Edmond Thiaudière
1837-1930
  1. Que la justice éternelle, s'il en est une, s'accomplisse, fût-ce contre ma patrie, contre ma famille, contre mes amis, contre moi-même !
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.3, Paul Ollendorff, 1886)
     
  2. Si un Dieu créateur existe, il est évident que le plus essentiel de ses attributs c'est l'absolue justice, car ce Dieu, sans la volonté ni le pouvoir d'être juste, serait moralement au-dessous de l'homme. Et il ne peut être juste qu'à la condition de réparer le tort fait injustement, non seulement à l'homme, mais au plus humble et au plus rudimentaire des êtres de sa création. La logique nous oblige donc à affirmer que, dans l'hypothèse où il y aurait un Dieu par delà l'Univers, il est impossible d'admettre que le cochon qu'égorge un charcutier, que le cerf que force un chasseur, que le chien dont le vivisecteur fouille d'une lame aiguë les chairs palpitantes, que l'oiseau dont un enfant détruit la couvée, que l'insecte dont il arrache les pattes et les ailes, que la fleur même qu'une femme casse insouciamment sur sa tige ou plutôt que la plante dépossédée de cette fleur, — oui, il est impossible d'admettre que tous ces êtres et bien d'autres qu'on pourrait citer à l'infini, ne doivent pas recevoir de ce Dieu quelque compensation ultérieure aux maux qu'ils souffrent par suite de la destinée qu'il leur a faite sciemment.
    Or, comme cette conséquence nécessaire de l'existence d'un pareil Dieu nous conduirait droit à l'absurde, n'est-on pas fondé à dire qu'il n'existe pas ?
    Ce qui existe indubitablement c'est l'Univers, animal éternel et infini, éternellement et infiniment égoïste, qui se repaît de sa propre substance, jouit et souffre à la fois, de telle sorte que la jouissance et la douleur sont neutralisées en lui l'une par l'autre, se contemple et s'admire sans cesse dans tous ses mouvements, lesquels sont les modes d'expansion des choses visibles et invisibles, et ne prend pas plus de souci des êtres contingents qui se renouvellent en son être nécessaire que l'homme des cellules vitales composant son corps.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.3, Paul Ollendorff, 1886)
     
  3. La grande loi de l'Univers, autrement dit de la Machine-Dieu, c'est l'équilibre, l'équilibre dans l'Infini, l'équilibre dans l'Éternel.
    Voilà ce qui fait que l'Être nécessaire s'alimente aux transformations perpétuelles des êtres contingents qui composent sa substance, transformations produites elles-mêmes par une rupture d'équilibre chez ces êtres. Que nous naissions ou que nous mourions, que nous enfantions ou que nous tuions, que nous jouissions ou que nous souffrions, que nous fassions ce qui nous paraît le bien ou que nous commettions ce qui nous paraît le mal, nous travaillons aveuglément au maintien forcé de cet équilibre suprême, en trouvant ou perdant le nôtre propre.
    Â la Machine-Dieu, dont nous déterminons pour une part le fonctionnement, nos vices sont aussi indispensables que nos vertus, et nos actions les plus odieuses, au point de vue humain, que nos plus nobles actions.
    Mais il ne s'ensuit pas que nous soyons le moins du monde voués par prédestination à jouer un rôle jugé exécrable par les hommes plutôt qu'un rôle qu'ils s'accordent à dignifier.
    Nous pouvons faire librement, jusqu'à un certain point, notre lot moral, durant cette vie éphémère, première et dernière vie de ce petit ensemble de molécules qui constitue notre personnalité, je dis : jusqu'à un certain point, car il faut tenir compte du naturel et de l'éducation ; nous pouvons même améliorer considérablement notre milieu, mais il ne saurait nous appartenir de faire disparaître de l'Univers ce qui nous semble le mal, car ce serait détraquer la Machine-Dieu qui a besoin de ce mal pour fonctionner. Tout ce que nous pouvons, c'est le déplacer en notre sphère.
    Et, à ce propos, il faut remarquer que les idées spiritualistes sur la perfection divine sont entachées de l'anthropomorphisme le plus enfantin.
    Les croyants en un Dieu personnel voient la perfection divine dans le rayonnement par ce Dieu de nos vertus poussées au-delà de toutes limites.
    À nos yeux, au contraire, ce qui fait la perfection de la Machine-Dieu, c'est l'équilibre de toutes les forces manifestées dans l'Univers et, par exemple, de celles qui sont favorables à l'Humanité avec celles qui lui sont contraires ; c'est la neutralisation réciproque du mal et du bien, tels qu'ils apparaissent à nos sens.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.5, Paul Ollendorff, 1886)
     
  4. Nous sommes tellement esclaves des mots qu'il n'y a peut-être pas un seul athée déclaré qui, s'il cause, ne dise : — Mon Dieu ! oui ; mon Dieu ! non ; Dieu merci ! etc., etc., et s'il souffre, ne s'écrie : — Ah ! mon Dieu, que je souffre !
    En quoi il a plus raison qu'on ne pourrait croire, car, si déclaré qu'il soit comme athée, rien ne serait plus facile que d'obtenir de lui l'aveu que Dieu seul existe et que les autres êtres ne sont que ses modifications partielles et changeantes.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.7, Paul Ollendorff, 1886)
     
  5. Appelons, si vous voulez, Dieu la synthèse des forces cosmiques, et n'en parlons plus.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.8, Paul Ollendorff, 1886)
     
  6. En contemplant les effrayantes ténèbres d'où sort la vie splendide de l'Univers, les aveugles seuls (et il y en a de très illustres) prétendent qu'ils voient quelque chose; ils vont même jusqu'à raconter leurs visions aussi fantasmagoriques que celles de ces enfants qui appuient les deux mains sur leurs paupières fermées.
    Quant aux clairvoyants (et il y en a de très humbles), bien qu'écarquillant les yeux, ils reconnaissent qu'ils ne voient rien du tout.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.8, Paul Ollendorff, 1886)
     
  7. N'est-il pas admirable qu'en pensant n'agir que pour soi, durant les quelques années de vie qui lui sont dévolues, l'homme ne cesse pas une minute de fonctionner comme l'un des rouages de la Machine-Humanité, qui est elle-même l'un des rouages de la Machine-Terre, qui est elle-même l'un des rouages de la Machine-Univers? En sorte que l'homme, comme les autres êtres d'ailleurs, sert, en dépit... que dis-je? en raison même de son égoïsme congénital, à mouvoir l'Univers.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.9, Paul Ollendorff, 1886)
     
  8. Action et réaction, flux et reflux, composition et décomposition, équilibre instable... c'est tout le système du Monde.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.9, Paul Ollendorff, 1886)
     
  9. La Nature se joue terriblement des explications plus ou moins saugrenues que nous prétendons donner d'elle, qui n'a peut-être elle-même aucune conscience de ce qu'elle est.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.9, Paul Ollendorff, 1886)
     
  10. Si réellement l'Univers a un maître, il se pourrait bien que nous fussions tenus envers le maître de l'Univers, qui nous invite à passer chez lui nos quelques jours d'existence, à la même politesse qu'envers la maîtresse de la maison où nous allons passer la soirée. Donc il ne faudrait se plaindre ni du chaud ni du froid, ni que le buffet est accaparé par quelques-uns dont nous ne faisons point partie, ni que nous sommes un peu bousculés, ni que nous ne sommes pas accueillis avec la même faveur que d'autres, mais avoir le sourire sur les lèvres, depuis le moment où nous entrons jusqu'à celui où nous sortons, et même quand on nous marche sur le pied... ou sur le cœur.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.10, Paul Ollendorff, 1886)
     
  11. Nous nous exagérons ridiculement l'importance de l'Humanité dans l'Univers et la nôtre dans l'Humanité.
    En voyant que la Nature nous défait avec beaucoup moins de peine qu'elle n'en a eu à nous faire, nous nous targuons qu'elle se doit à elle-même de conserver précieusement quelque part notre précieuse substance.
    Précieuse? Eh ! sans doute pour nous, durant le peu de temps que nous en jouissons, mais pas pour elle qui l'a sitôt remplacée.
    Hélas ! hélas ! la Nature se moque bien de nous tous, tant que nous sommes !

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.10, Paul Ollendorff, 1886)
     
  12. Au-delà de l'horizon intellectuel de l'Humanité, à quoi bon chercher à savoir et même à entrevoir quoi que ce soit ?
    Tout est également incertain dans ces régions, parce que tout est également incompréhensible. Je ne sais aucune raison de me faire, sur le problème de la vie universelle, telle idée plutôt que telle autre idée diamétralement opposée, et de croire, par exemple, que la matière est une création d'un être préexistant appelé Dieu, plutôt que de croire qu'elle est incréée.
    La question du premier germe n'est pas moins insoluble dans un cas que dans l'autre. Les partisans de la création de la matière par Dieu s'appuient sur cette considération que la matière n'aurait pu se créer ni s'ordonner toute seule, mais les naïfs ne s'aperçoivent pas qu'ils ne font, par ce raisonnement, que reculer la difficulté d'un cran. Les partisans de l'incréation de la matière leur répondent triomphalement : — « Et votre Dieu, comment se trouve-t-il exister de toute éternité ? »
    Le sage qui les juge les renvoie dos à dos en les taxant d'une ignorance complète et irrémédiable, ignorance qu'il avoue d'ailleurs partager.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.11, Paul Ollendorff, 1886)
     
  13. S'il y a une justice immanente dans l'Univers, chose douteuse, hélas ! elle ne peut se concevoir que par la pratique de la métempsycose, l'être allant toujours croissant, pour ainsi dire mécaniquement, par le phénomène même des morts successives, depuis le vibrion jusqu'à l'homme, et quand il est parvenu à l'Humanité, quand il a conquis le sens moral qui lui permet à lui-même d'être juste ou injuste, redescendant, s'il en a mal usé, un ou plusieurs degrés de l'échelle et, s'il en a bien usé, revêtant dans une autre planète une forme supérieure, absolument en dehors des prévisions terrestres.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.12, Paul Ollendorff, 1886)
     
  14. La lumière du jour n'est que de l'ombre non seulement pour les aveugles, mais encore et surtout pour les trop clairvoyants dont l'œil appelle une lumière supérieure.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.13, Paul Ollendorff, 1886)
     
  15. Malheureux les esprits qui ont le mirage de l'absolu ! Ils prennent en dédain tout ce qui n'est que relatif, c'est-à-dire le fond même de la vie.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.13, Paul Ollendorff, 1886)
     
  16. L'âme qui déborde du corps au point de l'envelopper de ses rayons mériterait seule de survivre au corps.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.13, Paul Ollendorff, 1886)
     
  17. La Nature dispose en bloc pour la masse entière des hommes d'une part de joies et d'une part de peines quasi égales, puis elle leur crie : — « Maintenant arrangez-vous. Au plus fortuné la bonne part ! »
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.13, Paul Ollendorff, 1886)
     
  18. Un grand esprit ressemble à un petit âne.
    Comme celui-ci, attaché dans un pré, ne peut en paître que le cercle étroit dont sa longe est le rayon, celui-là, entravé sur un point de l'Infini, n'en peut guère tondre que la largeur de sa langue de feu.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.14, Paul Ollendorff, 1886)
     
  19. Il faut, en tout cas, nous consoler, ou mieux, — nous louer — de n'avoir point profité de la vie actuelle autrement que pour agrandir en nous l'âme qui peut-être va périr, peut-être va se perpétuer.
    Si le destin de l'âme est de périr, que nous importent les piètres avantages d'une vie sans consistance et sans durée ! S'il est de se perpétuer, nous nous trouvons avoir élevé tout naturellement le niveau de notre vie prochaine.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.14, Paul Ollendorff, 1886)
     
  20. L'Infini lui-même n'est qu'une bagatelle pour nous autres humains qui sommes si vite finis.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.15, Paul Ollendorff, 1886)
     
  21. Nous qui vivons nous sommes dans la gueule du monstre éternel. Il nous mâche, en attendant qu'il nous avale, nous digère et nous absorbe.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.15, Paul Ollendorff, 1886)
     
  22. Ceux-là mêmes qui ne croient pas à la Providence sentent aboutir à leur cerveau, pour peu qu'ils aient de tact nerveux, le fil bon ou mauvais par lequel les tient l'Éternel.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.15, Paul Ollendorff, 1886)
     
  23. Pour se rendre à la Mort il y a plusieurs chemins, mais quand celui de l'Éternité n'irait pas pour nous au-delà de la Mort, c'est encore le meilleur à prendre, si l'on veut y arriver tranquillement.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.15, Paul Ollendorff, 1886)
     
  24. À supposer qu'il y ait un Dieu juste, on se demande pourquoi, tout dépendant de sa volonté, il n'est pas clair, mais ténébreux dans sa providence.
    Au lieu d'avoir fait de la Mort une horrible décomposition qui nous frappe de stupeur et ne laisse d'espoir qu'aux naïfs ou aux illuminés, n'aurait-il pu donner comme base à la morale un sublime changement à vue d'un être d'une espèce en un autre d'une espèce différente, tantôt par progression de l'inférieur au supérieur, tantôt par régression du supérieur à l'inférieur ?
    N'aurait-il pu généraliser, en le corrigeant et le perpétuant, ce qu'il a institué pour la chenille et le papillon ; transformer, par exemple, sous nos yeux un vieux chien en un petit enfant, et un vieillard en un éphèbe angélique, franchissant la planète-terre pour s'élever vers une autre d'essence meilleure?
    Alors la loi du transformisme eût été le développement de la conscience et non la suprématie de la force... Mais quelle prétention ridicule d'en vouloir remontrer à la Nature !

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.15, Paul Ollendorff, 1886)
     
  25. Ce n'est pas toujours du Diable, comme le prétendent les chrétiens, que l'homme a reçu le redoutable don de tromper l'homme. C'est le plus souvent de Dieu lui-même, car quel plus grand trompeur que ce Dieu, qui ne fait germer en nos cœurs tant de belles espérances que pour le plaisir de les en arracher ?
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.17, Paul Ollendorff, 1886)
     
  26. Il faut croire qu'il existe un fisc éternel et infini auquel nous payons la taxe de tout manquement au devoir, taxe directe quand nous sommes conscients et indirecte quand nous ne le sommes pas.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.17, Paul Ollendorff, 1886)
     
  27. Ce n'est pas ce grand innocent de Dieu le fils, c'est Dieu le père, ce grand coupable, qu'il eût fallu pouvoir crucifier pour le punir d'avoir fait si misérable la condition de l'homme et des autres êtres.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.17, Paul Ollendorff, 1886)
     
  28. Il y a un perpétuel et douloureux malentendu entre tous les êtres; entre les animaux et les animaux ; entre les animaux et les hommes; entre les hommes et les hommes, et même entre les hommes et Dieu !
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.17, Paul Ollendorff, 1886)
     
  29. Cette petite lumière tremblotante qui luit au zénith de la raison humaine et qu'aperçoivent seulement les sages de ce monde est, non pas la lumière absolue, inaccessible aux yeux du plus clairvoyant, mais une lumière relative, et ceux des sages qui la prendraient pour la lumière absolue seraient dignes d'être classés parmi les fous.
    La lumière absolue est fort au-delà de la portée des plus grands hommes, et jamais, jamais ils ne la verront briller, en quelque lieu du monde qu'ils se trouvent. C'est bien autre chose que la Croix du Sud, visible du moins des terres australes !

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.18, Paul Ollendorff, 1886)
     
  30. Sans un idéal quelconque de justice, le bien et le mal sont essentiellement relatifs, et nous n'avons d'autre critère que de trouver le bien où est notre avantage et le mal où il n'est pas.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.18, Paul Ollendorff, 1886)
     
  31. II peut entrer dans l'ordre universel que la matière parvenue à un certain degré d'affinement s'immatérialise, et que l'âme élaborée dans le cerveau puisse finir par se passer de son laboratoire, mais si c'est possible, quoi qu'en pensent les matérialistes, ce n'est guère probable.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.19, Paul Ollendorff, 1886)
     
  32. L'idéal n'est autre chose que la conciliation d'éléments disparates qui dans l'humaine réalité ne se concilient jamais.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.19, Paul Ollendorff, 1886)
     
  33. C'est parce qu'elle se mange sans cesse que la Nature vit éternellement.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.19, Paul Ollendorff, 1886)
     
  34. Le Dieu biblique, auquel il est impossible de refuser un certain talent, n'en est pas moins le type des méchants auteurs.
    Au lieu de s'écrier, son œuvre achevée : — « Cela est bon », puis de se reposer dans son contentement, il eût été mieux inspiré de dire : — « Cela est mauvais », puis de tout détruire, et de recommencer, jusqu'à ce qu'il eût éliminé le mal qui est le fond de son œuvre.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.19, Paul Ollendorff, 1886)
     
  35. Êtres d'un moment, pourquoi nous préoccuper de l'Éternel qui ne se préoccupe guère de nous, quoique nous fassions à notre tour de rôle partie intégrante de sa substance ?
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.20, Paul Ollendorff, 1886)
     
  36. La Fatalité peut engluer tout notre être, hormis pourtant notre conscience qui parfois y échappe, la domine et lui crie : haro.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.20, Paul Ollendorff, 1886)
     
  37. Même sans admettre l'existence d'ailleurs fantastique d'un Dieu personnel, il est permis de supposer qu'une justice distributive infaillible résulte du mécanisme spontané de l'Univers, mais il n'est pas permis de l'affirmer.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.20, Paul Ollendorff, 1886)
     
  38. Rien de plus beau que l'effort héroïque de la matière pour s'immatérialiser, ni de plus touchant que son illusion qu'elle y peut parvenir.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.21, Paul Ollendorff, 1886)
     
  39. Il n'y a que les conceptions presque toujours vaines, mais toujours primordiales, se rapportant au secret de l'Univers, qui soient dignes d'occuper un grand esprit.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.21, Paul Ollendorff, 1886)
     
  40. La mer, gigantesque fée de notre globe, est la mère par excellence, puisque dans ses flancs agités, ce ne sont pas seulement les individus, ni même les espèces, mais les règnes qui se déduisent l'un de l'autre avec une hâte vertigineuse, le minéral se végétalisant sans cesse, tandis que le végétal s'animalise.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.21, Paul Ollendorff, 1886)
     
  41. Distinguons tant qu'on voudra l'âme du corps, comme du flambeau la flamme, et admettons que la flamme ne soit pas détruite avec le flambeau, qui lui-même d'ailleurs est plutôt transformé que détruit. Que devient-elle alors ?
    Elle ne peut que rentrer au foyer universel d'où elle avait été un instant distraite pour nous animer; de sorte que, flambeau et flamme, c'est bien également fait de nous.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.21, Paul Ollendorff, 1886)
     
  42. Il y a des athées qui adorent le Dieu dont ils nient l'existence, des matérialistes qui purifient et subtilisent leur matière cérébrale, au point de s'en faire une belle âme factice. Si l'on est athée et matérialiste, c'est de leur côté qu'il faut se ranger.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.22, Paul Ollendorff, 1886)
     
  43. Singulière aberration que celle de l'homme s'imaginant qu'il est la plus haute expression de l'Univers après Dieu, quand il est tout au plus le premier parasite de ce grand corps animé, incommensurablement plus animé que le sien, et qu'on nomme la Terre, laquelle est elle-même l'un des moindres parasites de l'Infini !
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.22, Paul Ollendorff, 1886)
     
  44. L'Univers est un kaléidoscope éternel et infini qui s'agite spontanément en produisant des combinaisons innombrables et peut-être illimitées, dont les moindres sont les existences humaines, — et tout cela pour la récréation mutuelle des êtres éphémères qu'il porte en son sein.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.23, Paul Ollendorff, 1886)
     
  45. L'ordre est la loi éternelle de l'Infini, le grand facteur de l'Univers, la divinité suprême.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.23, Paul Ollendorff, 1886)
     
  46. Si ce qu'on a nommé bien présomptueusement la vie future devait être autre chose que la sereine et incessante élaboration ou contemplation du Beau ; si elle devait comporter la moindre déconvenue, voire la moindre lutte, mieux vaudrait pour le poète que son âme s'évaporât dès à présent dans un rayon de soleil.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.23, Paul Ollendorff, 1886)
     
  47. La lutte pour la renommée, pour les honneurs, pour la fortune, c'est-à-dire pour ce qu'il y a de plus sérieux dans la sphère d'activité de l'homme, paraît à ceux que l'Infini tourmente avoir tout juste l'importance d'une partie de jonchets.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.23, Paul Ollendorff, 1886)
     
  48. L'âme humaine n'est peut-être que l'électricité cérébrale, comme l'électricité : l'âme universelle.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.24, Paul Ollendorff, 1886)
     
  49. Si, après notre mort, l'être moral, qui durant notre vie se dégageait électriquement de notre cerveau, échappe à la destruction de celui-ci, c'est probablement pour se confondre dans l'électricité universelle, je veux dire dans le moi supramatériel de l'Univers, ainsi que l'être physique, par la dissolution de ses parties, se confond dans le moi matériel dont la terre est un fragment.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.24, Paul Ollendorff, 1886)
     
  50. Notre cerveau attirant et répercutant la pensée, il se peut bien qu'il existe une force animique distincte de la force plastique.
    En conséquence, les idées ou sentiments ayant passé par notre cerveau et formant notre être moral échapperaient, par leur substance immatérielle, à l'anéantissement et seraient rapportés au foyer animique commun.
    Et c'est de ce foyer qu'un autre cerveau, selon le cours de son développement, les attirerait électriquement pour les répercuter ensuite. Ainsi pourrait-on comprendre l'immortalité de l'âme et même l'application mécanique de l'idéal de justice qui nous tourmente, car cette accumulation d'idées et de sentiments, qui aurait été notre être moral, serait susceptible, en devenant celui d'un autre, d'avoir une part meilleure ou pire qu'auparavant dans la répartition de la joie et de la douleur qui se neutralisent en Dieu, où elles sont équipollentes.
    En résumé, d'après cette conception, la nature nous prêterait à notre naissance un moi qu'elle nous retirerait, à notre mort, mais qui, localisé dans le moi universel, pourrait successivement servir à d'autres êtres dont il serait momentanément le moi particulier.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.24, Paul Ollendorff, 1886)
     
  51. II doit être absolument indifférent au grand tout, lequel est l'équation même du bien et du mal, que, parmi les hommes, celui-ci fasse le bien et celui-là le mal.
    Pourvu que sa double besogne soit exécutée, il ne lui importe par qui. Mais c'est à nous qu'il peut importer et grandement, ne fût-ce qu'au point de vue de l'amour-propre, de choisir la bonne besogne et de laisser la mauvaise à d'autres.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.26, Paul Ollendorff, 1886)
     
  52. Au regard de la Nature, notre personnalité n'existe pas plus distinctement (quoiqu'elle dure un peu plus longtemps) que les étoiles de neige qui fondent en tombant. Nous ne sommes qu'un de ses jeux transitoires, une de ses combinaisons presque aussitôt anéanties que formées.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.26, Paul Ollendorff, 1886)
     
  53. Tendre le plus possible vers l'Éternité avec la conviction qu'on va s'abîmer tout à coup dans le Néant, c'est la lutte inégale mais sublime d'une âme supérieure contre le Destin.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.26, Paul Ollendorff, 1886)
     
  54. Toute bonne action est une traite sur l'Éternel. Si l'Éternel n'est pas en fonds pour la payer à l'échéance, peu nous importe, pourvu que nous ayons gardé jusqu'au bout l'illusion qu'il la paiera.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.27, Paul Ollendorff, 1886)
     
  55. Tout est en marche, même Dieu, c'est-à-dire la synthèse de l'Univers.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.27, Paul Ollendorff, 1886)
     
  56. Le penseur a quelquefois des entrevisions vaporeuses de l'Infini qui lui causent plus de jouissances que ses visions absolument nettes du Fini.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.27, Paul Ollendorff, 1886)
     
  57. L'Univers est une toile en perpétuel tissage sur laquelle les hommes s'agitent un instant comme autant d'ombres chinoises, jusqu'à ce qu'ils se perdent à jamais dans la trame.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.27, Paul Ollendorff, 1886)
     
  58. L'Univers est encore un incommensurable échiquier sur lequel Dieu, n'ayant d'autre adversaire que lui-même, se joue, pour divertir sa solitude, une partie éternelle.
    Avec ses milliards de milliards de mains invisibles, il s'amuse à pousser dans un sens ou dans l'autre les diverses pièces, les blanches et les noires, c'est-à-dire celles qui représentent le bien et celles qui représentent le mal, et sûr de pouvoir gagner quand bon lui semblera, soit par celles-ci, soit par celles-là, il n'arrive jamais à échec et mat.
    Voilà pourquoi l'on peut observer ce mouvement continu de toutes choses, depuis les planètes qui sont les Tours jusqu'aux nations qui sont les Cavaliers et aux hommes qui sont les Fous, quand ils ne sont pas de simples pions que le joueur se souffle à lui-même et rejette au néant, et remplace aussitôt par d'autres.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.28, Paul Ollendorff, 1886)
     
  59. Ô Dieu, si tu n'es pas seulement, comme le croient les athées, le mécanisme fatal de l'Univers, si tu en es le régulateur attentif, tu nous feras certainement expier après notre mort les fautes que nous aurons commises de notre vivant ; mais qui te punira toi-même de nous les avoir laissé commettre, le pouvant empêcher ?
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.29, Paul Ollendorff, 1886)
     
  60. La justice divine n'est peut-être qu'un rêve sublime de l'homme.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.29, Paul Ollendorff, 1886)
     
  61. Pour qui a vécu et observé pendant quelque quarante ans, il n'y a plus qu'une chose intéressante dans la vie. On en voudrait enfin trouver la clef... mais elle est à jamais introuvable.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.29, Paul Ollendorff, 1886)
     
  62. On a dit que tout est dans tout ; on pourrait aussi bien dire que tout est contre tout, tant il y a de lutte, non seulement entre les diverses parties, mais dans les mêmes parties, grandes ou petites, de l'Univers.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.29, Paul Ollendorff, 1886)
     
  63. La suprême piété est celle qui reste désespérément au cœur de certains incrédules, sans qu'ils trouvent à quel Dieu la rapporter. La suprême impiété est celle de la plupart des croyants assez misérables et stupides pour ne pas pratiquer leur foi.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.30, Paul Ollendorff, 1886)
     
  64. Il y a certainement — et les athées eux-mêmes en conviendront, — sinon un être véritable, du moins un chiffre qui correspond au total des êtres et que son infinité seule empêche d'être déchiffrable.
    Pourquoi ne pas l'appeler Dieu ?

