Thomas Bernhard
1931-1989
  1. [Les psychiatres comme tous les autres médecins] se retranchaient derrière le latin médical, qu'ils dressaient peu à peu comme une muraille infranchissable et inexpugnable entre eux et leur patient, tout comme leurs prédécesseurs depuis des siècles, à seule fin de masquer leur incompétence et de jeter le voile sur leur charlatanisme. [...] Le psychiatre est le plus incompétent des médecins, et il est toujours plus près du crime sadique que de la science. [...] Les psychiatres sont en fait les vrais démons de notre époque. Sans foi ni loi, ils se livrent à leurs activités couvertes, au plein sens du terme, d'une manière scandaleusement inattaquable.
    (Le neveu de Wittgenstein, trad. Jean-Claude Hémery, p.17, Folio n°2323)
     
  2. [...] ce qui caractérise ce genre d'êtres, qui sont d'abord un peu fous et qu'on finit par dire complètement aliénés, c'est qu'ils jettent de plus en plus, et sans relâche, les trésors de leur esprit par la fenêtre (de leur tête), et que, simultanément, dans leur tête, les trésors se multiplient aussi vite qu'ils les jettent par la fenêtre (de leur tête). Ils jettent de plus en plus de trésors - dans leur tête il y en a de plus en plus, et, forcément, de plus en plus menaçants, et pour finir, en jetant ainsi les trésors de leur esprit par la fenêtre (de leur tête), ils ne peuvent plus soutenir la cadence, et leur tête ne peut plus contenir tous les trésors qui ne cessent de se multiplier dans leur tête, et qui s'accumulent dans cette tête, et cette tête finit par éclater.
    (Le neveu de Wittgenstein, trad. Jean-Claude Hémery, p.36, Folio n°2323)
     
  3. [...] avouons-le, les têtes qui nous sont la plupart du temps accessibles sont inintéressantes, nous n'en tirons guère plus que si nous nous trouvions en compagnie de pommes de terre hypertrophiées, qui, plantées sur des corps souffreteux affublés de vêtements d'un goût discutable, traîneraient une existence piteuse, mais hélas pas du tout pitoyable.
    (Le neveu de Wittgenstein, trad. Jean-Claude Hémery, p.42, Folio n°2323)
     
  4. Les malades ne comprennent pas les bien-portants, tout comme, inversement, les bien-portants ne comprennent pas les malades, et ce conflit est très souvent un conflit mortel, que le malade, en fin de compte, n'est pas de taille à affronter, mais, bien entendu, pas davantage le bien-portant, qu'un tel conflit, souvent, rend malade.
    (Le neveu de Wittgenstein, trad. Jean-Claude Hémery, p.65, Folio n°2323)
     
  5. Les remises de prix sont, si je fais abstractions de l'argent qu'elles rapportent, ce qu'il y a de plus insupportable au monde. [...] Accepter un prix, cela ne veut rien dire d'autre que se laisser chier sur la tête parce qu'on est payé pour ça. J'ai toujours ressenti ces remises de prix comme la pire humiliation qu'on puisse imaginer, et pas comme un honneur. Car un prix est toujours décerné par des gens incompétents qui veulent vous chier sur la tête quand on accepte leur prix en mains propres.
    (Le neveu de Wittgenstein, trad. Jean-Claude Hémery, p.89, Folio n°2323)
     
  6. À la campagne l'esprit ne peut jamais s'épanouir, seulement à la ville, mais aujourd'hui les gens fuient la ville pour la campagne, parce qu'au fond ils tiennent trop à leurs aises pour faire usage de leur tête, qui est, naturellement, radicalement mise à l'épreuve à la ville [...]
    (Le neveu de Wittgenstein, trad. Jean-Claude Hémery, p.103, Folio n°2323)
     
  7. [...] il n'y a plus rien à enjoliver, dans une société et dans un monde où tout est constamment enjolivé de la manière la plus répugnante [...]
    (Le neveu de Wittgenstein, trad. Jean-Claude Hémery, p.107, Folio n°2323)
     
  8. Et je pense maintenant que les êtres qui ont vraiment été importants dans notre vie peuvent se compter sur les doigts d'une seule main, et, bien souvent, cette main se révolte contre la perversité que nous mettons à vouloir consacrer toute une main à compter ces êtres, là où, si nous sommes sincères, nous nous en tirerions probablement sans un seul doigt.
    (Le neveu de Wittgenstein, trad. Jean-Claude Hémery, p.108, Folio n°2323)
     
  9. Je ne me supporte pas moi-même, et, moins encore, une meute de gens comme moi. J'évite la littérature autant que je peux, parce que je m'évite moi-même autant que je peux [...]
    (Le neveu de Wittgenstein, trad. Jean-Claude Hémery, p.114, Folio n°2323)
     
  10. Comme quatre-vingt-dix pour cent de l'humanité, je voudrais au fond toujours être là où je ne suis pas, là d'où je viens de m'enfuir.
    (Le neveu de Wittgenstein, trad. Jean-Claude Hémery, p.117, Folio n°2323)
     
  11. Je fais partie de ces êtres qui au fond ne supportent pas un endroit sur terre et ne sont heureux qu'entre les endroits d'où ils partent et vers lesquels ils se dirigent.
    (Le neveu de Wittgenstein, trad. Jean-Claude Hémery, p.117, Folio n°2323)
     
  12. Le temps où l'on est élève et étudiant est principalement un temps de pensée suicidaire et celui qui le nie a tout oublié.
    (L'origine, trad. Albert Kohn, p.24, Folio n°2832)
     
  13. Les plus sujets aux suicides, ce sont les êtres jeunes, les jeunes êtres, laissés seuls par leurs géniteurs et autres éducateurs, les jeunes hommes, élèves et étudiants qui effectivement ne méditent que dans l'extinction et l'anéantissement d'eux-mêmes, pour lesquels tout encore est simplement la vérité et la réalité et qui font naufrage dans cette vérité et cette réalité, une seule et unique chose au caractère terrible. Chacun de nous aurait pu se suicider.
    (L'origine, trad. Albert Kohn, p.26, Folio n°2832)
     
  14. Les faits sont toujours des faits effrayants et nous n'avons pas le droit de les recouvrir de l'angoisse qu'ils nous donnent, de notre angoisse abondamment nourrie qui accomplit chez chacun sans interruption son travail maladif, nous n'avons pas le droit de falsifier ainsi toute l'histoire de la nature considérée comme l'histoire de l'homme, de transmettre toute cette histoire comme une histoire toujours falsifiée par nous parce qu'on a l'habitude de falsifier l'histoire et de la transmettre sous la forme d'une histoire falsifiée, tout en sachant que l'histoire entière n'est qu'une histoire falsifiée qui n'a jamais été transmise que sous la forme d'une histoire falsifiée.
    (L'origine, trad. Albert Kohn, p.28, Folio n°2832)
     
  15. [...] le temps fait toujours de ses témoins des témoins oublieux.
    (L'origine, trad. Albert Kohn, p.42, Folio n°2832)
     
  16. [Le sport] amuse les masses, leur bouffe l'esprit et les abêtit. Les dictateurs avant tout savent bien pourquoi ils sont toujours et dans tous les cas en faveur du sport. Qui est pour le sport a les masses de son côté, qui est pour la culture les a contre elles [...] c'est pourquoi tous les gouvernements sont toujours pour le sport et contre la culture.
    (L'origine, trad. Albert Kohn, p.77, Folio n°2832)
     
  17. Ce qui a rapport avec les hommes est toujours grotesque et c'est la guerre avec ses circonstances et situations qui est toujours la plus grotesque.
    (L'origine, trad. Albert Kohn, p.78, Folio n°2832)
     
  18. La société ne songe nullement à éclairer et, dans toute forme d'État, les gouvernements sont intéressés à faire en sorte que la société qu'ils gouvernent ne soit pas éclairée car s'ils éclairaient la société qu'ils gouvernent, il ne faudrait pas beaucoup de temps avant qu'ils soient anéantis par cette société qu'ils auraient éclairée.
    (L'origine, trad. Albert Kohn, p.90, Folio n°2832)
     
  19. Il n'existe absolument pas de parents, il n'existe que des criminels en tant que procréateurs de nouveaux êtres humains, des procréateurs qui agissent avec toute leur absurdité et leur stupidité contre ces nouveaux êtres humains procréés par eux.
    (L'origine, trad. Albert Kohn, p.91, Folio n°2832)
     
  20. Et les crimes d'éducation, comme on en commet partout, dans les établissements d'éducation du monde entier sur ceux qui sont destinés à être éduqués, sont toujours commis sous le nom d'une telle personnalité extraordinaire, que cette personnalité extraordinaire s'appelle Hitler, Jésus et ainsi de suite. C'est au nom de celui qui est chanté, glorifié, qu'ont lieu les crimes capitaux commis sur des êtres en croissance.
    (L'origine, trad. Albert Kohn, p.110, Folio n°2832)
     
  21. [...] le national-socialisme aussi bien que le catholicisme sont des maladies contagieuses, des maladies mentales et rien d'autre.
    (L'origine, trad. Albert Kohn, p.115, Folio n°2832)
     
  22. [...] l'école [...] un établissement pour anéantir l'esprit.
    (L'origine, trad. Albert Kohn, p.120, Folio n°2832)
     
  23. Seuls des gens stupides ou des malades aussi bien que des gens à la fois stupides et malades sont professeurs de lycée car ce qu'ils enseignent quotidiennement et déversent sur les têtes de leurs victimes n'est en vérité rien d'autre que de la stupidité et de la maladie, une matière qui a pourri au cours des siècles, une matière considérée comme maladie de l'esprit, dans laquelle la pensée de chacun des élèves doit nécessairement s'asphyxier. Dans les écoles, avant tout dans les écoles d'enseignement secondaire en tant qu'écoles moyennes, intermédiaires entre le primaire et le supérieur, le savoir inutile et pourri dont on a bourré sans relâche ces élèves transforme la nature de l'élève en une nature dénaturée et lorsque nous avons affaire à des élèves de ce qu'on appelle les écoles d'enseignement secondaire, donc des écoles moyennes, nous n'avons plus affaire qu'à des êtres dénaturés dont la nature a été anéantie dans ces écoles qu'on appelle écoles d'enseignement secondaire en tant qu'écoles moyennes.
    (L'origine, trad. Albert Kohn, p.138, Folio n°2832)
     
  24. Notre système d'enseignement est tombé malade au cours des siècles, les jeunes gens qu'on fait entrer de force dans ce système d'enseignement sont condamnés par la maladie de ce système et tombent malades par millions sans qu'on puisse envisager de guérison. Il faut que la société change son système d'enseignement si elle veut changer parce que, si elle ne change pas, ne se restreint pas, si elle ne se supprime pas en grande partie, elle est assurée de toucher bientôt à sa fin.
    (L'origine, trad. Albert Kohn, p.140, Folio n°2832)
     
  25. Là où il y a trois êtres humains, il y en a1 déjà un qui est toujours objet de sarcasmes et de moqueries et une communauté plus importante en tant que société ne saurait absolument exister sans une pareille victime ou plusieurs d'entre elles. La société en tant que communauté ne tire jamais son amusement que des infirmités d'un ou de quelques individus pris au milieu d'elle, on peut l'observer durant toute une vie et les victimes sont exploitées jusqu'à ce qu'elles aient touché le fond de la ruine.
    (L'origine, trad. Albert Kohn, p.148, Folio n°2832)
     
  26. [...] la morale est un mensonge.
    (L'origine, trad. Albert Kohn, p.149, Folio n°2832)
     
  27. Il est possible que l'on soit sauvé par le simple fait de comprendre clairement un moment décisif et de faire une analyse de tout ce qu'implique ce moment.
    (Oui, trad. Jean-Claude Hémery, p.25, Folio n°2932)
     
  28. Une chose en tout cas est certaine : l'étranger, débarquant dans une région qui lui est totalement inconnue et au milieu d'êtres totalement nouveaux pour lui, les perçoit toujours comme beaucoup plus froids et plus horribles qu'ils ne sont en réalité.
    (Oui, trad. Jean-Claude Hémery, p.67, Folio n°2932)
     
  29. Un être qui perçoit tout et qui voit tout et qui observe tout, et cela sans interruption, n'est pas aimé, il est plutôt craint [...]
    (Oui, trad. Jean-Claude Hémery, p.69, Folio n°2932)
     
  30. Nous dialoguions en silence et notre dialogue était un des plus stimulants qu'on puisse imaginer, des mots prononcés et mis bout à bout pour l'oreille n'auraient pas pu produire le même effet que ce mutisme.
    (Oui, trad. Jean-Claude Hémery, p.72, Folio n°2932)
     
  31. Tout, chez tout le monde, n'est que divertissement, dérivatif à la mort.
    (Oui, trad. Jean-Claude Hémery, p.93, Folio n°2932)
     
