Citations ajoutées le 22 décembre 2008

Edmond Thiaudière

  1. La Foi est un leurre bien enviable.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.135, Paul Ollendorff, 1886)
     
  2. Est-il rien de plus lâche et de plus sot que de se conduire, ayant la foi, comme si on ne l'avait pas et pire que si on ne l'avait pas ? Or c'est là le travers commun aux trois quarts des chrétiens.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.135, Paul Ollendorff, 1886)
     
  3. Une église est un rêvoir très précieux pour les plus incrédules avec ses hauts piliers, ses vitraux multicolores, ses chapelles mystérieuses, ses cierges allumés, son encens qui fume, ses chants dont quelques-uns sont fort beaux et jusqu'au marmottement de ses prières.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.135, Paul Ollendorff, 1886)
     
  4. La pratique d'un culte quelconque, mais surtout celle du culte catholique, est, il ne faut pas s'y tromper, un puissant sédatif pour les nerfs, sans cesse irrités par les troubles et les déconvenues dont est tissée la vie humaine.
    Combien donc est regrettable la sottise qu'ont eue les prêtres de nous gâter, en conspirant contre les droits de l'Humanité avec les exploiteurs couronnés ou titrés de ce monde, les délicieuses impostures qu'ils nous prêchent comme des vérités indubitables et dont nous souffrons de n'être plus les dupes !
    Quand le catholicisme sera décidément mort et enterré avec le dernier des papes, ce sera une chose à voir pour nos petits-neveux, s'ils ne feront pas bien de conserver, à quelques modifications près, le rite catholique, si merveilleusement approprié à la sensibilité physique et morale de l'homme civilisé, mais en l'appliquant à des abstractions tout à fait indéterminées, comme celles-ci, par exemple : aux forces naturelles, aux destins de l'Humanité, à la concorde des peuples, au néant même, si l'on veut, pourvu que l'on garde un prétexte à rêver tout éveillé sous des arceaux, lequel fait tant de bien aux fidèles et manque plus qu'ils ne pensent aux déchristianisés.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.136, Paul Ollendorff, 1886)
     
  5. Il y a une juste fierté pour celui qui peut se rendre ce témoignage qu'au fur et à mesure que la doctrine matérialiste a remplacé dans son cerveau la doctrine spiritualiste, sa vie s'est de plus en plus spiritualisée, comme pour infliger une sorte d'humiliation et de dessous à cette Nature marâtre dont il est une partie souffrante.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.137, Paul Ollendorff, 1886)
     
  6. Qu'est-ce que le christianisme ? La première grande hérésie du judaïsme, comme l'islamisme en est la seconde... voilà tout.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.137, Paul Ollendorff, 1886)
     
  7. Leurs mensonges pieux, qui aident l'homme à supporter la vie et à doubler le cap de la mort, valent peut-être mieux, après tout, que nos sincérités impies qui font tout le contraire. La seule considération pouvant nous justifier de substituer notre action à la leur, c'est qu'ils entravent le progrès humain que nous éperonnons.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.138, Paul Ollendorff, 1886)
     
  8. Il n'y a pas que le dilettantisme de l'esprit, il y a le dilettantisme du coeur. Ceux qui l'ont, même incroyants, trouveraient un grand charme à certaines pratiques religieuses, tout en les jugeant vaines, mais ils sont bien obligés de s'en abstenir, de peur de passer pour hypocrites.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.138, Paul Ollendorff, 1886)
     
  9. La Science traite un peu la Providence comme une petite fille sa poupée. Au lieu de continuer à jouer avec elle gentiment, il faut qu'elle lui crève le ventre pour voir ce qu'il y a dedans et qu'elle en fasse sortir tout le son.
    Elle est bien avancée après !