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.30, Paul Ollendorff, 1886)
     
  65. Ô terrible Sphinx, implacable monstre qui équivaux à l'Univers ou le gouvernes, je n'ai pas comme tant d'autres la présomption naïve d'avoir deviné ton énigme et je m'attends sans cesse à te voir me dévorer !
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.30, Paul Ollendorff, 1886)
     
  66. C'est une chose bien remarquable que les gens qui revendiquent le plus haut le prétendu droit de l'âme humaine à être immortelle, sont généralement ceux qui ont le plus ravalé, parmi les débauches, les bassesses et les vilenies, cette âme qu'ils se targuent de posséder.
    Immortelle, une pareille âme !
    Eh ! grand Dieu, si vous-même vous existez, je me demande ce que tous ces fourbes, ces cupides, ces luxurieux veulent que vous fassiez de leur saleté d'âme !

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.33, Paul Ollendorff, 1886)
     
  67. II y a dans tout le mécanisme de la Nature infiniment d'ordre, mais on ne trouve trace de justice que dans la conscience de l'homme, et cela même doit faire, à la fois, notre orgueil et notre désespoir.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.34, Paul Ollendorff, 1886)
     
  68. Heureux sommes-nous quand notre coeur et notre esprit, semblables à des oiseaux de haut vol, planent fort au-dessus de ce marais infect ou barbotte la pauvre Humanité !
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.34, Paul Ollendorff, 1886)
     
  69. Impérieux par tempérament, servile par intérêt : voilà l'homme !
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.34, Paul Ollendorff, 1886)
     
  70. Le bol alimentaire est à l'animal et particulièrement à l'homme ce qu'est le fumier à la plante. L'avantage que l'animal à de se mouvoir est malheureusement un peu compensé en lui par le desagrément de porter son fumier par dedans, au centre même de ses organes.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.34, Paul Ollendorff, 1886)
     
  71. L'homme est un animal déraisonnable, quoi qu'il en dise, mais, heureusement pour son amour-propre, la femme est un animal plus déraisonnable que lui.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.35, Paul Ollendorff, 1886)
     
  72. On a défini l'homme un animal raisonnable. On s'est trompé. II fallait dire: « Un animal raisonneur. »
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.35, Paul Ollendorff, 1886)
     
  73. Ce qui différencie le plus l'homme des autres animaux, ce n'est pas sa raison (il y en a de plus raisonnables que lui), c'est son inconstance.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.35, Paul Ollendorff, 1886)
     
  74. Au fur et à mesure que l'homme s'approche de l'heure où, ses forces étant épuisées, il sera mis lui-même au rebut par la Nature, ce qui lui était reliques lui devient loques.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.35, Paul Ollendorff, 1886)
     
  75. On se désole vite ; on se console plus vite encore.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.35, Paul Ollendorff, 1886)
     
  76. Quiconque parle trop de soi s'expose par un juste retour à ce que personne ne parle de lui, ni même n'en veuille entendre parler.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.36, Paul Ollendorff, 1886)
     
  77. En tous lieux, sauf au Monomotapa, l'amitié n'est que le chassé-croisé de deux égoïsmes très bien masqués. II arrive presque toujours un moment où l'un des deux égoïsmes ôte son masque ; I'autre en fait autant. Ils se contemplent avec horreur et l'amitié fait place à la haine.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.36, Paul Ollendorff, 1886)
     
  78. Si le renom personnel d'un homme devient l'un des éléments constitutifs du renom de son pays, il y a gloire ; si non, il n'y a que célébrité.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.36, Paul Ollendorff, 1886)
     
  79. Les jugements nous paraissent toujours relatifs quand ils viennent des autres ; absolus quand ils viennent de nous-mêmes. Le fait est qu'ils sont absolument relatifs dans tous les cas.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.36, Paul Ollendorff, 1886)
     
  80. Les optimistes sont, ou des égoïstes auxquels tout réussit par hasard et qui ne s'inquiètent pas du reste, ou des illuminés qui croient à une seconde existence meilleure que l'actuelle qu'ils avouent mauvaise.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.37, Paul Ollendorff, 1886)
     
  81. Qu'est-ce qu'un pessimiste ? C'est un homme absolument dégoûté — en philosophie, de toutes les doctrines, — en politique, de tous les partis, — en littérature, de toutes les écoles, — en anthropologie, de tous les hommes et de lui-même, — en amour, de toutes les femmes, — en religion, de tous les Dieux.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.37, Paul Ollendorff, 1886)
     
  82. Élimination de la pitié dans l'ordre biologique, de la justice dans l'ordre politique, de la conscience dans l'ordre artistique, industriel ou commercial : voilà ce que produit la concurrence vitale, cette loi scélérate de la Nature.
    Quant aux concurrents qui gardent par hasard vis-à-vis de leurs concurrents de la pitié, de la justice et de la conscience, ils sont battus d'avance.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.37, Paul Ollendorff, 1886)
     
  83. Les hommes attachent généralement aux choses qui les touchent de près une importance excessive, eu égard au peu d'importance de leur propre vie.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.38, Paul Ollendorff, 1886)
     
  84. II est bien étrange de considérer l'âme comme étant d'une essence autre que le corps, quand tout indique qu'elle est précisément I'essence même du corps qui la distille par nos organes.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.38, Paul Ollendorff, 1886)
     
  85. Au fur et à mesure que le corps la distille, notre âme est bue par le mouvement de la vie, et lorsque nous mourons il n'en reste plus une goutte, à moins qu'il ne nous ait été possible d'en conserver dans ces flacons qu'on nomme des oeuvres.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.38, Paul Ollendorff, 1886)
     
  86. Pour satisfaire ses goûts presque toujours si complexes, parfois si contradictoires et qui font de lui un être essentiellement versatile, il faudrait que l'homme pût mener concurremment les genres de vie les plus divers : être à la fois voyageur et casanier, austère et voluptueux, homme d'action et homme de pensée. Malheureusement, il lui faut choisir et il tombe naturellement du côté où il penche le plus, à moins qu'il ne tombe artificiellement, comme cela s'est vu trop souvent, par un choc en retour de sa volonté sur son instinct, du côté où il penche le moins.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.39, Paul Ollendorff, 1886)
     
  87. L'homme, quand sa conscience est trop éveillée, en arrive à trouver odieuses des faiblesses inhérentes à la nature humaine et pour ainsi dire inéluctables. Comme il trouve tout simple et tout naturel, quand sa conscience est restée endormie, de commettre les plus grandes monstruosités.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.39, Paul Ollendorff, 1886)
     
  88. Si mauvaises que soient les raisons que notre amour-propre peut invoquer en sa faveur, il ne manque jamais de les trouver bonnes.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.40, Paul Ollendorff, 1886)
     
  89. II faut vraiment que l'homme ait une vanité bien décevante pour s'être imaginé que, sa naissance étant une réalité, sa mort ne sera qu'une apparence et qu'ayant commencé, il ne finira plus.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.40, Paul Ollendorff, 1886)
     
  90. Avoir de l'humanité, c'est pratiquer dans leur plus raffinée délicatesse les devoirs de l'homme envers l'homme.
    Un homme qui a réellement de l'humanité s'étudie à ne rien prétendre qui puisse entraîner non seulement un malheur, mais une incommodité pour les autres.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.40, Paul Ollendorff, 1886)
     
  91. Devant les passants ou derrière eux, sans vergogne ou avec pudeur, nous repoussons du pied, à mesure qu'ils tombent sur le chemin, nos morts les plus chers, et nous continuons de marcher dans la vie.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.40, Paul Ollendorff, 1886)
     
  92. Les femmes sont des enfants perfides.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.41, Paul Ollendorff, 1886)
     
  93. Pour qu'une femme ne cède pas à une tentation, il faut la réunion de ces deux choses : 1° que la femme soit bien forte ; 2° que la tentation soit bien faible.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.41, Paul Ollendorff, 1886)
     
  94. La vanité prend le vice pour souteneur ; l'orgueil entretient l'honnêteté.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.41, Paul Ollendorff, 1886)
     
  95. Quelle niaiserie ou quelle impudence chez ces gens qui, coulés dans un moule vulgaire, veulent qu'une personne originale cesse d'être soi pour leur ressembler, sous prétexte qu'eux-mêmes ils ressemblent à n'importe qui 
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), trad. #655 &Les gens qui ne s'imaginent pas ayoir les qualites qu'ils ont, consolent de ces gens, beauc, p.41, Paul Ollendorff, 1886)
     
  96. La vertu qui s'ignore est deux fois la vertu.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.42, Paul Ollendorff, 1886)
     
  97. On est parfois tout étonné de trouver, chez les gens qu'on estime le plus, des côtés gredins.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.42, Paul Ollendorff, 1886)
     
  98. Ce qui nous paraît injuste quand nous le souffrons, nous paraît juste quand nous le faisons souffrir.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.42, Paul Ollendorff, 1886)
     
  99. II n'y a que des bagatelles en ce monde, et il n'y a parmi toutes ces bagatelles que celles de l'entendement et de la sensibilité pour plaire à certaines natures élevées.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.42, Paul Ollendorff, 1886)
     
  100. Comprendre qu'il ne tient qu'à lui de se servir des hommes, et préférer les servir, telle est la caractéristique du vrai grand homme dont le coeur, si haut que soit placé son esprit, est toujours plus élevé.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.43, Paul Ollendorff, 1886)
     
  101. On doit, en toute circonstance, compter avec la bêtise humaine.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.43, Paul Ollendorff, 1886)
     
  102. II y a des malheureux qui, du commencement à la fin de leur carrière, ne font autre chose qu'emmagasiner du découragement.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.43, Paul Ollendorff, 1886)
     
  103. II faut la collaboration étroite du raisonnement et de la sensibilité dans un homme pour en faire un homme de coeur.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.43, Paul Ollendorff, 1886)
     
  104. Le châtiment des ambitieux est qu'il ne leur suffit bientôt plus de jouer un personnage (il y en a tant), mais qu'ils enragent de n'être pas l'unique personnage sur lequel se concentrent tous les regards.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.43, Paul Ollendorff, 1886)
     
  105. II n'y a que les esprits vraiment forts qui puissent constater la faiblesse infinie de l'esprit humain.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.44, Paul Ollendorff, 1886)
     
  106. L'égoïsme rend bête ; c'est pourquoi nombre de gens s'étonnent et même s'indignent qu'on ne réponde pas à leurs coups de pied par des baise-mains.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.44, Paul Ollendorff, 1886)
     
  107. II y a tels jougs dont la délivrance nous est moins supportable que le poids.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.44, Paul Ollendorff, 1886)
     
  108. Toute notre vie nous sommes en bisbille avec les quatre éléments. Voulons-nous de l'air ? Nous avons du feu. Avons-nous du feu ? Nous voudrions de l'eau... Cependant, le quatrième élément : la terre, flnit toujours par avoir raison de nos inconstances.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.44, Paul Ollendorff, 1886)
     
  109. Plus on a I'âme élevée, plus les convoitises humaines les plus hautes semblent basses.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.45, Paul Ollendorff, 1886)
     
  110. II y a peu d'hommes qui se disent : Ce serait une exception vraiment trop monstrueuse en ma faveur si je n'avais toujours que des joies et jamais de peines.
    II est même permis d'assurer qu'il n'y en a pas.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.45, Paul Ollendorff, 1886)
     
  111. Le pessimisme est le propre de ces esprits maladifs auxquels leur état morbide communique une merveilleuse perspicacité, et, pour tout dire en un mot, la seconde vue véritable des choses humaines.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.45, Paul Ollendorff, 1886)
     
  112. Celui qui réussit se croit plus habile que les autres ; celui qui échoue, plus malheureux.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.46, Paul Ollendorff, 1886)
     
  113. Avec un peu de perspicacité on se persuade vite que tout le monde a tort plus ou moins, qui d'une façon, qui de l'autre.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.46, Paul Ollendorff, 1886)
     
  114. En général, nous n'occupons une grande place que dans notre propre esprit et notre propre coeur.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.46, Paul Ollendorff, 1886)
     
  115. Quelque étrange que ce soit, le désordre dans les moeurs provient plus souvent de la vanité que de la passion ou de l'amour du vice pour lui-même. Des natures nullement passionnées et auxquelles le vice n'est qu'indifférent croient de bonne foi, en agissant de la manière la plus révoltante, agir supérieurement aux autres.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.46, Paul Ollendorff, 1886)
     
  116. De quelque manière qu'on vive, la vie est mal équilibrée et l'on devrait se redresser de son penchant. Est-on dissolu par hasard ? II siérait d'être austère. Est-on austère ? Il ne messiérait pas d'être dissolu, un tantinet.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.46, Paul Ollendorff, 1886)
     
  117. L'illusion annulée, c'est la stupeur : — exaspérée, c'est la folie.
    Pour le bon équilibre de l'homme, il est urgent qu'elle ne soit ni ceci, ni cela, mais modérée.
    Son annulation équivaut à la Mort ; son exaspération au détraquement ; sa modération à la vie plénière.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.47, Paul Ollendorff, 1886)
     
  118. Comment n'être pas pris de stupeur en regardant bien, mais bien, notre propre destinée et le train du monde où nous sommes ?
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.47, Paul Ollendorff, 1886)
     
  119. Le malfaiteur n'est qu'un sot ; il croit travailler à son profit ; il travaille à sa perte.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.47, Paul Ollendorff, 1886)
     
  120. Sur la pente rapide de la journée, cette montagne idéale dont la base est le matin, l'homme, le pauvre homme va toujours remontant aussi vainement sa lourde pierre ; et chaque soir elle dégringole avec lui dans le sommeil jusqu'au lendemain où il doit recommencer.
    Mais plus heureux que Sisyphe, il n'a point là de supplice éternel, et tôt on tard, soit à l'ascension, soit à la descente, son coeur s'arrête et la pierre s'arrête tombalement sur son coeur.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.48, Paul Ollendorff, 1886)
     
  121. Les personnes qui ont accoutumé de pratiquer le devoir et qui cependant ne se trouvent point heureuses de la vie, comprennent bien qu'elles le seraient cent fois moins encore en ne le pratiquant pas.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.48, Paul Ollendorff, 1886)
     
  122. II n'y a pas de plus grande bévue que de chercher le bonheur dans le vice ; c'est comme si l'on cherchait un parfum agréable dans un tas de fumier.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.48, Paul Ollendorff, 1886)
     
  123. La seule intensité dans la possession fait pour nous le prix des objets que nous possédons. Voila pourquoi il y a beaucoup plus de jouissance à posséder merveilleusement des choses ordinaires, qu'ordinairement des choses merveilleuses.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.49, Paul Ollendorff, 1886)
     
  124. Quand on a mis le pied dans l'indélicatesse on ne tarde point à y courir à toutes jambes.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.49, Paul Ollendorff, 1886)
     
  125. On pourrait citer nombre de gens dont I'âme soi-disant immortelle était déjà pourrie dans leur corps debout et vivant.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.49, Paul Ollendorff, 1886)
     
  126. Pour l'individu humain dont le coeur a été cruellement blessé par le monde, la seule devise bonne à prendre et aussi à justifier est celle-ci : Oubliant, oublié.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.49, Paul Ollendorff, 1886)
     
  127. Les sots croient se grandir par leur morgue ; ils se grandissent effectivement comme sots.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.50, Paul Ollendorff, 1886)
     
  128. L'homme a un beau et un vilain côté. Les philanthropes le regardent du beau côté, les misanthropes du vilain, mais ceux qui veulent réellement le connaître et témoigner de lui le regardent de face.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.50, Paul Ollendorff, 1886)
     
  129. Pour les âmes nobles et les esprits élevés la difficulté est moins grande de faire des choses rares que des choses communes.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.50, Paul Ollendorff, 1886)
     
  130. De tout ce que s'élargit le champ de nos regrets, se rétrécit celui de nos désirs.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.50, Paul Ollendorff, 1886)
     
  131. II y a fort peu de gens d'esprit, mais beaucoup d'imbéciles subtils et l'on prend trop souvent les seconds pour les premiers.
    La grande différence consiste en ceci : Un imbécile subtil peut trouver le trait fin ; l'homme d'esprit seul rencontre l'idée rare.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.50, Paul Ollendorff, 1886)
     
  132. Le plus homme d'esprit est encore sot par quelque côté, ou, si c'est trop dire, par quelque point.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.51, Paul Ollendorff, 1886)
     
  133. Puisque nous ne sommes heureux qu'en nous illusionnant, avons-nous rien de mieux à faire, quand nous perdons des illusions, que de les remplacer par d'autres ? Et c'est ainsi que nous faisons, même involontairement, et jusqu'au bout de notre existence, si bien que notre bouche, quand elle se tord dans I'agonie, est encore tout enfarinée d'espoir.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.51, Paul Ollendorff, 1886)
     
  134. Que notre expérience ne profite pas aux autres, cela se comprend ; mais ce qui se comprend beaucoup moins, c'est qu'elle ne nous profite guère à nous-mêmes .
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.51, Paul Ollendorff, 1886)
     
  135. Rien n'est plus sot, ni plus fréquent que de dédaigner des jouissances à notre portée, pour en chercher d'autres que nous ne pouvons atteindre.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.52, Paul Ollendorff, 1886)
     
  136. II est aussi rare d'avoir le désir qu'on pourrait satisfaire que de pouvoir satisfaire le désir qu'on a.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.52, Paul Ollendorff, 1886)
     
  137. II y a des gens qui ne savent pas montrer le mérite qu'ils ont et d'autres qui savent montrer celui qu'ils n'ont pas.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.52, Paul Ollendorff, 1886)
     
  138. Comment ne pas nous défier de nos propres jugements ? Tous les jours nous sommes obligés de reconnaître qu'ils étaient erronés.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.52, Paul Ollendorff, 1886)
     
  139. Jusque dans ses joies inconsidérées l'être humain fait pitié.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.52, Paul Ollendorff, 1886)
     
  140. C'est une infirmité chez l'homme de voir la misère de sa condition ; c'en est une autre de ne la point voir. Dans les deux cas il est à plaindre ; dans le premier, de sa clairvoyance ; dans le second, de son aveuglement.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.53, Paul Ollendorff, 1886)
     
  141. Quand l'altruisme de Pierre se collete avec l'égoïsme de Paul, il ne tarde guère à se déclarer vaincu.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.53, Paul Ollendorff, 1886)
     
  142. Nous avons tous une grave tendance à considérer nos propres défauts comme des qualités et les qualités des autres comme des défauts.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.53, Paul Ollendorff, 1886)
     
  143. Ceux qui ont fait, dit ou seulement rêvé le bien méritaient mieux que la vie ; les autres ne la méritaient même pas.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.53, Paul Ollendorff, 1886)
     
  144. L'ambition ne peut prendre flot dans les âmes trop petites ; elle vogue sur les moyennes, mais elle sombre dans les grandes.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.53, Paul Ollendorff, 1886)
     
  145. C'est une pudeur de cacher son vrai mérite à ceux qui ne le peuvent apprécier.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.54, Paul Ollendorff, 1886)
     
  146. Certains hommes sont de tempéraments tellement contradictoires qu'il leur faut une grande et bien rare élévation de caractère pour se rendre une mutuelle justice.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.54, Paul Ollendorff, 1886)
     
  147. L'argent est d'un effet très variable sur les âmes. Le plus souvent il les maintient de niveau avec l'ordre social, mais dans l'ordre éternel il se trouve toujours qu'il abaisse les petites et élève les grandes.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.54, Paul Ollendorff, 1886)
     
  148. Le plus grand plaisir pour l'homme c'est de jouer à l'enfant, comme pour l'enfant de jouer à l'homme.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.54, Paul Ollendorff, 1886)
     
  149. Nous sommes bêtes toute notre vie, qui d'une façon, qui de l'autre, mais nous ne le sommes jamais plus qu'adolescents de quinze à vingt ans, quand nous voulons faire I'homme, ou adolescentes de douze à dix-huit, quand nous voulons faire la femme.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.54, Paul Ollendorff, 1886)
     
  150. Ce qu'il y a de plus navrant chez l'homme, ce n'est pas sa misère, c'est son indignité. Et pourtant ne devrait-on pas plutôt s'étonner qu'un être si misérable soit parfois si digne et comme au-dessus de lui-même ?
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.55, Paul Ollendorff, 1886)
     
  151. C'est une question de savoir si nos fautes ne portent point avec elles, ici-bas, leur punition, tantôt rapide, tantôt lente, mais toujours sûre.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.55, Paul Ollendorff, 1886)
     
  152. De ce qui n'est rien en soi l'illusion fait notre tout.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.55, Paul Ollendorff, 1886)
     
  153. Le sentiment de la justice est la plus belle conquête de l'homme,
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.55, Paul Ollendorff, 1886)
     
  154. À part quelques rares individualiés transcendantes, qui n'ont point eu et n'auront jamais leurs pareilles dans la suite des siècles, tous les êtres humains ne sont que la répétition fastidieuse d'autres êtres qui les ont précédés. Ils défilent sur la scène du monde, n'ayant aucune substance vraiment personnelle, mais jouant avec une gravité ou une folie également misérable, un rôle banal qu'ils ont hérité par hasard et qu'ils légueront aussi par hasard à des successeurs.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.56, Paul Ollendorff, 1886)
     
  155. Quelles pitoyables marionnettes du Destin nous sommes !
    II n'y a rien, absolument rien d'inédit dans nos sentiments, nos idées, nos paroles, nos actions.
    Oui, nos engouements et nos rancunes, nos transports d'amour et nos cris de haine, nos générosités et nos vilenies, nos défiances et nos témérités, nos tristesses et nos joies, nos vices et nos vertus, tout ce qui vient de nous n'est que l'insipide rabâchage de ce qui nous est venu des autres.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.56, Paul Ollendorff, 1886)
     
  156. Ce n'est rien que la bêtise, quand elle est douce, mais qu'elle est donc redoutable, lorsqu'elle devient furieuse !
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.57, Paul Ollendorff, 1886)
     
  157. A l'extrême limite de la désespérance on retrouve la sérénité.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.57, Paul Ollendorff, 1886)
     
  158. Ce n'est que demi-mal quand nous n'aimons pas ceux qui nous font souffrir.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.57, Paul Ollendorff, 1886)
     
  159. Faire du bien aux autres c'est s'en faire à soi-même.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.57, Paul Ollendorff, 1886)
     
  160. II y a quelque naïveté à se passionner pour quoi que ce soit.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.57, Paul Ollendorff, 1886)
     
