Charles Péguy
1873-1914
  1. Nous disions hardiment que l'immortalité de l'âme, c'était de la métaphysique. Depuis je me suis aperçu que la mortalité de l'âme était aussi de la métaphysique. Aussi je ne dis plus rien.
    (Pensées, p.14, Gallimard, 1934)
     
  2. Je désobéirai si la justice et la vérité le veut.
    (Pensées, p.15, Gallimard, 1934)
     
  3. Je n'éprouve aucun besoin d'unifier le monde. Plus je vais, plus je découvre que les hommes libres et que les événements libres sont variés.
    (Pensées, p.16, Gallimard, 1934)
     
  4. Malheureux celui qui n'a pas au moins une fois, pour un amour ou pour une amitié, pour une charité, pour une solidarité, remis tout en cause, éprouvé les mêmes fondements, analysé lui-même les actes les plus simples.
    (Pensées, p.16, Gallimard, 1934)
     
  5. La révolution sociale sera morale, ou elle ne sera pas.
    (Pensées, p.16, Gallimard, 1934)
     
  6. Flatter les vices du peuple est encore plus lâche et plus sale que de flatter les vices des grands.
    (Pensées, p.17, Gallimard, 1934)
     
  7. La justice, la raison, la bonne administration du travail demandent que les intellectuels ne soient ni gouvernants ni gouvernés.
    (Pensées, p.17, Gallimard, 1934)
     
  8. C'est une illusion dangereuse que de croire que l'on peut publier sans recevoir, écrire sans lire, parler sans écouter, produire sans se nourrir, donner de soi sans se refaire.
    (Pensées, p.19, Gallimard, 1934)
     
  9. La guerre contre la démagogie est la plus dure de toutes les guerres.
    (Pensées, p.20, Gallimard, 1934)
     
  10. Presque toute la culture universitaire est de la fausse culture.
    (Pensées, p.21, Gallimard, 1934)
     
  11. Il suffit qu'un seul homme soit tenu sciemment, ou, ce qui revient au même, sciemment laissé dans la misère pour que le pacte civique tout entier soit nul ; aussi longtemps qu'il y a un homme dehors, la porte qui lui est fermée au nez ferme une cité d'injustice et de haine.
    (Pensées, p.23, Gallimard, 1934)
     
  12. Un homme qui tient dans une assemblée des propos qu'il ne peut pas tenir dans une autre où il fréquente n'est pas un honnête homme.
    (Pensées, p.25, Gallimard, 1934)
     
  13. Enseigner à lire, telle serait la seule et la véritable fin d'un enseignement bien entendu ; que le lecteur sache lire et tout est sauvé.
    (Pensées, p.26, Gallimard, 1934)
     
  14. Une amitié est perdue quand il faut penser à la défendre.
    (Pensées, p.30, Gallimard, 1934)
     
  15. Quel amour est vrai, s'il n'est point bête.
    (Pensées, p.30, Gallimard, 1934)
     
  16. Une capitulation est essentiellement une opération par laquelle on se met à expliquer, au lieu d'agir.
    (Pensées, p.32, Gallimard, 1934)
     
  17. Nous devons nous élever de toutes nos forces et inlassablement contre les envahissements de toutes les barbaries.
    (Pensées, p.33, Gallimard, 1934)
     
  18. Le génie n'éclaire nulle part autant que dans le détail poussé.
    (Pensées, p.33, Gallimard, 1934)
     
  19. L'art n'est rien s'il n'est point une étreinte ajustée de quelque réalité.
    (Pensées, p.33, Gallimard, 1934)
     
  20. Il n'y a rien de si contraire aux fonctions de la science que les fonctions de l'enseignement.
    (Pensées, p.35, Gallimard, 1934)
     
  21. Un homme qui a de la probité, manquant d'instruments, a beaucoup plus de chances d'avoir accès à quelque vérité qu'un homme qui n'a que des instruments, manquant de probité.
    (Pensées, p.35, Gallimard, 1934)
     
  22. De très grandes découvertes scientifiques, les plus grandes peut-être, au moins jusqu'ici, ont été faites avec des instruments qui aujourd'hui nous paraissent grossiers.
    (Pensées, p.35, Gallimard, 1934)
     
  23. L'homme qui veut demeurer fidèle à la vérité doit se faire incessamment infidèle à toutes les incessantes, successives, infatigables renaissantes erreurs.
    (Pensées, p.36, Gallimard, 1934)
     
  24. Tout père sur qui son fils lève la main est coupable : d'avoir fait un fils qui levât la main sur lui.
    (Pensées, p.37, Gallimard, 1934)
     
  25. Ne pas prendre certaines positions, ne pas occuper certaines situations, c'est infailliblement en prendre et en occuper d'autres.
    (Pensées, p.37, Gallimard, 1934)
     
  26. L'amitié est une opération d'une fois.
    (Pensées, p.40, Gallimard, 1934)
     
  27. Ne jamais rien écrire que de ce que nous avons éprouvé nous-mêmes.
    (Pensées, p.43, Gallimard, 1934)
     
  28. Il faut toujours dire ce que l'on voit. Surtout il faut toujours, ce qui est plus difficile, voir ce que l'on voit.
    (Pensées, p.45, Gallimard, 1934)
     