  32. [...] les pensées absurdes sont souvent justement les pensées les plus claires, et les plus absurdes les plus importantes de toutes.
    (Oui, trad. Jean-Claude Hémery, p.138, Folio n°2932)
     
  33. [...] la philosophie est musique, la musique est philosophie [...]
    (Oui, trad. Jean-Claude Hémery, p.155, Folio n°2932)
     
  34. Incroyable, la rapidité avec laquelle la meilleure relation, quand on lui demande plus qu'elle ne peut donner, se détériore et finit par se consumer entièrement.
    (Oui, trad. Jean-Claude Hémery, p.157, Folio n°2932)
     
  35. Nous avons besoin d'auditeurs et d'un porte-parole [...]. Toute notre vie, nous souhaitons le porte-parole idéal et nous ne le trouvons pas, car le porte-parole idéal n'existe pas.
    (Maîtres anciens, trad. Gilberte Lambrichs, p.29, Folio n°2276)
     
  36. Les historiens d'art sont les véritables destructeurs de l'art [...]. Les historiens d'art bavardent sur l'art jusqu'à ce qu'ils l'aient tué de leur bavardage.
    (Maîtres anciens, trad. Gilberte Lambrichs, p.30, Folio n°2276)
     
  37. [...] je n'ai jamais lu un livre jusqu'au bout, ma façon de lire est celle d'un feuilleteur supérieurement doué, c'est-à-dire d'un homme qui préfère feuilleter plutôt que lire, qui feuillette donc des douzaines, parfois même des centaines de pages avant d'en lire une seule ; mais quand cet homme lit une page, alors il la lit plus à fond qu'aucun autre et avec la plus grande passion de lire qu'on puisse imaginer.
    (Maîtres anciens, trad. Gilberte Lambrichs, p.34, Folio n°2276)
     
  38. Celui qui lit tout n'a rien compris [...].
    (Maîtres anciens, trad. Gilberte Lambrichs, p.35, Folio n°2276)
     
  39. Ce sont d'ailleurs les fragments qui nous donnent le plus grand plaisir, tout comme la vie nous donne le plus grand plaisir quand nous la regardons en tant que fragment, et combien le tout nous paraît horrifiant et nous paraît, au fond, la perfection achevée. C'est seulement si nous avons la chance, lorsque nous en abordons la lecture, de transformer quelque chose d'entier, de fini, oui, d'achevé en un fragment, que nous en retirons une grande et parfois la plus grande jouissance.
    (Maîtres anciens, trad. Gilberte Lambrichs, p.36, Folio n°2276)
     
  40. C'est seulement lorsque nous nous sommes rendus compte, à chaque fois, que le tout et la perfection n'existent pas, que nous avons la possibilité de continuer à vivre.
    (Maîtres anciens, trad. Gilberte Lambrichs, p.37, Folio n°2276)
     
  41. En vérité nous n'aimons que les livres qui ne forment pas un tout, qui sont chaotiques, qui sont impuissants. C'est la même chose pour tout, [...] de même nous ne nous attachons tout particulièrement à un être que parce qu'il est impuissant et incomplet, parce qu'il est chaotique et imparfait.
    (Maîtres anciens, trad. Gilberte Lambrichs, p.38, Folio n°2276)
     
  42. Une tête bien faite est une tête qui cherche les défauts humains et une tête exceptionnelle est une tête qui découvre ces défauts humains et une tête géniale est une tête qui, après les avoir trouvés, attire l'attention sur ces défauts découverts et, avec tous les moyens dont elle dispose, désigne ces défauts.
    (Maîtres anciens, trad. Gilberte Lambrichs, p.39, Folio n°2276)
     
  43. Les professeurs abîment les élèves, voilà la vérité, depuis des siècles c'est un fait, [...]
    (Maîtres anciens, trad. Gilberte Lambrichs, p.43, Folio n°2276)
     
  44. Il n'y a pas de goût artistique plus médiocre que celui des professeurs. Dès l'école primaire, les professeurs gâtent le goût artistique des élèves, dès le début ils font passer le goût de l'art à leurs élèves au lieu de les éclairer sur l'art et en particulier la musique, et d'en faire le plaisir de leur existence.
    (Maîtres anciens, trad. Gilberte Lambrichs, p.44, Folio n°2276)
     
  45. [...] les professeurs ont toujours été, dans l'ensemble, les empêcheurs de vivre et d'exister, au lieu d'apprendre la vie aux jeunes gens, de leur déchiffrer la vie, de faire en sorte que la vie soit pour eux une richesse en vérité inépuisable de leur propre nature, ils la leur tuent, ils font tout pour la tuer en eux. La plupart de nos professeurs sont des créatures minables, qui semblent s'être donné pour tâche de barricader la vie de leurs élèves et de la transformer, finalement et définitivement, en une épouvantable déprime.
    (Maîtres anciens, trad. Gilberte Lambrichs, p.45, Folio n°2276)
     
  46. À moi aussi, mes professeurs n'ont rien donné d'autre que leur incapacité, me dis-je. À moi aussi ils n'ont rien enseigné d'autre que le chaos. En moi aussi ils ont détruit pour des dizaines d'années avec la plus grande brutalité tout ce qu'il y avait originellement en moi pour me développer, avec toutes les possibilités de mon intelligence, dans un univers qui était le mien.
    (Maîtres anciens, trad. Gilberte Lambrichs, p.46, Folio n°2276)
     
  47. L'humanité est un gigantesque État qui, soyons sincères, à chaque réveil nous donne la nausée.
    (Maîtres anciens, trad. Gilberte Lambrichs, p.51, Folio n°2276)
     
  48. [...] ce terrible Dürer, précurseur et prédécesseur du nazisme, qui a mis la nature sur la toile et l'a tuée [...]
    (Maîtres anciens, trad. Gilberte Lambrichs, p.52, Folio n°2276)
     
  49. Au fond, pourquoi les peintres peignent-ils, alors qu'il y a tout de même la nature ?
    (Maîtres anciens, trad. Gilberte Lambrichs, p.53, Folio n°2276)
     
  50. L'oeuvre d'art la plus grande et la plus remarquable finit tout de même par nous peser dans la tête comme un morceau de mensonge et de vulgarité, comme un morceau beaucoup trop gros de viande dans l'estomac.
    (Maîtres anciens, trad. Gilberte Lambrichs, p.57, Folio n°2276)
     
  51. Ne regardez pas longtemps un tableau, ne lisez pas un livre avec trop d'attention, n'écoutez pas un morceau de musique avec la plus grande intensité, vous vous abîmerez tout et, dès lors, ce qu'il y a de plus beau et de plus utile au monde.
    (Maîtres anciens, trad. Gilberte Lambrichs, p.58, Folio n°2276)
     
  52. Ceux qu'on appelle les grands, nous les décomposons, nous les désagrégeons, à la longue, nous les supprimons [...]
    (Maîtres anciens, trad. Gilberte Lambrichs, p.68, Folio n°2276)
     
  53. La sentimentalité en général, c'est cela qui est épouvantable, est aujourd'hui la grande mode [...]
    (Maîtres anciens, trad. Gilberte Lambrichs, p.70, Folio n°2276)
     
  54. Au bout du compte, toute chose finit dans le ridicule, ou du moins dans le pitoyable, si grande et importante qu'elle puisse être [...].
    (Maîtres anciens, trad. Gilberte Lambrichs, p.72, Folio n°2276)
     
  55. [Heidegger] était un homme tout à fait dépourvu d'esprit, dénué de toute imagination, dénué de toute sensibilité, un ruminant philosophique foncièrement allemand, une vache philosophique continuellement pleine [...] qui paissait sur la philosophie allemande et qui, pendant des décennies, a lâché sur elle ses bouses coquettes dans la Forêt-Noire.
    (Maîtres anciens, trad. Gilberte Lambrichs, p.73, Folio n°2276)
     
  56. Heidegger était un camelot philosophique, qui n'a apporté sur le marché que des articles volés, tout, chez Heidegger, est de seconde main, il était et il est le prototype du penseur à la traîne à qui tout, mais alors vraiment tout a manqué pour penser par lui-même.
    (Maîtres anciens, trad. Gilberte Lambrichs, p.74, Folio n°2276)
     
  57. Sans doute l'enfance est-elle toujours un enfer, l'enfance est l'enfer même [...] peu importe quelle enfance, elle est l'enfer.
    (Maîtres anciens, trad. Gilberte Lambrichs, p.87, Folio n°2276)
     
  58. Les gens falsifient tout, ils falsifient jusqu'à l'enfance qu'ils ont eue.
    (Maîtres anciens, trad. Gilberte Lambrichs, p.87, Folio n°2276)
     
  59. L'homme pensant est par nature un homme malheureux [...]. Mais même cet homme malheureux peut être heureux [...] sans cesse à nouveau, au sens le plus vrai de ce terme et de cette notion, pour passer le temps.
    (Maîtres anciens, trad. Gilberte Lambrichs, p.89, Folio n°2276)
     
  60. L'enfance est le trou noir où l'on a été précipité par ses parents et d'où l'on doit sortir sans aucune aide. Mais la plupart des gens n'arrivent pas à sortir de ce trou qu'est l'enfance, toute leur vie ils sont dans ce trou et n'en sortent pas et sont amers.
    (Maîtres anciens, trad. Gilberte Lambrichs, p.89, Folio n°2276)
     
  61. Faire un enfant et donner la vie, comme on dit si hypocritement, ce n'est tout de même rien d'autre que mettre au monde et mettre dans le monde un malheur accablant, et alors tous les gens sont, à chaque fois, effrayés par cet accablant malheur. D'ailleurs la nature a toujours transformé les parents en imbéciles [...] et fait faire à ces imbéciles des enfants malheureux dans de noirs trous d'enfance.
    (Maîtres anciens, trad. Gilberte Lambrichs, p.91, Folio n°2276)
     
  62. Un grand tableau important [...], nous ne le supportons que lorsque nous l'avons transformé en caricature, un grand homme, une soi-disant personnalité importante, nous ne tolérons pas l'un en tant que grand homme, l'autre en tant que personnalité importante [...], nous devons les caricaturer.
    (Maîtres anciens, trad. Gilberte Lambrichs, p.96, Folio n°2276)
     
  63. Nous ne maîtrisons que ce que nous trouvons finalement ridicule, c'est seulement lorsque nous trouvons le monde et la vie qu'on y mène ridicules que nous avançons, il n'y a pas d'autre, pas de meilleure méthode.
    (Maîtres anciens, trad. Gilberte Lambrichs, p.100, Folio n°2276)
     
  64. La véritable intelligence ne connaît pas l'admiration, elle prend connaissance, elle respecte, elle estime, c'est tout.
    (Maîtres anciens, trad. Gilberte Lambrichs, p.100, Folio n°2276)
     
  65. L'admiration rend aveugle [...], elle rend l'admirateur stupide.
    (Maîtres anciens, trad. Gilberte Lambrichs, p.157, Folio n°2276)
     
  66. Il n'y a rien à admirer [...], rien, rien du tout. Parce que le respect et l'estime sont trop difficiles pour les gens, ils admirent, cela leur coûte moins cher [...]. L'admiration est plus facile que le respect, que l'estime, l'admiration est le propre de l'imbécile [...]. Seul l'imbécile admire, l'intelligent n'admire pas, il respecte, estime, comprend, voilà.
    (Maîtres anciens, trad. Gilberte Lambrichs, p.101, Folio n°2276)
     
  67. [...] personne n'écrit un écrit pour soi-même, c'est un mensonge si quelqu'un dit qu'il n'écrit ses écrits que pour lui-même, mais vous savez aussi bien que moi que personne n'est plus menteur que les gens qui écrivent, le monde, depuis qu'il existe, ne connaît pas plus menteur que celui qui écrit, pas de plus vaniteux et pas de plus menteur [...]
    (Maîtres anciens, trad. Gilberte Lambrichs, p.146, Folio n°2276)
     
  68. L'humanité aurait étouffé depuis longtemps si elle avait tu les absurdités pensées au cours de son histoire, tout individu qui se tait trop longtemps étouffe, l'humanité, elle aussi, ne peut pas se taire trop longtemps, car alors elle étouffe, même si ce ne sont jamais que des absurdités que pense l'individu, que pense l'humanité et que l'individu ait jamais pensées et que l'humanité ait jamais pensées.
    (Maîtres anciens, trad. Gilberte Lambrichs, p.152, Folio n°2276)
     
  69. Faire des cadeaux est une habitude épouvantable, naturellement contractée par mauvaise conscience et, très souvent aussi, par la peur commune de la solitude [...]
    (Maîtres anciens, trad. Gilberte Lambrichs, p.163, Folio n°2276)
     
  70. Tout ce que nous étudions de près finalement nous déçoit.
    (Maîtres anciens, trad. Gilberte Lambrichs, p.184, Folio n°2276)
     