  161. II y a deux sortes de domination, l'une en esprit, l'autre en fait.
    A-t-on la première ? On dédaigne la seconde comme inférieure.
    En effet, celui qui domine par la pensée voit de très haut et fort loin par dessus la tête de celui qui domine par l'action.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.58, Paul Ollendorff, 1886)
     
  162. Parmi les gens qui ne sont rien, peut-être en trouverait-on quelques-uns capables d'être, sinon tout, du moins beaucoup, mais aimant autant n'être rien, parce qu'ils considèrent tout comme rien.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.58, Paul Ollendorff, 1886)
     
  163. Faire ce qu'on veut serait trop beau ; c'est déjà bien joli quand on peut s'abstenir de faire ce qu'on ne veut pas.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.58, Paul Ollendorff, 1886)
     
  164. Les conditions dans lesquelles les hommes accomplissent leur évolution respective sont le plus souvent si différentes, les unes étant fort douces et les autres très dures, qu'il serait souverainement injuste de juger du mérite d'aucun d'eux par son succès, et voilà pourtant ce que fait le monde.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.58, Paul Ollendorff, 1886)
     
  165. La sympathie plénière est sinon impossible, du moins bien rare entre les hommes.
    Ceux-là mêmes qui sont le plus rapprochés par certains côtés sont irrémédiablement séparés par d'autres.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.59, Paul Ollendorff, 1886)
     
  166. Nous n'avons guère qu'une pierre de touche pour juger de la valeur morale des gens auxquels nous avons affaire , et cela fait peu d'honneur à la moralité même de notre jugement.
    Servent-ils nos intérêts ? Quand ce serait des coquins, ils sont impeccables. Les desservent-ils, au contraire ? Quand ce serait les plus honnêtes gens du monde, ils sont impardonnables.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.59, Paul Ollendorff, 1886)
     
  167. Les mêmes idées ont presque toujours deux sens très différents : celui dans lequel elles sont exprimées et celui dans lequel elles sont comprises.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.60, Paul Ollendorff, 1886)
     
  168. L'auréole seule de la bonté donne toute sa valeur au beau visage ou au grand mérite. Le premier est bien moins beau et le second bien moins grand là où elle manque.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.60, Paul Ollendorff, 1886)
     
  169. Le commencement de la sagesse est d'être sévère à soi-même et indulgent aux autres.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.60, Paul Ollendorff, 1886)
     
  170. Le cœur de l'homme est un volant que se renvoient à tour de rôle comme deux raquettes le désir et le regret. À peine a-t-on ce qu'on désirait qu'on regrette ce qu'on n'a plus.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.60, Paul Ollendorff, 1886)
     
  171. Certains hommes, selon leur tempérament, ont la fierté extérieure, qui au dedans sont humbles ; d'autres l'humilité extérieure, qui au dedans sont fiers.
    Les premiers, sentant leur propre misère n'en veulent pas moins imposer au monde ; les seconds, sentant la misère du monde, s'enorgueillissent secrètement de ne point au fond s'en laisser imposer par lui autant qu'il le pourrait croire.
    Quant à être fiers au dedans comme au dehors, c'est affaire aux sots, et humbles au dedans comme au dehors affaire aux saints.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.60, Paul Ollendorff, 1886)
     
  172. Entouré seulement d'animaux, Noé eût été le plus heureux mortel dans l'arche, mais il y avait aussi sa femme, ses trois fils et ses trois brus pour le tourmenter.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.61, Paul Ollendorff, 1886)
     
  173. Pour se montrer aux autres tel qu'on se voit, il faut s'estimer. C'est donc un secret témoignage qu'on se méprise que de s'avantager sciemment à leurs yeux.
    Au fond les glorieux ne sont pas dupes de leur pose, et le déchet qu'ils sont obligés de constater d'eux-mêmes dans le particulier est leur plus grand châtiment.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.61, Paul Ollendorff, 1886)
     
  174. La sottise de l'homme éclate dans le peu de souci qu'il a de son bien le plus précieux : la santé. Presque toujours il est malade par sa faute, et c'est lui-même qui ouvre ainsi la porte à la Mort.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.62, Paul Ollendorff, 1886)
     
  175. Souvent trop de souci pour les petites choses nous empêche d'en avoir assez pour les grandes, et nous tombons dans un accident pour éviter un inconvénient.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.62, Paul Ollendorff, 1886)
     
  176. À une certaine époque de la vie on n'a plus aucun espoir sincère. On ne conçoit rien dont on ne soit déçu d'avance, et l'on brusque la déception, de peur d'en être brusqué.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.62, Paul Ollendorff, 1886)
     
  177. Conception, déception : voilà le double mouvement de diastole et de systole du cœur humain.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.63, Paul Ollendorff, 1886)
     
  178. Les gens dont le cœur est trop battu de l'oiseau ont parfois, au regard des gens heureux, un ahurissement bien singulier où semblent se confondre toutes leurs navrances.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.63, Paul Ollendorff, 1886)
     
  179. La pointe de notre amour-propre dirigée par nous sur l'esprit d'autrui et le trouvant cuirassé, se retourne et s'enfonce dans notre cœur.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.63, Paul Ollendorff, 1886)
     
  180. Pour peu qu'on raisonne, on ne doit pas s'étonner de l'égoïsme, encore moins y trouver un motif d'injure contre la personne dans laquelle on le constate.
    Ce n'est pas un vice de l'individu, c'est une imperfection de l'espèce.
    Cela tient à la limite très proche de notre horizon. Nos yeux ne voient guère au delà de leur propriétaire, l'appareil n'étant pas fait pour plus. Vraiment les hommes qui ne sont point égoïstes, en admettant qu'il y en ait, sont des monstres. Ils ont le cœur plus gros que la tête, tout simplement.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.63, Paul Ollendorff, 1886)
     
  181. Les poètes sont presque toujours les faux-monnayeurs de la vie.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.64, Paul Ollendorff, 1886)
     
  182. Il y a des coquins sans le savoir et qui, très naïvement, se prennent pour d'honnêtes gens.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.64, Paul Ollendorff, 1886)
     
  183. On est souvent plus estimé de ses ennemis que de ses amis, et, chose extraordinaire, on en est parfois moins haï.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.64, Paul Ollendorff, 1886)
     
  184. La prévision humaine, même la plus sagace, est la plupart du temps tellement trompeuse qu'on se demande s'il ne vaudrait pas mieux vivre à l'aveuglette.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.64, Paul Ollendorff, 1886)
     
  185. Trois sortes d'âmes : celles qui volent, celles qui marchent et celles qui rampent.
    Mais, hélas ! comme, par les chaleurs de l'été, l'on voit les oiseaux eux-mêmes se mettre à plat ventre dans le sable humide et s'y traîner pour chercher quelque fraîcheur, ainsi arrive-t-il, surtout dans la saison passionneuse, que les âmes qui ont coutume de planer dans les airs semblent parfois oublier qu'elles ont des ailes et jusqu'à des pattes.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.65, Paul Ollendorff, 1886)
     
  186. Quelle lutte inégale celle de notre pauvre petite volonté contre la fatalité géante ! C'est la lutte d'un David sans fronde contre un Goliath invulnérable.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.65, Paul Ollendorff, 1886)
     
  187. Le mépris est une vengeance à la portée de tout le monde. C'est la seule avisée, car elle nous soulage toujours, sans jamais nous compromettre.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.65, Paul Ollendorff, 1886)
     
  188. Notre point de vue pour juger de ce monde ne peut être que celui de la place que nous y occupons.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.66, Paul Ollendorff, 1886)
     
  189. Nos convictions sont toujours les filles naturelles de notre position et elles ont le plus ordinairement pour père notre intérêt.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.66, Paul Ollendorff, 1886)
     
  190. Il est peut-être heureux pour l'homme que sa présomption compense sa misère.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.66, Paul Ollendorff, 1886)
     
  191. II y a des fautes d'un homme qui lui sont moins imputables à lui-même qu'à la condition humaine ; aussi est-il juste de les passer par profits et pertes sur le grand-livre du Destin.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.66, Paul Ollendorff, 1886)
     
  192. Il n'y a rien de plus navrant que l'incertitude du jugement de l'homme.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.66, Paul Ollendorff, 1886)
     
  193. À mesure qu'il gravit les rampes plus ou moins escarpées de la vie, l'homme voit s'élargir avec son horizon sa faculté comparative, et, ce n'est que, parvenu au plateau suprême d'où il devra redescendre vers la mort, qu'il peut porter son jugement définitif sur les hommes et sur les choses de ce monde.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.67, Paul Ollendorff, 1886)
     
  194. Le meilleur préservatif contre la vanité, c'est l'orgueil.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.67, Paul Ollendorff, 1886)
     
  195. L'homme de génie, dans son ascension vers le ciel, n'est nullement gêné par les petits esprits qui s'efforcent de le retenir en pesant de tout leur poids sur ses épaules ; mais qu'il vienne à les hausser, et voilà nos petits esprits perdant l'équilibre et s'écrasant sur le sol.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.67, Paul Ollendorff, 1886)
     
  196. L'homme reste toute sa vie enfant, mais avec l'âge il va toujours changeant d'enfantillages.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.67, Paul Ollendorff, 1886)
     
  197. La jeunesse voit dans la prévoyance de l'âge mûr une espèce de radotage concernant l'avenir.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.68, Paul Ollendorff, 1886)
     
  198. Les laides âmes ont beau jeu avec les belles ; celles-ci ne leur rendront jamais vilenies pour vilenies.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.68, Paul Ollendorff, 1886)
     
  199. Rien n'est plus fait pour accroître notre amour-propre que le mépris raisonné que nous avons de choses communément estimées.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.68, Paul Ollendorff, 1886)
     
  200. II n'est pas impossible qu'on en vienne, avec un peu de réflexion, à ne plus rien désirer ni regretter.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.68, Paul Ollendorff, 1886)
     
  201. C'est une des folies de l'homme et la plus grave, parce qu'elle atteint les plus hauts esprits, de croire que sa raison reflète celle de Dieu. Sa raison n'est pas le miroir magique qu'il suppose. Ce n'est qu'un petit appareil fait pour lui et ne servant qu'à lui, quand il lui sert.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.68, Paul Ollendorff, 1886)
     
  202. Faut-il plaindre, faut-il envier l'aveuglement cannibale de ces raffinés de civilisation qui ont toujours savouré de la chair, hier encore palpitante, sans avoir éprouvé le moindre dégoût pour la condition humaine ?
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.69, Paul Ollendorff, 1886)
     
  203. L'instinct est presque toujours la boussole qui dirige notre volonté sur l'océan de la vie.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.69, Paul Ollendorff, 1886)
     
  204. Selon la qualité du cœur de l'homme, les liens qui y aboutissent sont des chaînes infrangibles ou de simples fils arachnéens et qu'un souffle peut briser.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.69, Paul Ollendorff, 1886)
     
  205. Hormis le cas où notre instinct est manifestement mauvais, il vaut toujours mieux agir avec lui que réagir contre lui.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.69, Paul Ollendorff, 1886)
     
  206. Nous avons autant et quelquefois plus à craindre dans la vie le mauvais vouloir des choses que le mauvais vouloir des gens.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.70, Paul Ollendorff, 1886)
     
  207. La modestie chez l'homme de mérite n'est que la fine fleur de l'orgueil.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.70, Paul Ollendorff, 1886)
     
  208. II y a quelquefois plus de fierté véritable à céder le pas qu'à le disputer ou même à se le laisser disputer.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.70, Paul Ollendorff, 1886)
     
  209. Le jugement est la pierre d'assise de tout l'être moral. Si cette pierre n'est pas d'aplomb, ce que nous édifions par-dessus croule tôt ou tard sur nous-mêmes.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.70, Paul Ollendorff, 1886)
     
  210. Nos enfants, surtout avant d'avoir l'expérience de la vie, ne nous pardonnent aucune faiblesse ni d'esprit, ni de caractère, ni de cœur, ni même de corps. Ils nous veulent parfaits et nous en veulent de ne l'être pas.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.71, Paul Ollendorff, 1886)
     
  211. II y a de l'iniquité jusque dans la compassion ; le malheur accidentel des gens heureux nous touche plus que le malheur continu des gens malheureux.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.71, Paul Ollendorff, 1886)
     
  212. Toute faute de morale est d'abord une faute de jugement.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.71, Paul Ollendorff, 1886)
     
  213. La plus grande satisfaction que puisse éprouver l'homme de cœur, c'est de suppléer, comme providence, dans la sphère de son activité, un Dieu absent, empêché ou malévole.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.71, Paul Ollendorff, 1886)
     
  214. Le contentement de soi-même est un fameux tremplin. Ceux qui ne l'ont pas et qui sont les plus clairvoyants, sauteront toujours moins loin que les autres.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.71, Paul Ollendorff, 1886)
     
  215. Les gens modestes, au lieu de miser pour eux-mêmes au jeu de la vie, misent pour ceux qui ne le sont pas et à tout coup les font gagner.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.72, Paul Ollendorff, 1886)
     
  216. Dans cette admirable économie de l'Univers, la destinée de l'homme est bien cruelle. Il ne fait que traverser en souffrant toutes ces splendeurs cosmiques, le plus souvent sans avoir ni l'occasion, ni le temps, ni même l'intelligence de les contempler, et il s'abîme ensuite dans le Néant.
    C'est pourquoi ceux, qui, le traitant en malade, lui persuadent qu'il ne mourra pas, même en mourant, mais qu'il vivra, au contraire, d'une vie plus intense, après sa mort, sont des charlatans respectables.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.72, Paul Ollendorff, 1886)
     
  217. Pour certains cœurs, au-dessus desquels gronde souvent comme un orage le dégoût des choses de ce monde, il est urgent de s'abriter sous une espèce de paratonnerre qu'on pourrait appeler un paradésespoir. D'aucuns trouvent le leur dans la tendresse qu'ils portent à un chien. C'est là que s'écoule et se perd un tœdium vitœ qui autrement eût été capable de les foudroyer.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.73, Paul Ollendorff, 1886)
     
  218. Tout ce qui se dégage de notre cœur et de notre cerveau n'est que fumée, mais quelle angoisse au cœur, quelle obstruction au cerveau, quand cette fumée, au lieu de monter en l'air en gaies spirales, est refoulée en nous par un vent d'adversité !
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.73, Paul Ollendorff, 1886)
     
  219. Il n'y a pas d'éther sulfurique s'évaporant aussi vite que le regret éternel des survivants.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.73, Paul Ollendorff, 1886)
     
  220. Des mêmes choses, les hommes se font les idées les plus contraires. C'est ce qui rend les jugements humains si méprisables.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.73, Paul Ollendorff, 1886)
     
  221. II y a toujours un abîme entre l'essence des choses et l'idée que nous nous en faisons.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.74, Paul Ollendorff, 1886)
     
  222. Toute la vie morale de l'homme dépend du pli bon ou mauvais qu'a d'abord pris son cœur.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.74, Paul Ollendorff, 1886)
     
  223. Rien ne paralyse notre activité comme cette idée cruelle que de toutes nos actions le jeu n'en vaut pas la chandelle.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.74, Paul Ollendorff, 1886)
     
  224. Il faut peu de chose pour porter au dernier degré l'humilité des humbles et la vanité des vaniteux.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.74, Paul Ollendorff, 1886)
     
  225. Il y a des hommes qui voudraient bien être des drôles, mais qui ne peuvent être que des drôlesses.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.74, Paul Ollendorff, 1886)
     
  226. Le bon sens est pour chacun de nous le sens dans lequel il marche.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.75, Paul Ollendorff, 1886)
     
  227. Il faut posséder un esprit bien fort ou bien faible pour être toujours sûr d'avoir raison.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.75, Paul Ollendorff, 1886)
     
  228. La femme est née menteuse, et pour qu'elle ne mente pas toute sa vie, il faut qu'elle ait par hasard, un jour ou l'autre, le plus grand intérêt à dire la vérité. Et encore on en a vu mentir contre leur intérêt manifeste.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.75, Paul Ollendorff, 1886)
     
  229. Nous reconnaissons bien chez nous-mêmes nos infirmités physiques (et encore il y a des façons privilégiées de se voir soi-même), mais nos infirmités morales nous ne les reconnaissons que chez les autres.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.75, Paul Ollendorff, 1886)
     
  230. L'humble supériorité cédera toujours le pas à l'infériorité présomptueuse.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.76, Paul Ollendorff, 1886)
     
  231. Nous montrer qu'on n'est point engoué de nous comme nous le sommes nous-mêmes, c'est nous offenser.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.76, Paul Ollendorff, 1886)
     
  232. Quel abîme entre les gens pour lesquels tout ce qui existe est vanité et ceux pour lesquels n'existe justement que ce qui est vanité !
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.76, Paul Ollendorff, 1886)
     
  233. Nous avons souvent bien de l'antipathie pour ceux que nous aimons et un fond de mépris pour ceux à qui nous accordons notre estime.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.76, Paul Ollendorff, 1886)
     
  234. Sont bien peu raisonnables ceux qui ne cherchent pas avant tout dans le mariage à s'étayer mutuellement contre les chocs de la Nature ou de la Société. Mais quelle horrible chose, quand par la mort de l'un ou de l'autre des deux époux, le coeur de celui qui survit vient tout à coup à s'écrouler !
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.76, Paul Ollendorff, 1886)
     
  235. Il n'est pas mauvais que notre amour-propre tombe à plat de temps à autre, pourvu qu'il ait la force de se relever.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.77, Paul Ollendorff, 1886)
     
  236. La plus vile des prostituées est un ange de candeur auprès de l'indigne épouse qui trahit avec préméditation la confiance d'un honnête homme.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.77, Paul Ollendorff, 1886)
     
  237. Chez beaucoup de femmes, le coeur est aussi tortueux que l'estomac.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.77, Paul Ollendorff, 1886)
     
  238. Il y a plus de fiction qu'on ne croit dans les questions de conscience. Leur solution dépend pour chacun de nous de sa façon particulière d'envisager les choses humaines.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.77, Paul Ollendorff, 1886)
     
  239. Les assassinats, ces meurtres individuels, les exécutions, ces meurtres sociaux, les guerres, ces meurtres internationaux ne seraient-ils pas pour l'Humanité une sorte d'expiation d'ailleurs insuffisante du massacre qu'elle fait de tant d'animaux innocents ? Oui, il semble que l'Humanité venge sur elle-même les pauvres bêtes.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.78, Paul Ollendorff, 1886)
     
  240. On se doit à soi-même d'être loyal, même envers un animal, et c'est manquer de loyauté à son égard que d'exciter en lui des convoitises qu'on ne satisfait pas.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.78, Paul Ollendorff, 1886)
     
  241. Les hommes sont incontestablement les premiers dans la série des bêtes, mais ceux qui se targuent de n'être pas des bêtes le sont par là même doublement.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.78, Paul Ollendorff, 1886)
     
  242. Le chien est un petit moulin à tendresse presque toujours en activité.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.78, Paul Ollendorff, 1886)
     
  243. Deux espèces de bêtes dans le monde : les bonnes bêtes, qui sont les animaux, et les mauvaises bêtes, qui sont les hommes.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.79, Paul Ollendorff, 1886)
     
  244. L'ineffable bonté du chien, empoisonnée tout à coup par l'irrésistible férocité de la rage, est l'exemple le plus frappant de cette loi de Nature qui extrait sans cesse le mal du bien.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.79, Paul Ollendorff, 1886)
     
  245. La plus grande souffrance, parmi toutes celles qu'éprouvent les animaux domestiques, est peut-être la souffrance toute morale de se voir généralement si mal compris par nous, — eux qui nous comprennent si bien !
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.79, Paul Ollendorff, 1886)
     
  246. Il y a certainement de la sensibilité, et plus qu'on ne croit, dans les minéraux eux-mêmes. Aussi, loin d'être une locution erronée, c'en est une qui dérive d'un instinct supérieur que celle-ci : « Être malheureux comme les pierres. »
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.79, Paul Ollendorff, 1886)
     
  247. Il faut de bonne heure apprendre aux enfants à faire le bien par amour-propre et à ne point faire le mal par respect d'eux-mêmes. Ce sont là des mobiles contre lesquels rien ne prévaudra.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.80, Paul Ollendorff, 1886)
     
  248. Il n'y a de vertu solide que celle qui, fondée sur l'inclination, a été bâtie par le jugement.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.80, Paul Ollendorff, 1886)
     
  249. Qui sait si la conquête de l'idéal, cette suprême félicité qui échappe toujours à l'homme, n'est pas le partage d'êtres en apparence très inférieurs à lui, par exemple de simples insectes ? C'est ce que je me disais en voyant un bourdon fixé sur une fleur de dahlia et semblant dans une immobilité voluptueuse aspirer cette fleur par tous ses pores.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.80, Paul Ollendorff, 1886)
     
  250. La bêtise de la femme est parfois d'une ardeur et d'une intrépidité surprenante, et la bêtise de l'homme n'est pas toujours capable de la tenir en échec.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.80, Paul Ollendorff, 1886)
     
  251. Est-il possible que la conscience ne soit qu'une maladie de l'esprit comme la perle est une maladie de l'huître ? Hélas ! oui, c'est possible, mais, Dieu merci ! ce n'est pas certain.
    Même en admettant que ce soit autre chose, ce n'est peut-être qu'un des principes statiques de la société, lettre morte pour l'homme demeuré à l'état de nature.
    Son existence, si accentuée qu'elle soit chez un individu déterminé, résultant d'une sorte d'atavisme social, ne saurait donc rien prouver en faveur de l'immortalité de l'âme.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.81, Paul Ollendorff, 1886)
     
  252. Tout homme, — même le plus humble, — peut être un Dieu pour son chien ; — même le plus incrédule, — faire un Dieu de son chien. C'est là de quoi contenter après tout l'ambition et la foi, quand on prend la vie pour ce qu'elle est, — un rien bientôt suivi d'un plus grand rien.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.81, Paul Ollendorff, 1886)
     
  253. La sagesse humaine a pour principe la prévision et pour fin la vision du rapport exact qu'ont les choses entre elles.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.82, Paul Ollendorff, 1886)
     
  254. Petits rouages sensibles et transitoires de l'impassible Éternel : tels sont les hommes !
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.82, Paul Ollendorff, 1886)
     
  255. Qui nous délivrera de la race stupide et éhontée des affirmateurs ?... et de celle non moins stupide et non moins éhontée des négateurs ? Il n'est permis que de douter.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.82, Paul Ollendorff, 1886)
     
  256. La prévision du malheur est tellement vive chez certains esprits qu'ils en sentent le coup longtemps avant de l'avoir reçu et même alors qu'ils ne doivent point le recevoir. Je connais quelqu'un à qui il arrive presque journellement, quand il traverse un entre-croisement de voitures avec toute la précaution désirable, de se figurer qu'il est renversé par l'une d'elles et d'avoir la sensation que son crâne se brise sur le pavé.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.82, Paul Ollendorff, 1886)
     
  257. Le plus souvent nous ne voyons qu'un côté des gens et des choses que nous jugeons et encore le voyons-nous mal.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.83, Paul Ollendorff, 1886)
     
  258. On n'acquiert aucun avantage sans en perdre quelque autre.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.83, Paul Ollendorff, 1886)
     
  259. Un esprit n'est supérieur que par son élévation, sa profondeur ou son étendue.
    Un esprit élevé est la caractéristique du poète; profond, celle du philosophe ; étendu, celle du savant.
    Il y a, en outre, l'esprit abondant qui joue tantôt l'élévation, tantôt la profondeur, tantôt l'étendue, et qui est la caractéristique de l'orateur !

