [...] Le principe des fréquences domine le principe des mesures.
(La dialectique de la durée, p.127, Quadrige/PUF, n°104)
- On ne sait bien que ce qu'on a oublié et réappris sept fois, disent les pédagogues indulgents, les bons.
(La dialectique de la durée, p.140, Quadrige/PUF, n°104)
- Ne pas pouvoir réaliser un amour idéal est certes une souffrance. Ne pas pouvoir idéaliser un amour réalisé en est une autre.
(La dialectique de la durée, p.141, Quadrige/PUF, n°104)