  71. Celui qui a volé vingt schillings est poursuivi par la justice et incarcéré, celui qui a détourné des millions et des milliards, et qui a rang de ministre, dans le meilleur des cas est chassé moyennant une retraite colossale et oublié tout aussitôt [...].
    (Maîtres anciens, trad. Gilberte Lambrichs, p.192, Folio n°2276)
     
  72. Et il est pourtant clair que la littérature sans la philosophie et inversement, et la philosophie sans la musique et la littérature sans la musique et inversement ne sont pas concevables [...].
    (Maîtres anciens, trad. Gilberte Lambrichs, p.209, Folio n°2276)
     
  73. [...] écouter de la musique est devenu , par la technique, une banalité quotidienne.
    (Maîtres anciens, trad. Gilberte Lambrichs, p.226, Folio n°2276)
     
  74. Toute notre vie nous nous reposons sur les grands esprits, sur les soi-disant maîtres anciens [...], et alors nous sommes mortellement déçus par eux, parce qu'ils ne remplissent pas leur office au moment décisif. Nous thésaurisons les grands esprits et les maîtres anciens et nous croyons qu'ensuite, au moment décisif pour la survie, nous pouvons les utiliser à nos fins, ce qui ne signifie d'ailleurs rien d'autre qu'en abuser à nos fins, ce qui se révèle une funeste erreur.
    (Maîtres anciens, trad. Gilberte Lambrichs, p.234, Folio n°2276)
     
  75. Lorsque vous avez perdu l'être qui vous était le plus proche, tout vous paraît vide, vous pouvez regardez où vous voulez, tout est vide, et vous regardez et regardez et vous voyez que tout est vraiment vide, et cela pour toujours [...].
    (Maîtres anciens, trad. Gilberte Lambrichs, p.235, Folio n°2276)
     
  76. Les soi-disant classes inférieures sont, c'est tout de même vrai, tout aussi ignobles et abjectes et tout aussi hypocrites que les supérieures.
    (Maîtres anciens, trad. Gilberte Lambrichs, p.243, Folio n°2276)
     
  77. L'art dans son ensemble n'est d'ailleurs rien d'autre qu'un art de survie, nous ne devons pas négliger ce fait, à tout prendre il est tout de même la tentative sans cesse renouvelée, d'une manière qui touche même l'intelligence, de nous débrouiller dans ce monde de désagréments, ce qui, nous le savons, n'est possible en fait que par l'usage sans cesse renouvelé du mensonge et de l'hypocrisie, de la fausseté et de l'illusion volontaire [...]
    (Maîtres anciens, trad. Gilberte Lambrichs, p.247, Folio n°2276)
     
  78. Que ne pensons-nous pas et que ne disons-nous pas, et nous croyons être compétents et ne le sommes tout de même pas, c'est là la comédie, et quand nous demandons, comment cela va-t-il continuer, c'est la tragédie [...].
    (Maîtres anciens, trad. Gilberte Lambrichs, p.252, Folio n°2276)
     
  79. [...] celui qui étudie fait toujours bien de choisir un lieu d'étude où l'on est mal disposé envers lui plutôt qu'un lieu d'étude où l'on est bien disposé envers lui, car le lieu où l'on est bien disposé envers lui lui retire la plus grande partie de la concentration nécessaire à l'étude tandis que le lieu où l'on est mal disposé envers lui, lui permet de s'adonner à cent pour cent à l'étude, parce qu'il doit alors se concentrer sur l'étude pour ne pas désespérer [...]
    (Le naufragé, trad. Bernard Kreiss, p.18, Folio n°2445)
     
  80. Toutes les écoles supérieures sont mauvaises et celle que nous fréquentons est toujours la plus mauvaise si elle ne nous ouvre pas les yeux.
    (Le naufragé, trad. Bernard Kreiss, p.25, Folio n°2445)
     
  81. [...] il tentait d'échapper au désespoir par le mensonge.
    (Le naufragé, trad. Bernard Kreiss, p.34, Folio n°2445)
     
  82. Quand nous regardons les gens, nous ne voyons que des mutilés, [...] mutilés extérieurement ou intérieurement, ou intérieurement et extérieurement, rien d'autre [...]
    (Le naufragé, trad. Bernard Kreiss, p.40, Folio n°2445)
     
  83. Beaucoup se suicident dans leur cinquante et unième année [...]. Car cinquante ans, c'est amplement suffisant [...].
    (Le naufragé, trad. Bernard Kreiss, p.43, Folio n°2445)
     
  84. Que veut dire exister sinon ceci : nous désespérons [...].
    (Le naufragé, trad. Bernard Kreiss, p.57, Folio n°2445)
     
  85. Nous sommes si orgueilleux que nous croyons qu'il importe d'étudier la musique alors que nous ne sommes même pas capables de vivre, même pas en mesure d'exister, car le fait est que nous n'existons pas, le fait est que ça nous existe !
    (Le naufragé, trad. Bernard Kreiss, p.57, Folio n°2445)
     
  86. [...] celui qui se suicide ne se suicide jamais au moment le plus opportun [...]
    (Le naufragé, trad. Bernard Kreiss, p.61, Folio n°2445)
     
  87. La plus grande erreur est de penser que les prétendus gens simples sont en mesure de sauver quelqu'un. Au comble de la détresse, on va les voir et on les prie formellement de vous sauver et ils vous enfoncent encore davantage dans le désespoir.
    (Le naufragé, trad. Bernard Kreiss, p.64, Folio n°2445)
     
  88. L'homme c'est le malheur [...] il n'y a que les sots pour prétendre le contraire. C'est un malheur que de naître [...] et aussi longtemps que nous vivons, nous ne faisons que prolonger ce malheur, seule la mort y met un terme.
    (Le naufragé, trad. Bernard Kreiss, p.75, Folio n°2445)
     
  89. Seul l'imbécile admire [...]..
    (Le naufragé, trad. Bernard Kreiss, p.78, Folio n°2445)
     
  90. Nos bibliothèques sont en quelque sorte des pénitenciers où nous avons enfermé nos grands esprits, Kant naturellement dans une cellule individuelle, de même que Nietzsche, de même que Schopenhauer, Pascal, Voltaire, Montaigne, tous les très grands dans des cellules individuelles, les autres dans des cellules collectives, mais tous pour toujours et à jamais, mon cher, pour l'éternité et jusqu'à l'infini, voilà la vérité.
    (Le naufragé, trad. Bernard Kreiss, p.78, Folio n°2445)
     
  91. [...] toute notre vie n'est qu'une unique aberration.
    (Le naufragé, trad. Bernard Kreiss, p.79, Folio n°2445)
     
  92. Pour le dire clairement, tout n'est que malentendu dès notre naissance et, aussi longtemps que nous existons, nous n'arrivons pas à nous dépêtrer de ces malentendus, nous avons beau nous démener, ça ne sert à rien.
    (Le naufragé, trad. Bernard Kreiss, p.80, Folio n°2445)
     
  93. Celui qui ne sait pas rire ne doit pas être pris au sérieux [...]
    (Le naufragé, trad. Bernard Kreiss, p.93, Folio n°2445)
     
  94. Les gens des couches inférieures sont des dangers publics au même titre que ceux des couches supérieures [...], ils sont capables des mêmes atrocités et sont donc à rejeter en bloc, comme les autres, ils sont différents mais ils sont tout aussi atroces [...].
    (Le naufragé, trad. Bernard Kreiss, p.102, Folio n°2445)
     
  95. Ceux qui étudient dans un institut accordent toujours moins de valeur qu'il n'en a à leur propre institut et lorgnent en direction de l'institut concurrent.
    (Le naufragé, trad. Bernard Kreiss, p.103, Folio n°2445)
     
  96. Il est toujours juste de dire que tel ou tel homme est un homme malheureux [...] tandis qu'il n'est jamais juste de dire que tel ou tel homme est un homme heureux [...]
    (Le naufragé, trad. Bernard Kreiss, p.115, Folio n°2445)
     
  97. [...] il faut être dément pour se suicider.
    (Le naufragé, trad. Bernard Kreiss, p.140, Folio n°2445)
     
  98. Quand nous savons ce qui nous attend [...] nous le supportons plus facilement.
    (Le naufragé, trad. Bernard Kreiss, p.141, Folio n°2445)
     
  99. [Le] catholicisme ou le parti socialiste, les deux institutions les plus répugnantes de notre temps.
    (Le naufragé, trad. Bernard Kreiss, p.147, Folio n°2445)
     
  100. Théoriquement, nous comprenons les gens, mais pratiquement nous ne les supportons pas, pensai-je, nous ne les fréquentons qu'à contrecoeur et les traitons toujours en fonction de notre propre point de vue. Or nous ne devrions pas considérer et traiter les gens en fonction de notre point de vue mais de tous les points de vue possibles, pensai-je, commercer avec eux de manière à pouvoir dire que nous avons commercé avec eux de manière pour ainsi dire totalement dépourvue de prévention, mais cela ne marche pas parce que nous sommes effectivement toujours prévenus contre tout et chacun.
    (Le naufragé, trad. Bernard Kreiss, p.148, Folio n°2445)
     
  101. [...] peu de choses dans ma vie m'ont effectivement passionné davantage que l'aspect pénal de notre monde. Si nous considérons cet aspect pénal de notre monde, c'est-à-dire de notre société, nous avons, comme on dit, de quoi nous étonner chaque jour.
    (Le naufragé, trad. Bernard Kreiss, p.154, Folio n°2445)
     
  102. Quand bien même ils n'ont plus besoin de rien, les vieux sont avares, plus ils deviennent vieux, plus ils deviennent avares [...]
    (Le naufragé, trad. Bernard Kreiss, p.156, Folio n°2445)
     
  103. Nous décrivons et nous jugeons les gens, et c'est toujours entièrement faux, nous nous montrons injustes dans nos jugements et nous les décrivons comme des gens vils, me dis-je, et cela dans tous les cas, quelle que soit la manière dont nous les décrivons, quelle que soit la manière dont nous les jugeons.
    (Le naufragé, trad. Bernard Kreiss, p.166, Folio n°2445)
     
  104. Car les gens qui travaillent à des productions de l'esprit disent très souvent qu'ils n'y attachent aucune importance et y attachent au contraire beaucoup d'importance, sauf qu'ils n'en conviennent pas parce qu'une telle prétention comme ils l'appellent, leur ferait honte, ils dévalorisent leur travail pour éviter du moins d'avoir à se faire honte publiquement [...]
    (Le naufragé, trad. Bernard Kreiss, p.169, Folio n°2445)
     
  105. Nous disons un mot et nous anéantissons un homme, sans que cet homme anéanti par nous s'aperçoive, au moment où nous l'anéantissons d'un mot, qu'il a reçu un coup fatal, pensai-je.
    (Le naufragé, trad. Bernard Kreiss, p.170, Folio n°2445)
     
  106. Se faire comprendre est impossible.
    (Perturbation, trad. Bernard Kreiss, p.34, L'Imaginaire-Gallimard)
     
  107. Il était frappant de constater que les riches, précisément, sont les plus enclins à se suicider, sans doute parce qu'ils sont les premiers à tomber sous le coup de l'ennui, le plus effroyable des maux qui sévissent en ce monde.
    (Perturbation, trad. Bernard Kreiss, p.48, L'Imaginaire-Gallimard)
     
  108. Se rendre maître de soi-même, c'était connaître le plaisir de faire de soi un mécanisme obéissant aux ordres du cerveau.
    Seule cette maîtrise de soi permettait à l'homme d'être heureux et de reconnaître sa propre nature. Mais peu nombreux étaient ceux qui reconnaissaient jamais leur propre nature. Se laisser envahir par la pénombre des sentiments, ne rien faire contre l'assombrissement normal et ininterrompu de son affectivité, voilà ce qui plongeait l'homme dans le désespoir. Là où régnait la raison, dis-je, le désespoir était impossible.