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.83, Paul Ollendorff, 1886)
     
  260. Dans le coeur de l'homme qui a souffert de la vie, non seulement pour son compte, mais aussi pour le compte des autres, il y a toujours comme au-dessus d'une ruine, où clame le hibou, un clair de lune emmailloté de nuages ; jamais par un plein soleil le chant de la cigale à travers les oliviers.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.84, Paul Ollendorff, 1886)
     
  261. Un moment solennel et terrible pour nous, c'est celui où paraît dans notre ciel déconstellé l'aurore grise de la vieillesse.
    Nous avons alors trop de passé pour espérer encore en l'avenir, et si la vie déjà parcourue nous a été mauvaise, tout nous indique comme devant être pire celle qu'il nous reste à parcourir.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.84, Paul Ollendorff, 1886)
     
  262. Qui est-ce qui n'a pas au moins une plaie au coeur ?
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.84, Paul Ollendorff, 1886)
     
  263. Il y a des genres de supériorités de second et même de troisième ordre. À les dédaigner on y est encore infiniment supérieur, quoiqu'on paraisse au-dessous à beaucoup de gens superficiels.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.85, Paul Ollendorff, 1886)
     
  264. Les qualités par lesquelles les hommes s'assurent la domination sur leurs semblables sont généralement de mauvaises qualités.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.85, Paul Ollendorff, 1886)
     
  265. Pour qui vise, même désespérément à l'Éternel, tout avantagé temporaire n'est rien. Le succès, peuh !... La gloire, à la bonne heure. Et si l'on est impuissant à la conquérir, l'ombre, le silence, la mort sans traces.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.85, Paul Ollendorff, 1886)
     
  266. Ah ! quand nous contemplons tant de pauvres êtres, dénués de tout ce dont nous jouissons et aux prises avec les plus impérieuses nécessités de la vie, honte à notre coeur s'il ne se vide pas de ses peines chimériques pour se remplir des leurs qui sont trop réelles.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.85, Paul Ollendorff, 1886)
     
  267. À force d'être écoeuré on en peut arriver à ne plus sentir son écoeurement.
    C'est là un petit nirvana avant la lettre.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.86, Paul Ollendorff, 1886)
     
  268. Une considération qui doit nous rendre indulgents, c'est que nous ne sommes jamais sûrs de ne pas commettre nous-mêmes, demain, les fautes que nous serions tentés aujourd'hui de reprocher le plus vivement aux autres.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.86, Paul Ollendorff, 1886)
     
  269. L'homme est si différent de lui-même, selon les rencontres de la vie, qu'il est extrêmement difficile de juger de sa valeur intrinsèque.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.86, Paul Ollendorff, 1886)
     
  270. Il se peut que de méchantes gens aient parfois une bonté calculée, et de très bonnes gens une inconsciente méchanceté.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.86, Paul Ollendorff, 1886)
     
  271. Nous avons tous une tendance bien comique à nous croire très supérieurs à des gens auxquels nous sommes parfaitement inférieurs.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.87, Paul Ollendorff, 1886)
     
  272. Les esprits inférieurs se croyant naturellement supérieurs, il arrive que, grâce à un certain mirage de la vanité, ce qui est au-dessus d'eux leur fait l'effet d'être au-dessous.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.33, Paul Ollendorff, 1886)
     
  273. C'est une mode de trop estimer les femmes ou de trop les déprécier. Il en est d'elles comme des hommes. Les unes ont des vices et les autres des vertus, et parfois les mêmes ont plus ou moins tous les vices et toutes les vertus compatibles.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.87, Paul Ollendorff, 1886)
     
  274. Avec de la grâce on décuple l'autorité qu'on peut avoir. Ceux qui veulent imposer leur maîtrise devraient donc tout faire pour paraître gracieux, loin d'affecter sottement, comme certains, de ne l'être pas.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.87, Paul Ollendorff, 1886)
     
  275. Gardons-nous bien d'être majestueux, de peur de trop ressembler à l'oie qui est indubitablement la bête la plus majestueuse de la création.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.33, Paul Ollendorff, 1886)
     
  276. Rien de ce qu'on n'obtient pas ne vaut d'avoir été convoité.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.88, Paul Ollendorff, 1886)
     
  277. Il faut parfois du courage pour résister à la force des hommes, mais toujours de la sottise pour résister à la force des choses.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.88, Paul Ollendorff, 1886)
     
  278. Elle est digne de hanter le joli corps d'un oiseau de paradis l'âme de l'homme qui fraternise avec les bêtes ; mais celle de l'homme qui les méprise et les opprime est faite tout au plus pour le corps ignoble du cochon.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.88, Paul Ollendorff, 1886)
     
  279. Un fanatique, quel que soit l'objet de son fanatisme, ne peut être qu'un gredin ou un sot, à moins qu'il ne soit les deux ensemble.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.88, Paul Ollendorff, 1886)
     
  280. Quelle grossière ou inepte insensibilité chez quiconque ne daigne point prêter l'âme à l'adorable symphonie de tendresse que joue spontanément le coeur du chien !
    Quelle barbarie de la faire brutalement cesser !

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.89, Paul Ollendorff, 1886)
     
  281. Aux gens qui n'aiment pas les chiens, il est possible que le bon sens ne manque pas, mais il leur manque davantage... Il leur manque le meilleur sens !
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.89, Paul Ollendorff, 1886)
     
  282. Presque toujours notre morale se moule sur notre tempérament.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.89, Paul Ollendorff, 1886)
     
  283. Une réflexion cruellement démoralisante, mais que peu de gens ont par bonheur la perspicacité de faire, c'est qu'il doit entrer bien du préjugé dans nos scrupules comme dans nos tranquillités de conscience.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.89, Paul Ollendorff, 1886)
     
  284. Les imbéciles ont une force : c'est leur confiance imperturbable en eux-mêmes.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.90, Paul Ollendorff, 1886)
     
  285. La plupart des hommes approprient leur moi à leur intérêt, au lieu d'accommoder leur intérêt à leur moi.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.90, Paul Ollendorff, 1886)
     
  286. Si par la force de la pensée on s'élève au- dessus de l'Humanité, il n'est plus rien qui ne semble fou dans les actions humaines.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.90, Paul Ollendorff, 1886)
     
  287. C'est assurément fort joli quand nous pouvons supporter certains êtres dont la destinée est jointe à la nôtre et que le devoir nous rend chers malgré tout, mais pour lesquels nous n'avons, à proprement parler, ni amour, ni amitié, ni sympathie, même lointaine.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.90, Paul Ollendorff, 1886)
     
  288. Selon que la passion est allumée ou éteinte en nous, nous voyons ou nous ne voyons pas le devoir, mais le plus curieux, c'est que nous ne le voyons pas quand elle y est allumée, et que nous le voyons quand elle y est éteinte.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.90, Paul Ollendorff, 1886)
     
  289. Combien de gens n'ont d'autre critérium du juste et de l'injuste que leur intérêt propre, ou celui de leur famille, ou celui de leur parti, ou celui de leur pays !
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.91, Paul Ollendorff, 1886)
     
  290. On peut encore être vertueux par esthétique, voire même par dandysme, quand on ne trouverait pas en soi d'autres motifs de l'être.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.91, Paul Ollendorff, 1886)
     
  291. Ceux qui ne voient que les contours plus ou moins agréables des choses (et c'est la grande majorité) n'en peuvent penser comme ceux qui en voient le cruel dedans.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.91, Paul Ollendorff, 1886)
     
  292. Le chant de l'oiseau, le parfum de la fleur, la noblesse de l'âme : autant de gaietés de la Nature, mais ni chant, ni parfum, ni noblesse n'empêchent l'oiseau, la fleur et l'âme de périr.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.91, Paul Ollendorff, 1886)
     
  293. L'expression populaire « rendre l'âme, » ou encore « rendre son âme à Dieu », employée pour dire qu'on meurt, est d'une justesse qui doit échapper aux immortalistes, sur les lèvres desquels elle se trouve d'habitude, puisqu'elle dément tout à fait leur doctrine.
    Oui, nous rendons, en mourant, notre âme à l'Être universel qu'on a nommé Dieu, et confondue dès lors en sa substance, elle ne se réindividualisera plus jamais.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.92, Paul Ollendorff, 1886)
     
  294. Même en admettant que notre vie actuelle, la première dont nous ayons conscience, ne soit pas la dernière que nous devions mener, mais qu'il nous soit possible de prétendre à une série d'existences, il serait téméraire d'affirmer que la justice déterminera plus dans une vie future que dans la présente le rôle de chacun de nous.
    La meilleure part continuerait peut-être d'appartenir aux habiles et aux forts, c'est-à- dire aux puissants coquins. Quant à ces coquins qui ont manqué de force ou d'habileté et dont le fiasco en cette vie a eu quelque retentissement, par exemple, Lapommerais ou Troppmann, il ne serait pas impossible qu'ils ne réussissent beaucoup mieux dans une autre vie en perfectionnant leur manière.
    C'est pourquoi, sans doute, les braves gens qui, au point de vue du coeur, valent mille fois mieux que leur destinée, feront sagement de ne pas trop souhaiter une autre vie, où ils pourraient être encore et toujours victimes.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.92, Paul Ollendorff, 1886)
     
  295. Démocrite peut rire à la surface, tandis qu'il pleure au fond, tout comme Héraclite. Il y a là une attitude. Quant à l'homme foncièrement gai parmi tous les fléaux que déchaîne la Nature et les dégoûts que donne la Société, on peut être certain que, si c'est un grand coeur, c'est un petit esprit, et que, si c'est un grand esprit, c'est un petit coeur.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.93, Paul Ollendorff, 1886)
     
  296. Quand on persiste dans la voie de considérer le néant des choses humaines, d'étape en étape on n'attache plus de prix le lendemain à ce à quoi l'on en attachait encore la veille, et l'on finit par n'en plus attacher à rien du tout.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.94, Paul Ollendorff, 1886)
     
  297. De toutes les choses humaines, si délicatement qu'on les perce, pour peu qu'on les perce, il ne reste qu'un trou.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.94, Paul Ollendorff, 1886)
     
  298. Ô pauvre genre humain ! Amas d'ombres vaines, presque aussitôt disparues qu'apparues, les unes cruelles, les autres souffrantes, mais toutes plus ou moins sottes !
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.94, Paul Ollendorff, 1886)
     
  299. J'ai regardé la Société de face et de profil ; j'ai essayé de la prendre tantôt par ses idées, tantôt par ses sentiments. D'une manière comme de l'autre, elle m'a toujours fait l'effet d'une méchante doublée d'une sotte.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.97, Paul Ollendorff, 1886)
     
  300. Rester dans sa sphère, sortir de sa sphère : expressions françaises qui étonneraient et détonneraient aux États-Unis d'Amérique.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.97, Paul Ollendorff, 1886)
     
  301. Il est vraiment cruel, pour une nature délicate, de constater que l'intuition de la vérité, le sentiment de la justice, l'aspiration au progrès marchent presque toujours avec ce qu'on est convenu et ce qu'on a parfois raison d'appeler la canaille, tandis que l'erreur, l'iniquité, l'acharnement à la routine sont d'ordinaire du côté des gens qui se disent comme il faut.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.98, Paul Ollendorff, 1886)
     
  302. Il ne s'agit pas de savoir s'il n'est pas plus noble de pratiquer la vertu par devoir que par intérêt. Il s'agit de savoir si l'on n'est pas plus aisément maître des mauvaises passions humaines, en démontrant aux hommes qu'ils ont intérêt à pratiquer la vertu.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.98, Paul Ollendorff, 1886)
     
  303. Tout ce qui est vraiment nouveau a sa raison d'être.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.98, Paul Ollendorff, 1886)
     
  304. Le monde des honnêtes gens a parfois de singulières façons d'entendre l'honnêteté.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.98, Paul Ollendorff, 1886)
     
  305. À y regarder de près, il n'y a souvent pires coquins que les honnêtes gens.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.99, Paul Ollendorff, 1886)
     
  306. Quiconque veut se frayer son chemin dans une grande ville, doit commencer par s'armer le coeur en guerre.
    Il lui faut, au moral, une sape, un coutelas, un revolver et une carabine, comme à celui qui cherche à pénétrer dans les jungles de l'Inde.
    Il lui faut une collection d'armes qu'on pourrait désigner sous les noms d'impudence, de rouerie, de duplicité et d'égoïsme implacable. Il n'a affaire, il est vrai, ni à des branches d'arbres enchevêtrées, ni à des bêtes fauves, altérées de sang, mais il a affaire à des intérêts ligués contre lui et à des coeurs féroces.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.99, Paul Ollendorff, 1886)
     
  307. L'intérêt qu'on nous témoigne seulement en paroles est fait pour nous donner une amère gaieté, car, si parmi ceux qui s'informent de nos affaires, nous mettons de côté les curieux, lesquels n'ont d'autre dessein que de nous pénétrer, les bavards auxquels il faut un prétexte à nous parler (et quel prétexte meilleur, suivant eux, que de nous parler de nous), les gens polis qui s'acquittent des prestations de société, que reste-t-il ? — Les gens qui nous aiment véritablement. — Véritablement ? — Oui. — C'est entendu, il ne reste rien du tout.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.99, Paul Ollendorff, 1886)
     
  308. La sportsmanie est assurément l'une des manies les plus honteuses de notre époque. De tout le monde qu'elle réunit, il n'y a que les chevaux qui aient du coeur, mais ils manquent à la vérité d'esprit, car, s'ils en avaient, leur premier soin serait de désarçonner leurs cavaliers, et leur second de détacher des ruades meurtrières aux brutes humaines qui les entourent et les excitent à qui se crèvera le plus tôt les poumons.
    Tout le reste est un composé de vaniteux, — ceux qui font courir ; d'escrocs, — ceux qui font parier, et d'imbéciles, — ceux qui font nombre.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.100, Paul Ollendorff, 1886)
     
  309. Peut-être tout va-t-il bien, comme il va dans le monde, sauf pourtant notre esprit à nous les pessimistes qui trouvons que tout y va mal.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.101, Paul Ollendorff, 1886)
     
  310. Il y a souvent plus d'esprit à paraître dupe qu'à montrer qu'on ne l'est pas.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.101, Paul Ollendorff, 1886)
     
  311. Jusqu'à l'état de cadavres les pauvres travaillent pour les riches ; ce sont les cadavres des pauvres qui font pousser les fleurs cultivées à l'entour de la tombe des riches.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.101, Paul Ollendorff, 1886)
     
  312. Si le Christ revenait sur la terre sous un nom d'emprunt, peut-être ne serait-il pas crucifié par ceux de sa religion, mais à coup sûr il serait excommunié par le pape, et les évoques feraient des mandements contre lui, et les moindres curés le lapideraient de leurs sermons.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.101, Paul Ollendorff, 1886)
     
  313. Le sentiment que doivent nous inspirer les hommes, c'est une sorte de mépris bienveillant.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.102, Paul Ollendorff, 1886)
     
  314. Quand nous n'avons plus assez d'avenir pour espérer de réaliser les grandes ambitions de notre jeunesse, il est pratique de nous en faire qui soient à notre portée... Mais c'est déchoir.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.102, Paul Ollendorff, 1886)
     
  315. Le spectacle de la Société donne par moments de tels haut-le-coeur à celui qui peut y assister froidement que, sentant sa tête tourner, il détourne ses regards, malgré la curiosité pourtant très intense qu'il aurait de continuer à voir.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.102, Paul Ollendorff, 1886)
     
  316. Il n'y a guère en ce monde que des croquants qui se divisent en deux catégories : les croqueurs et les croqués.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.102, Paul Ollendorff, 1886)
     
  317. Tout advient, survient ou revient, mais rien ne convient.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.102, Paul Ollendorff, 1886)
     
  318. Vous n'avez qu'une chance d'inspirer de la délicatesse à l'être le plus grossier; c'est d'user de délicatesse envers lui.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.103, Paul Ollendorff, 1886)
     
  319. Il y a deux classes absolument tranchées de sceptiques.
    Il y a les sceptiques qui ne croient à rien, pas même à leur intérêt qu'ils ne sauraient d'ailleurs où prendre ; et il y a les sceptiques qui ne croient à rien autre qu'à leur intérêt qu'ils prennent partout où il leur paraît de bonne prise. Les premiers sont inoffensifs, les seconds très dangereux pour la Société ; les uns sont les seules victimes de leur scepticisme, les autres emploient le leur à faire des victimes.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.103, Paul Ollendorff, 1886)
     
  320. On peut tenir pour certain que plus un homme a l'air suffisant, plus il est insuffisant.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.103, Paul Ollendorff, 1886)
     
  321. Les gens qui n'ont aucune noblesse dans les sentiments, aucune générosité dans les actions et qui constituent, hélas ! le gros de la classe moyenne, dite bourgeoise, pour transformer à leurs propres yeux en supériorité une infériorité dont ils ont sourdement conscience, imputent toujours à folie, souvent à inconvenance et quelquefois même à honte, tout ce que les magnanimes proclament et font dépassant le niveau très bas de leur misérable coeur.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.103, Paul Ollendorff, 1886)
     
  322. Tous les jours la Société punit des crimes dont elle est plus coupable elle-même que les individus qui les ont commis.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.104, Paul Ollendorff, 1886)
     
  323. Quand la morale ne serait autre chose (ce qui est, ma foi ! bien possible) qu'un expédient humain destiné à assurer le bon ordre dans les relations de l'homme avec son semblable, elle ne s'imposerait pas moins que si elle était, comme on l'a soutenu un peu trop affirmativement, d'essence divine.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.104, Paul Ollendorff, 1886)
     
  324. II y a des gens, le plus souvent d'un beau type, qui tiennent de la Nature quelque chose d'insolent dans les traits du visage.
    Ils ne pourraient atténuer ce quelque chose-là que par une bonne grâce excessive vis-à-vis d'autrui, mais ils ne font d'ordinaire que l'aggraver par un excès de mauvaise grâce envers tout le monde.
    À la fatuité congénitale, dont leur personne est empreinte, et qui est le fait de deux ou trois générations de fats, ils ajoutent une fatuité morale d'acquisition propre et qui achève de les rendre insupportables.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.105, Paul Ollendorff, 1886)
     
  325. Le monde est aux cabotins, et il y a des cabotins dans tous les ordres.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.105, Paul Ollendorff, 1886)
     
  326. Pour réussir dans ce monde, il est urgent d'être un peu cabotin, mais on y réussit d'autant mieux qu'on est quelque autre chose par-dessous.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.105, Paul Ollendorff, 1886)
     
  327. Un sage poète de l'antiquité a dit : « Il ne faut s'étonner de rien. » À plus forte raison ne faut-il s'irriter de rien, à moins d'avoir une de ces colères efficaces qui culbutent ce qui les a provoquées.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.106, Paul Ollendorff, 1886)
     
  328. On ne fait pas toujours le bien par amour du bien, ni le mal par amour du mal, mais on fait souvent l'un et l'autre par amour-propre.
    Oui, quelque étrange que cela paraisse, certaines gens mettent leur amour-propre à faire le mal, comme d'autres à faire le bien.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.106, Paul Ollendorff, 1886)
     
  329. La Société est une grosse bête : elle ne croit qu'en ceux-là qui la trompent.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.106, Paul Ollendorff, 1886)
     
  330. Plus on réalisera l'égalité matérielle entre les hommes, plus éclatera la supériorité morale absolument incompressible des uns sur les autres.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.106, Paul Ollendorff, 1886)
     
  331. La morale n'est que le règlement des bonnes moeurs dans un pays et dans un temps déterminés, pas autre chose. Mais, comme ce règlement varie peu d'un siècle à l'autre, comme il est à peu près le même pour tous les pays également civilisés, on dit qu'il est universel et on le croit préétabli.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.107, Paul Ollendorff, 1886)
     
  332. Étant donnée la malice de la Société contre laquelle se heurtent les mieux intentionnés, on peut avoir chance de faire plus impunément le mal que le bien.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.107, Paul Ollendorff, 1886)
     
  333. La vie sociale est tout artificielle. Ce ne sont que grandes et petites singeries qui, à l'homme ayant gardé le sens de la Nature, répugnent d'autant plus au fond qu'il doit s'y complaire en apparence.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.107, Paul Ollendorff, 1886)
     
  334. Deux sortes de gens vont dans ce ramassis de mijaurés qu'on appelle : « le monde », et qui n'est que le monde des salons.
    Ceux qui l'aiment : des pleutres.
    Ceux qui le haïssent : des fourbes.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.107, Paul Ollendorff, 1886)
     
  335. Conspué de quatre côtés à la fois : du côté des nobles, qui lui reprochent sa roture ; du côté des militaires qui lui reprochent sa pékinerie ; du côté des artistes, qui lui reprochent son manque d'esthétique, et enfin du côté des ouvriers, qui lui reprochent son épargne, le bourgeois, l'odieux bourgeois n'en fait pas moins assez bonne figure dans le monde.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.108, Paul Ollendorff, 1886)
     
  336. L'extrême dignité du caractère est utile aux riches, nuisible aux gens de fortune médiocre, et mortelle aux pauvres.
    Elle empêche les premiers de déchoir, les seconds de réussir, et les troisièmes de vivre.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.108, Paul Ollendorff, 1886)
     
  337. Il y a deux espèces de sots : les sots offensifs, qui prétendent nous imposer leur soi-disant supériorité, et les sots inoffensifs, qui n'ont point la bosse de la domination.
    Dieu nous garde des premiers !

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.108, Paul Ollendorff, 1886)
     
  338. Il n'est pas rare de voir deux anciens amis se traiter mutuellement de canaille, mais il est rare qu'ils n'aient pas raison tous les deux.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.109, Paul Ollendorff, 1886)
     
  339. Tandis que les intrigants se hissent aux faveurs par une humiliante gymnastique, les coeurs fiers, si elles ne montent pas d'elles-mêmes jusqu'à eux, ne descendent jamais jusqu'à elles.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.109, Paul Ollendorff, 1886)
     
  340. L'ignominie du dévot est à celle du cynique comme l'empoisonnement à l'assassinat.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.109, Paul Ollendorff, 1886)
     
  341. Nous ne devons à la Société qu'un respect apparent, mais il nous faut accorder un respect réel à la Nature. C'est pourquoi, dans toutes les questions de moeurs, nous ferons bien de nous garder de confondre avec des conventions sociales les prescriptions naturelles, et, par exemple, avec le décorum qu'exige seulement la Société, la sincérité d'âme que commande la Nature.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.109, Paul Ollendorff, 1886)
     
  342. Les simagrées sont les seuls étals de la Société. Qu'on les enlève, elle croulera.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.110, Paul Ollendorff, 1886)
     
  343. Si l'on se confie on est déçu après ; si l'on se défie, on l'est auparavant. Telle est la différence ; quant à l'analogie, c'est qu'on est malheureux d'une manière comme de l'autre.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.110, Paul Ollendorff, 1886)
     
  344. Le banquisme et le banquiérisme sont les deux pôles de la Société moderne.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.110, Paul Ollendorff, 1886)
     
  345. Il y a plaisir à voir tomber victimes de leur vilenie les gens qui n'ont point de conscience, mais c'est un plaisir trop rare.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.110, Paul Ollendorff, 1886)
     
  346. Il est sans doute besoin de certaines qualités pour réussir en ce monde, mais il est encore plus besoin de défauts.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.111, Paul Ollendorff, 1886)
     
  347. Les gens dont l'opinion s'est engouée peuvent être impunément grossiers, — ils ont tant de politesse ; nuls, — ils ont tant de capacité ; débauchés, — ils ont tant de vertu ; — vulgaires, — ils ont tant de distinction ; sots. — ils ont tant d'esprit.
    Quant aux autres, à ceux que l'opinion ignore ou méconnaît, je leur conseille de bien se tenir, car, encore qu'ils soient polis, capables, vertueux, distingués ou spirituels, il n'y paraît pour personne ou presque personne.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.111, Paul Ollendorff, 1886)
     
  348. La délicatesse et la fierté, deux qualités natives ou éducationnelles de premier ordre, si appréciées dans les milieux supérieurs, où les déclassés seraient aptes à se mouvoir, leur nuiront toujours comme des défauts dans les milieux inférieurs auxquels la mauvaise fortune les condamne.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.111, Paul Ollendorff, 1886)
     
  349. Ce qu'il y a de désespérant dans notre lutte contre le monde, ce n'est pas tant d'être vaincus (il fallait nous y attendre), c'est de douter si nous avons eu raison de la soutenir, si notre prétendu orgueil valait mieux que sa vanité, à lui.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.112, Paul Ollendorff, 1886)
     
  350. Quelques peaux-blanches (et non des moins blanches) ont le sort des pauvres peaux-rouges. Leur coeur simple et droit succombe sous le poids grossissant d'une civilisation féroce où les naïfs seront toujours assujettis aux roués.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.112, Paul Ollendorff, 1886)
     
  351. Tout le bien ou tout le mal des relations sociales vient de la générosité ou de l'absence de générosité dans le caractère.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.112, Paul Ollendorff, 1886)
     
  352. S'apercevoir qu'on est dans l'opinion des autres fort au-dessous de ce qu'on est dans la sienne, voilà tout ce qu'il y a au monde de plus fréquent et de plus cruel.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.113, Paul Ollendorff, 1886)
     
  353. C'est une chose aussi triste que bizarre qu'il faille pour se faire mieux voir des gens leur jeter de là poudre aux yeux.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.113, Paul Ollendorff, 1886)
     
  354. Est-ce bêtise ? Est-ce pis encore ? Notre société parle tant du vice qu'elle le met à la mode. Si l'on s'occupait pour le demi-quart de la vertu, qui sait ? peut-être la ferait-on prendre.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.113, Paul Ollendorff, 1886)
     