  29. La seule valeur, la seule force du royalisme... c'est que le roi est plus ou moins aimé. La seule force, la seule valeur, la seule dignité de tout, c'est d'être aimé.
    (Pensées, p.46, Gallimard, 1934)
     
  30. Heureux amis qui s'aiment assez pour (savoir) se taire ensemble.
    (Pensées, p.46, Gallimard, 1934)
     
  31. Quarante ans est un âge terrible... Car c'est l'âge où nous devenons ce que nous sommes.
    (Pensées, p.46, Gallimard, 1934)
     
  32. Je crois que l'on ne fait rien de si neuf, de si frais que certains jours de fatigue.
    (Pensées, p.46, Gallimard, 1934)
     
  33. Un vers est toujours plus grand que plusieurs vers... Un mot est toujours plus grand que plusieurs mots.
    (Pensées, p.47, Gallimard, 1934)
     
  34. Rien n'est aussi profondément apparenté au tragique que le comique.
    (Pensées, p.48, Gallimard, 1934)
     
  35. Je ne juge pour ainsi dire jamais un homme sur ce qu'il dit mais sur le ton dont il le dit.
    (Pensées, p.48, Gallimard, 1934)
     
  36. Celui qui aime se met, par cela même... dans la dépendance de celui qui est aimé.
    (Pensées, p.49, Gallimard, 1934)
     
  37. Disons les mots. Le modernisme est, le modernisme consiste à ne pas croire ce que l'on croit. La liberté consiste à croire ce que l'on croit et à admettre, (au fond, à exiger), que le voisin aussi croie ce qu'il croit.
    (Pensées, p.50, Gallimard, 1934)
     
  38. Le monde est plein d'honnêtes gens. On les reconnaît à ce qu'ils font les mauvais coups avec plus de maladresse.
    (Pensées, p.50, Gallimard, 1934)
     
  39. Homère est nouveau ce matin, et rien n'est peut-être aussi vieux que le journal d'aujourd'hui.
    (Pensées, p.52, Gallimard, 1934)
     
  40. Les tables de Bacon n'ont jamais fait faire une invention ou une découverte.
    (Pensées, p.52, Gallimard, 1934)
     
  41. Une grande philosophie n'est pas celle qui prononce des jugements définitifs, qui installe une vérité définitive. C'est celle qui introduit une inquiétude, qui ouvre un ébranlement.
    (Pensées, p.53, Gallimard, 1934)
     
  42. De tout ce qu'il peut y avoir de mauvais, l'habitude est ce qu'il y a de pire.
    (Pensées, p.53, Gallimard, 1934)
     
  43. C'est le propre du génie de procéder par les idées les plus simples.
    (Pensées, p.53, Gallimard, 1934)
     
  44. En temps ordinaire les idées simples rôdent comme des fantômes de rêve. Quand une idée simple prend corps, il y a une révolution.
    (Pensées, p.53, Gallimard, 1934)
     
  45. C'est un préjugé, mais il est absolument indéracinable... qui veut que de la raison raide soit plus de la raison que de la raison souple... Et surtout qu'une morale raide soit plus de la morale, qu'une morale souple. C'est comme si on disait que les mathématiques de la droite sont plus des mathématiques que les mathématiques de la courbe.
    (Pensées, p.54, Gallimard, 1934)
     
  46. Quand on a l'honneur d'être malade, et le bonheur d'avoir une maladie qui vous laisse la tête libre... c'est alors, et alors seulement, qu'on est le lecteur idéal.
    (Pensées, p.55, Gallimard, 1934)
     
  47. Aimer, c'est donner raison à l'être aimé qui a tort.
    (Pensées, p.59, Gallimard, 1934)
     
  48. La mémoire et l'habitude sont les fourriers de la mort.
    (Pensées, p.60, Gallimard, 1934)
     
  49. S'il fallait renoncer à toutes les valeurs de l'homme et du monde à mesure que les politiciens s'en emparent et entreprennent de les exploiter, il y a longtemps qu'il n'y aurait plus rien.
    (Pensées, p.60, Gallimard, 1934)
     
  50. Qu'est-ce qu'une pensée qui n'aurait pas de coeur. Et qu'est-ce qu'un coeur qui ne serait pas éclairé au soleil de la pensée.
    (Pensées, p.61, Gallimard, 1934)
     
  51. (L'histoire) c'est une pétrification.
    (Pensées, p.72, Gallimard, 1934)
     
  52. Il me faut une journée pour faire l'histoire d'une seconde. Il me faut une année pour faire l'histoire d'une minute. Il me faut une vie pour faire l'histoire d'une heure. Il me faut une éternité pour faire l'histoire d'un jour. On peut tout faire, excepter l'histoire de ce que l'on fait.
    (Pensées, p.76, Gallimard, 1934)
     
  53. Le triomphe des démagogies est passager. Mais les ruines sont éternelles.
    (Pensées, p.80, Gallimard, 1934)