Pascal Quignard
1948
  1. Tous les matins du monde sont sans retour.
    ( Tous les matins du monde, p.107, Folio 2533)
     
  2. -Que recherchez-vous, Monsieur, dans la musique?
    -Je cherche les regrets et les pleurs.

    ( Tous les matins du monde p.112, Folio 2533)
     
  3. La musique est simplement là pour parler de ce dont la parole ne peut parler. En ce sens, elle n'est pas tout à fait humaine.
    (Tous les matins du monde p. 113, Folio 2533)
     
  4. Amitié ou amour, il ne faut pas s'entendre sur l'essentiel, soit qu'on craigne d'en venir aux mains, soit qu'on redoute de s'ennuyer.
    ( Le salon du Wurtemberg, p.18, Ed. Gallimard 1986)
     
  5. J'aime la lecture parce que c'est la seule conversation à laquelle on peut couper court à tout instant, et dans l'instant.
    ( Le salon du Wurtemberg, p.61, Ed. Gallimard 1986)
     
  6. J'ai parfois l'impression assez effrayante que nous avons inventé l'épouvante et la détresse pour nous consoler.
    ( Le salon du Wurtemberg, p.94, Ed. Gallimard 1986)
     
  7. Je ne pense pas qu'il faille passer sa vie à attendre des semaines de quatre jeudis pour sombrer tout à coup dans l'éternel jeudi de l'éternelle semaine où il n'y aura plus de semaines et où il n'y aura plus de jeudis.
    ( Le salon du Wurtemberg, p.98, Ed. Gallimard 1986)
     
  8. Devenir musicien, c'est sans doute chercher à mettre la main sur les sons, chercher à éduquer leur violence, à apaiser la vieille souffrance sonore.
    ( Le salon du Wurtemberg, p.103, Ed. Gallimard 1986)
     
  9. Les êtres qui aiment croient leur présence indispensable et font de la colle au baquet un principe comme ils font de l'exclusivité une fin.
    ( Le salon du Wurtemberg, p.121, Ed. Gallimard 1986)
     
  10. Les instruments [de musique] ne sont que des accessoires, seule la musique est une chose merveilleuse.
    ( Le salon du Wurtemberg , p.185, Ed. Gallimard 1986)
     
  11. L'impatience, tel est le témoignage le plus consistant que le temps nous offre de lui-même.
    ( Le salon du Wurtemberg, p.255, Ed. Gallimard 1986)
     
  12. Il y a une sécurité du pire.
    ( Le salon du Wurtemberg, p.264, Ed. Gallimard 1986)
     
  13. L'homme et la femme ne sont pas faits pour s'entendre. Seule la musique est faite pour s'entendre
    ( Le salon du Wurtemberg, p.346, Ed. Gallimard 1986)
     
  14. Il faut dire que l'enfer est le nom du monde pour tous les habitants du monde.
    (Le nom sur le bout de la langue, p.40, Folio 2698)
     
  15. Tous ceux qui parlent éteignent la lumière.
    (Le nom sur le bout de la langue, p.51, Folio 2698)
     
  16. Tout mot retrouvé est une merveille
    (Petit traité sur Méduse, p.57 in Le nom sur le bout de la langue, Folio 2698)
     
  17. J'ai écrit parce que c'était la seule façon de parler en se taisant.
    (Petit traité sur Méduse, p.62 in Le nom sur le bout de la langue, Folio 2698)
     
  18. L'oubli n'est pas l'amnésie. L'oubli est un refus du retour du bloc du passé sur l'âme.
    (Petit traité sur Méduse, p.63 in Le nom sur le bout de la langue, Folio 2698)
     
  19. Tout rêve est un sein maternel qu'on fait venir en l'absence de son lait.
    (Petit traité sur Méduse, p.66 in Le nom sur le bout de la langue, Folio 2698)
     
  20. Tout nom manque sa chose. Quelque chose manque au langage. Aussi faut-il que ce qui lui est exclu pénètre la parole et qu'elle en souffre.
    (Petit traité sur Méduse, p.77 in Le nom sur le bout de la langue, Folio 2698)
     