  355. On ne saurait évaluer la perte sèche que cause à la fortune publique le manque de probité dans les relations sociales.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.113, Paul Ollendorff, 1886)
     
  356. Il est presque impossible d'avancer dans le monde si l'on a l'esprit large et le coeur droit, par la bonne raison que toutes les avenues du succès sont étroites et tortueuses.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.113, Paul Ollendorff, 1886)
     
  357. L'homme d'action a des oeillères naturelles qui l'obligent à ne regarder que devant lui, et c'est bien pourquoi il va l'amble ou le trot ou même le galop dans la vie.
    L'homme de pensée, n'ayant au contraire la vue gênée par rien, la porte tout autour de soi, aux quatre points de l'horizon et, comme il ne connaît pas de motif de se diriger par ici plutôt que par là, il reste immobile à méditer sur le néant de toutes choses.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.114, Paul Ollendorff, 1886)
     
  358. De tous les griefs que nous avons contre le monde, le moins légitime, mais le plus grave assurément, le seul impardonnable et toujours inavoué, c'est que nous y tenons beaucoup moins de place que nous ne le voudrions.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.114, Paul Ollendorff, 1886)
     
  359. C'est la lumière artificielle des conventions sociales qui éclaire les actions humaines au regard du vulgaire, et les fait souvent paraître bonnes quand elles sont mauvaises et mauvaises quand elles sont bonnes.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.114, Paul Ollendorff, 1886)
     
  360. La célébrité est la chose la plus relative du monde, et des hommes même très célèbres doivent bien se dire qu'ils sont encore plus ignorés que connus.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.115, Paul Ollendorff, 1886)
     
  361. Les abus dont nous profitons nous paraissent d'excellents us.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.115, Paul Ollendorff, 1886)
     
  362. Les gens qui arrivent sont ceux qui doutent toujours des autres, jamais d'eux-mêmes.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.115, Paul Ollendorff, 1886)
     
  363. Il n'est pas impossible de trouver des malheureux qui se sont déshonorés en faisant des choses qui devraient être applaudies et de trop fortunés qui ont trouvé moyen de conserver leur prétendu honneur et même de l'accroître au moyen de choses dignes d'être flétries.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.115, Paul Ollendorff, 1886)
     
  364. La Société ne demande qu'une chose, c'est qu'on sauve les apparences de l'honneur, dût-on en perdre les réalités qui, selon le temps et le lieu, varient pour elle-même.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.116, Paul Ollendorff, 1886)
     
  365. Ce qui était la médiocrité dorée, il y a un demi-siècle, n'est plus aujourd'hui que l'infirmité mal étamée.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.116, Paul Ollendorff, 1886)
     
  366. Il n'y a qu'un bonheur qu'il dépende exclusivement de nous d'avoir et de ne perdre qu'avec la vie, c'est celui qui résulte de la pratique obstinée du bien parmi tous les maux qui cernent notre coeur.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.116, Paul Ollendorff, 1886)
     
  367. Quand on n'a point d'esprit ou point de coeur, il n'est pas encore certain qu'on soit heureux dans ce monde, mais cela du moins n'est pas impossible.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.116, Paul Ollendorff, 1886)
     
  368. L'antinomie est presque complète entre ce qui est social et ce qui est naturel, et si l'on veut bénéficier des prérogatives qu'on tient de la Société, il faut renoncer à celles que donne la Nature.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.117, Paul Ollendorff, 1886)
     
  369. C'est un grand art et très rare que celui de mettre en valeur la capacité d'un subordonné. Il y faut autant de coeur que d'esprit.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.117, Paul Ollendorff, 1886)
     
  370. On ne saurait évaluer ce que perd la Société à négliger des forces pour employer des faiblesses, à fouler de ses pieds bêtes des philosophes qui régleraient supérieurement sa marche, pour se laisser conduire par des aventuriers n'ayant le plus souvent ni tête, ni coeur.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.117, Paul Ollendorff, 1886)
     
  371. C'est un peu le hasard de la vie qui classe les hommes, et de quelque manière que s'y prenne la Société, elle ne pourra faire que chacun soit à la place qu'il mérite.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.118, Paul Ollendorff, 1886)
     
  372. Le peuple dans sa masse est optimiste par ignorance, heureusement pour lui, et ceux qui le dirigent le sont par instinct de domination. Ils sont optimistes aussi les pauvres boeufs et les toucheurs qui les mènent à l'abattoir ! Mais pour les toucheurs de boeufs cela se comprend davantage ; ils ne seront pas assommés, tandis que les toucheurs d'hommes vont l'être !
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.118, Paul Ollendorff, 1886)
     
  373. Les optimistes sont des aveugles bien utiles. Comparables à ces chevaux de manège qui, tournant dans le même cercle, lés yeux bandés, actionnent une machine, ce sont eux qui mettent en branle la Société.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.118, Paul Ollendorff, 1886)
     
  374. Les professeurs d'optimisme, quand par hasard ce sont des penseurs éloquents, veulent-ils se moquer du monde, ou l'exploiter ou encore par pitié le chloroformiser dans sa géhenne ? C'est ce qu'il peut être curieux de savoir.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.118, Paul Ollendorff, 1886)
     
  375. Si nous sommes fondés à mépriser notre milieu social, dans l'impuissance où nous nous trouvons d'y échapper, il est doux, il est consolant de le dominer du moins de toute la hauteur de notre sens moral, et de jeter nos plus exquises délicatesses devant le groin de tous ces pourceaux.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.119, Paul Ollendorff, 1886)
     
  376. Quand on a glissé dix fois, trente fois, cent fois du mât de Cocagne, on finit par n'y vouloir plus grimper et par faire son deuil de la timbale. On aurait boudé bien plus tôt, si l'on eût su que cette fameuse timbale, avec ses airs d'être en argent, n'est qu'en fer-blanc.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.119, Paul Ollendorff, 1886)
     
  377. Rien n'est plus différent et parfois plus contradictoire, que ce singulier et ce pluriel : l'honneur et les honneurs.
    Plus on a du premier et moins on a de chance d'avoir des seconds.
    Ce n'est même parfois qu'en se déshonorant, mais avec tact, qu'on les peut conquérir.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.119, Paul Ollendorff, 1886)
     
  378. Un des dilemmes de la vie est celui-ci : voler ou voler, c'est-à-dire voler avec ses mains dans les poches du monde, ou voler avec ses ailes fort au-dessus du front de la multitude.
    Mais l'homme a généralement plutôt des mains que des ailes.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.120, Paul Ollendorff, 1886)
     
  379. On peut dire d'une façon générale, — et en tenant compte de quelques exceptions qui ne font que confirmer la règle, — que le personnage joué par chacun de nous dans la vie est en raison inverse de l'âme qu'il a, c'est-à-dire qu'il est d'autant plus relevé que l'âme est plus vile, et réciproquement.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.120, Paul Ollendorff, 1886)
     
  380. Si les gens se disaient les uns aux autres ce qu'ils disent les uns des autres, il n'y aurait au monde que des gens brouillés.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.120, Paul Ollendorff, 1886)
     
  381. Tout ce qui se dit dans une réunion mondaine est insipide ; il n'y a que ce qui ne s'y dit pas mais s'y pense qui soit intéressant.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.121, Paul Ollendorff, 1886)
     
  382. Une société dans laquelle un homme peut, sans être frappé d'un opprobre indélébile, engrosser une fille vierge et l'abandonner engrossée pour en épouser une autre, est une société dégoûtante... C'est la nôtre !
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.121, Paul Ollendorff, 1886)
     
  383. Pour se tirer d'affaire dans les relations sociales, il y faut apporter une finasserie perpétuelle qu'auront toujours en horreur, même si elles s'y astreignent, les natures droites.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.121, Paul Ollendorff, 1886)
     
  384. Il y a des gens capables de gratitude, mais, par malheur, ce n'est presque jamais ceux-là que nous obligeons.
    Et le plus fâcheux, c'est qu'il arrive que nous refusons de les obliger ou même que nous les désobligeons réellement pour obliger des ingrats.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.121, Paul Ollendorff, 1886)
     
  385. Après qu'elle a achevé de nous dégoûter d'elle, la Société nous laisse encore une satisfaction, celle de la juger et de la condamner, sinon à mort, parce que nous ne pourrions faire exécuter la sentence, du moins avec admission de circonstances atténuantes, à la perpétuité de notre mépris.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.122, Paul Ollendorff, 1886)
     
  386. Être arrogant, c'est révéler sottement son infériorité foncière en s'imaginant paraître supérieur.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.122, Paul Ollendorff, 1886)
     
  387. Il suffit que le monde contrecarre nos désirs pour que nous le trouvions mal fait ; si par hasard il les seconde, il devient pour nous la perfection des perfections.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.122, Paul Ollendorff, 1886)
     
  388. Les gens dont l'amour-propre est bien réglé craignent autant de paraître plus qu'ils ne sont que moins qu'ils n'auraient souhaité d'être. C'est pourquoi ils fuient le monde, où l'on est toujours jugé sur les apparences.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.123, Paul Ollendorff, 1886)
     
  389. L'insuccès a peut-être, il a sûrement son bon côté, mais nous sommes tellement infatués de réussir que nous ne le voyons jamais.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.123, Paul Ollendorff, 1886)
     
  390. Notre intelligente Société ne rémunère bien d'habitude que ceux qui la déciment, la volent ou la dépravent : les hommes d'État, les financiers et les histrions.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.123, Paul Ollendorff, 1886)
     
  391. Nous recevons fréquemment de meilleurs offices d'un indifférent que d'un soi-disant ami.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.123, Paul Ollendorff, 1886)
     
  392. Nous sommes en plein dans l'âge d'argent. On n'estime les hommes qu'à proportion de ce qu'ils ont hérité, ou gagné, ou même volé, et selon les cas, amassé ou dissipé d'argent. Quant à ceux qui ont appris le grand art de s'en passer à peu près, fussent-ils des hommes de génie, on les considère comme des imbéciles.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.123, Paul Ollendorff, 1886)
     
  393. Le monde est ainsi fait qu'il s'y gaspille chaque jour au profit d'êtres indignes plus de générosité qu'il n'en faudrait pour contenter le double de gens de coeur.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.124, Paul Ollendorff, 1886)
     
  394. Il est heureux et malheureux à la fois, selon le point de vue, que la jeunesse des écoles devienne un jour la vieillesse des provinces.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.124, Paul Ollendorff, 1886)
     
  395. Peut-être est-il juste que ceux qui ne croient pas au monde ne rencontrent nul crédit près de lui. Voilà pourquoi les pessimistes ne réussissent jamais... d'où ne peut qu'être renforcé leur pessimisme.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.124, Paul Ollendorff, 1886)
     
  396. Quatre-vingt-dix fois sur cent, les parties de plaisir se trouvent être des parties d'ennui.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.125, Paul Ollendorff, 1886)
     
  397. La seule chose qui ne soit pas trop mauvaise en ce monde, c'est de pouvoir médire de lui tout son soûl.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.125, Paul Ollendorff, 1886)
     
  398. L'ambitieux n'obtient rien qu'il ne soit obligé de gueuser, soit directement, soit indirectement, et c'est là de quoi dégoûter de l'ambition les hautes natures.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.125, Paul Ollendorff, 1886)
     
  399. Il faut souvent bien se ravaler à ses propres yeux pour s'élever à ceux des autres.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.125, Paul Ollendorff, 1886)
     
  400. Le mépris que les âmes fières ont pour l'intrigue ne peut que profiter aux intrigants.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.125, Paul Ollendorff, 1886)
     
  401. Quand un homme d'un vrai mérite parvient aux honneurs, son mérite y est sans doute pour un peu, mais d'autres choses, qu'on ignore ou qu'on connaît, y sont pour beaucoup plus.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.125, Paul Ollendorff, 1886)
     
  402. Presque toutes les marques de faveur que décerne la Société s'acquièrent par de mauvais moyens, même quand elles sont légitimes.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.126, Paul Ollendorff, 1886)
     
  403. Il ne faut pas mettre trop d'âpreté à servir ses intérêts ; on ne réussit alors qu'à les compromettre.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.126, Paul Ollendorff, 1886)
     
  404. La dignité et l'indignité du caractère ont également l'argent pour pivot. C'est grâce à lui surtout que la première se sauvegarde et que la seconde s'exerce.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.126, Paul Ollendorff, 1886)
     
  405. Autant un costume national permanent serait désirable, autant est regrettable la mode qui change sans rime ni raison, à la fois pour toutes les nations civilisées, au gré de quelques industriels plus cupides qu'ingénieux. L'imbécillité humaine a plusieurs grandes marques comme le vin de Champagne ; sa plus grande marque est assurément la mode.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.126, Paul Ollendorff, 1886)
     
  406. La civilisation dont nous sommes tous peu ou prou les ouvriers est comparable à la Tour de Babel. Si nous l'édifions avec tant de peine, c'est que nous ne nous entendons pas.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.127, Paul Ollendorff, 1886)
     
  407. Une culture morale tout à fait supérieure peut seule réparer chez un parvenu le manque de tradition.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.127, Paul Ollendorff, 1886)
     
  408. Il y a des gens distinguables qui ne sont nullement distingués, et des gens que l'on distingue et qui ne mériteraient pas d'être distingués.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.127, Paul Ollendorff, 1886)
     
  409. Parmi les hommes supérieurs, il y en a qui arrivent et d'autres qui n'arrivent pas... et parmi les hommes inférieurs tout de même, sauf que la proportion est renversée.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.127, Paul Ollendorff, 1886)
     
  410. Ce serait merveille qu'il y eût des gens dont nous pussions approcher sans courir le risque d'en être heurtés ou piqués en quelque endroit du coeur.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.128, Paul Ollendorff, 1886)
     
  411. Plus de gens qu'on ne croit mettent une physionomie spéciale et un spécial esprit avec leurs beaux habits pour faire figure dans le monde, et ils s'y montrent très différents de ce qu'ils sont dans leur ménage, en face de leur pot-au-feu,— quelquefois meilleurs, quelquefois pires, selon ce qu'ils considèrent comme leur intérêt.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.128, Paul Ollendorff, 1886)
     
  412. La pratique de la vertu donne aux bonnes gens une satisfaction très réelle et très intense que les méchantes gens ne soupçonnent pas et que ne leur donne jamais à eux la pratique du vice.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.128, Paul Ollendorff, 1886)
     
  413. Le peuple est au fond bien meilleur qu'il ne le paraît, puisque, n'ayant plus le frein de la religion et n'en ayant aucun autre à la place, il ne cède qu'à moitié aux influences pernicieuses de ses politiciens et de ses amuseurs qui, les uns comme les autres, développent en lui la bête féroce pour l'exploiter.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.129, Paul Ollendorff, 1886)
     
  414. Personne, en ce monde, n'a de quoi être fier, car tous nous barbotons dans les mêmes relavures, tantôt de la cuisine des anges, tantôt de celle des démons, et ce n'est que hasard, astuce ou violence, si nous y trouvons des morceaux un peu meilleurs que d'autres.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.129, Paul Ollendorff, 1886)
     
  415. La préoccupation capitale d'un homme qui tend au-delà de la condition humaine doit être d'élever son âme, innée ou même acquise, à une telle hauteur que les mesquines ambitions ne puissent l'atteindre.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.129, Paul Ollendorff, 1886)
     
  416. Il faut bien nous rendre compte que, si très peu de gens nous agréent, nous agréons peut-être encore à moins de gens.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.130, Paul Ollendorff, 1886)
     
  417. Notre mécanisme social pourrait certes être meilleur qu'il n'est, mais l'Humanité toujours imparfaite ne le comportera jamais bon.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.130, Paul Ollendorff, 1886)
     
  418. Si peu de choses valent la peine d'être dites que ceux-là qui se taisent sont presque toujours les mieux inspirés.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.130, Paul Ollendorff, 1886)
     
  419. Le plus grand mal de ce monde vient de ce que la conscience doive parfois et même fréquemment s'y faire suppléer par la gendarmerie.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.130, Paul Ollendorff, 1886)
     
  420. Y a-t-il plus, y a-t-il moins de gens médiocres qui parviennent sans lutter que de gens supérieurs qui luttent sans parvenir ? Ce serait à voir. Quoi qu'il en soit, le nombre des uns et des autres doit être à peu de chose près égal, et cela crie contre la Société.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.130, Paul Ollendorff, 1886)
     
  421. C'est notre personnalité même, c'est ce que nous appelons notre âme que fausse la lutte pour la vie. Nous greffons sur notre être propre un être de convention, lequel finit par absorber l'autre et s'y substituer.
    Et ce second moi, tout artificiel, que nous avons décroché de la friperie sociale et où notre premier moi s'est dissipé, se teint comme le caméléon des couleurs de tout ce qui l'entoure.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.131, Paul Ollendorff, 1886)
     
  422. Il serait difficile d'imaginer rien de plus bête que notre Société. C'est la propre mère de Jocrisse. Plus elle croit se sauver, plus elle se suicide.
    Les hommes d'État (très conservateurs) y entretiennent la révolution ; les fonctionnaires, l'inertie; les gens de justice, la discorde; les médecins, la maladie ; les financiers, la banqueroute ; les commerçants, la mauvaise foi ; les prêtres, l'irréligion; les publicistes, le dégoût des affaires publiques ; les chroniqueurs, l'adultère, et les romanciers, tous les crimes.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.131, Paul Ollendorff, 1886)
     
  423. Quand, décidément trop las de la Société pour y vouloir garder un rôle, nous lui avons repris notre âme toute meurtrie par elle, heureux sommes-nous de la pouvoir donner à la mer, calme ou tempétueuse, aux grands bois profonds que parfume la sève montante et sous le couvert desquels vient danser un furtif rayon de soleil, à la fauvette qui chante, à la rosé qui s'entr'ouvre, au doux frémissement du tremble ou du peuplier, aux prés verts, aux moissons jaunissantes, à la lune, aux étoiles, à la multiple et délectable Nature.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.132, Paul Ollendorff, 1886)
     
  424. La Foi est un leurre bien enviable.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.135, Paul Ollendorff, 1886)
     
  425. Est-il rien de plus lâche et de plus sot que de se conduire, ayant la foi, comme si on ne l'avait pas et pire que si on ne l'avait pas ? Or c'est là le travers commun aux trois quarts des chrétiens.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.135, Paul Ollendorff, 1886)
     
  426. Une église est un rêvoir très précieux pour les plus incrédules avec ses hauts piliers, ses vitraux multicolores, ses chapelles mystérieuses, ses cierges allumés, son encens qui fume, ses chants dont quelques-uns sont fort beaux et jusqu'au marmottement de ses prières.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.135, Paul Ollendorff, 1886)
     
  427. La pratique d'un culte quelconque, mais surtout celle du culte catholique, est, il ne faut pas s'y tromper, un puissant sédatif pour les nerfs, sans cesse irrités par les troubles et les déconvenues dont est tissée la vie humaine.
    Combien donc est regrettable la sottise qu'ont eue les prêtres de nous gâter, en conspirant contre les droits de l'Humanité avec les exploiteurs couronnés ou titrés de ce monde, les délicieuses impostures qu'ils nous prêchent comme des vérités indubitables et dont nous souffrons de n'être plus les dupes !
    Quand le catholicisme sera décidément mort et enterré avec le dernier des papes, ce sera une chose à voir pour nos petits-neveux, s'ils ne feront pas bien de conserver, à quelques modifications près, le rite catholique, si merveilleusement approprié à la sensibilité physique et morale de l'homme civilisé, mais en l'appliquant à des abstractions tout à fait indéterminées, comme celles-ci, par exemple : aux forces naturelles, aux destins de l'Humanité, à la concorde des peuples, au néant même, si l'on veut, pourvu que l'on garde un prétexte à rêver tout éveillé sous des arceaux, lequel fait tant de bien aux fidèles et manque plus qu'ils ne pensent aux déchristianisés.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.136, Paul Ollendorff, 1886)
     
  428. Il y a une juste fierté pour celui qui peut se rendre ce témoignage qu'au fur et à mesure que la doctrine matérialiste a remplacé dans son cerveau la doctrine spiritualiste, sa vie s'est de plus en plus spiritualisée, comme pour infliger une sorte d'humiliation et de dessous à cette Nature marâtre dont il est une partie souffrante.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.137, Paul Ollendorff, 1886)
     
  429. Qu'est-ce que le christianisme ? La première grande hérésie du judaïsme, comme l'islamisme en est la seconde... voilà tout.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.137, Paul Ollendorff, 1886)
     
  430. Leurs mensonges pieux, qui aident l'homme à supporter la vie et à doubler le cap de la mort, valent peut-être mieux, après tout, que nos sincérités impies qui font tout le contraire. La seule considération pouvant nous justifier de substituer notre action à la leur, c'est qu'ils entravent le progrès humain que nous éperonnons.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.138, Paul Ollendorff, 1886)
     
  431. Il n'y a pas que le dilettantisme de l'esprit, il y a le dilettantisme du coeur. Ceux qui l'ont, même incroyants, trouveraient un grand charme à certaines pratiques religieuses, tout en les jugeant vaines, mais ils sont bien obligés de s'en abstenir, de peur de passer pour hypocrites.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.138, Paul Ollendorff, 1886)
     
  432. La Science traite un peu la Providence comme une petite fille sa poupée. Au lieu de continuer à jouer avec elle gentiment, il faut qu'elle lui crève le ventre pour voir ce qu'il y a dedans et qu'elle en fasse sortir tout le son.
    Elle est bien avancée après !

