René Bazin
1853-1932
  1. Les paysages ont des parentés, tout comme nous.
    (Récits de la plaine et de la montagne, p.3, Calmann-Lévy, 1903)
     
  2. Une note n'a pas de patrie. Une mélodie n'est que la clé qui ouvre la porte des songes, en tous dialectes.
    (Récits de la plaine et de la montagne, p.145, Calmann-Lévy, 1903)
     
  3. Mais tous les animaux perdent la crainte, quand la lune donne. C'est nous qui devenons peureux. Tant de bruits, imperceptibles le jour, nous enveloppent à présent, et demeurent inexpliqués ! Nous nous apercevons que la vie continue sans nous, et cela nous effarouche de voir vivre, alors que le sommeil tient les hommes, les grands, les intelligents, les maîtres, et nous supprime.
    (Croquis de France et d'Orient, p.191, Calmann-Lévy, 1899)
     
  4. J'ai presque honte de dire que la belle musique produit chez moi des effets littéraires, et que j'imagine, en l'écoutant, des histoires auxquelles, sûrement, ni Beethoven ni les autres n'avaient jamais songé. Je suppose même qu'il en est ainsi pour tout le monde, et que les notes ne sont que des ailes pour aller plus vite vers les régions de la pensée où l'habitude nous porte, que les amoureux pensent de suite à leurs amours, les gens heureux à leur nid, les âmes saintes au paradis, les poètes au monde des légendes, et que toutes les âmes s'envolent ensemble, mais vers des rêves qui diffèrent.
    (Croquis de France et d'Orient, p.88, Calmann-Lévy, 1899)
     
  5. Que deviendraient nos poumons sans la mer, et nos pauvres cervelles, et nos nerfs, transformés en fils électriques à courant continu ? La campagne n'a plus assez de maisons pour les surmenés qui ont besoin de repos, et c'est tout le monde. Elle ne remet pas à neuf en trois semaines. Il lui faut une saison, un printemps, un été. Elle travaille lentement, comme les boeufs, et nous n'avons pas le loisir d'attendre. La mer, qui est le grand réservoir de vie, s'est chargée de nous. Elle nous sale et nous conserve...
    (Croquis de France et d'Orient, p.183, Calmann-Lévy, 1899)
     
  6. Les larmes sont comme les morts : elles obtiennent le respect de la foule, qui ne demande pas leur nom.
    (Le Guide de l'empereur, p.86, Calmann-Lévy, 1904)
     
  7. Elle exprimait une joie si vraie d'achever sa vie, et une commisération si charitable pour nous qui la commencions, que, sans comprendre tout, nous avions l'impression d'une amitié supérieure à celles de beaucoup d'autres personnes, et qui nous enveloppait tout entiers, présent, avenir et éternité ! Il nous semblait vaguement qu'elle avait autant de pitié pour nous que de tendresse, et qu'elle songeait : « Pauvres petits, vous allez donc vivre, et voir ce que j'ai vu, et souffrir, et courir tant de risques de corps et d'âme, et vous riez !... »
    (Le Guide de l'empereur, p.194, Calmann-Lévy, 1904)
     
  8. Je crois si fortement à l'égoïsme, à l'oubli, au peu de place que nous tenons chez les autres, au peu qui nous revient du bonheur que nous avons fait, que j'ai tâché d'être au moins un compagnon de travail et de jeu, un personnage toujours présent, une bonne grosse fée, dans la légende dorée que mes enfants, comme vous, comme moi, comme tous, se composeraient un jour avec leurs vingt premières années.
    (Le Guide de l'empereur, p.262, Calmann-Lévy, 1904)
     
  9. La reconnaissance est toujours en retard sur la joie : c'est un fruit d'automne chez les heureux, et qui ne mûrit pas toujours.
    (Ma tante Giron, p.170, Nelson, 1927)
     
  10. Le moyen d'être, en vieillissant, le moins loin possible de la jeunesse, ce n'est pas de la regretter, ni d'essayer vainement de la reprendre, c'est de l'avoir éparse en sa maison, et de la regarder renaître sur des visages d'enfants.
    (En province, p.113, Calmann-Lévy, 1926)
     
  11. [...] Les mots des tout petits enfants sont presque toujours des mots de peintres.
    (En province, p.114, Calmann-Lévy, 1926)