  21. La nuit est à la source des mots: le rêve qui hallucine des choses qui ne sont pas les fait naître.
    (Petit traité sur Méduse, p.68 in Le nom sur le bout de la langue, Folio 2698)
     
  22. Les deux matériaux dont est constituée la pensée humaine sont l'absence, l'écart avec le réel, la négation, l'écart avec l'absence.
    (Petit traité sur Méduse, p.70 in Le nom sur le bout de la langue, Folio 2698)
     
  23. Écrire, trouver le mot, c'est éjaculer soudain.
    (Petit traité sur Méduse, p.73 in Le nom sur le bout de la langue, Folio 2698)
     
  24. Écrire, c'est entendre la voix perdue.
    (Petit traité sur Méduse, p.94 in Le nom sur le bout de la langue, Folio 2698)
     
  25. Sans cesse il n'y a pas de monde au lieu où nous vivons. Sans cesse la figure du monde est passée. Sans cesse le langage fait défaut. Sans cesse celle qu'on aime se réduit à un rêve. Sans cesse les souvenirs ne sont que des pierres.
    (Petit traité sur Méduse, p.98 in Le nom sur le bout de la langue, Folio 2698)
     
  26. [...] quelque chose qui n'est pas un objet ne saurait être un projet.
    (Petit traité sur Méduse, p.100 in Le nom sur le bout de la langue, Folio 2698)
     
  27. Elle avait la maussaderie des enfants qui sont gâtées.
    (La frontière, p.13, Folio 2572)
     
  28. Plate est la terre du bonheur, et pas plus longue que la main.
    (La frontière, p.83, Folio 2572)
     
  29. L'homme est perdu dans ses désirs comme nos caravelles dans les mondes nouveaux. Comme celui qui rêve est perdu dans son rêve.
    (La frontière, p.87, Folio 2572)
     
  30. Il y a dans toute passion un point de rassasiement qui est effroyable.
    (Vie secrète, p.10, Gallimard NRF 1998)
     
  31. Passer de la passion à l'amour est une ordalie.
    (Vie secrète, p., Gallimard NRF 1998)
     
  32. La musique suscite à son terme pour le véritable musicien un silence solide et précis qui est à la limite de l'envie de pleurer.
    (Vie secrète, p.22, Gallimard NRF 1998)
     
  33. Qui n'éprouve pas de joie quand il apprend ne doit pas être enseigné.
    Se passionner pour ce qui est autre, aimer, apprendre, c'est le même.

    (Vie secrète, p.28, Gallimard NRF 1998)
     
  34. [Le goût des restaurants] est un goût qui trahit carence, pauvreté, détresse. C'est pourquoi les grands chefs sont si grincheux, les gourmets si maniaques et snobants. Il faut dire la vérité : le spectacle qu'offrent ceux qui mangent dans les plus grands restaurants est lugubre.
    (Vie secrète, p.50, Gallimard NRF 1998)
     
  35. Les images ne sont pas faites pour la lumière.
    Tout rêve le sait et chaque nuit le prouve.

    (Vie secrète, p.60, Gallimard NRF 1998)
     
  36. [...] l'imprévisibilité irrévocable de la jouissance.
    (Vie secrète, p.65, Gallimard NRF 1998)
     
  37. La stupeur convient au désir. Le désir ne peut naître qu'en s'en délivrant peu à peu, et non point en en étant délivré.
    (Vie secrète, p.74, Gallimard NRF 1998)
     
  38. Le silence est comme un chiffon humide : il ôte la poussière sans qu'il la fasse voler.
    (Vie secrète, p.78, Gallimard NRF 1998)
     
  39. Seul le silence permet de contempler l'autre.
    (Vie secrète, p.83, Gallimard NRF 1998)
     
  40. La musique évoque l'adultère. Chaque adultère est une sonate merveilleuse car l'essentiel de l'audition est lié au guet qui naît dans le silence.
    (Vie secrète, p.87, Gallimard NRF 1998)
     
  41. Je pense qu'il est difficile de maintenir la mémoire de ce que nous cachons à nos proches.
    (Vie secrète, p.89, Gallimard NRF 1998)
     