    (Perturbation, trad. Bernard Kreiss, p.49, L'Imaginaire-Gallimard)
     
  109. Rien n'était plus irritant que les livres lorsqu'on voulait être seul avec soi-même, lorsqu'on devait être seul avec soi-même.
    (Perturbation, trad. Bernard Kreiss, p.53, L'Imaginaire-Gallimard)
     
  110. " Aujourd'hui encore, dit mon père, la plupart des médecins refusent de rechercher les causes et s'identifient entièrement aux schémas de traitement les plus primaires. " " Hypocrites pourvoyeurs de médicaments ", ils se dérobaient à leur tâche, à l'étude de l'âme des personnes qui, dans leur désarroi et suivant une tradition funeste, se remettaient entièrement entre leurs mains. Les médecins, dit mon père, étaient " paresseux et lâches ", se livrer à eux revenait à se livrer au hasard et à la totale insensibilité d'une pseudo-science. La plupart des médecins d'aujourd'hui étaient " des ouvriers non qualifiés en médecine " les " faiseurs de secrets par excellence ". Rien ne l'inquiétait plus, lui, mon père, que la société de ses confrères. " Rien n'est plus inquiétant que la médecine ", dit-il.
    (Perturbation, trad. Bernard Kreiss, p.63, L'Imaginaire-Gallimard)
     
  111. Le monde est essentiellement surréel.
    (Perturbation, trad. Bernard Kreiss, p.64, L'Imaginaire-Gallimard)
     
  112. [...] l'art que l'on expose est annihilé du seul fait qu'il est exposé [...]
    (Perturbation, trad. Bernard Kreiss, p.65, L'Imaginaire-Gallimard)
     
  113. Le beau c'est l'imprévu.
    (Perturbation, trad. Bernard Kreiss, p.82, L'Imaginaire-Gallimard)
     
  114. Les plus grands crimes, dit le prince, sont ceux qui sont commis par les supérieurs contre les inférieurs en paroles, les crimes commis en pensée et en paroles, etc., voilà ce que je pense.
    (Perturbation, trad. Bernard Kreiss, p.95, L'Imaginaire-Gallimard)
     
  115. Je suis d'ailleurs frappé par l'empressement avec lequel les gens réagissent à certains mots précis, à des mots émotionnels auxquels ils associent aussitôt une histoire malheureuse qu'ils ont vécu un jour et qui, ce jour-là, les a profondément impressionnés.
    (Perturbation, trad. Bernard Kreiss, p.99, L'Imaginaire-Gallimard)
     
  116. Chaque homme a des mots qu'on doit éviter de lui dire tout haut.
    (Perturbation, trad. Bernard Kreiss, p.100, L'Imaginaire-Gallimard)
     
  117. [...] la voilà, la magie idéale : pouvoir supporter tout à coup d'être ensemble...
    (Perturbation, trad. Bernard Kreiss, p.129, L'Imaginaire-Gallimard)
     
  118. [...] tout ce qui est éclairé doit encore être expliqué [...]
    (Perturbation, trad. Bernard Kreiss, p.131, L'Imaginaire-Gallimard)
     
  119. [...] je suis en vérité rendu là où l'absence de limites est devenue une certitude, au degré de perturbation latente du grand âge, dans la solitude de plus en plus philosophique et philosophante au sein de laquelle on est toujours conscient de tout, en vertu de quoi le cerveau, en somme, n'existe même plus en tant que tel... La vérité est que je crois toujours davantage que je suis tout parce que, en réalité, je ne suis plus rien [...]
    (Perturbation, trad. Bernard Kreiss, p.134, L'Imaginaire-Gallimard)
     
  120. [...] comme il est facile [...] de détruire d'un seul coup et à jamais un travail de la pensée, uniquement pour ne pas avoir eu le courage de l'interrompre au moment décisif à l'endroit décisif, pour ne pas avoir obéi à la nature.
    (Perturbation, trad. Bernard Kreiss, p.153, L'Imaginaire-Gallimard)
     
  121. Où que nous portions le regard, nous voyons des gens qui n'ont pas assez de tout leur temps pour apprendre à parler et apprendre à marcher, apprendre à penser et apprendre à réciter par coeur, apprendre à tromper, apprendre à mourir, apprendre à être mort. Les hommes ne sont que des comédiens qui nous jouent quelque chose de connu.
    (Perturbation, trad. Bernard Kreiss, p.155, L'Imaginaire-Gallimard)
     
  122. Quand nous regardons les hommes, nous les voyons tantôt dans leur détresse, tantôt à la recherche de leur détresse. Il n'y a pas d'homme sans la détresse humaine.
    (Perturbation, trad. Bernard Kreiss, p.156, L'Imaginaire-Gallimard)
     
  123. L'art de la conversation est un art de la diffamation, l'art de la conversation avec soi-même est l'art de la diffamation le plus atroce qui soit.
    (Perturbation, trad. Bernard Kreiss, p.157, L'Imaginaire-Gallimard)
     
  124. [...] les hommes [...] n'ont développé au cours des millénaires que ces deux instincts, l'instinct d'acquisition et l'instinct de consommation.
    (Perturbation, trad. Bernard Kreiss, p.158, L'Imaginaire-Gallimard)
     
  125. Les citations me tapent sur les nerfs. Mais nous sommes enfermés dans un monde qui cite en permanence tout ce qu'il est possible de citer, dans une citation permanente qui est le monde même.
    (Perturbation, trad. Bernard Kreiss, p.159, L'Imaginaire-Gallimard)
     
  126. Chacun de nous passe de longues périodes au cours desquelles il n'existe absolument pas mais se borne à feindre d'exister.
    (Perturbation, trad. Bernard Kreiss, p.161, L'Imaginaire-Gallimard)
     
  127. Mais l'ordre est là où est le désordre.
    (Perturbation, trad. Bernard Kreiss, p.162, L'Imaginaire-Gallimard)
     
  128. Ce qui est poétique m'est suspect parce que cela éveille dans le monde l'impression que le poétique est la poésie et, inversement, que la poésie est poétique. La seule poésie, dis-je, est la nature, la seule nature est la poésie.
    (Perturbation, trad. Bernard Kreiss, p.164, L'Imaginaire-Gallimard)
     
  129. Il y a des hommes, dit-il, qui meurent avec la plus grande résolution et sont résolument morts une bonne fois pour toutes, c'est ainsi que j'aimerais mourir moi-même, mais la plupart des hommes meurent vaguement, vaguement pour la vue, vaguement pour l'esprit, ne sont jamais morts pour de bon. Quel que soit le motif de notre amusement, c'est toujours seulement la mort qui nous occupe, dit-il.
    (Perturbation, trad. Bernard Kreiss, p.169, L'Imaginaire-Gallimard)
     
  130. À chaque livre, nous découvrons avec horreur un homme imprimé à mort par les imprimeurs, édité à mort par les éditeurs, lu à mort par les lecteurs.
    (Perturbation, trad. Bernard Kreiss, p.171, L'Imaginaire-Gallimard)
     
  131. L'amour est une absurdité qui n'est nullement inscrite dans la nature.
    (Perturbation, trad. Bernard Kreiss, p.172, L'Imaginaire-Gallimard)
     
  132. La solitude de l'homme est le chemin de la dégoûtation. L'âge est une grande dégoûtation. La jeunesse est un écoeurement mais la vieillesse est dégoûtante. Mes proches vont ça et là comme des morts, parfois l'envie me prend de les interpeller, de leur crier en pleine figure de cesser d'être continuellement morts.
    (Perturbation, trad. Bernard Kreiss, p.172, L'Imaginaire-Gallimard)
     
  133. Des machines à calculer, les hommes ne sont rien d'autre. Nous recalculons, nous ne faisons qu'établir des comparaisons numériques. Nous naissons dans un système numérique et, un jour, nous en sommes rejetés, propulsés dans l'univers, dans le néant. Parlons-nous un moment avec un homme [...] nous voilà effrayés de constater que nous parlons avec une machine à calculer. Le monde ne sera bientôt plus qu'un unique ordinateur. Il ne nous sert à rien de ne pas y prendre part, nous sommes toujours enfermés dans tout et ne pouvons plus en sortir.
    (Perturbation, trad. Bernard Kreiss, p.182, L'Imaginaire-Gallimard)
     
  134. Il n'y a, vous le savez, d'autre force que celle de l'imagination. Tout est imaginé. Mais imaginer est astreignant, mortellement astreignant.
    (Perturbation, trad. Bernard Kreiss, p.184, L'Imaginaire-Gallimard)
     
  135. Le monde est davantage usé par nous, davantage le monde par nous que nous par le monde.
    (Perturbation, trad. Bernard Kreiss, p.187, L'Imaginaire-Gallimard)
     
  136. Ce qui nous fait vivre, c'est l'hypothèse selon laquelle les problèmes, insurmontables de nuit, sont surmontables de jour. Et c'est pour cette raison que nous pouvons philosopher. Quand nous commençons à penser à notre manière de marcher, [...] il ne nous est bientôt plus possible de marcher, quand nous commençons à penser à notre manière de philosopher, il ne nous est bientôt plus possible de philosopher. Et quand nous commençons à penser à notre manière d'être, nous nous désagrégeons dans les plus brefs délais.
    (Perturbation, trad. Bernard Kreiss, p.189, L'Imaginaire-Gallimard)
     
  137. À celui qui écoute, [...] on dit toujours ce qu'il sait mais ne comprend pas.
    (Perturbation, trad. Bernard Kreiss, p.193, L'Imaginaire-Gallimard)
     
  138. L'homme cultivé croit toujours qu'il se doit de protéger la nature alors qu'en fait, il est totalement dominé par cette dernière.
    (Perturbation, trad. Bernard Kreiss, p.198, L'Imaginaire-Gallimard)
     
  139. L'enfance est vite usée, vieillir c'est se rappeler son enfance.
    (Perturbation, trad. Bernard Kreiss, p.210, L'Imaginaire-Gallimard)
     
  140. Les maladies sont le plus court chemin de l'homme pour arriver à soi.
    (Perturbation, trad. Bernard Kreiss, p.212, L'Imaginaire-Gallimard)
     
  141. Toujours vouloir tout changer, c'est un besoin insatiable, un plaisir infâme, et cela mène aux plus pénibles déchirements.
    (Perturbation, trad. Bernard Kreiss, p.213, L'Imaginaire-Gallimard)
     
  142. Nous apprenons beaucoup quand nous observons par-derrière, des gens qui ne savent pas que nous les observons, par-derrière, et que nous les observons par-derrière aussi longtemps que possible, et auxquels, tout à notre observation indélicate et infâme, nous n'adressons pas la parole aussi longtemps que possible [...]. Ce mode d'observation est applicable aussi bien aux gens que nous aimons qu'à ceux que nous haïssons [...]
    (Des arbres à abattre, trad. Bernard Kreiss, p.24, Folio n° 3028)
     
  143. Certaines personnes nous sont tellement proches que nous croyons que c'est un lien pour la vie, mais elles disparaissent tout à coup, d'un jour à l'autre, de notre vue et de notre mémoire, voilà la vérité [....]
    (Des arbres à abattre, trad. Bernard Kreiss, p.56, Folio n° 3028)
     
  144. Si déjà nous ne pouvons être et devenir nous-même ce que nous voulons être et devenir, [...] nous faisons d'un autre, de préférence de celui qui nous est le plus proche, ce que nous n'avons pas pu faire de nous-même [...]
    (Des arbres à abattre, trad. Bernard Kreiss, p.102, Folio n° 3028)
     
  145. Pour pouvoir survivre, il nous faut toujours penser sérieusement des pensées qui ne sont jamais prises au sérieux, pensé-je.
    (Des arbres à abattre, trad. Bernard Kreiss, p.103, Folio n° 3028)
     
  146. [Commentaire sur le fait que Auesberger se fait maintenant appeler Auersberg]
    [...] une telle castration patronymique [...]