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.138, Paul Ollendorff, 1886)
     
  433. La Foi est creuse, sans doute, mais si pourtant dans le creux même de cette Foi nous trouvions notre seul abri contre les orages de la vie !
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.139, Paul Ollendorff, 1886)
     
  434. Exilés de la Foi par leur raison, certains hommes en gardent la nostalgie jusqu'à la mort, et d'aucuns même éprouvent le besoin d'y rentrer pour mourir plus confortablement.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.139, Paul Ollendorff, 1886)
     
  435. Rechigner à la vie actuelle et ne pas gober la réalité d'une autre vie ; être, à la fois, spiritualiste par tempérament et matérialiste par conviction ; tordre sans pitié son corps pour en exprimer toute l'âme possible, avec l'idée que cela sera perdu, perdu, perdu,comme le reste... N'est-ce pas horrible ?
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.139, Paul Ollendorff, 1886)
     
  436. Ceux que cette vie satisfait peuvent être heureux, quoiqu'ils n'espèrent point en la vie future, à laquelle ils ne songent guère d'ailleurs ;
    Ceux que cette vie ne satisfait pas peuvent aussi être heureux par leur espoir en la vie future ;
    Mais ceux que cette vie ne satisfait pas et qui n'espèrent point en la vie future ne peuvent qu'être très malheureux.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.139, Paul Ollendorff, 1886)
     
  437. Quand il y aurait illusion à croire à l'immortalité de l'âme et clairvoyance à n'y pas croire, la première serait à tous égards préférable à la seconde, car nous gagnons toujours bien à celle-là l'escompte de l'Éternité, tandis que celle-ci ne nous rapporte que l'escompte du Néant... Mais peut-on choisir de croire ou de ne pas croire?
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.140, Paul Ollendorff, 1886)
     
  438. La Foi seule et la Foi bien aveugle peut nous faire croire à la perpétuité de notre être misérable, que nous voyons commencer et que nous voyons finir.
    En dépit de tout l'effort des spiritualistes pour la soutenir, dès qu'on la pousse du raisonnement, cette perpétuité tombe à plat.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.140, Paul Ollendorff, 1886)
     
  439. Toute illusion que l'homme garde jusqu'à son dernier souffle équivaut pour lui à une réalité. Telle la croyance en l'immortalité de l'âme qui n'est très probablement qu'une illusion, mais une illusion admirable, en ce sens qu'elle ne saurait donner lieu à aucune déception, puisqu'au moment où l'on devrait être déçu, l'on est indécevable, n'étant plus rien du tout.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.141, Paul Ollendorff, 1886)
     
  440. Sans la conscience très nette d'une vie antérieure, notre être ne peut se dire perpétuel, et comment cette conscience qui nous fait défaut dans la vie actuelle ne nous ferait-elle pas défaut dans les vies à venir ? Tout ce qu'il est possible d'admettre, sans absurdité, c'est que chacun de nous donne lieu à une série d'êtres se déduisant inconsciemment l'un de l'autre et n'ayant rien d'identique. Et cela équivaut donc pour chacun de nous à l'anéantissement complet.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.141, Paul Ollendorff, 1886)
     
  441. Pour l'athée, qui ne voit en Dieu qu'un mécanisme improvident et soumis lui-même à la Fatalité dont il est la force exécutive, une religion est encore possible et nécessaire. Il peut et doit épancher à flots son âme compatissante non seulement sur les hommes, ses frères immédiats, mais sur les moindres êtres qui souffrent, comme lui, de la férocité du Destin, et qui sont aussi ses frères d'arrière-plan.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.142, Paul Ollendorff, 1886)
     
  442. Où la Raison ne suffirait pas à faire contrepoids aux mauvaises passions, il faut la Foi, il la faut absolument avec toutes ses piperies.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.142, Paul Ollendorff, 1886)
     
  443. Peut-être une foi religieuse, quelle qu'elle soit, satisfait-elle à un besoin auquel rien autre ne saurait satisfaire.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.142, Paul Ollendorff, 1886)
     
  444. Pour masquer aux yeux des gens de coeur les cruautés de l'existence et les horreurs de la mort, il n'y a que la Foi en Dieu, et nulle disgrâce n'est comparable à celle de ne l'avoir plus, même mensongère.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.143, Paul Ollendorff, 1886)
     
  445. Erreur pour erreur, puisqu'aussi bien l'erreur est seule accessible au coeur de l'homme, il vaut autant que celle-là même qui s'est assise à notre berceau s'agenouille à notre lit de mort.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.143, Paul Ollendorff, 1886)
     
  446. La vérité ne sortira jamais de son puits... Elle s'y est noyée voilà bien longtemps.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.147, Paul Ollendorff, 1886)
     
  447. Le vrai et le faux ont tous leurs fils emmêlés dans le même écheveau.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.147, Paul Ollendorff, 1886)
     
  448. L'esprit du philosophe est un creuset où se fondent en une substance neutre les affirmations et les négations du vulgaire, également pourvues et dénuées de Vérité.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.147, Paul Ollendorff, 1886)
     
  449. Il y a beaucoup de vrai dans ce que le vulgaire croit entièrement faux, et beaucoup de faux dans ce qu'il croit entièrement vrai.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.148, Paul Ollendorff, 1886)
     
  450. L'erreur est l'atmosphère naturelle de l'homme, ce qui n'empêche pas bien des gens qui ne passent pas néanmoins pour imbéciles de croire que leur âme respire la Vérité.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.148, Paul Ollendorff, 1886)
     
  451. Les douces erreurs valent mieux pour l'homme que ne vaudrait la dure Vérité.
    C'est un être si vite disparu.
    Qu'il se joue donc dans l'illusion, comme l'éphémère dans un rayon de soleil couchant 1

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.148, Paul Ollendorff, 1886)
     
  452. Il s'en faut bien que le sens commun soit toujours le bon sens ; c'est souvent le pire sens.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.148, Paul Ollendorff, 1886)
     
  453. Avoir des opinions contradictoires n'est certes pas le fait d'un esprit pratique, mais c'est celui d'un grand esprit digne par là même de représenter l'esprit humain.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.149, Paul Ollendorff, 1886)
     
  454. Le supplice des grands esprits ou simplement des coeurs altruistes est de ne pas toujours savoir par où s'orienter vers le bien.
    Quant aux petits esprits ou aux coeurs égoïstes, ils ne sont pas si embarrassés. Ne connaissant d'autre bien que leur propre bien, ils y vont tout droit, d'instinct... et pourtant se trompent-ils encore quelquefois.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.149, Paul Ollendorff, 1886)
     
  455. Il y a dans l'histoire une partie objective digne de foi et une partie subjective méritant toute défiance.
    La première, très restreinte, se réfère à des faits qui peuvent passer pour constants, parce que tous les témoignages concordent à les proclamer tels.
    Elle est invariable.
    La seconde, très vaste, vise l'appréciation même de ces faits, d'après leurs principes et leurs conséquences, et rien au monde n'est plus arbitraire.
    Somme toute, l'historien le plus scrupuleux n'est qu'un romancier.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.149, Paul Ollendorff, 1886)
     
  456. Tout le monde est dans le faux et, ce qui est fait pour égayer tristement le philosophe, tout le monde croit être dans le vrai.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.150, Paul Ollendorff, 1886)
     
  457. Il y a une effroyable complexité dans les choses humaines, et les simplistes qui croient pouvoir tout trancher en un sens sont des gens à vues bien étroites.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.150, Paul Ollendorff, 1886)
     
  458. L'esprit de l'homme est ballotté comme une épave sur des flots d'incertitude.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.150, Paul Ollendorff, 1886)
     
  459. Ce qu'on appelle une pensée ne correspond à aucune réalité, mais traduit tout simplement un certain point de vue, variable d'un instant à l'autre et d'une circonstance à l'autre, d'où notre esprit a considéré les choses humaines.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.150, Paul Ollendorff, 1886)
     
  460. Ce que nous prenons pour la Vérité n'en est pas même l'ombre, et c'est même une chose à savoir s'il y a une vérité de par l'Univers.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.151, Paul Ollendorff, 1886)
     
  461. Chose vraiment désespérante, l'homme toujours fort éloigné de la Vérité absolue, doit s'en rapprocher plus en niant qu'en affirmant, et c'est là un bien cruel triomphe pour les pessimistes.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.151, Paul Ollendorff, 1886)
     
  462. Tout dans les tendances humaines se contredit et se réfute tellement qu'il n'y reste plus rien de vrai pour le penseur.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.151, Paul Ollendorff, 1886)
     
  463. La Vérité luit pour tous, mais tous n'en voient qu'une partie. C'est un phare à feux changeants qui s'éclipse pour les uns dans le moment même qu'il brille pour les autres.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.151, Paul Ollendorff, 1886)
     
  464. Au rebours du prisme, qui décompose en sept belles couleurs le spectre solaire, de tant d'opinions contradictoires qui se disputent le monde, le scepticisme arrive à composer je ne sais quel spectre ombral où il n'est plus possible de rien distinguer de vrai.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.152, Paul Ollendorff, 1886)
     
  465. Le plus légitime grief qu'on puisse avoir contre la mauvaise fortune, c'est qu'elle rétrécit les coeurs et les esprits naturellement larges et que la bonne fortune eût encore élargis.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.155, Paul Ollendorff, 1886)
     
  466. On peut, avec quelque sang-froid et quelque habileté, tirer profit même de la mauvaise fortune.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.155, Paul Ollendorff, 1886)
     
  467. Le libre-arbitre se meut toujours dans une sphère de fatalité.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.156, Paul Ollendorff, 1886)
     
  468. Notre libre-arbitre n'est peut-être pas autre chose que le jeu nécessaire aux rouages de la Fatalité.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.156, Paul Ollendorff, 1886)
     
  469. L'exercice du libre-arbitre de Paul est la fatalité de Pierre.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.156, Paul Ollendorff, 1886)
     
  470. Il y a des maladroits qui luttent efficacement contre la fortune propice qu'ils méconnaissent, comme il y a des habiles qui luttent en vain contre la mauvaise fortune qu'ils n'ont que trop reconnue.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.156, Paul Ollendorff, 1886)
     
  471. L'homme doit s'estimer heureux quand, à la fin de sa carrière, grâce à la collaboration de sa chance avec son adresse, il n'a pas emboursé trop de horions.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.156, Paul Ollendorff, 1886)
     
  472. C'est une amère mais sérieuse consolation, pour l'honnête homme qui déchoit de son rang, que d'être alors de niveau avec ceux que la Fortune avait, dès l'origine, moins favorisés que lui.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.157, Paul Ollendorff, 1886)
     
  473. Deux sortes de gens qui sont, à la vérité, quelquefois les mêmes, mais se manifestent différemment, selon les circonstances, ont surtout les bonnes grâces de- la Fortune : les arrogants et les pieds-plats.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.157, Paul Ollendorff, 1886)
     
  474. Même un noble esprit peut, sans trop de déshonneur, en sa jeunesse, courtiser la Fortune, quoiqu'elle ne soit qu'une drôlesse, mais s'il s'en voit clairement rebuté, il n'insiste pas.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.157, Paul Ollendorff, 1886)
     
  475. Il vaut mieux se trouver supérieur à la mauvaise fortune qu'inférieur à la bonne.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.157, Paul Ollendorff, 1886)
     
  476. Outre la satisfaction intrinsèque qu'il comporte, le bonheur offre cet avantage de nous être comme un rideau tiré sur le fond atroce de la vie, — oui atroce, même pour les heureux qui ne s'en doutent guère.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.158, Paul Ollendorff, 1886)
     
  477. Nous dépendons du Hasard jusque dans notre propre volonté qu'il suggère, alors même qu'il devrait ensuite la contrecarrer. Notre prétendu libre-arbitre n'est donc qu'un arbitre serf du Hasard.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.158, Paul Ollendorff, 1886)
     
  478. Certains hommes dégoûtent du succès par cela seul qu'ils l'obtiennent ou encore par leur façon de l'obtenir.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.158, Paul Ollendorff, 1886)
     
  479. Peut-être ne décidons-nous jamais qu'en apparence de ce que nous faisons, mais au contraire, ce que nous faisons décide-t-il toujours eu réalité de nous.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.158, Paul Ollendorff, 1886)
     
  480. Il y a un gouvernement réciproque de nous sur les choses et des choses sur nous, mais elles nous gouvernent beaucoup plus que nous ne les gouvernons.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.159, Paul Ollendorff, 1886)
     
  481. Faut-il donc, à l'exemple du gladiateur romain, au moment où l'on va mourir, et quand on a déjà la mort dans l'âme, saluer, le sourire aux lèvres, ce César invisible qu'on nomme le Destin, ou bien est-il permis de lui cracher au visage l'horreur qu'il nous inspire ?
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.159, Paul Ollendorff, 1886)
     
  482. Il faut se fier au malheur et se défier du bonheur. Le premier devient souvent heureux et le second malheureux avec le temps.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.159, Paul Ollendorff, 1886)
     
  483. Pour mille raisons, l'homme ayant quelque supériorité d'âme ou d'esprit a le plus grand intérêt à être riche, et, entre autres, pour celle-ci qu'il se fait respecter, à cause de sa fortune, des maroufles et des imbéciles à qui sa valeur morale n'impose pas.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.159, Paul Ollendorff, 1886)
     
  484. L'indigence de l'honnête homme et l'opulence du coquin sont doublement regrettables. Outre qu'il y a quelque chose de choquant à voir l'honnête homme pauvre et le coquin riche, on peut se dire que si les rôles étaient dans le juste sens, il y aurait moins de coquins heureux et d'honnêtes gens malheureux, car la fortune d'un coquin a coutume de profiter à d'autres coquins, comme celle d'un honnête homme à d'autres honnêtes gens.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.160, Paul Ollendorff, 1886)
     
  485. Il y a plus d'analogie qu'on ne le croit entre la combinaison psychique de faits simples qui produit les événements de notre vie et la combinaison chimique de corps simples qui produit les phénomènes de la Nature.
    Ce qu'on a coutume de nommer la bonne conduite n'est pas autre chose que le tact quelquefois aveugle avec lequel nous évitons un rapprochement de faits susceptibles de déterminer un malheur, soit pour nous-mêmes, soit pour les autres, et nous recherchons, au contraire, un rapprochement d'autres faits, duquel les conséquences doivent être heureuses.
    Il semble qu'un moraliste consommé devrait être capable de régler en quelque sorte sa destinée et celle des personnes à qui il s'intéresse, comme le chimiste l'est de transmuer la matière. Mais la science de la morale est encore à créer.
    Quand elle sera créée, tout romancier qui en aura l'esprit imbu pourra grandement servir la cause de l'Humanité en vulgarisant pour les hommes dans ses oeuvres la nomenclature psychique, sans la connaissance de laquelle il leur est impossible de tirer de leur propre existence le parti qu'elle comporte.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.163, Paul Ollendorff, 1886)
     
  486. Pour peu qu'il eût la puissance en mains, le savant psychologue pourrait produire à coup sûr certains événements bons ou mauvais dans la famille, ou dans l'État, ou dans le monde, par la combinaison de faits simples en telles circonstances déterminées.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.164, Paul Ollendorff, 1886)
     
  487. La valse est une demi-fornication par à peu près, moins intense assurément que l'entière fornication par tout-à-fait, mais ayant cela de beaucoup plus piquant qu'elle se passe en public, sous les yeux complaisants des maris et des mères.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.165, Paul Ollendorff, 1886)
     
  488. Les raffinements de l'obscénité ou les truculences du crime, voilà ce qui fait florès dans la littérature contemporaine ; voilà ce qui donne argent et renom.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.165, Paul Ollendorff, 1886)
     
  489. Le talent n'est pas toujours l'étoile qui naturellement scintille ; c'est parfois le diamant qu'il faut se donner la peine de tirer de sa gangue, d'égriser et de tailler.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.165, Paul Ollendorff, 1886)
     
  490. Dans le domaine infini de la pensée, quiconque n'a pas franchi les limites du connu à l'inconnu, a fait une oeuvre vaine..., je veux dire, plus vaine encore qu'une autre, toutes les oeuvres étant vaines.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.165, Paul Ollendorff, 1886)
     
  491. Les esprits nets, précis et surtout profonds, tout en admirant fort l'art oratoire dans ses beaux mouvements, en seront presque toujours, dès qu'il s'exercera sur eux, plus ou moins incommodés.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.166, Paul Ollendorff, 1886)
     
  492. Il faut à l'orateur une prodigieuse éloquence, ou à l'auditeur un très faible entendement, pour que celui-ci ne regrette point que celui-là n'ait pas tout simplement résumé son discours en quatre mots.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.166, Paul Ollendorff, 1886)
     
  493. Le génie de l'écrivain est tout à fait différent de celui de l'orateur, et jusqu'à un certain point lui est contraire.
    Tandis que le second ne vaut que par les élans, le premier ne vaut que par ces retraites en bon ordre qu'on nomme les ratures.
    Voilà pourquoi il y a si peu de bons écrivains qui sachent parler et si peu de bons orateurs qui sachent écrire.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.166, Paul Ollendorff, 1886)
     
  494. Ce qui constitue le vrai talent pour un écrivain ou pour un artiste, c'est d'exprimer de façon rare des pensées communes, ou mieux encore de façon commune des pensées rares.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.167, Paul Ollendorff, 1886)
     
  495. L'appareil photographique est l'orgue de barbarie de la peinture.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.167, Paul Ollendorff, 1886)
     
  496. La raison pourquoi la musique est l'objet d'un engouement universel, si bien que la plus grande satisfaction semble être de chanter et d'entendre chanter, ne serait-elle pas que rien ne comble mieux qu'elle le vide de l'esprit ?
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.167, Paul Ollendorff, 1886)
     
  497. Les pensées les plus brillantes ne sont que des bulles de savon.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.167, Paul Ollendorff, 1886)
     
  498. La scène dramatique en France n'est plus que la couveuse artificielle de tous les vices. Loin de châtier les mauvaises moeurs eu riant, comme la satire antique, elle les encourage, fût-ce en faisant pleurer.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.168 Paul Ollendorff, 1886)
     
  499. Peut-on imaginer contradiction plus stupéfiante que celle de notre société, qui, tout en flétrissant et punissant même à l'occasion l'adultère, s'en fait un jeu qu'elle enseigne sur toutes ses scènes par la voix de tous ses histrions?
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.168, Paul Ollendorff, 1886)
     
  500. Je me figure une honnête jeune femme, n'ayant vu sur tous les théâtres, depuis plusieurs années, que des pièces dont la principale héroïne est une femme adultère, et je me la figure rougissant de sa vertu et se disant enfin : — « Mais en restant fidèle à mon mari, je suis donc un phénomène quelque peu ridicule, je manque donc aux convenances les plus élémentaires, je n'ai donc rien de la femme à la mode ?
    Bon, bon, il ne faut pas être plus longtemps au-dessous des autres femmes. »

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.168, Paul Ollendorff, 1886)
     
  501. Certains écrivains dépeignent avec un rare talent des ignominies. C'est ce qu'on pourrait appeler des doreurs de boue.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.169, Paul Ollendorff, 1886)
     
  502. Le papotage chroniquailleur de la presse, exécutant des variations plus ou moins heureuses sur le plus mince événement, est aussi fastidieux que celui des salons pour quiconque n'aime pas les paroles perdues.
    Ces gens qui passent leur existence à sculpter des noyaux de cerises finissent par impatienter.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.169, Paul Ollendorff, 1886)
     
  503. 11 est vraiment fâcheux que sous prétexte de parisianisme, nos chroniqueurs à la mode emploient tant d'art à sertir, comme des pierres précieuses, dans l'or le plus pur de leur esprit, non pas les grains de beauté, mais les verrues de Paris.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.169, Paul Ollendorff, 1886)
     
  504. Il y a beaucoup d'ambition, et souvent déplacée, à vouloir se créer un public, si restreint qu'il soit. Étant donnée la banalité du talent qui fleurit chez tant de virtuoses, on doit se faire à ne jouer que pour soi la petite musique railleuse ou désolée qu'on peut avoir dans le coeur.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.170, Paul Ollendorff, 1886)
     
  505. Pourquoi, de tous les artistes, l'artiste lyrique est-il le plus payé ?... Est-ce donc que l'on préfère l'art du chant à tous les autres arts ? Pas précisément, mais c'est que le goût naturel qu'ont les femmes de montrer leurs épaules et leurs bijoux, ne recevant sa véritable satisfaction qu'à l'Opéra, les imprésarios peuvent, sous le plus léger prétexte, taxer les places à des prix fabuleux, sans crainte qu'elles restent inoccupées.
    C'est encore que le chant, de même qu'il est accompagné par l'orchestre, accompagne, à son tour, les coquetteries et même les coquineries des spectatrices.
    Les chanteurs et les chanteuses profitent de cela, à la vérité, dans des proportions qui deviennent de plus en plus scandaleuses, mais ce qu'on paye au fond, ce qu'on veut payer, ce n'est pas leur talent, c'est un droit de demi- passe dans un lupanar idéal.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.170, Paul Ollendorff, 1886)
     
  506. Passé quarante ans, quand l'observateur voit combien sont vaines toutes les pensées qui s'agitent dans les cerveaux humains et combien sont creuses celles qui lui avaient d'abord semblé profondes, il se prend à regretter de n'avoir pas borné son intelligence à la production de sons harmonieux.
    Hélas 1 pourquoi lui est-il impossible, par ignorance de la musique, de s'étourdir avec des mélodies, et de tirer, devant l'abîme d'incertitude qui est le terme de son existence, comme un rideau splendide fait de sonates, de concertos, d'oratorios, d'hymnes, d'intermèdes, de chants de toutes sortes !
    Au moment même où le stupide chasseur le guette traîtreusement, le rossignol prodigue ses trilles enthousiastes. À la veille de mourir,sans avoir pu rien comprendre à la vie, ce pauvre penseur n'a pas la ressource du rossignol.
    Et, cependant, à côté de lui, qui ne sait ni chanter ni faire chanter un instrument et qui, par désespoir philosophique, aurait si grand besoin de le savoir, il y a des ténors et des virtuoses pour lesquels leur grand talent n'a été qu'un moyen de satisfaire leur vanité et de faire leur fortune, et qui n'ont jamais songé que la musique eût d'autre utilité que celle-là.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.171, Paul Ollendorff, 1886)
     
  507. Un poète, c'est plusieurs hommes en un seul.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.172, Paul Ollendorff, 1886)
     
  508. Il en est du poète comme de l'araignée. C'est aussi de son propre fonds qu'il tire les fils ténus dont il tisse sa toile, et cette toile sans consistance, dès qu'il a fini de l'ourdir, il la contemple avec le même puéril orgueil et la même sereine immobilité, mais il n'y prendra jamais autant de lecteurs que l'araignée de mouches, et, en prit-il autant, il n'a point, hélas ! la ressource de les manger.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.172, Paul Ollendorff, 1886)
     
  509. Lorsque, sur la foi d'une imagination folle, on s'est cru longtemps un cygne et qu'on s'aperçoit tout à coup, en se regardant au clair miroir d'une fontaine, qu'on est une oie, c'est douloureux. Mais un pareil accident est très rare. Pour quelques oies qui l'éprouvent et qui eussent même mérité par là d'être des cygnes, la plupart des oies qui se sont figuré être des cygnes persistent jusqu'au bout dans leur profonde erreur, et même si tout le monde les considère comme des oies, elles se considèrent toujours comme des cygnes.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.173, Paul Ollendorff, 1886)
     
  510. Il en est presque du talent comme de la vertu. Ceux qui en ont peuvent, à défaut du témoignage d'autrui, trouver dans leur conscience intime de quoi se contenter.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.173, Paul Ollendorff, 1886)
     
  511. Il ne faut pas s'étonner que dans le monde on aime tant la comédie et les comédiens. Le monde lui-même n'est qu'un vaste théâtre mutuel, où l'on n'est possible qu'à la condition de se créer sans cesse une personnalité factice, c'est-à-dire de renoncer à être soi pour jouer des rôles.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.173, Paul Ollendorff, 1886)
     
  512. En littérature, toute personnalité tranchée, tant qu'elle ne s'impose pas au public, le choque ou lui reste indifférente. Pour lui plaire, la première condition est de ne point se distinguer des autres.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.174, Paul Ollendorff, 1886)
     
  513. Devenu délicat, l'esprit se refuse à toute autre nourriture qu'à un consommé d'idées ou de sentiments. Il ne digère plus même des chefs-d'oeuvre, s'ils ne sont pas tout à fait substantiels.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.174, Paul Ollendorff, 1886)
     
  514. Le charlatanisme est une sorte de prestidigitation qui fait sortir de dessous le boisseau un mérite qui n'y est pas.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.174, Paul Ollendorff, 1886)
     
  515. On en est arrivé de nos jours à imiter le talent aussi bien que les métaux rares et les pierres précieuses. C'est une industrie nouvelle que le premier venu peut pratiquer, s'il a quelque flair de nez et quelque souplesse de main.
    Elle rapporte gros à nombre de gens, littérateurs ou artistes, dont les produits sont journellement admirés par ce bon public qui les croit en vrai tandis que c'est du toc. Il n'y aurait pas trop à dire néanmoins si, d'une part, ces parfaits imitateurs avaient la loyauté qu'ont les bijoutiers en faux, de prévenir les chalands inexpérimentés, et si, d'autre part, ils ne faisaient pas une concurrence mortelle à ceux qui mettent pour de bon du talent dans leurs oeuvres.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.174, Paul Ollendorff, 1886)
     
  516. L'artiste, le mieux inspiré, le plus habile, peut et doit compter qu'il ne fait que des bulles de savon qui se brisent en l'air, à moins qu'un miracle ne les cristallise, mais s'il lui plaît, à lui, de voir ces bulles de savon s'iriser un moment au soleil !... Et si cela lui plaît à l'exclusion de tout le reste !
    Peut-être bien est-ce un exercice qui vaut, par exemple, de remuer des balles de coton ou de chiffonner des belles-de-nuit.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.175, Paul Ollendorff, 1886)
     
  517. Dans une foule, il faut trop jouer des coudes pour arriver au premier rang. C'est pourquoi ceux qui n'aiment pas la bousculade préfèrent laisser passer devant eux les plus pressés qu'ils peuvent envier secrètement, mais tout en trouvant dans leur ardeur quelque chose de puéril.
    Il y a de la badauderie jusque dans la poursuite de la renommée qui est vaine comme tout le reste.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.176, Paul Ollendorff, 1886)
     
  518. Rien de plus misérable que le cri de notre vanité, lorsqu'il n'a pas d'écho, mais est aussitôt couvert par la fanfare sonore des grandes renommées.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.176, Paul Ollendorff, 1886)
     
  519. À voir le succès de certains ouvrages et l'insuccès d'autres, c'est à se demander si le mérite d'un artiste ou d'un écrivain n'est pas le plus souvent en raison inverse de ce qu'il paraît au bon public.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.176, Paul Ollendorff, 1886)
     
  520. Étant donné le naturel essentiellement mobile de l'homme, le spectacle même du beau trop prolongé ou trop répété lui devient lassant et il en arrive bientôt à se dégoûter de purs chefs-d'oeuvre.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.177, Paul Ollendorff, 1886)
     
  521. L'esprit de surface recouvre souvent bien de la bêtise au fond, et il en est alors de lui comme de ce glacis miroitant qui apparaît sur les eaux croupissantes.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.177, Paul Ollendorff, 1886)
     