  42. Avoir une âme, cela veut dire avoir un secret.
    Corollaire. Peu de monde a une âme.

    (Vie secrète, p.90, Gallimard NRF 1998)
     
  43. Or l'amour, c'est cela : la vie secrète, la vie séparée et sacrée, la vie à l'écart de la société.
    (Vie secrète, p.91, Gallimard NRF 1998)
     
  44. L'aimé aimante l'amant.
    (Vie secrète, p.105, Gallimard NRF 1998)
     
  45. Le langage est l'équivalent pour la bouche vide du rêve pour les yeux fermés.
    (Vie secrète, p.121, Gallimard NRF 1998)
     
  46. La société se repent toujours de ses méfaits quand il n'y a plus de conséquences à redouter du repentir.
    (Vie secrète, p.123, Gallimard NRF 1998)
     
  47. Pourquoi l'amour ne s'éprouve-t-il que dans la violence de la perte ?
    Parce que sa source est l'expérience de la perte.
    Naître, c'est perdre sa mère.

    (Vie secrète, p.123, Gallimard NRF 1998)
     
  48. L'amour est une folie de l'échange.
    (Vie secrète, p.135, Gallimard NRF 1998)
     
  49. Le silence n'est que l'ombre que le langage porte. Comme la conscience n'est que la chambre d'écho du langage dans le résonateur du crâne.
    (Vie secrète, p.148, Gallimard NRF 1998)
     
  50. Il y a une naissance en toute connaissance.
    (Vie secrète, p.149, Gallimard NRF 1998)
     
  51. L'amour, c'est d'abord aimer follement l'odeur de l'autre.
    (Vie secrète, p.155, Gallimard NRF 1998)
     
  52. Appeler, crier, prier (peut-être écrire), c'est pour le langage, l'équivalent du rêve pour la vue.
    (Vie secrète, p.157, Gallimard NRF 1998)
     
  53. Le regard à l'instant où un homme meurt rejoint le regard où tout meurt. Alors autant celui qui regarde que ce qui est regardé disparaissent. Le monde où il vit encore s'éteint aussi en partie avec sa mort. Les êtres qui l'entourent périssent aussi en partie avec sa mort. Le regard du mourant n'est pas seul à ne plus tout retenir ce qu'il voit. Ce qu'il voit se perd en partie avec lui. Il y a quelque chose dans la vision qui appartient à la perte.
    (Vie secrète, p.161, Gallimard NRF 1998)
     
  54. [...] le fanatique est l'homme frappé par le coup de foudre.
    (Vie secrète, p.167, Gallimard NRF 1998)
     
  55. Désirer est un verbe incompréhensible. C'est ne pas voir. C'est chercher. C'est regretter l'absence, espérer, rêver, attendre.
    (Vie secrète, p.169, Gallimard NRF 1998)
     
  56. Le désir, c'est le désastre.
    Dériver s'écarte de la rive. Désirer s'écarte de l'astre.

    (Vie secrète, p.169, Gallimard NRF 1998)
     
  57. Tout homme entièrement sérieux n'est pas humain.
    (Vie secrète, p.177, Gallimard NRF 1998)
     
  58. La vie de chacun d'entre nous n'est pas une tentative d'aimer. Elle est l'unique essai.
    (Vie secrète, p.223, Gallimard NRF 1998)
     
  59. La notoriété, quand on en use, tend toute la vie au miroir, dans une effrayante capture de soi.
    (Vie secrète, p.227, Gallimard NRF 1998)
     
  60. Il n'y a pas de différence entre musique et amour : l'écoute d'une émotion authentique égare absolument.
    (Vie secrète, p.238, Gallimard NRF 1998)
     
  61. Je n'ai d'amis que celles ou ceux qui s'oublient en parlant. Ils pensent à nu.
    C'est pourquoi la meilleure façon de penser est d'écrire.