    (Des arbres à abattre, trad. Bernard Kreiss, p.109, Folio n° 3028)
     
  147. Un comédien a-t-il du succès dans un rôle, il dit que c'est son rôle préféré, n'a-t-il pas de succès dans son rôle, il ne dit pas que c'est son rôle préféré [...]
    (Des arbres à abattre, trad. Bernard Kreiss, p.130, Folio n° 3028)
     
  148. La plupart des gens ne nous intéressent pas vraiment, ai-je tout le temps pensé, presque tous ceux que nous rencontrons ne nous intéressent pas, ils n'ont rien d'autre à nous offrir que leur misère de masse, leur bêtise de masse, et ils nous ennuient pour cette raison et nous n'avons naturellement strictement rien à voir avec eux.
    (Des arbres à abattre, trad. Bernard Kreiss, p.172, Folio n° 3028)
     
  149. Parler avec les jeunes ne mène à rien, pensai-je, et celui qui soutient le contraire n'est qu'un hypocrite, car le fait est que les jeunes gens ne disent rien aux plus vieux qu'eux ni aux vieux en général, voilà la vérité ; ce que les jeunes disent aux vieux est absolument inintéressant, absolument, pensai-je, et c'est faire preuve de la plus grande hypocrisie que de soutenir le contraire. Il a toujours été moderne de dire que les vieux doivent parler avec les jeunes parce que les jeunes auraient beaucoup de choses à dire aux vieux, mais ce n'est pas du tout le cas : les jeunes n'ont absolument rien à dire aux vieux. Bien entendu, les vieux auraient quelque chose à dire aux jeunes, mais le fait est que les jeunes ne comprennent pas ce que les vieux leur disent, parce qu'ils ne peuvent pas du tout le comprendre et donc aussi parce qu'ils ne veulent pas du tout le comprendre.
    (Des arbres à abattre, trad. Bernard Kreiss, p.194, Folio n° 3028)
     
  150. Entrer dans la nature et inspirer et expirer dans cette nature, et être effectivement et pour toujours chez soi uniquement dans cette nature, c'était cela, il le sentait, le bonheur suprême. Aller dans la forêt, dans la forêt profonde [...] se confier entièrement à la forêt, tout est là, dans cette pensée : n'être soi-même rien d'autre que la nature en personne. Forêt, forêt de haute futaie, des arbres à abattre, tout est là, [...]
    (Des arbres à abattre, trad. Bernard Kreiss, p.218, Folio n° 3028)
     
  151. [...] quand il s'agit de se tirer d'une situation critique, nous nous montrons tous aussi menteur que ceux à qui nous reprochons constamment de n'être que des menteurs, tous ces gens que nous traînons dans la boue et que nous méprisons pour cette raison voilà la vérité ; nous ne valons absolument pas mieux que ces gens que nous trouvons constamment insupportables et ignobles, absolument pas mieux que toutes ces personnes abjectes auxquelles nous ne voulons avoir affaire que le moins possible, alors que nous devons admettre, pour être franc, que nous avons constamment affaire à elles et que nous sommes exactement pareil.
    (Des arbres à abattre, trad. Bernard Kreiss, p.228, Folio n° 3028)
     
  152. Tant que, dans les hôpitaux, les médecins s'intéresseront seulement aux corps et pas à l'âme, dont, apparemment, ils ne savent à peu près rien, nous devrons définir les hôpitaux comme des établissements non seulement de droit public, mais aussi d'assassinat public, et les médecins comme des assassins et des agents d'exécution complices.
    (L'imitateur, trad. Jean-Claude Hémery, p.149, Folio bilingue n° 66)
     
  153. [...] Vienne, ville qui peut certainement être qualifiée de plus grand cimetière d'inventions et d'idées, et où mille fois plus de génies ont dépéri et désespéré, avant d'être détruits, qu'il n'en a percé réellement à Vienne [...]
    (L'imitateur, trad. Jean-Claude Hémery, p.181, Folio bilingue n° 66)
     
  154. Les grands-pères sont les maîtres, les véritables philosophes de tout être humain, ils ouvrent toujours en grand le rideau que les autres ferment continuellement. [...] Les grands-pères placent la tête de leur petit-fils là où il y a au moins quelque chose d'intéressant à voir, bien que ce ne soit pas toujours quelque chose d'élémentaire, et, par cette attention continuelle à l'essentiel qui leur est propre, ils nous affranchissent de la médiocrité désespérante dans laquelle, sans les grands-pères, indubitablement nous mourrions bientôt d'asphyxie.
    (Un enfant, trad. Albert Kohn, p.26, Folio n° 2542)
     
  155. Plus les gens deviennent cultivés, plus leur bavardage devient insupportable.
    (Un enfant, trad. Albert Kohn, p.29, Folio n° 2542)
     
  156. [...] le bien le plus précieux de l'homme était de se soustraire au monde par sa libre décision, par le suicide, de se tuer à tout moment qui lui plaît.
    (Un enfant, trad. Albert Kohn, p.31, Folio n° 2542)
     
  157. Et si toute la vie nous recevions sans interruption les réponses à des questions et si nous avions finalement trouvé les réponses de toutes les questions, en fin de compte, nous n'aurions quand même pas beaucoup avancé [...]
    (Un enfant, trad. Albert Kohn, p.68, Folio n° 2542)
     
  158. [En parlant de Shakespeare]
    Inaccessible, rien que des sommets !

    (Un enfant, trad. Albert Kohn, p.108, Folio n° 2542)
     
  159. [...] les écoles sont des usines de sottise et d'esprit perverti [...]
    (Un enfant, trad. Albert Kohn, p.115, Folio n° 2542)
     
  160. [...] les mots les plus lourds ne sont pas toujours ceux qui ont le plus de poids, tout comme les phrases les plus lourdes ne sont pas toujours celles qui ont le plus de poids.
    (Extinction, trad. Gilberte Lambrichs, p.13, Gallimard nrf 1990)
     
  161. [...] la photographie est une falsification sournoise, perverse, toute photographie, peu importe qui photographie, peu importe qui elle représente, est une atteinte absolue à la dignité humaine, une monstrueuse falsification de la nature, une ignoble barbarie.
    (Extinction, trad. Gilberte Lambrichs, p.23, Gallimard nrf 1990)
     
  162. Ce n'est que lorsque nous avons une notion juste de l'art que nous avons aussi une notion juste de la nature [...]
    (Extinction, trad. Gilberte Lambrichs, p.27, Gallimard nrf 1990)
     
  163. L'homme doit laisser entrer l'air frais dans sa tête [...], c'est-à-dire qu'il doit sans cesse, à savoir chaque jour, laisser entrer le monde dans sa tête.
    (Extinction, trad. Gilberte Lambrichs, p.29, Gallimard nrf 1990)
     
  164. Rien que d'entendre : professeur d'université ! j'en ai un haut-le-coeur. Le plus souvent, ce genre de titre est justement la marque d'un imbécile particulièrement hors série. Plus un tel titre paraît impressionnant, plus celui qui le porte est un grand imbécile.
    (Extinction, trad. Gilberte Lambrichs, p.38, Gallimard nrf 1990)
     
  165. Dans une ville qu'on aime on a toujours quelqu'un qu'on aime [...]
    (Extinction, trad. Gilberte Lambrichs, p.39, Gallimard nrf 1990)
     
  166. Car celui qui cesse d'élargir ses connaissances et de fortifier son caractère, c'est-à-dire de travailler sur soi afin de tirer de soi le meilleur parti possible, a cessé de vivre [...]
    (Extinction, trad. Gilberte Lambrichs, p.54, Gallimard nrf 1990)
     
  167. Comme quatre-vingt-dix pour cent du genre humain il croyait lui aussi que le diplôme de fin d'études en bonne et due forme de la dernière école qu'il avait fréquentée était l'apogée de sa vie. C'est ce que croient la plupart des gens, il a de quoi devenir fou. Ils sortent de l'école et restent bloqués et ne font plus aucun effort. [...] L'ensemble des gens ne se donnent du mal, dirait-on, qu'aussi longtemps qu'ils peuvent attendre des diplômes stupides avec lesquels ils peuvent se pavaner en public, lorsqu'ils ont en main un nombre suffisant de ces diplômes stupides, ils se laissent aller.
    (Extinction, trad. Gilberte Lambrichs, p.55, Gallimard nrf 1990)
     
  168. Lorsque nous causons avec un professeur, nous découvrons bientôt que, par mécontentement de soi, il a un caractère à détruire les hommes, oui, à détruire le monde en fin de compte, tout comme lorsque nous nous entretenons avec un juge.
    (Extinction, trad. Gilberte Lambrichs, p.63, Gallimard nrf 1990)
     
  169. La majeure partie du genre humain, surtout en Europe centrale, feint de travailler, joue continuellement la comédie du travail qui a aussi peu à voir avec le travail véritable que la véritable et réelle comédie avec la vraie vie réelle. Cependant, comme les hommes préfèrent toujours voir la vie comme comédie plutôt que la vie elle-même, qui leur paraît finalement beaucoup trop pénible et aride, une humiliation scandaleuse, ils aiment mieux jouer la comédie plutôt que de vivre, ils aiment mieux jouer la comédie plutôt que de travailler.
    (Extinction, trad. Gilberte Lambrichs, p.64, Gallimard nrf 1990)
     
  170. Sa folie des grandeurs a peu à peu tout rapetissé [...]
    (Extinction, trad. Gilberte Lambrichs, p.70, Gallimard nrf 1990)
     
  171. Pourquoi, lorsqu'il s'agit des autres, insistons-nous pour ainsi dire toujours d'abord et davantage sur les insuffisances, les défauts, que sur les qualités [...]
    (Extinction, trad. Gilberte Lambrichs, p.72, Gallimard nrf 1990)
     
  172. Un malheur, et soit-il le plus affreux, ne nous autorise tout de même pas à fausser notre pensée, à fausser le monde, à tout fausser, bref à faire cause commune avec l'hypocrisie.
    (Extinction, trad. Gilberte Lambrichs, p.72, Gallimard nrf 1990)
     
  173. La mort ne doit en aucune façon redresser l'image que nous avons d'un homme.
    (Extinction, trad. Gilberte Lambrichs, p.73, Gallimard nrf 1990)
     
  174. Mais c'est bien ce que nous nous demandons très souvent, ce qui a attiré deux êtres qui se marient, les a amenés au mariage, devant cette question nous nous prenons presque toujours la tête à deux mains, comment est-ce possible, justement ces deux-là ? et nous ne trouvons pas le fin mot.
    (Extinction, trad. Gilberte Lambrichs, p.89, Gallimard nrf 1990)
     
  175. Il y a des écrivains [...] qui, lorsqu'il les lit pour la deuxième fois, enthousiasment encore beaucoup plus le lecteur que la première [...]
    (Extinction, trad. Gilberte Lambrichs, p.92, Gallimard nrf 1990)
     
  176. Le catholicisme est le grand destructeur de l'âme enfantine, le grand inspirateur de crainte, le grand exterminateur du caractère de l'enfant.
    (Extinction, trad. Gilberte Lambrichs, p.94, Gallimard nrf 1990)
     
  177. La croyance catholique est, comme toute croyance, une falsification de la nature, une maladie que contractent tout à fait consciemment des millions de gens, parce qu'elle est l'unique salut pour eux, pour l'homme faible, l'homme qui n'a aucune indépendance, qui n'a pas une tête à lui, qui doit laisser une autre tête, pour ainsi dire supérieure, penser à sa place.
    (Extinction, trad. Gilberte Lambrichs, p.94, Gallimard nrf 1990)
     
  178. [...] le plus grand malheur de l'homme, d'avoir toujours et dans tous les cas trop peu de temps, a toujours rendu la connaissance impossible.
    (Extinction, trad. Gilberte Lambrichs, p.102, Gallimard nrf 1990)
     
  179. Nous passons toute notre vie à nous comprendre nous-mêmes et nous n'y arrivons pas, comment pouvons-nous croire que nous pourrions comprendre quelque chose qui n'est même pas nous.
    (Extinction, trad. Gilberte Lambrichs, p.106, Gallimard nrf 1990)
     
  180. [Les médecins], en règle générale, sont les gens les plus inintéressants de la planète, parce qu'ils sont les moins capables d'intérêt.
    (Extinction, trad. Gilberte Lambrichs, p.133, Gallimard nrf 1990)
     
  181. En réalité je ne fais rien d'autre que me désagréger et m'éteindre, lorsque je me réveille le matin, ma première pensée est de faire cela, de travailler résolument à ma désagrégation et à mon extinction.
    (Extinction, trad. Gilberte Lambrichs, p.189, Gallimard nrf 1990)
     
  182. Seul un fou prône la solitude et, pour finir, être complètement seul ne signifie rien d'autre qu'être complètement fou [...]
    (Extinction, trad. Gilberte Lambrichs, p.197, Gallimard nrf 1990)
     
  183. Contempler ou observer, lorsque l'objet de cette contemplation ou de cette observation ne sait pas qu'il est contemplé ou observé, est l'une des plus grandes jouissances.
    (Extinction, trad. Gilberte Lambrichs, p.208, Gallimard nrf 1990)
     
  184. Nous nous trahissons sans cesse nous-mêmes lorsque nous préférons les autres, que nous les faisons meilleurs en quelque sorte qu'ils ne sont en fin de compte [...]
    (Extinction, trad. Gilberte Lambrichs, p.215, Gallimard nrf 1990)
     
  185. Au fait, pendant combien de temps entendons-nous la voix de quelqu'un que nous avons encore entendue en réalité, quelques jours plus tôt, vivante, lorsque soudain il est effectivement mort ?
    (Extinction, trad. Gilberte Lambrichs, p.232, Gallimard nrf 1990)
     
  186. Penser signifie échouer, ai-je pensé. Agir signifie échouer. Mais naturellement nous n'agissons pas pour échouer, de même que nous ne pensons pas pour échouer, ai-je pensé.
    (Extinction, trad. Gilberte Lambrichs, p.236, Gallimard nrf 1990)
     
  187. Les soi-disant gens simples ont, comme je l'ai dit, une bonne oreille pour le ton faux, pour l'usage mensonger de la langue.
    (Extinction, trad. Gilberte Lambrichs, p.259, Gallimard nrf 1990)
     
  188. [L'Église catholique] n'agit jamais que dans son propre intérêt, se tait lorsqu'il faudrait parler, ai-je dit, quand cela devient trop dangereux pour elle, elle se retranche derrière Jésus-Christ, exploité depuis des millénaires.
    (Extinction, trad. Gilberte Lambrichs, p.291, Gallimard nrf 1990)
     
  189. [...] les funérailles ne sont jamais qu'une comédie.
    (Extinction, trad. Gilberte Lambrichs, p.337, Gallimard nrf 1990)
     