  522. On aura beau contester, avant tout marche dans le domaine intellectuel le rendu d'une idée, puis celui d'un sentiment, puis celui d'une sensation, et enfin celui d'une forme ou d'un fait.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.177, Paul Ollendorff, 1886)
     
  523. Pour que les ignorants puissent se faire une idée, même lointaine, de la profondeur de leur ignorance, il faut encore qu'ils sachent que les savants les plus avérés considèrent la leur propre comme un gouffre insondable.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.178, Paul Ollendorff, 1886)
     
  524. Le plus grand art de la vie est peut-être de se contenter du peu qu'on a ou qu'on peut avoir... de se fabriquer de la joie avec des riens.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.178, Paul Ollendorff, 1886)
     
  525. Parmi ceux qui écrivent à cette heure, il y en a qui ne seront lus qu'aujourd'hui et d'autres qui ne seront lus que demain.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.178, Paul Ollendorff, 1886)
     
  526. Salut, dans la suite des siècles, aux bienheureux érudits, véritables saints de la littérature, seul et dernier espoir des écrivains méconnus de leur temps !
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.178, Paul Ollendorff, 1886)
     
  527. Si j'étais roi, je voudrais me donner une grande satisfaction d'amour-propre et m'ouvrir une page unique dans les fastes de l'histoire. Ce serait de décréter dans mon royaume la République et de m'en faire nommer le président... honoraire.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.181, Paul Ollendorff, 1886)
     
  528. Un jour, je vis un enfant, fils d'excellents bourgeois, qui ramassait des escargots.
    — Qu'en veux-tu faire ? lui dis-je.
    — Je veux, me répondit-il, les porter à la boulangère qui m'en donnera un casse-museau.
    - Laisse, je t'en prie, ces pauvres bêtes tranquilles... Après tout, elles ne font peut-être pas tout le mal qu'on veut bien dire.
    — Ah! dame, cela me vaudra un casse-museau.
    Plus tard, pensai-je, cet enfant devenu homme sera moins naïf, mais non moins avisé.
    Les escargots, ce seront ses pudeurs de conscience ; la boulangère, ce sera le Pouvoir ; le casse-museau, ce sera une bonne place ou une croix d'honneur.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.181, Paul Ollendorff, 1886)
     
  529. Le peuple français, qui s'est montré capable d'une révolution sanglante de si haute portée, semble vraiment incapable de la plus simple évolution pacifique. N'est-ce donc qu'en état de folie furieuse qu'il retrouve son bon sens ?
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.182, Paul Ollendorff, 1886)
     
  530. La politique est le fief des amplificateurs de la parole et de la plume.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.182, Paul Ollendorff, 1886)
     
  531. On est si orniériste en France, et même parmi les gens de progrès, qu'on se refuse à croire qu'une innovation soit praticable tant qu'elle n'a pas été pratiquée.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.183, Paul Ollendorff, 1886)
     
  532. Le législateur a mauvaise grâce à se retrancher derrière la routine populaire pour ne point édicter les réformes d'où le bien-être général pourrait sortir. Il doit être sagace pour le peuple, prudent pour le peuple, résolu pour le peuple, et c'est même là le point essentiel, quoique seulement implicite du mandat qu'il a reçu de lui.
    Outre la lettre de ce mandat, il y en a l'esprit, et il serait désirable que le mandataire eût plus souvent celui de le démêler.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.183, Paul Ollendorff, 1886)
     
  533. La loi qui consacre un progrès non encore mûr, c'est-à-dire non encore fortement désiré par le peuple, est à ce progrès ce qu'est la cloche au melon de couche : elle hâte sa maturité.
    C'est donc la chose la plus déraisonnable de la part du législateur que de ne vouloir pas légiférer d'un progrès sous prétexte qu'il n'est pas encore mûr.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.183, Paul Ollendorff, 1886)
     
  534. Le peuple ne s'aperçoit souvent de l'utilité d'une loi que quand il en éprouve les bienfaits. Il ne faut donc pas attendre qu'il ait songé lui- même à une loi de progrès pour l'édicter.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.184, Paul Ollendorff, 1886)
     
  535. On serait naïf de croire à la sincérité des politiciens les plus fidèles en apparence à leur foi politique, et si fidèles qu'ils trahissent souvent pour elle la bonne foi. Ils ne veulent qu'une chose : conserver leur attitude.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.184, Paul Ollendorff, 1886)
     
  536. Nous nous accommodons également de l'autorité et de la liberté, pourvu que l'une et l'autre soient exercées à notre profit, mais nous en sommes également incommodés si elles le sont à nos dépens.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.184, Paul Ollendorff, 1886)
     
  537. La politique exclut presque toujours la sincérité. C'est si vrai que dans maintes circonstances, pour expliquer qu'une personne manque de sincérité, on dit qu'elle est politique, qu'elle parle ou agit, comme elle le fait, par politique.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.185, Paul Ollendorff, 1886)
     
  538. Aux yeux des gens qui joignent le désintéressement à la perspicacité, la politique a cela de peu tentant qu'alors qu'on croit servir la cause de son pays, on sert l'ambition des politiciens.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.185, Paul Ollendorff, 1886)
     
  539. Du suffrage universel il n'en est ni plus ni moins que du suffrage restreint. Ce sont aussi presque toujours de grands intrigants qui se font imposer au peuple bonasse par de petits intrigants, leurs sous-ordres.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.185, Paul Ollendorff, 1886)
     
  540. Les électeurs font quelquefois les élus, mais les élus refont presque toujours les électeurs.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.185, Paul Ollendorff, 1886)
     
  541. L'utopiste est un homme généralement doué d'une raison supérieure, mais qui présume beaucoup trop de l'intelligence du commun, en le croyant capable de partager ses idées.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.186, Paul Ollendorff, 1886)
     
  542. 11 y a un mal tout entier dans les demi-mesures.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.186, Paul Ollendorff, 1886)
     
  543. De même qu'en biologie le besoin crée l'organe, en politique il fournit les moyens.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.186, Paul Ollendorff, 1886)
     
  544. La politique est l'art de faire ses affaires sous le couvert de l'État.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.186, Paul Ollendorff, 1886)
     
  545. Les politiciens, qu'ils soient démocrates ou aristocrates, se servent du peuple et ne songent qu'à s'en servir pour leur intérêt propre : telle est la ressemblance. Mais les premiers ne se servent du peuple qu'en le servant, tandis que les seconds s'en servent en le desservant. Telle est la différence.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.186, Paul Ollendorff, 1886)
     
  546. L'évolution qui porte l'Humanité en avant, et qu'on nomme communément le Progrès, est comparable à un fleuve majestueux, dont ceux qui croient à la Providence divine ne devraient pas plus chercher à remonter le cours que ceux qui ne croient qu'à l'expansion humaine, mais il n'en est pas moins certain que dans le cours lui-même de ce fleuve, il y a des remous bien fâcheux. Il s'en faut que tout soit progrès dans le progrès.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.187, Paul Ollendorff, 1886)
     
  547. Les journalistes ne sont, hélas ! trop souvent, que des avocats remplaçant la langue par la plume et cherchant aussi à convaincre, sans être convaincus.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.187, Paul Ollendorff, 1886)
     
  548. Les compromissions parlementaires, d'où sortent des lois bâtardes, sont peut-être plus funestes au progrès politique que l'effort triomphant d'un parti, d'où sortiraient des lois de réaction ; car il vaut mieux pour lui être enrayé que dévoyé.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.187, Paul Ollendorff, 1886)
     
  549. L'équivoque en politique est le meilleur frein du progrès.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.188, Paul Ollendorff, 1886)
     
  550. Il y a des hommes politiques si traîtres ou si maladroits qu'en disant ou croyant même sincèrement stimuler le progrès, ils le retiennent ; leur prétendu fouet n'est qu'un caveçon.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.188, Paul Ollendorff, 1886)
     
  551. La femme de César, c'est la Démocratie, et comme à la femme de Sganarelle, il lui plaît, à elle, d'être battue.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.188, Paul Ollendorff, 1886)
     
  552. Malheur à celui qui ne hurle pas précisément dans le ton de la bête populaire, quand elle est déchaînée : elle ne lui trouve nulle grâce et ne lui en fait aucune.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.188, Paul Ollendorff, 1886)
     
  553. Qu'il y ait par impossible un homme politique d'un sens et d'un coeur droits, résistant aux exigences parfois stupides, parfois odieuses de son parti, pour demeurer fidèle à sa conscience, il perdra tout crédit et l'on dira de lui que c'est un sauteur.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.188, Paul Ollendorff, 1886)
     
  554. La nation française est comparable à une femme naïve et crédule qu'on voit donner son coeur... et le reste au premier fumiste venu, s'il lui fait de belles phrases.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.189, Paul Ollendorff, 1886)
     
  555. Pour être une maritorne, la plèbe n'en est pas moins femme, et l'unique moyen de se faire aimer d'elle est de ne la point aimer... en lui déclarant d'ailleurs vivement son amour.
    Insensible aux protestations sincères, mais maladroites de tendresse que lui fera l'honnête homme, elle se pâmera toujours d'aise, rien qu'à entendre le gourgandin phraser.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.189, Paul Ollendorff, 1886)
     
  556. Le malheur des peuples est qu'ils sont toujours gouvernés, non dans leur intérêt, mais dans celui de leurs gouvernants.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.189, Paul Ollendorff, 1886)
     
  557. Du jour où la politique ne sera plus l'art de tromper le peuple, qu'elle se prévale de la Monarchie ou de la République, il y aura peut-être plus d'honnêtes gens pour en faire.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.190, Paul Ollendorff, 1886)
     
  558. Pour arriver soi-même en politique, il faut être tors et même retors, mais il faut être droit et très droit pour faire arriver la Justice.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.190, Paul Ollendorff, 1886)
     
  559. Depuis le premier ministre d'un État jusqu'au plus humble fonctionnaire, l'homme qui arrive en place se flatte toujours de mieux faire que son prédécesseur, mais il ne s'en soucie jamais. S'il ne commet pas précisément les mêmes bêtises, il en commet d'autres tout aussi pommées.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.190, Paul Ollendorff, 1886)
     
  560. Bien souvent le peuple hue ceux qui l'aiment, tandis qu'il acclame ceux qui font semblant de l'aimer. Voilà pourquoi les premiers, s'ils sont avisés, ne disputeront jamais aux seconds ses suffrages.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.190, Paul Ollendorff, 1886)
     
  561. Grand merci de la politique, où il n'y a de succès possible que pour ceux qui asservissent leur conscience à un parti, voire même à l'une des fractions d'un parti, et de succès certain que pour ceux qui se jouent de leur conscience et de tous les partis !
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.191, Paul Ollendorff, 1886)
     
  562. En fait d'amour, on commence par aimer tout ce qu'on croit connaître, sans le connaître en réalité ; on continue par n'aimer que ce qu'on ne connaît pas, justement parce qu'on ne le connaît pas encore, et on finit par ne plus même aimer ce qu'on ne connaît pas... parce qu'on le connaît d'avance.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.195, Paul Ollendorff, 1886)
     
  563. Les femmes n'ont guère tout leur prix qu'aux yeux d'un homme qui est atteint de la fluxion périodique de l'amour. C'est alors que la plus disgracieuse d'entre elles lui semble quelque chose d'admirable, qu'il préfère à tout ce qui n'est point femme.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.195, Paul Ollendorff, 1886)
     
  564. Faire l'amour : tomber du haut bien !
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.196, Paul Ollendorff, 1886)
     
  565. Il y a une générosité de sens bien outrageante de la part d'une belle femme qui donne à son amant du plaisir et ne lui en demande pas en retour. Je ne serais pas étonné que la froideur qu'on remarque ordinairement chez les femmes belles tînt à une morgue ridicule, pareille à celle de l'homme important qui ne vous rend votre salut qu'à demi et sans vous regarder.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.196, Paul Ollendorff, 1886)
     
  566. L'amour, si vrai et si profond qu'il soit, qu'un homme a pour une femme ou une femme pour un homme, n'est que le reflet de son égoïsme sur une créature déterminée.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.196, Paul Ollendorff, 1886)
     
  567. Quand on aime réellement, on aime jusqu'aux infirmités de l'objet aimé. C'est ainsi qu'un homme, épris de sa maîtresse, et qui ne désirait certainement pas sa mort, l'ayant entendue tousser, lui parlait de sa « petite toux chérie. »
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.197, Paul Ollendorff, 1886)
     
  568. Ce qui caractérise le mieux l'amour d'un être pour un autre, c'est le double sentiment qu'on éprouve, — de quiétude en sa présence et d'inquiétude en son absence.
    En dehors de ce double sentiment très rarement unilatéral et bien plus rarement encore bilatéral, il peut y avoir de la sympathie, du désir, de la passion et même très vive... Il n'y a point d'amour.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.197, Paul Ollendorff, 1886)
     
  569. De toutes les définitions qui ont été données de l'amour-passion, la plus juste est peut-être la suivante :
    C'est une maladie analogue au daltonisme, découvert par Dalton, et qui consiste en ce que le sujet aimant voit l'objet aimé tout autre qu'il n'est.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.197, Paul Ollendorff, 1886)
     
  570. Négoce, vanité, trahison, luxure : voilà les principaux condiments, isolés ou réunis, de ce ragoût peu ragoûtant que la civilisation nous sert sous le nom d'amour.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.198, Paul Ollendorff, 1886)
     
  571. Pour quiconque n'a plus de mère, il est encore un moyen aussi sûr d'être aimé, c'est d'avoir un chien, mais il n'en est pas d'autre.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.198, Paul Ollendorff, 1886)
     
  572. Plus de gens qu'on ne pense, hommes et femmes, trouvent le vrai charme de l'amour pour deux amoureux, dans le fait qu'ils trahissent un tiers, et le charme suprême pour la personne aimée, dans le fait qu'elle trahit la personne aimante. Voilà un charme qui est loin d'être charmant !
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.198, Paul Ollendorff, 1886)
     
  573. L'amour, même partagé, ne peut donner le bonheur, non seulement en raison de toutes les fortunes contraires, dont l'une ou l'autre ne tarde guère à l'atteindre, mais parce que celui et celle qui s'aiment, s'aimassent-ils également, n'ont jamais la même espèce d'amour.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.199, Paul Ollendorff, 1886)
     
  574. La femme est essentiellement berceuse. Aussi endort-elle les hommes comme les enfants, mais à moins de frais. Toutes les fois que ses caresses n'ont pas la vertu de nous éveiller à l'extrême, elles nous plongent dans une suave torpeur.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.199, Paul Ollendorff, 1886)
     
  575. Si l'on s'entendait une bonne fois pour considérer, — et très justement, — comme la chose la plus naturelle du monde le rapprochement sexuel, on simplifierait de beaucoup l'honneur des maris et la vertu des femmes.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.199, Paul Ollendorff, 1886)
     
  576. L'adultère n'a qu'un vilain, mais un très vilain côté qui le rendra toujours haïssable aux natures droites : c'est la duplicité qu'il suppose ; tous les autres côtés en sont passables.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.199, Paul Ollendorff, 1886)
     
  577. Au point de vue de la vertu, telle qu'elle est comprise dans l'ordre social, les femmes peuvent être divisées en six catégories.
    Il y a :
    1° Celles qui sont décidées à manquer de vertu et qui en manquent ;
    2  Celles qui voudraient bien en manquer et qui n'en manquent pas ;
    3  Celles qui en manquent, quoique ayant l'intention formelle de n'en pas manquer ;
    4  Celles qui n'en ont pas encore manqué, mais qui en manqueront, parce qu'elles sont jeunes ;
    5  Celles qui en ont manqué, mais qui n'en manqueront plus, parce qu'elles sont vieilles ;
    6  Celles qui ont eu d'abord l'intention et qui auront ensuite la chance de n'en pas manquer, lesquelles sont, à proprement parler, les seules femmes vertueuses.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.200, Paul Ollendorff, 1886)
     
  578. Il y a une caresse implicite et licite qui supplée très bien la caresse effective et défendue, et le plus souvent lui est préférable, — en ce qu'elle est exempte de toute désillusion, — dans le regard, le sourire, les paroles même banales qu'échangent un homme et une femme qui se désirent ou même regrettent au fond du coeur de ne pouvoir se désirer.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.201, Paul Ollendorff, 1886)
     
  579. Qu'il y ait des courtisanes ayant tout l'instinct de la mère de famille et des mères de famille tout l'instinct de la courtisane: voilà ce qui montre la cruelle imbécillité du Destin !
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.201, Paul Ollendorff, 1886)
     
  580. Lorsqu'on est parvenu à retourner l'amour comme un gant, et qu'on voit clairement qu'il n'y avait rien dedans qu'une illusion, il est encore possible d'aimer par besoin de nature, sans plus croire le moins du monde à l'amour.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.201, Paul Ollendorff, 1886)
     
  581. Il n'y a pas de tempéraments plus opposés que celui de Don Juan, ayant affaire à une femme délicieuse et en cherchant toujours une nouvelle avec l'espoir de trouver mieux, et celui de Don José (appelons-le ainsi), ayant affaire à une femme insupportable et s'y tenant très fidèlement, dans la crainte de trouver pis.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.201, Paul Ollendorff, 1886)
     
  582. Je veux bien que l'amour soit quelquefois un rayon de soleil sur l'eau d'un lac azuré, mais c'est beaucoup plus souvent un rayon de soleil sur de la boue, quand ce n'est pas, hélas ! de la boue sans soleil.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.202, Paul Ollendorff, 1886)
     
  583. Oh ! la rougeur gauche et charmante qu'un regard de femme allume sur les joues de l'adolescent dont le coeur déborde d'idéal !
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.202, Paul Ollendorff, 1886)
     
  584. Dans sa période active, la femme produit deux effets bien différents sur nous. Lorsque nous sommes encore naïfs et que nous la voyons à travers le prisme de l'idéal, elle nous fait rougir ; quand, plus tard, nous l'étreignons comme une réalité, elle nous fait pâlir.
    Combien il vaut mieux pour elle et aussi pour nous que le voile d'Isis ne soit pas encore déchiré !

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.202, Paul Ollendorff, 1886)
     
  585. L'adultère donne généralement plus de peine qu'il ne cause de plaisir. Donc, au point de vue même de la volupté, sans la moindre acception de morale, c'est une grossière bêtise ; mais, voilà : les romanciers semblent le préconiser dans tous leurs ouvrages et l'on veut imiter les héros de romans.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.203, Paul Ollendorff, 1886)
     
  586. Le prologue de la volupté est irritant, le dialogue enivrant et l'épilogue répugnant.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.203, Paul Ollendorff, 1886)
     
  587. Aussitôt qu'ils ont fini de jouer le mystère charnel de l'amour, l'auteur et l'actrice se trouvent respectivement et réciproquement très bêtes dans les meilleurs cas, et, dans les pires, absolument ignobles.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.203, Paul Ollendorff, 1886)
     
  588. Il n'y a que les bêtes qui envisagent l'amour comme il doit être envisagé ; nous autres, nous y cherchons midi à quatorze heures, et, naturellement, nous ne l'y trouvons pas.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.204, Paul Ollendorff, 1886)
     
  589. L'amour est au vrai la possession réciproque, toujours constante et paisible, mais momentanément avivée par les sens, d'un homme et d'une femme qui s'estiment et se satisfont de tout leur être.
    Le reste usurpe le nom d'amour.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.204, Paul Ollendorff, 1886)
     
  590. Ce qui fait de l'amour monogamique et fidèle et constant quelque chose d'absolument supérieur à tout amour multiple, ou irrégulier, ou accidentel, c'est que lui seul reconstitue sérieusement l'être humain en créant un tout permanent de ses deux moitiés, non de ses deux moitiés physiques dont la conjonction demeure fortuite, mais de ses deux moitiés morales qui ne cessent pas une minute d'être unies. Elles le sont, le jour, par l'identité des joies et des soucis ; elles le sont, la nuit, dans l'absorption même du sommeil par la divine quiétude du côte à côte.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.204, Paul Ollendorff, 1886)
     
  591. L'amour de soi-même, s'il est immodéré, est aussi décevant que les autres amours. On n'est trahi par personne ; on se trahit personnellement. Et les actions sottes et compromettantes que l'on fait alors le démontrent jusqu'à l'évidence.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.205, Paul Ollendorff, 1886)
     
  592. Il est très heureux pour notre amour-propre que nous ne trouvions pas la satisfaction de notre idéal dans la personne aimée, car nous sentirions trop cruellement que nous sommes loin de satisfaire le sien.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.205, Paul Ollendorff, 1886)
     
  593. La substance de l'amour est certainement toujours la même, mais combien sa forme est variable !
    Voilà pourquoi il n'y a pas plus de ressemblance entre l'amour des gens délicats et l'amour des gens grossiers, qu'entre le biscuit de Savoie et le pain de munition, quoique les deux premiers soient faits de consexualité comme les deux seconds de farine.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.206, Paul Ollendorff, 1886)
     
  594. Les hommes ont trouvé moyen de gâcher ce que la Nature leur a donné de meilleur, — l'Amour !
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.206, Paul Ollendorff, 1886)
     
  595. Il y a plusieurs causes faciles à déterminer dans l'excessive tendresse que nous portons d'ordinaire à nos enfants, mais la première en date c'est qu'ils fixent durablement dans leur chair et leur âme un de nos éclairs d'amour.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.206, Paul Ollendorff, 1886)
     
  596. La situation déplaisante où se trouvent réciproquement l'homme et la femme après l'étreinte amoureuse n'est sauvée à peu près que dans le mariage ou du moins dans l'union suivie et confiante... Combien ce qu'ils ont d'abord perdu en ivresse, ils le regagnent en sérénité !
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.207, Paul Ollendorff, 1886)
     
  597. Supposons qu'un homme et une femme d'un esprit tout à fait supérieur aient ensemble une conversation très élevée. Ils n'ont pas de manière plus exquise de la terminer que de tourner à la brute d'un accord spontané, si toutefois ils sont moralement libres de leurs actes.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.207, Paul Ollendorff, 1886)
     
  598. Il y a des gens pour qui l'amour est comme la fleur de Cytise, qui n'embaume qu'à distance. S'ils s'approchent de lui, ils ne le sentent plus.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.207, Paul Ollendorff, 1886)
     
  599. Viande creuse ou creusante, mais creuse encore, ce bel Amour !
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.207, Paul Ollendorff, 1886)
     
  600. Ce qui fait de l'amour s'accomplissant quelque chose de vraiment divin, c'est qu'il y a quasi transsubstantiation de l'homme à la femme et de la femme à l'homme.
    Durant les quelques secondes d'extase, il semble à Lui qu'il devient Elle et à Elle qu'elle devient Lui.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.208, Paul Ollendorff, 1886)
     
  601. Il est dommage que l'infini, d'ailleurs bientôt fini de l'amour, résulte d'une opération qui, pour douce et savoureuse qu'elle soit, n'en est pas moins abjecte et ridicule.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.208, Paul Ollendorff, 1886)
     
  602. Au point de vue physiologique, le seul où il faille se placer pour l'envisager, l'amour est une vibration périodiquement utile au bon équilibre de notre organisme ; c'est la remise en train de toute la machine humaine.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.208, Paul Ollendorff, 1886)
     
  603. Les choses de ce monde n'ont qu'un pivot : la conjonction des sexes.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.208, Paul Ollendorff, 1886)
     
  604. Ils doivent être rares les hommes éclairés et consciencieux qui, arrivés à un certain âge, et comme en vue de la Mort, ne se rendent pas le triste témoignage que leur vie ne valait la peine d'être vécue, ni pour eux-mêmes ni pour les autres.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.211, Paul Ollendorff, 1886)
     
  605. La plupart des hommes vivent comme s'ils ne voyaient pas leur vie et surtout comme s'ils ne prévoyaient pas leur mort, — simples animaux à cet égard.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.211, Paul Ollendorff, 1886)
     
  606. Tout à la vie, l'homme ne sent nulle part l'odeur de son cadavre ; préoccupé de la mort, il la sent partout..., même dans le parfum des rosés.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.212, Paul Ollendorff, 1886)
     
  607. L'idée de la mort rectifie la vie.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.212, Paul Ollendorff, 1886)
     
  608. Être cadavre, c'est triste ; être en poussière, c'est déjà charmant; mais être volatilisé... quel rêve !
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.212, Paul Ollendorff, 1886)
     
  609. Quel est le plus sage : lâcher sa vie ou la contenir ? Faire le diable ou bien défaire, refaire et même contrefaire Dieu ?
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.212, Paul Ollendorff, 1886)
     
  610. Une angoisse entre deux néants : telle est la vie !
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.212, Paul Ollendorff, 1886)
     