    (Vie secrète, p.242, Gallimard NRF 1998)
     
  62. Il n'est jamais utile d'écouter les gens qui se savent être vus. Ils ne parlent pas. Ceux qui les voient parlent à l'intérieur d'eux et ils leur obéissent.
    (Vie secrète, p.243, Gallimard NRF 1998)
     
  63. Quant à la fascination, l'oreille a la musique. L'oeil a la peinture. La mort a le passé. L'amour a le corps nu de l'autre. La littérature la langue individuelle réduite au silence.
    (Vie secrète, p.246, Gallimard NRF 1998)
     
  64. Il y a un désir de ne pas savoir. Il y a une extase de l'ignorance.
    (Vie secrète, p.254, Gallimard NRF 1998)
     
  65. [...] le visage de l'homme et celui de la femme s'unissent dans l'âme à plus de profondeur que ne saurait atteindre le sexe masculin dans le sexe féminin.
    (Vie secrète, p.264, Gallimard NRF 1998)
     
  66. Qui a mis de l'image dans la nuit ? Le rêve.
    (Vie secrète, p.274, Gallimard NRF 1998)
     
  67. Qu'est-ce que l'amour ? Ce n'est pas l'excitation sexuelle. C'est le besoin de se trouver tous les jours dans la compagnie d'un corps qui n'est pas le sien.
    Dans l'angle de son regard.
    À portée de sa voix.

    (Vie secrète, p.289, Gallimard NRF 1998)
     
  68. Il ne faut pas croire à ce qu'on voit ; ça ressemble trop à ce qu'on espère.
    (Vie secrète, p.291, Gallimard NRF 1998)
     
  69. Aimer, c'est pouvoir penser tout haut avec un autre être humain. Confier ce qui passe par la tête, c'est comme arracher le voile sur sa nudité et ses états. L'intimité ne se discerne pas de l'extrême franchise. C'est l'indécence même.
    (Vie secrète, p.304, Gallimard NRF 1998)
     
  70. Répéter en cessant de répéter, cela s'appelle recommencer.
    (Vie secrète, p.318, Gallimard NRF 1998)
     
  71. Le moine Kei a dit :" Le moine peut se cacher mais le temple ne peut fuir. "
    (Vie secrète, p.348, Gallimard NRF 1998)
     
  72. Un écrivain est un homme qui n'arrête pas de vouloir se défaire de l'obscurité, qui n'arrive jamais à sortir tout à fait de l'obscurité [...]
    (Vie secrète, p.361, Gallimard NRF 1998)
     
  73. Qui ne tombe jamais hors de soi ne connaît pas l'amour.
    Or, qui tombe hors de soi connaît l'autre monde.
    Le coup de foudre fait tomber dans ce monde, par la densité d'une incarnation, un hors-monde. L'autre sexe est le contraire d'un fantasme. C'est un excès de réel.

    (Vie secrète, p.369, Gallimard NRF 1998)
     
  74. Caton l'Ancien définissait de la sorte l'amour : ce qui fait vivre une âme dans ce qui n'est pas son corps.
    (Vie secrète, p.382, Gallimard NRF 1998)
     
  75. Tout homme qui interroge est une homme fidèle à un secret qu'il ignore.
    (Vie secrète, p.389, Gallimard NRF 1998)
     
  76. Je cherche une pensée aussi impliquée dans son penseur que le rêve peut l'être dans le dormeur.
    (Vie secrète, p.404, Gallimard NRF 1998)
     
  77. Quand on a assez vécu, on sait que personne ne s'intéresse à personne. On sait qu'on n'a pas besoin de se cacher pour être caché.
    (Vie secrète, p.409, Gallimard NRF 1998)
     
  78. Lire. Aimer. Penser. Le plaisir de lire comme celui d'aimer viennent de l'expérience de la rencontre avec la pensée d'un autre hors de toute rivalité, et hors de tout dessein qui subordonnerait le fonctionnement de l'esprit.
    On partage la saisie de l'autre.
    Lire, c'est le plaisir de penser avec les morts.