  190. [...] Faust, quelle mégalomanie !
    (Extinction, trad. Gilberte Lambrichs, p.364, Gallimard nrf 1990)
     
  191. [...] quand nous entrons dans une maison où nous avons passé des heures ou même des jours d'enfance si heureux, que nous plongeons nos regards dans cette enfance, mais nous ne plongeons nos regards que dans ce tristement célèbre vide béant.
    (Extinction, trad. Gilberte Lambrichs, p.378, Gallimard nrf 1990)
     
  192. [...] l'art d'exagérer est, à mon sens, un art de surmonter, de surmonter l'existence.
    (Extinction, trad. Gilberte Lambrichs, p.386, Gallimard nrf 1990)
     
  193. La meilleur méthode pour se délivrer de l'oeuvre d'un écrivain qui, sous quelque rapport que ce soit, ne vous laisse pas en paix, soit qu'on la tienne dans la plus haute estime, soit qu'on la déteste, c'est de faire connaissance de son auteur.
    (Extinction, trad. Gilberte Lambrichs, p.389, Gallimard nrf 1990)
     
  194. [...] l'une des plus grandes absurdités humaines : le lycée.
    (La cave, trad. Albert Kohn, p.110, Gallimard/Biblos 1990)
     
  195. J'ai toujours dérangé et j'ai toujours irrité. Tout ce que j'écris, ce que je fais est dérangeant, irritant. Ma vie entière en tant qu'existence n'est rien autre qu'une volonté constante de déranger et irriter. En attirant l'attention sur des faits qui dérangent et irritent.
    (La cave, trad. Albert Kohn, p.130, Gallimard/Biblos 1990)
     
  196. Tout ce qui est communiqué ne peut être autre chose qu'altération et falsification, on n'a donc jamais communiqué que des choses altérées et falsifiées. La volonté d'être véridique est, comme tout autre chemin, le plus rapide pour fausser et falsifier une situation.
    (La cave, trad. Albert Kohn, p.131, Gallimard/Biblos 1990)
     
  197. La guerre est la poésie de l'homme avec laquelle, toute sa vie, il demande attention et soulagement.
    (La cave, trad. Albert Kohn, p.139, Gallimard/Biblos 1990)
     
  198. La plupart des hommes sont habitués à leur travail, leur occupation, à quelque occupation, quelque travail réguliers, si ce travail, cette occupation s'arrêtent ils perdent instantanément leur contenu et leur conscience et ne sont plus autre chose qu'un état de désespoir morbide.
    (La cave, trad. Albert Kohn, p.158, Gallimard/Biblos 1990)
     
  199. Les maladies se produisent là où les gens ne portent pas toute la charge qu'ils peuvent porter, sont trop peu occupés, ce n'est pas d'être trop occupés qu'ils devraient se plaindre mais de ne pas l'être assez, on restreint leur emploi et les maladies se répandent, tous sont la proie du malheur là où l'on restreint le travail et l'emploi. Dans cette mesure le travail, qui est sans signification en lui-même, possède sa signification propre, originelle.
    (La cave, trad. Albert Kohn, p.160, Gallimard/Biblos 1990)
     
  200. Passer sous silence n'est pas mensonge [...].
    (La cave, trad. Albert Kohn, p.164, Gallimard/Biblos 1990)
     
  201. [...] le métier dont il n'y a absolument rien à espérer : le métier d'écrivain.
    (La cave, trad. Albert Kohn, p.165, Gallimard/Biblos 1990)
     
  202. [...] se discipliner sans arrêt est la condition préalable pour progresser quotidiennement [...].
    (La cave, trad. Albert Kohn, p.169, Gallimard/Biblos 1990)
     
  203. À perpétuité nous sommes en compagnie d'êtres qui ne savent pas la plus petite chose sur nous, mais prétendent continuellement tout savoir sur nous ; nos parents et nos amis les plus proches ne savent rien parce que nous-mêmes, nous ne savons pas grand-chose à ce sujet. Toute notre vie, nous sommes en train de nous explorer, nous allons sans cesse à la limite de nos moyens intellectuels et nous renonçons.
    (La cave, trad. Albert Kohn, p.199, Gallimard/Biblos 1990)
     
  204. L'incompétence règne dans toutes les relations et, avec le temps, elle produit très naturellement l'indifférence.
    (La cave, trad. Albert Kohn, p.199, Gallimard/Biblos 1990)
     
  205. Entre la haine et l'admiration presque tous les hommes se détruisent.
    (La cave, trad. Albert Kohn, p.201, Gallimard/Biblos 1990)
     
  206. Ainsi, chacun, peu importe ce qu'il est, peu importe absolument ce qu'il fait, est sans cesse renvoyé à lui-même, il est un cauchemar seulement alimenté par lui-même.
    (La cave, trad. Albert Kohn, p.201, Gallimard/Biblos 1990)
     
  207. J'ai l'impression d'exister comme sourcier à l'intérieur de ma propre tête.
    (La cave, trad. Albert Kohn, p.201, Gallimard/Biblos 1990)
     
  208. Nous nous reconnaissons en tout être humain, peu importe qui il est et nous sommes condamnés à être chacun de ces êtres humains, tant que nous existons. Nous sommes toutes ces existences et tous ces existants ensemble, nous sommes à la recherche de nous-mêmes et nous ne nous trouvons pourtant pas, si instamment que nous nous y efforcions.
    (La cave, trad. Albert Kohn, p.208, Gallimard/Biblos 1990)
     
  209. Maintes fois, tous nous relevons tous la tête en croyant qu'il nous faut dire la vérité ou la vérité apparente et nous la rentrons dans les épaules. C'est tout.
    (La cave, trad. Albert Kohn, p.209, Gallimard/Biblos 1990)
     
  210. Un malade est un voyant, personne d'autre n'aperçoit plus clairement l'image du monde.[...] L'artiste, l'écrivain en particulier, qui ne va pas de temps en temps dans un hôpital, donc ne va pas dans un de ces districts de la pensée, décisifs pour sa vie, nécessaires à son existence, se perd avec le temps dans l'insignifiance parce qu'il s'empêtre dans les choses superficielles.
    (Le souffle, trad. Albert Kohn, p.245, Gallimard/Biblos 1990)
     
  211. Et c'est un fait que les malades qui sont livrés aux médecins dans les hôpitaux n'arrivent jamais à avoir un contact avec les médecins, à plus forte raison à obtenir des éclaircissements et à être éclairés. Les médecins élèvent des remparts, ils dressent entre les malades et eux la muraille de l'incertitude, incertitude qui, si elle n'existe pas naturellement, est quand même artificiellement créée. [...] Très peu de médecins reconnaissent qu'ils ne savent presque rien et qu'ils ne peuvent également presque rien faire.
    (Le souffle, trad. Albert Kohn, p.251, Gallimard/Biblos 1990)
     
  212. Tout n'a rien été que tromperie. À regarder de près, notre vie entière n'a rien été qu'une éphéméride miteuse portant la date des cérémonies, finalement complètement effeuillée.
    (Le souffle, trad. Albert Kohn, p.257, Gallimard/Biblos 1990)
     
  213. [...] il n'avait jamais eu de chez-lui car son chez-lui n'avait toujours été que sa pensée [...].
    (Le souffle, trad. Albert Kohn, p.281, Gallimard/Biblos 1990)
     
  214. Nous cédons souvent, nous abandonnons souvent la partie pour notre confort.
    (Le froid, trad. Albert Kohn, p.320, Gallimard/Biblos 1990)
     
  215. La vie n'est rien que l'exécution d'une peine, me dis-je en moi-même, il faut que tu supportes l'exécution de cette peine. À perpétuité. La vie est un établissement pénitentiaire avec très peu de liberté de mouvement. Les espérances se révèlent un faux raisonnement.
    (Le froid, trad. Albert Kohn, p.329, Gallimard/Biblos 1990)
     
  216. [...] seul écrit celui qui n'a pas de pudeur, seul celui qui est sans pudeur est capable de se saisir des phrases et de les déballer, et de les jeter tout simplement sur le papier, seul celui qui est sans pudeur est authentique.
    (Le froid, trad. Albert Kohn, p.343, Gallimard/Biblos 1990)
     
  217. [...] je me serais mille fois tué si je n'avais pas été retenu à la surface de la terre par mon impudente curiosité.
    (Le froid, trad. Albert Kohn, p.344, Gallimard/Biblos 1990)
     
  218. Nous sommes dans l'erreur quand nous croyons être dans la vérité et inversement. L'absurdité est le seul chemin possible.
    (Le froid, trad. Albert Kohn, p.347, Gallimard/Biblos 1990)
     
  219. Le langage est inutilisable quand il s'agit de dire la vérité, de communiquer quelque chose, il ne laisse que l'approche à celui qui écrit, ne lui laisse toujours que l'approche désespérée de l'objet, qui doute toujours d'arriver, ce qui la rend tout simplement douteuse, le langage ne reproduit qu'une authenticité falsifiée, que la chose affreusement déformée, quels que soient les efforts de celui qui écrit ; les mots abaissent tout vers le sol, déplacent tout et font un mensonge de la vérité totale sur le papier..
    (Le froid, trad. Albert Kohn, p.359, Gallimard/Biblos 1990)
     
  220. Notre vie durant, nous remettons à plus tard les grandes questions jusqu'à ce qu'elles soient devenues une montagne de questions et nous assombrissent. Mais alors il est trop tard. Nous devrions avoir le courage (envers ceux que nous devons interroger comme envers nous-mêmes) de les tourmenter sans ménagements, inexorablement, de questions, nous devrions ne pas les épargner, ne pas les tromper en les épargnant. Nous regrettons tout ce que nous n'avons pas demandé quand celui qu'il faut interroger n'a plus d'oreille pour ces questions, quand il est déjà mort. Cependant, eussions-nous posé toutes les questions, aurions-nous une seule réponse ? Nous n'acceptons pas la réponse, nous n'acceptons aucune réponse, nous ne le pouvons pas, nous n'en avons pas le droit, telle est notre disposition affective et intellectuelle, tel est notre ridicule système, tels sont notre existence, notre cauchemar.
    (Le froid, trad. Albert Kohn, p.376, Gallimard/Biblos 1990)
     
  221. La sensualité, cette maladie qui porte en elle le germe de la destruction. Tôt ou tard, elle dissout le meilleur de vous-même, provoque le renversement de toutes les valeurs, le bien et le mal, le proche ou le lointain, le haut et le bas. Dieu est absent, parce que la puissance charnelle pénètre tout... ce qui a été moral devient immoral, un exemple de tous les naufrages. Duplicité de la nature.
    (Gel, trad. Boris Simon et Josée Turk-Meyer, p.19, Gallimard/nrf 1967)
     
  222. Nos pensées s'affrontent en nous. Les unes plus agressives que les autres, dit-il. Elles concluent souvent des alliances comme le font les hommes, pour, peu après, ne pas les respecter. Être compris et vouloir être compris : une imposture. Basée sur toutes les erreurs des sexes.
    (Gel, trad. Boris Simon et Josée Turk-Meyer, p.21, Gallimard/nrf 1967)
     
  223. Souvent, de tout ce qu'on a voulu dire, il ne reste que ce sentiment, que c'était quelque chose de méchant.
    (Gel, trad. Boris Simon et Josée Turk-Meyer, p.26, Gallimard/nrf 1967)
     
  224. L'art suprême consiste à voir les grandes choses comme les petites, sans cesse, simultanément, dans tous les rapports de grandeur...
    (Gel, trad. Boris Simon et Josée Turk-Meyer, p.27, Gallimard/nrf 1967)
     
  225. C'est un crime majeur que d'engendrer un être, dont on sait qu'il sera malheureux au moins une fois dans sa vie. Le malheur, même s'il ne dure qu'un instant, c'est le malheur tout entier. Engendrer une solitude parce qu'on ne veut plus être seul, c'est criminel.
    (Gel, trad. Boris Simon et Josée Turk-Meyer, p.31, Gallimard/nrf 1967)
     
  226. Je cours sans cesse derrière moi-même ! Vous pouvez imaginer ce que c'est que de s'ouvrir soi-même comme un livre et d'être obligé d'y découvrir des tas de fautes d'impression, l'une après l'autre, les coquilles qui fourmillent.
    (Gel, trad. Boris Simon et Josée Turk-Meyer, p.35, Gallimard/nrf 1967)
     
  227. Pour moi, il est certain que la fantaisie est une maladie. Une maladie qu'on n'attrape pas, parce qu'on l'a de naissance. Une maladie qui est responsable de tout, surtout du ridicule et de la méchanceté.
    (Gel, trad. Boris Simon et Josée Turk-Meyer, p.36, Gallimard/nrf 1967)
     