  611. Le définitif humain n'est jamais que du provisoire. Tout est provisoire dans la vie et surtout la vie.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.212, Paul Ollendorff, 1886)
     
  612. Être sur terre, être sous terre..., quel est le moindre mal ?
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.213, Paul Ollendorff, 1886)
     
  613. Qu'on avance, qu'on recule ; qu'on aille à droite, qu'on aille à gauche..., on arrive à la mort, but involontaire, mais but suprême, et en quelque sorte, circulaire de l'homme.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.213, Paul Ollendorff, 1886)
     
  614. Il est plus difficile d'être spectateur que d'être acteur dans la comédie de la vie. Les plus sots sont acteurs ; ce ne sont que les grands esprits qui peuvent être spectateurs.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.213, Paul Ollendorff, 1886)
     
  615. À peine inscrits sur le grand livre du Destin, nous y sommes effacés.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.213, Paul Ollendorff, 1886)
     
  616. La vie de chacun de nous est un petit ruisselet plus ou moins bourbeux, plus ou moins tapageur, qui ne tarde pas à venir se reperdre dans la terre, d'où il était sorti un instant.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.214, Paul Ollendorff, 1886)
     
  617. La Mort est un aimant d'une jolie puissance et qui attire, bon gré mal gré, de bien loin, les plus récalcitrants d'entre nous.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.214, Paul Ollendorff, 1886)
     
  618. Plus l'aimant odieux et irrésistible de la mort l'attire à lui, plus l'homme, pour peu qu'il soit devenu sage, renonce à ses prétentions d'abord si grandes sur les gens et les choses.
    Finalement, il ne lui en reste plus qu'une, qui est de vivre en paix et en santé ses dernières années... Et encore, instruit par l'expérience, n'ose-t-il guère se flatter d'y réussir.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.214, Paul Ollendorff, 1886)
     
  619. C'est étonnant comme, vus à travers l'objectif de la mort, les plus grands événements de la vie semblent petits, petits !
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.214, Paul Ollendorff, 1886)
     
  620. La vie !... quelle serinette ! Toujours le même air... et pas drôle, même quand il veut l'être, surtout quand il veut l'être. En vérité, en vérité, pour qui l'a entendu longtemps, cet air monotone, le silence de la tombe semble bien préférable.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.215, Paul Ollendorff, 1886)
     
  621. Quand on a entendu rabâcher pendant quarante ans ce méchant opéra de la vie, dans lequel deux ou trois airs seulement ont fait plaisir, — et encore à la condition qu'ils fussent bien chantés par hasard, — il est vraiment inouï qu'on veuille toujours y assister et qu'on redoute le moment où la toile tombera pour la dernière fois.
    Il serait pourtant si naturel de désirer entendre autre chose, ou même ne plus rien entendre du tout.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.215, Paul Ollendorff, 1886)
     
  622. Quelle contradiction amère ! Plus on dépense de vie, moins on se sent vivre. Aussi croirait-on que les gens actifs vivent pour les oisifs et non pour eux-mêmes. Et tandis que les premiers sont envahis de sensations qu'ils n'ont pas le temps de classer, les seconds qui auraient grandement le temps de classer les leurs n'en ont pas ou presque pas !
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.215, Paul Ollendorff, 1886)
     
  623. Pour tout esprit, pour tout coeur délicat, la vie qui lui est départie, si épurée qu'elle puisse être, n'en reste pas moins une grossière ordure, bien digne de précéder cette ordure plus grossière : la mort !
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.216, Paul Ollendorff, 1886)
     
  624. Nous ne sommes que des maquettes que la Nature s'amuse à pétrir, pour les briser le moment d'après, sans songer le moins du monde à nous tailler ou à nous couler en une substance qui nous perpétue.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.216, Paul Ollendorff, 1886)
     
  625. Il faut beaucoup d'ingénuité ou beaucoup d'astuce pour se complaire en la vie et pour s'en avouer content.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.216, Paul Ollendorff, 1886)
     
  626. Nous ne pouvons faire un pas dans la rue sans rencontrer des gens qui, comme nous, vont à leur insu, par des chemins plus ou moins détournés, à leur propre enterrement.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.217, Paul Ollendorff, 1886)
     
  627. Les plus désespérés dans la vie, ceux-là mêmes que leur désespoir semblerait devoir, condamner à l'inaction, sont après tout forcés d'agir comme les autres, mais avec le sentiment cruel qu'ils ne font rien qui vaille, qu'ils se meuvent en plein Néant.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.217, Paul Ollendorff, 1886)
     
  628. C'est un très grand bonheur pour l'homme que son horizon soit si mirageux. Il voit son être à perte de vue et n'aperçoit pas son néant tout proche.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.217, Paul Ollendorff, 1886)
     
  629. Comment admettre que notre individualité reste intacte après la mort, quand déjà, durant la vie, elle subit au physique comme au moral des transformations si considérables qu'il nous semble à nous-mêmes que l'être que nous étions dix ans plus tôt était un autre être que nous ?
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.217, Paul Ollendorff, 1886)
     
  630. S'intéresser à tout ou se désintéresser de tout, ce sont là deux manières de pratiquer la vie. La première la fait mieux passer ; la seconde, la fait moins regretter.
    Quelle est la plus raisonnable? Celle qui convient le mieux à notre tempérament.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.218, Paul Ollendorff, 1886)
     
  631. En vieillissant, les gens qui ont eu le plus de curiosité durant leur jeunesse finissent par n'être plus curieux de rien, sinon de repos. Or, si la satisfaction de cette curiosité dernière se fait un peu attendre, ils peuvent du moins être sûrs qu'elle sera bientôt complète et définitive.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.218, Paul Ollendorff, 1886)
     
  632. Tout est rejeté incessamment par la Nature en son gigantesque creuset, même nos pauvres âmes.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.218, Paul Ollendorff, 1886)
     
  633. L'homme est un pantin sensible que se disputent à tout moment deux bambines également cruelles : la Vie et la Mort, dont l'une commence et l'autre achève de le briser.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.219, Paul Ollendorff, 1886)
     
  634. L'existence la plus industrieusement organisée, celle-là même qui est arrivée à l'apogée de son harmonie, est aussi vite et irrémédiablement détruite par le coup de faulx de la Mort que la modeste toile d'araignée par le coup de plumeau de la ménagère.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.219, Paul Ollendorff, 1886)
     
  635. Dans tous les êtres, notamment dans l'homme, deux forces se manifestent : la concentration du moi, qui intervient par la naissance, et sa dispersion, qui intervient par la mort.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.219, Paul Ollendorff, 1886)
     
  636. C'est presque toujours au moment où noua nous résignons à la vie que nous la perdons.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.219, Paul Ollendorff, 1886)
     
  637. Il est à croire que toutes les portes par lesquelles nous sortons de la vie s'ouvrent sur le Néant, mais à tout hasard on doit s'arranger de manière à en sortir par une bonne porte.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.220, Paul Ollendorff, 1886)
     
  638. Il n'y aura bientôt plus que des restes de moi, mais il me plaît que ce soient ceux d'un honnête homme, c'est-à-dire d'un homme mort affamé de justice.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.220, Paul Ollendorff, 1886)
     
  639. Le vide que nous croyons faire est bientôt comblé, mais celui qui se fait en nous ne l'est que fort lentement, s'il l'est jamais.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.220, Paul Ollendorff, 1886)
     
  640. Il n'y a guère d'immortel en ce monde que la Mort.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.220, Paul Ollendorff, 1886)
     
  641. Si encore ce moment de vie nous pouvions le passer à notre guise ! Mais à l'ironie d'une mort toujours imminente s'ajoute celle d'une existence jamais satisfaite.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.220, Paul Ollendorff, 1886)
     
  642. Le torrent plus ou moins bourbeux de la vie entraîne au gouffre insondable de la mort, dans un effroyable pêle-mêle et avec une vertigineuse rapidité, nos forces et nos faiblesses, nos illusions et nos déconvenues, nos activités et nos fainéantises, nos amours et nos haines, notre foi et notre scepticisme, tout ce qui dilate ou comprime notre coeur.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.221, Paul Ollendorff, 1886)
     
  643. La vie n'est qu'une chandelle de deux sous, bien vite brûlée, et à la lueur facilement extinguible de laquelle nous jouons les uns contre les autres un jeu effréné.
    Est-ce le jeu qui ne vaut pas la chandelle, ou plutôt n'est-ce point la chandelle qui ne vaut pas le jeu ?

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.221, Paul Ollendorff, 1886)
     
  644. Le hasard est plus clément qu'on ne croit.
    Que de fois nous avons dû friser la mort sans nous en douter !

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.221, Paul Ollendorff, 1886)
     
  645. Au moment où il vient de s'emparer de Gênes par trahison, Fiesque, en passant sur une planche, tombe à la mer et s'y noie. Les ambitieux feraient bien de ne jamais perdre de vue la planche de Fiesque.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.222, Paul Ollendorff, 1886)
     
  646. Tout au plus comparables à des phosphorescences aussitôt disparues qu'apparues, mais toujours remplacées par d'autres, sont, les masses humaines grouillant sur la terre.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.222, Paul Ollendorff, 1886)
     
  647. Nous tournoyons plus ou moins sur nous-mêmes, plus ou moins vite, plus ou moins longtemps autour d'un trou, et c'est la vie ; enfin, nous tombons dans ce trou béant qui nous attire sans cesse, et c'est la mort.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.222, Paul Ollendorff, 1886)
     
  648. C'est une question de savoir si la conquête même du monde vaudrait la peine d'être faite pour si peu de temps qu'on en pourrait jouir.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.223, Paul Ollendorff, 1886)
     
  649. La vie, qui est notre tout durant les quelques instants que nous la possédons, est bien peu de chose, pour quiconque réfléchit, près de la mort qui sera pourtant notre rien, mais un rien capable de nous posséder éternellement.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.223, Paul Ollendorff, 1886)
     
  650. Nous nous anéantissons constamment en nous-mêmes ; car il n'y a pas en chacun de nous un seul et même être, mais une série d'êtres, dont l'un absorbe l'autre jusqu'au dernier, c'est-à-dire jusqu'à celui qui meurt de façon apparente.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.223, Paul Ollendorff, 1886)
     
  651. Bien des gens qui se croient pour longtemps en vie vont être en mort.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.223, Paul Ollendorff, 1886)
     
  652. Appeler la mort « l'autre vie » est un euphémisme charmant qui fait illusion à ces pauvres hommes.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.224, Paul Ollendorff, 1886)
     
  653. On dit souvent d'un homme qui réussit dans ce monde : « Il est arrivé. » Non, non, pas encore. On veut dire qu'il suit triomphalement l'une des plus belles avenues qui conduisent à la mort. C'est seulement quand il sera au bout de cette avenue qu'on pourra le considérer, à juste titre, comme arrivé.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.224, Paul Ollendorff, 1886)
     
  654. Pour celui qui est parti de ce monde, c'est-à- dire qui n'est plus, quelle différence y a-t-il entre laisser un grand nom ou en emporter un petit ?
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.224, Paul Ollendorff, 1886)
     
  655. Il y a quelque chose de fort comique dans la sinistre façon dont la Mort ponctue, au moment où nous nous y attendons le moins, la longue kyrielle de nos espoirs.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.224, Paul Ollendorff, 1886)
     
  656. Nous posons tous, qui d'une façon, qui de l'autre, nous sacrifions même tout à la pose, sans nous apercevoir que la Mort nous guette et qu'elle rit de notre suffisance, à s'en tenir les côtes.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.225, Paul Ollendorff, 1886)
     
  657. Ça n'existera plus demain et ça prend aujourd'hui des airs éternels !
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.225, Paul Ollendorff, 1886)
     
  658. Nous ne sommes que des squelettes travestis en chair pour un instant.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.225, Paul Ollendorff, 1886)
     
  659. L'expérience de la vie produit l'effet d'une substance réfrigérante sur les coeurs les plus chauds : elle les glace.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.225, Paul Ollendorff, 1886)
     
  660. Si l'on regarde d'ensemble les choses de la vie, tout en paraît affreusement gris.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.225, Paul Ollendorff, 1886)
     
  661. Très farceuse, la Mort. Elle s'amuse souvent à nous enlever le couvert quand nous commençons à manger.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.226, Paul Ollendorff, 1886)
     
  662. Tout est chrysocale, en ce monde, même l'or.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.226, Paul Ollendorff, 1886)
     
  663. Obstrué par l'amoncellement de ses griefs contre la vie, le coeur de certains hommes n'a presque plus la latitude de battre, et il finit même peu à peu par s'en déshabituer.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.226, Paul Ollendorff, 1886)
     
  664. Pour qui voit bien que la vie n'est qu'une méchante comédie d'une heure sur laquelle va tomber le rideau de la mort éternelle, il est presque indifférent d'y jouer tel rôle plutôt que tel autre. On accepte volontiers le premier venu, le moins difficile à apprendre.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.226, Paul Ollendorff, 1886)
     
  665. Héraclite et Démocrite ont raison l'un et l'autre. La vie est déplorable, mais elle est dérisoire.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.227, Paul Ollendorff, 1886)
     
  666. Au moment de souffler la petite lumière qui est en nous, la Mort s'en sert pour éclairer d'un jour sinistre, sinon toujours à nos propres yeux, du moins à ceux de nos proches, toutes les sottises ou toutes les vilenies de notre existence éphémère.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.227, Paul Ollendorff, 1886)
     
  667. Quand on a bien compris qu'on aspire, en vain, au ciel, on se trouve bien heureux de pouvoir respirer sur la terre.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.227, Paul Ollendorff, 1886)
     
  668. Il n'est pas de difficultés inextricables d'où la Mort ne puisse tout à coup tirer les gens avec une facilité merveilleuse. Et quand elle le fait, elle se montre bien bonne ; mais il lui arrive plus souvent (et en cela elle se montre bien méchante) d'arracher avec la même facilité les gens à des situations superbes.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.227, Paul Ollendorff, 1886)
     
  669. La vie est une pitoyable chose subie par de pitoyables gens.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.228, Paul Ollendorff, 1886)
     
  670. C'est une grande simplificatrice que la Mort. Elle réduit tout à rien pour nous.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.228, Paul Ollendorff, 1886)
     
  671. Il y a dans le jeu de la vie des naïfs qui, ayant le sentiment de bien jouer et jouant en effet fort bien, s'étonnent de perdre toujours. C'est qu'ils jouent franc-jeu contre des biseauteurs.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.228, Paul Ollendorff, 1886)
     
  672. Nous ne faisons que camper quelque temps sur la terre, puis nous décampons dessous.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.228, Paul Ollendorff, 1886)
     
  673. Il semble que l'idée de la mort dût nous aiguillonner à jouir de la vie. Ainsi l'avait compris le Trimalcion qu'a célébré Pétrone. Mais d'ordinaire, c'est justement l'inverse. On jouit d'autant plus de la vie qu'on pense moins à la mort et d'autant moins qu'on y pense plus.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.228, Paul Ollendorff, 1886)
     
  674. Nous courons plus ou moins longtemps après la Vie, et quand nous pensons l'avoir enfin attrapée, c'est la Mort que nous tenons ou plutôt qui nous tient.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.229, Paul Ollendorff, 1886)
     
  675. L'homme a jeté l'immortalité sur la mort comme pour se la cacher ; c'est qu'il doit absolument mourir et qu'il ne le veut absolument pas.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.229, Paul Ollendorff, 1886)
     
  676. On est toujours mal venu à parler de la Mort à des mortels qui ne veulent que l'oublier, à plonger le nez dans leur néant à des présomptueux qui se croient tout.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.229, Paul Ollendorff, 1886)
     
  677. La vie n'est qu'un prêt que nous fait la Nature à nous tous les tirés du néant, et pour ce prêt remboursable d'un instant à l'autre, elle exige ces gros intérêts, dont elle a sans doute besoin : nos souffrances physiques et morales.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.230, Paul Ollendorff, 1886)
     
  678. La vie n'est pour chacun de nous qu'un bien médiocre intermède d'être, coupant un peu plus tôt ou un peu plus tard, ici ou là, notre éternel néant.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.230, Paul Ollendorff, 1886)
     
  679. S'acheminer vers la Mort le plus doucement possible, par le sentier que le Destin lui a fait prendre, mais en pleine conscience du but dérisoire de ses travaux et de ses peines : tel doit être l'objectif du penseur.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.230, Paul Ollendorff, 1886)
     
  680. Le bonheur, ou pour mieux dire : le malheur moindre, est non pas dans la diversité, mais dans l'uniformité de la vie.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.230, Paul Ollendorff, 1886)
     
  681. Qui dira s'il est plus drolatique ou plus lamentable de voir tous ces ambitieux se bousculer, comme ils le font, pour aboutir... à quoi? Au cul-de-sac du tombeau !
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.231, Paul Ollendorff, 1886)
     
  682. Eu égard au peu de solidité de notre vie, qui toujours menace ruine et qui bientôt va s'écrouler, c'est peut-être un moindre leurre de ne pas réussir dans ce monde que d'y triompher, puisque les victorieux de la Vie vont être terriblement défaits par la Mort.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.231, Paul Ollendorff, 1886)
     
  683. Ce n'est pas seulement notre chair usée à la longue ou brisée tout à coup que la Nature met au rancart, comme nous y mettons nous-mêmes une loque hors d'usage, c'est notre coeur et notre esprit, c'est notre individualité, c'est notre moi.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.231, Paul Ollendorff, 1886)
     
  684. Qu'il y ait une autre vie ou qu'il n'y en ait pas, nous n'avons pointa hésiter dans celle-ci. Il faut qu'au moral comme au physique notre coeur domine notre ventre, et que notre cerveau domine notre coeur.
    C'est le moyen de sortir de la matière, si nous pouvons en sortir finalement, ou tout au moins de nous prouver à nous-mêmes que nous serions dignes d'en sortir. Nous servons toujours bien ainsi notre orgueil à défaut de notre intérêt.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.231, Paul Ollendorff, 1886)
     
  685. Qu'on affirme ou qu'on nie Dieu et l'âme, l'on n'en tombe pas moins probablement dans les mêmes fondrières de la mort absolue et définitive, mais les négateurs ont la malchance de voir ces fondrières, tandis que les affirmateurs ont la bonne chance de ne les voir pas.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.2,32 Paul Ollendorff, 1886)
     
  686. Évidemment, pour être si confiants dans la vie et dans la mort, les optimistes n'y voient et n'y entendent goutte.
    Ce sont des étourneaux. Ce sont des corneilles qui abattent des noix.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.232, Paul Ollendorff, 1886)
     
  687. Les misères de la vie sont les circonstances atténuantes de la Mort.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.233, Paul Ollendorff, 1886)
     
  688. Aujourd'hui chaude et florissante, belle madame, entre les draps de ce lit moelleux, demain froide et pourrissante entre les pierres de ce dur caveau !
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.233, Paul Ollendorff, 1886)
     
  689. Le néant absolu de la vie est un secret que peu de gens savent.
    Ceux qui, l'ayant pénétré, n'en veulent point abuser, ont lieu d'être stupéfaits de l'ordre et de la modération qu'on voit régner dans la Société.
    Tous ces hommes et toutes ces femmes, qui n'ont qu'un moment à vivre, l'emploient avec un bon sens presque égal à celui des fourmis, leur diminutif. Ils s'organisent comme s'ils devaient vivre toujours. Ils prennent ainsi, à la vérité, par pur instinct, le parti que la sagesse commande de prendre à de plus clairvoyants. En se ruant à corps perdu sur la vie, au lieu de la mener doucement et régulièrement, n'y seraient-ils pas plus tôt brisés ?

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.233, Paul Ollendorff, 1886)
     
  690. Au sein de sa vie éphémère, l'homme peut montrer une égale sagesse en prenant l'un ou l'autre de ces deux partis extrêmes : Vivre avec le plus d'intensité possible pour mettre le temps à profit, ou réduire son existence à rien pour enlever à la Mort qui accourt tout empire sur lui-même.
    Le premier de ces partis est sans doute plus pratique, mais combien le second est plus fier !

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.234, Paul Ollendorff, 1886)
     
  691. Les personnalités brillantes ressemblent à ces pièces d'artifice qui, après avoir jeté un éclat plus ou moins grand et plus ou moins long, s'éteignent tout à coup, ne laissant de tant de mouvement et de lumière qu'une carcasse inerte et sombre.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.234, Paul Ollendorff, 1886)
     
  692. Tout ce qui s'élève au-dessus de la vie pratique mène parallèlement une vie idéale, mais il importe de ne point s'y embrouiller, c'est à- dire de ne point se croire dans l'une quand on est dans l'autre, car il n'y aurait pas plus sot que l'homme jugeant pratique la vie idéale, ni plus malheureux que celui qui agirait idéalement dans la vie pratique.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.235, Paul Ollendorff, 1886)
     
  693. Ceux qui ne peuvent se faire à la Vie ont de quoi se consoler en pensant que la Mort les va faire bientôt à elle.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.235, Paul Ollendorff, 1886)
     
  694. L'inaction devient presque une vertu pour ceux qui ont reconnu l'absolue vanité de l'action.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.235, Paul Ollendorff, 1886)
     
  695. L'extrême facilité avec laquelle la Mort nous prend ajoute à l'amertume et à la dérision des difficultés si grandes que nous avons nous-mêmes à prendre la Vie.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.235, Paul Ollendorff, 1886)
     
  696. Deux mirages, celui de l'avenir d'abord, celui de l'éternité ensuite, empêchent l'homme de voir le trou béant qui est à ses pieds et qui va l'engloutir.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.236, Paul Ollendorff, 1886)
     
  697. Et puis, quand on saurait pertinemment que la mort est bien le terme final de l'homme et qu'il n'y a rien pour lui au-delà, cela changerait-il beaucoup le train de la vie ? Nullement. Outre que le besoin de vivre serait identique, il y aurait encore des gens qui se sacrifieraient pour leurs semblables, comme il y en a qui, tout en croyant à l'immortalité de l'âme, sacrifient leurs semblables à eux-mêmes.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.236, Paul Ollendorff, 1886)
     
  698. Quand le coeur de l'homme se bat lui-même, à chacun de ses battements, il est temps qu'il cesse de battre.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.236, Paul Ollendorff, 1886)
     
  699. Heur et malheur ont si vite trouvé leur équation dans le néant, que ce n'est vraiment pas la peine de se croire heureux ou malheureux.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.237, Paul Ollendorff, 1886)
     
  700. Le néant, où nous étions avant notre entrée dans la vie, ne nous préoccupe guère, et d'ailleurs nous le comblons, en quelque sorte, par les connaissances acquises.
    Mais nous sommes d'autant plus attristés du néant où nous serons après notre entrée dans la mort, que rien ne nous semble pouvoir le combler.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.237, Paul Ollendorff, 1886)
     
  701. Voilà bien notre bêtise à nous autres les rêveurs. Au lieu de profiter de l'instant de vie que nous donne la Nature, nous l'employons à réfléchir sur cette drôlerie atroce qui ne tarde point à suivre ce don magnifique mais si précaire d'une existence distincte, à savoir, la dissolution de notre être dans l'Infini.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.237, Paul Ollendorff, 1886)
     
  702. Entraînés par le torrent de la vie tantôt dans le limon qu'il roule, tantôt sous la splendeur du ciel, nous passons, nous sommes passés et nous voilà disparus à jamais.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.238, Paul Ollendorff, 1886)
     
  703. Il y a comme une cruelle et lugubre farce dans la foudroyante rapidité avec laquelle le Destin nous supprime, au beau milieu de nos occupations, de nos tendresses, de nos convoitises, ne laissant de nous soudain qu'un mannequin de chair bientôt relégué sous terre et qui, de décomposition en décomposition, finira par se consumer.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.238, Paul Ollendorff, 1886)
     
  704. Avoir occupé la scène du monde ou l'avoir regardée de son petit coin, qu'importe, une fois mort ?... Et l'on vit si peu de temps !
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.238, Paul Ollendorff, 1886)
     
  705. Sur les flots du Néant, d'où nous sommes brusquement sortis comme Vénus Anadyomène de l'écume de la mer, l'esquif plus ou moins grand que nous frète le Destin cingle à l'aventure, gréé de nos ardeurs et de nos convoitises, chargé de nos lassitudes et de nos déceptions, le plus souvent ballotté par la tourmente, quelquefois bercé par l'accalmie, et il vogue ainsi à plus ou moins long cours, mais à cours toujours vain, jusqu'à ce qu'il sombre et nous engouffre avec lui.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.238, Paul Ollendorff, 1886)