    (Vie secrète, p.412, Gallimard NRF 1998)
     
  79. Se taire, aimer, écrire, c'est un perpétuel triomphe en toute chose de l'adieu.
    (Vie secrète, p.433, Gallimard NRF 1998)
     
  80. Le problème que pose le bonheur est déroutant : rares, extrêmement rares sont ceux qui le désirent. On aime plus à se raconter ses malheurs et à capter par ce récit l'oreille d'autrui qu'à taire sa joie, et à y demeurer isolé.
    (Vie secrète, p.436, Gallimard NRF 1998)
     
  81. Vieillesse et mort curieusement s'opposent. La vieillesse dégénère. La mort regénère, recycle.
    La mort brasse le brassé.

    (Vie secrète, p.442, Gallimard NRF 1998)
     
  82. Qu'est-ce que le bonheur ? Un émerveillement qui se dit à lui-même adieu.
    (Vie secrète, p.454, Gallimard NRF 1998)
     
  83. La vieillesse n'est pas une usure. La vieillesse est l'ennui qui commence à s'aimer. Celui qui cesse de s'étonner et d'admirer a vieilli. La vieillesse est un désamorçage qu'on doit mépriser jusqu'à l'instant de mourir. Ce désamorçage a lieu bien avant d'être un tarissement. C'est seul ce tarissement qui pourrait être plaint. L'inhibition intéressée, collective, est ce désamorçage anticipé et intériorité. La vie collective éloigne du naître. La vie sociale intense fait vieillir prématurément.
    (Vie secrète, p.456, Gallimard NRF 1998)
     
  84. Je ne crois pas que l'art puisse jamais être négatif. Il ignore la négation parce qu'il ignore le temps. Avant d'échapper à la norme il s'approche du vivant. Il n'est pas excentrique : il est au coeur du centre. Il est l'acte, l'actitude de l'acte, l'exactitude du tao. La création ne se soustrait à rien du monde et à rien de la vie.
    C'est la vie même. C'est la voie même.

    (Les Ombres errantes, p.24, Grasset, 2002)
     
  85. Il n'est pas de menteur qui ne taise le fait qu'il ment.
    Le romancier est le seul menteur qui ne tait pas le fait qu'il ment.

    (Les Ombres errantes, p.49, Grasset, 2002)
     
  86. Il y a dans lire une attente qui ne cherche pas à aboutir. Lire c'est errer. La lecture est l'errance.
    (Les Ombres errantes, p.50, Grasset, 2002)
     
  87. Tout est égaré comme la goutte d'eau dans la nappe immense de la mer.
    Qu'est-ce que la mer ?
    Chaque océan est une larme du temps.
    Qui pleure au fond de l'Être ?

    (Les Ombres errantes, p.71, Grasset, 2002)
     
  88. Les artistes sont des meurtriers de la mort.
    (Les Ombres errantes, p.124, Grasset, 2002)
     
  89. Éprouver en pensant ce qui cherche à se dire avant même de connaître, c'est sans doute cela, le mouvement d'écrire. D'une part écrire avec ce mot qui se tient à jamais sur le bout de la langue, de l'autre avec l'ensemble du langage qui fuit sous les doigts. Ce qu'on appelle brûler, à l'aube de découvrir.
    (Les Ombres errantes, p.136, Grasset, 2002)
     
  90. On parle du courant du fleuve. Que serait le couru ? Le couru serait la source juste avant le jaillissement. Ce serait le perdu qui revient dans l'à venir du venir qui se perd. Au mot présent il faut préférer le mot plus sûr de passant. Le présent est le passant du temps. Mais de cela je doute. Je doute que le passant du temps soit sa source. Il est possible que dans le noyau du temps le passé soit l'énergie (le noyau, le trou noir qui gît au sein de l'affluence, qui déclenche le flux). Comme le mot courant dit quelque chose de plus profond que toute l'eau du fleuve.
    (Les Ombres errantes, p.168, Grasset, 2002)
     
  91. Chacun apporte sa petite bûche au bûcher qui éclaire le monde.
    (Terrasse à Rome, p.38, Folio n°3542)
     
  92. Procurer un sens à ce qu'on aime, c'est mentir.
    (Terrasse à Rome, p.66, Folio n°3542)
     
  93. La jalousie précède l'imagination. La jalousie, c'est la vision plus forte que la vue.
    (Terrasse à Rome, p.100, Folio n°3542)
     
  94. Il y a un âge où on ne rencontre plus la vie mais le temps. On cesse de voir la vie vivre. On voit le temps qui est en train de dévorer la vie toute crue.
    (Terrasse à Rome, p.108, Folio n°3542)
     
  95. -  Tu l'as beaucoup aimé ?
    -  Beaucoup plus que beaucoup. Je l'ai aimé tout court. Je l'ai aimé.