  228. Chaque homme patauge sans cesse dans la profondeur d'une pensée, les uns au fond, les autres plus bas encore. Jusqu'à ce que les ténèbres leur fassent comprendre que tout est inutile.
    (Gel, trad. Boris Simon et Josée Turk-Meyer, p.43, Gallimard/nrf 1967)
     
  229. Avoir, avec les souvenirs, les mêmes relations qu'avec un être humain qu'on congédie de temps en temps pour de nouveau le reprendre dans sa maison avec plus d'amour et de force, c'est ce qui est le plus bienfaisant pour le souvenir et pour nous-mêmes.
    (Gel, trad. Boris Simon et Josée Turk-Meyer, p.44, Gallimard/nrf 1967)
     
  230. L'adversité fait toucher le degré suprême de la folie.
    (Gel, trad. Boris Simon et Josée Turk-Meyer, p.72, Gallimard/nrf 1967)
     
  231. La vie, c'est comme une forêt où, toujours, on découvre des poteaux indicateurs et des repères, jusqu'au moment où on n'en rencontre plus. Et la forêt est infinie et la faim ne cesse qu'avec la mort. Et toujours on avance dans des couloirs d'où l'on ne peut jeter un regard à l'extérieur. Même l'univers est trop étroit en certains cas. Mais je refuse d'indiquer à qui les ignore les chemins qui mènent au point où j'en suis à présent. Je travaille avec mes conceptions durement arrachées au chaos, par moi seul.
    (Gel, trad. Boris Simon et Josée Turk-Meyer, p.77, Gallimard/nrf 1967)
     
  232. La jeunesse est un défaut... Mais le défaut de l'âge, c'est de voir les défauts de la jeunesse.
    (Gel, trad. Boris Simon et Josée Turk-Meyer, p.114, Gallimard/nrf 1967)
     
  233. Il suffit d'entendre un certain nom [...] pour aussitôt éprouver une réticence. Un homme vous est présenté et on a déjà classé cet homme. Il peut alors dire n'importe quoi, il ne peut plus se relever de la fosse dans laquelle nous l'avons laissé tomber, il ne peut plus s'en sortir. Tout ce que cet homme peut nous faire voir ou entendre par la suite, nous paraît une mise en scène impertinente, de la part d'un indésirable, de quelqu'un qui nous inspire tout simplement de la répulsion.
    (Gel, trad. Boris Simon et Josée Turk-Meyer, p.124, Gallimard/nrf 1967)
     
  234. La boue que l'on reproche aux journaux, c'est en réalité la boue de l'humanité et non celle des journaux ! Les journaux font bien de montrer, dans leur miroir, l'homme tel qu'il est, c'est-à-dire répugnant. Quelquefois, c'est-à-dire toujours et partout, on peut aussi y découvrir la beauté et la grandeur de l'homme. Donc, lire un journal est un art, peut-être, si on le maîtrise, le plus beau de tous les arts.
    (Gel, trad. Boris Simon et Josée Turk-Meyer, p.127, Gallimard/nrf 1967)
     
  235. [...] la maladie délie la langue, la plus vulgaire comme la plus raffinée... On voudrait savoir si les autres souffrent autant que nous... On parle aussi pour attirer la compassion. On entend parler des fautes effroyables commises dans le domaine de la médecine : de hasards catastrophiques, de défaillances des médecins, d'opérations ratées comme par malédiction, d'incidents, et ainsi de suite...
    (Gel, trad. Boris Simon et Josée Turk-Meyer, p.144, Gallimard/nrf 1967)
     
  236. Toute l'existence est un éternel essai de mise en bière et d'enterrement.
    (Gel, trad. Boris Simon et Josée Turk-Meyer, p.164, Gallimard/nrf 1967)
     
  237. La vie est un procès judiciaire : peu importe qui on est et ce qu'on fait, on perd toujours.
    (Gel, trad. Boris Simon et Josée Turk-Meyer, p.202, Gallimard/nrf 1967)
     
  238. Notre père, qui êtes en enfer, qu'aucun nom ne soit sanctifié, qu'aucun règne ne nous arrive, qu'aucune volonté ne soit faite pas plus en enfer que sur terre. Refusez-nous notre pain quotidien et ne nous pardonnez pas nos offenses comme nous ne pardonnons pas à ceux qui nous ont offensés. Amen.
    (Gel, trad. Boris Simon et Josée Turk-Meyer, p.203, Gallimard/nrf 1967)
     
  239. L'homme, c'est l'enfer idéal pour les hommes.
    (Gel, trad. Boris Simon et Josée Turk-Meyer, p.207, Gallimard/nrf 1967)
     
  240. Où il y a un médecin, beaucoup de gens doivent mourir.
    (Gel, trad. Boris Simon et Josée Turk-Meyer, p.208, Gallimard/nrf 1967)
     
  241. Les femmes se font aussi une idée tout à fait fausse de leur mari, on ne devrait pas se marier, tout simplement. La femme est faite pour le mariage, oui, mais pas l'homme.
    (Gel, trad. Boris Simon et Josée Turk-Meyer, p.211, Gallimard/nrf 1967)
     
  242. Les maladies mortelles, ce sont des commodités qui ont un certain rythme religieux. Les hommes entrent en elles comme dans un jardin, qui leur est étranger, soudain - vous savez, il s'agit là des maladies mortelles avec leur long déroulement, il s'agit, pour ainsi dire, d'un sentiment d'habitude de la maladie mortelle - tout d'un coup, brusquement, c'est la mort, les maladies mortelles sont un paysage exotique. Un processus interne de notre égoïsme interne.
    (Gel, trad. Boris Simon et Josée Turk-Meyer, p.224, Gallimard/nrf 1967)
     
  243. L'incompréhensible, en fait, c'est la vie. Rien d'autre. Et qui parfois, prend forme en des êtres humains, et s'élance dans les airs comme des volées d'oiseaux, pour tout obscurcir. L'incompréhensible c'est le miracle. Le monde insondable est celui des miracles et de la magie, alors que celui qu'on comprend n'est qu'étonnant, sans plus. Avancer dans le domaine de la connaissance, c'est s'éloigner du merveilleux.
    (Gel, trad. Boris Simon et Josée Turk-Meyer, p.242, Gallimard/nrf 1967)
     
  244. C'est à partir des abattoirs qu'on devrait enseigner la science des hommes et des barbares, des opinions humaines et du grand mystère humain. La doctrine des grands protocoles de la mémoire de la grande Existence ! Au lieu de les enfermer dans des salles de classe bien chauffées, on devrait emmener les écoliers dans les abattoirs ; ce n'est que dans les abattoirs que je vois des résultats tangibles d'un enseignement sur le monde et sur l'existence pleine de larmes de sang de cette terre. Nos maîtres d'école devraient faire classe dans les abattoirs. Ils ne devraient pas puiser leur savoir dans les livres, mais brandir des masses, faire s'abattre des haches, découper des chairs sanglantes avec des couteaux bien affûtés.... On devrait apprendre à lire avec, en main, des viscères, et non ces écrits stériles...
    (Gel, trad. Boris Simon et Josée Turk-Meyer, p.248, Gallimard/nrf 1967)
     
  245. Là où il y a des hommes, il y a toujours l'exsudation indispensable de la volupté !
    (Gel, trad. Boris Simon et Josée Turk-Meyer, p.249, Gallimard/nrf 1967)
     
  246. La vie, c'est le désespoir pur, très limpide, très sombre, cristallin... Il n'y a qu'un chemin qui y mène à travers la neige et la glace du désespoir, il faut s'y engager par-delà l'adultère de la raison.
    (Gel, trad. Boris Simon et Josée Turk-Meyer, p.286, Gallimard/nrf 1967)
     
  247. Mais j'ai toujours eu le sens de ce qu'il faut ou ne faut pas publier, bien que j'aie toujours pensé que publier est une pure folie, un crime de l'esprit, mieux encore, un crime capital contre l'esprit. Oui, nous ne publions que pour satisfaire notre désir de gloire [...]
    (Béton, trad. Gilberte Lambrichs, p.39, éd. Gallimard/nrf 1985)
     
  248. Il nous faut être seul et abandonné de tous, si nous voulons aborder un travail de l'esprit !
    (Béton, trad. Gilberte Lambrichs, p.10, Gallimard nrf, 1985)
     
  249. [...] jamais, à aucun moment, nous ne savons si nous avons besoin de quelqu'un ou si nous n'avons besoin de personne ou si nous avons besoin en même temps de quelqu'un et de personne, et parce que jamais, au grand jamais, nous ne savons ce dont nous avons effectivement besoin [...]
    (Béton, trad. Gilberte Lambrichs, p.34, Gallimard nrf, 1985)
     
  250. La soi-disant générosité humaine est une pure et simple imposture et celui qui proclame, voire soutient le contraire, est un raffiné piétineur d'hommes ou un impardonnable imbécile. Aujourd'hui nous avons affaire pour quatre-vingt-dix pour cent à ces raffinés piétineurs d'hommes et dix pour cent à ces impardonnables imbéciles.
    (Béton, trad. Gilberte Lambrichs, p.45, Gallimard nrf, 1985)
     
  251. Amitié, quel mot lépreux ! Chaque jour, et jusqu'à l'écoeurement, les gens l'ont à la bouche, et il est complètement déprécié, au moins aussi déprécié que le mot amour, mortellement piétiné.
    (Béton, trad. Gilberte Lambrichs, p.56, Gallimard nrf, 1985)
     
  252. [..] cette phrase [« j'espère que je ne vous dérange pas »] est l'une des phrases les plus hypocrites qui soient.
    (Béton, trad. Gilberte Lambrichs, p.72, Gallimard nrf, 1985)
     
  253. Que nous exigions toujours ce qu'il y a de plus élevé, de plus approfondi, de plus fondamental, de plus exceptionnel, là où il n'y a tout de même rien d'autre à constater que les choses les plus basses et les plus superficielles et les plus ordinaires, rend effectivement malade. Cela ne fait pas avancer l'être humain, cela le tue. Nous voyons la décadence là où nous attendons le progrès, nous voyons le désespoir là où nous avons espoir, c'est là notre faute, notre malheur. Nous exigeons toujours tout là où, naturellement, il n'y a que peu à exiger, cela nous déprime. Nous voulons voir l'être humain au pinacle et il échoue déjà dans les bas-fonds, en fait nous voulons tout atteindre et, en fait, nous n'atteignons rien.
    (Béton, trad. Gilberte Lambrichs, p.88, Gallimard nrf, 1985)
     
  254. Que deviendrait-on sans la musique, sans Mozart !
    (Béton, trad. Gilberte Lambrichs, p.107, Gallimard nrf, 1985)
     
  255. Chacun veut vivre, personne ne veut être mort, tout le reste est mensonge.
    (Béton, trad. Gilberte Lambrichs, p.113, Gallimard nrf, 1985)
     
  256. [...] sa géniale imperfection.
    (Béton, trad. Gilberte Lambrichs, p.123, Gallimard nrf, 1985)
     
  257. Constamment aller et venir
    les deux mains sur les tempes
    figurez-vous
    sans trouver le mot décisif
    dans l'aphorisme

    (La société de chasse, trad. Claude Porcell, p.9, L'Arche, 1988)
     
  258. Le mieux
    c'est tout seul
    dans l'obscurité
    d'abord il faut s'y contraindre
    puis on aime cet état
    d'abord c'est une contrainte
    Aucun être humain ne supporte l'obscurité
    que rien ne se passe comprenez-vous
    contraindre
    s'y contraindre soi-même
    puis on aime cet état.

    (La société de chasse, trad. Claude Porcell, p.40, L'Arche, 1988)
     
  259. en chacun il y a une maladie mortelle
    et une petite blessure souvent tout à fait insignifiante
    et souvent même restée inaperçue
    la fait se déclarer

    (La société de chasse, trad. Claude Porcell, p.49, L'Arche, 1988)
     
  260. Sans cesse nous nous surprenons
    à nous commettre avec le repoussant
    que ce soit une chose
    ou qu'il s'agisse d'êtres humains
    nous sommes en contact avec une chose repoussante
    encore et toujours
    encore et toujours avec des êtres repoussants aussi
    ce qui est repoussant nous attire.

    (La société de chasse, trad. Claude Porcell, p.59, L'Arche, 1988)
     
  261. Quand nous regardons un être humain
    quelque être humain que ce soit
    nous voyons un mourant
    c'est un mourant
    Et toujours nous voyons
    juste à notre réveil
    Nous sommes condamnés à l'immobilité
    Vous comprenez
    nous sommes morts
    tout est mort
    tout en nous est mort
    tout est mort

    (La société de chasse, trad. Claude Porcell, p.67, L'Arche, 1988)
     
  262. Un être humain
    est une être humain désespéré
    tout le reste c'est le mensonge

    (La société de chasse, trad. Claude Porcell, p.72, L'Arche, 1988)
     
  263. [...] la philosophie dans son ensemble est une absurdité
    (La société de chasse, trad. Claude Porcell, p.76, L'Arche, 1988)
     
  264. C'est pour une idée
    que nous gaspillons notre temps
    une idée qui dans tous les cas ne mène à rien
    Une vie d'homme chère madame
    n'est à la fin rien
    qu'une humaine catastrophe.