    (Vllla Amalia, p.42, Gallimard/nrf, 2006)
     
  96. Qu'est-ce qu'un homme sentimental ? Quelqu'un qui adore ne pas manger seul.
    (Vllla Amalia, p.47, Gallimard/nrf, 2006)
     
  97. Il est difficile de se séparer de ce qu'on a aimé. Il est encore plus problématique de se séparer de soi ou de l'image de soi.
    (Vllla Amalia, p.73, Gallimard/nrf, 2006)
     
  98. Tant qu'il couve, le sentiment de la colère emplit le torse d'énergie, exalte le cerveau, soutient les projets que l'âme a conçus. Soutient le regard. Étaie les heures. Excite le temps.
    (Vllla Amalia, p.76, Gallimard/nrf, 2006)
     
  99. Le foyer (le lieu où nos défauts sont pardonnés, où nos faiblesses sont accueillies) [...]
    (Vllla Amalia, p.89, Gallimard/nrf, 2006)
     
  100. Il y a dans l'amour quelque chose qui fascine. Quelque chose de beaucoup plus ancien que ce qui peut être désigné par les mots que nous avons appris longtemps après que nous sommes nés.
    (Vllla Amalia, p.136, Gallimard/nrf, 2006)
     
  101. C'était une tristesse trop grande, vertigineuse, qui ne cessait pas, qui même s'accroissait.
    Tristesse trop grande pour les petits. Les petits connaissent les terreurs qui sont les premières, les terreurs princeps, celles qui sont sans référence dans l'expérience, qui plus jamais ne se retrouvent sur leur chemin. Les pires. Les tristesses abyssales.

    (Vllla Amalia, p.169, Gallimard/nrf, 2006)
     
  102. [...] tout dans la nature, les oiseaux, les marées, les fleurs, les nuages, le vent, les heures des étoiles, dit au temps son temps [...]
    (Vllla Amalia, p.178, Gallimard/nrf, 2006)
     
  103. Confier à l'autre son sommeil est peut-être la seule impudeur.
    Laisser se regarder en train de dormir, d'avoir faim, de rêver, de se tendre, de s'évaser, est une étrange offrande.
    Une incompréhensible offrande.

    (Vllla Amalia, p.186, Gallimard/nrf, 2006)
     
  104. Quand l'événement se réduit à son épreuve, aucune consolation ne console.
    (Vllla Amalia, p.232, Gallimard/nrf, 2006)
     
  105. On dit que la toile selon son étendue, sa forme, sa solidité, ses leurres, sa beauté, au tout dernier moment tisse l'araignée qui lui est nécessaire.
    Les oeuvres inventent l'auteur qu'il leur faut et construisent la biographie qui convient.

    (Vllla Amalia, p.274, Gallimard/nrf, 2006)
     
  106. La musique se compose en moi sans instrument, presque debout, la tête toute droite, dans la bouche tendue, dans tout l'espace du haut du corps. Comme l'orgasme, la musique vient juste au-dessus de la tête. Tout ce qui est composé devant un instrument, ou à l'aide d'un instrument, ou en direction d'un instrument, obéit à ce que cela peut donner sur l'instrument, va vers lui et ce n'est plus de la musique. Le corps est délaissé. Ce n'est qu'une performance de l'instrument. Tout instrument égare. Même la voix elle-même, pensée comme telle, conçue en aria chantée, tirant vers elle-même, égare.
    (Vllla Amalia, p.276, Gallimard/nrf, 2006)
     
  107. Il y a un plaisir non pas d'être seule mais d'être capable de l'être.
    (Vllla Amalia, p.295, Gallimard/nrf, 2006)