    (La société de chasse, trad. Claude Porcell, p.89, L'Arche, 1988)
     
  265. Et en outre tout n'existe que dans l'illusion
    que notre existence est une existence supportable chère madame
    c'est pas là que nous existons
    Mais nous n'en parlons pas
    et quand nous en parlons
    nous en parlons comme si
    ce dont nous parlons
    n'était
    pas réel
    absolument pas réel chère madame
    Sans interruption nous parlons de quelque chose d'irréel
    afin de supporter
    de l'endurer
    parce que nous avons fait de notre existence un mécanisme de divertissement
    rien d'autre qu'un minable mécanisme de divertissement
    une catastrophe artistique artificiellement naturelle chère madame

    (La société de chasse, trad. Claude Porcell, p.103, L'Arche, 1988)
     
  266. [En parlant de la pneumonie] cette maladie de la réflexion.
    (Corrections, trad. Albert Kohn, p.34, Gallimard/nrf, 1978)
     
  267. [...] accueillir un sujet c'est y réfléchir à fond jusqu'à l'avoir épuisé, il ne doit rien demeurer de ce sujet qui n'ait pas été éclairci ou tout au moins, qui ne l'ait pas été au plus haut degré possible.
    (Corrections, trad. Albert Kohn, p.46, Gallimard/nrf, 1978)
     
  268. [...] la musique est, au fond, de la mathématique rendue audible [...]
    (Corrections, trad. Albert Kohn, p.55, Gallimard/nrf, 1978)
     
  269. [...] les gens, disait-il, admiraient toujours là où ils devraient se contenter uniquement de respecter l'autre, mais la plupart des gens n'en étaient pas capables car respecter l'autre était sans doute la forme la plus difficile entre individus, de respecter l'autre la plupart étaient absolument incapables, le respect de l'autre était la chose la plus importante, les gens préféraient admirer plutôt que respecter et ils ne faisaient qu'irriter par leur admiration et leur admiration détruisait chez l'autre ce qu'il avait de précieux au lieu de préserver par un respect correspondant.
    (Corrections, trad. Albert Kohn, p.60, Gallimard/nrf, 1978)
     
  270. [...] tout homme porte en lui une idée qui finit par le faire mourir à petit feu, une pareille idée, qui surgit en lui et qu'il poursuit et qui, tôt ou tard, et toujours dans la plus grande tension de son être, finit par le faire mourir à petit feu, par le détruire.
    (Corrections, trad. Albert Kohn, p.109, Gallimard/nrf, 1978)
     
  271. [...] le chaos universel, qui est apparu dans le monde et qui est apparu avant tout ces dernières années dans le monde, repose principalement sur la hâte excessive de tous les actes qui eussent dû être réfléchis avant d'avoir été entrepris, la précipitation et la hâte excessive sont les caractères les plus effrayants de ce monde d'aujourd'hui [...] et, pour cette raison, tout est un monde chaotique.
    (Corrections, trad. Albert Kohn, p.144, Gallimard/nrf, 1978)
     
  272. [...] chacun est destiné, un jour, à un instant quelconque qui sera l'instant décisif, à ne plus trouver d'issue, la construction de l'homme est faite ainsi.
    (Corrections, trad. Albert Kohn, p.148, Gallimard/nrf, 1978)
     
  273. L'absence d'idées chez l'homme est sa mort [...] et combien d'hommes sont dépourvus d'idées, totalement sans aucune idée, ils n'existent pas.
    (Corrections, trad. Albert Kohn, p.182, Gallimard/nrf, 1978)
     
  274. Continuellement nous corrigeons et nous nous corrigeons nous-mêmes sans le moindre ménagement parce qu'à chaque instant, nous apercevons que ce que nous avons accompli (écrit, fait, pensé) a été faux, que nous avons agi faussement en ayant agi avec fausseté, que tout jusqu'à ce moment présent est une falsification, aussi corrigeons-nous cette falsification et la correction de cette falsification nous la corrigeons de nouveau et le résultat de cette correction de correction nous le corrigeons et ainsi de suite.
    (Corrections, trad. Albert Kohn, p.288, Gallimard/nrf, 1978)
     
  275. Nous sommes toujours à deux doigts de nous corriger, de tout corriger en nous tuant, mais nous ne le faisons pas. Corriger notre existence entière considérée comme une unique, une insondable falsification et adultération de notre nature [...] mais nous ne le faisons pas.
    (Corrections, trad. Albert Kohn, p.289, Gallimard/nrf, 1978)
     
  276. Il faut pouvoir se lever et partir de toute société qui n'est bonne à rien [...] et laisser les visages qui ne sont rien et les esprits d'une stupidité souvent sans limite et pouvoir sortir, descendre et aller en plein air et laisser derrière soi tout ce qui est en rapport avec cette société bonne à rien [...]; on doit pouvoir posséder la force et le courage et la brutalité même à l'égard de soi-même, de laisser derrière soi tous ces gens et ces esprits ridicules, inutiles et stupides et de remplir ses poumons, d'expulser de ses poumons toutes les choses qu'on a abandonnées et d'emplir ses poumons d'un air nouveau, il faut quitter par le chemin le plus rapide ces sociétés inutiles ; ces bandes rassemblées pour rien d'autre que des stupidités, afin de ne pas devenir un élément de ces sociétés stupides, en sortant de pareilles sociétés il faut revenir à soi-même et trouver en soi-même apaisement et clarté [...].
    (Corrections, trad. Albert Kohn, p.313, Gallimard/nrf, 1978)
     
  277. Nous n'entrons dans une école que pour y être anéantis, les écoles sont de gigantesques instituts d'anéantissement où ceux qui cherchent secours sont anéantis, mais l'État subventionne les écoles, et pour cause [...]; quand nous quittons l'école, le processus de notre mort à petit feu a fait encore de nouveaux progrès et rien d'autre. Comme des insensés, ceux qui ont besoin de secours intellectuel entrent à l'école et ce sont des êtres anéantis qui en ressortent, personne ne s'insurge contre cela. Les jeunes gens, les caractères sains, entrent dans les écoles en cherchant un secours, en ressortent détruits, estropiés, affaiblis à perpétuité. Dans les écoles élémentaires, l'être jeune est détruit. C'est seulement dans les écoles moyennes et les hautes et très hautes écoles que ce processus s'achève. Établissement de déformation de l'homme [...]
    (Corrections, trad. Albert Kohn, p.319, Gallimard/nrf, 1978)
     
  278. Il plaignait ce qu'on appelle les gens en bonne santé parce qu'à son idée ils ne sortent jamais des bas-fonds de l'hébétude absolue de l'esprit et sont condamnés à rester à perpétuité dans cette abjecte hébétude de l'esprit qui est la leur, quoi qu'ils puissent être et quoi qu'ils puissent faire [...]
    (Les Mange-pas-cher, trad. Claude Porcell , p.46, Gallimard/nrf, 2005)
     
  279. [...] ces tableaux accrochés de travers au mur lui tapaient tout de même sur les nerfs, il avait haï sa vie durant les tableaux accrochés de travers et toujours évité les pièces où il y a avait des tableaux accrochés de travers, face à moi il avait ensuite, quand le serveur avait été parti, dit qu'il y avait de fait deux catégories d'êtres humains, l'une ne ressentait rien quand elle voyait des tableaux accrochés de travers, l'autre en était désespérée et on voyait d'ailleurs tout de suite chez les êtres humains dans laquelle des deux catégories il fallait les ranger, dans l'une, à laquelle les tableaux accrochés de travers au mur ne faisaient rien, ou dans l'autre, que le fait de tableaux accrochés de travers au mur rendait folle avec le temps [...]
    (Les Mange-pas-cher, trad. Claude Porcell , p.59, Gallimard/nrf, 2005)
     
  280. [...] l'école en soi, qui, dirigée contre la nature de chaque individu, n'était faite que pour déliter et détruire et subséquemment anéantir la nature de chaque individu. Il n'avait jamais désigné les professeurs que comme les valets de ce processus de délitement et de destruction et d'anéantissement de la nature, par lequel quatre-vingt-dix pour cent de l'humanité intelligente sont détruits chaque année.
    (Les Mange-pas-cher, trad. Claude Porcell , p.65, Gallimard/nrf, 2005)
     
  281. La vie ou l'existence n'étaient rien d'autre, selon lui, que la tentative désespérée, incessante et de fait ininterrompue, de se sauver de tout à tous les égards possibles vers l'avenir, qui n'ouvre jamais qu'encore et toujours cet identique processus mortel infini.
    (Les Mange-pas-cher, trad. Claude Porcell , p.66, Gallimard/nrf, 2005)
     
  282. Extrêmement rares sont ceux qui ont effectivement engagé le combat contre les parents et l'ont poussé jusqu'à l'extrême et l'ont gagné et ont combattu contre leurs maîtres et gagné, et donc combattu contre la société et gagné et par là, en tant qu'êtres de l'esprit, tout gagné.
    (Les Mange-pas-cher, trad. Claude Porcell , p.79, Gallimard/nrf, 2005)
     
  283. [...] les voyages autour du monde, une fois qu'on les regarde de plus près, ne valent pas beaucoup plus qu'une promenage au Prater. [Nota : À Vienne, le Prater est une sorte de parc d'attractions. -GGJ]
    (Les Mange-pas-cher, trad. Claude Porcell, p.99, Gallimard/nrf, 2005)
     
  284. [...] le magasinier de quincaillerie en gros Grill collectionnait les pièces de monnaie, donc pendant ses loisirs faisait la même chose qu'à la boutique, simplement à un plus haut niveau.
    (Les Mange-pas-cher, trad. Claude Porcell , p.110, Gallimard/nrf, 2005)
     
  285. [...] La ministre ronflait, pas très fort certes mais elle ronflait, de ce discret ronflement de ministre connu dans le monde entier.
    (Mes prix littéraires, trad. Daniel Mirsky, p.19, Gallimard/nrf, 2010)
     
  286. À côté de moi était alité un étudiant en théologie, qu'en l'espace de quelques semaines passées entre la vie et la mort j'avais fait douter de sa foi et donc transformé en bon catholique.
    (Mes prix littéraires, trad. Daniel Mirsky, p.27, Gallimard/nrf, 2010)
     
  287. D'ailleurs les prix ne sont jamais un honneur, poursuivais-je, l'honneur lui-même est une perversion, dans le monde entier il n'existe pas d'honneur. Les gens parlent d'honneur et en réalité il s'agit d'une vilenie, quel que soit l'honneur dont il s'agisse.
    (Mes prix littéraires, trad. Daniel Mirsky, p.87, Gallimard/nrf, 2010)
     
  288. On est habitué à voir tous ceux qui reçoivent un prix Kant ou une médaille Dürer faire de longs discours sur Kant ou sur Dürer, tisser des liens entre eux-mêmes et ces grands noms et accabler le public sous le jus encyclopédique rance exprimé par leur cerveau.
    (Mes prix littéraires, trad. Daniel Mirsky, p.130, Gallimard/nrf, 2010)
     
  289. Il n'y a rien à célébrer, rien à condamner, rien à dénoncer, mais il y a beaucoup de choses dérisoires ; tout est dérisoire quand on songe à la mort.
    (Mes prix littéraires, trad. Daniel Mirsky, p.142, Gallimard/nrf, 2010)
     
  290. Les époques sont insanes, le démoniaque en nous est un éternel cachot patriotique, au fond duquel la bêtise et la brutalité sont devenues les éléments de notre détresse quotidienne.
    (Mes prix littéraires, trad. Daniel Mirsky, p.142, Gallimard/nrf, 2010)
     
  291. [...] Celui qui pense dissout, dépasse, consterne, démolit, désagrège, car penser consiste très exactement en la dissolution systématique de tous les concepts...
    (Mes prix littéraires, trad. Daniel Mirsky, p.147, Gallimard/nrf, 2010)
     
  292. Si l'on songe à quel point, peu importent les circonstances, un seul poète ou écrivain est déjà ridicule et difficilement supportable à la communauté des hommes, on voit bien combien plus ridicule et intolérable encore est un troupeau entier d'écrivains et de poètes, sans compter ceux qui sont persuadés d'en être, entassés en un seul endroit !
    (Mes prix littéraires, trad. Daniel Mirsky, p.150, Gallimard/nrf, 2010)
     
  293. Les poètes et les écrivains ne doivent pas être subventionnés, encore moins par une Académie elle-même subventionnée, ils doivent être livrés à eux-mêmes.
    (Mes prix littéraires, trad. Daniel Mirsky, p.150, Gallimard/nrf, 2010)