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.138, Paul Ollendorff, 1886)
     
  10. La Foi est creuse, sans doute, mais si pourtant dans le creux même de cette Foi nous trouvions notre seul abri contre les orages de la vie !
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.139, Paul Ollendorff, 1886)
     
  11. Exilés de la Foi par leur raison, certains hommes en gardent la nostalgie jusqu'à la mort, et d'aucuns même éprouvent le besoin d'y rentrer pour mourir plus confortablement.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.139, Paul Ollendorff, 1886)
     
  12. Rechigner à la vie actuelle et ne pas gober la réalité d'une autre vie ; être, à la fois, spiritualiste par tempérament et matérialiste par conviction ; tordre sans pitié son corps pour en exprimer toute l'âme possible, avec l'idée que cela sera perdu, perdu, perdu,comme le reste... N'est-ce pas horrible ?
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.139, Paul Ollendorff, 1886)
     
  13. Ceux que cette vie satisfait peuvent être heureux, quoiqu'ils n'espèrent point en la vie future, à laquelle ils ne songent guère d'ailleurs ;
    Ceux que cette vie ne satisfait pas peuvent aussi être heureux par leur espoir en la vie future ;
    Mais ceux que cette vie ne satisfait pas et qui n'espèrent point en la vie future ne peuvent qu'être très malheureux.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.139, Paul Ollendorff, 1886)
     
  14. Quand il y aurait illusion à croire à l'immortalité de l'âme et clairvoyance à n'y pas croire, la première serait à tous égards préférable à la seconde, car nous gagnons toujours bien à celle-là l'escompte de l'Éternité, tandis que celle-ci ne nous rapporte que l'escompte du Néant... Mais peut-on choisir de croire ou de ne pas croire?
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.140, Paul Ollendorff, 1886)
     
  15. La Foi seule et la Foi bien aveugle peut nous faire croire à la perpétuité de notre être misérable, que nous voyons commencer et que nous voyons finir.
    En dépit de tout l'effort des spiritualistes pour la soutenir, dès qu'on la pousse du raisonnement, cette perpétuité tombe à plat.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.140, Paul Ollendorff, 1886)
     
  16. Toute illusion que l'homme garde jusqu'à son dernier souffle équivaut pour lui à une réalité. Telle la croyance en l'immortalité de l'âme qui n'est très probablement qu'une illusion, mais une illusion admirable, en ce sens qu'elle ne saurait donner lieu à aucune déception, puisqu'au moment où l'on devrait être déçu, l'on est indécevable, n'étant plus rien du tout.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.141, Paul Ollendorff, 1886)
     
  17. Sans la conscience très nette d'une vie antérieure, notre être ne peut se dire perpétuel, et comment cette conscience qui nous fait défaut dans la vie actuelle ne nous ferait-elle pas défaut dans les vies à venir ? Tout ce qu'il est possible d'admettre, sans absurdité, c'est que chacun de nous donne lieu à une série d'êtres se déduisant inconsciemment l'un de l'autre et n'ayant rien d'identique. Et cela équivaut donc pour chacun de nous à l'anéantissement complet.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.141, Paul Ollendorff, 1886)
     
  18. Pour l'athée, qui ne voit en Dieu qu'un mécanisme improvident et soumis lui-même à la Fatalité dont il est la force exécutive, une religion est encore possible et nécessaire. Il peut et doit épancher à flots son âme compatissante non seulement sur les hommes, ses frères immédiats, mais sur les moindres êtres qui souffrent, comme lui, de la férocité du Destin, et qui sont aussi ses frères d'arrière-plan.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.142, Paul Ollendorff, 1886)
     
  19. Où la Raison ne suffirait pas à faire contrepoids aux mauvaises passions, il faut la Foi, il la faut absolument avec toutes ses piperies.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.142, Paul Ollendorff, 1886)
     
  20. Peut-être une foi religieuse, quelle qu'elle soit, satisfait-elle à un besoin auquel rien autre ne saurait satisfaire.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.142, Paul Ollendorff, 1886)
     
  21. Pour masquer aux yeux des gens de coeur les cruautés de l'existence et les horreurs de la mort, il n'y a que la Foi en Dieu, et nulle disgrâce n'est comparable à celle de ne l'avoir plus, même mensongère.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.143, Paul Ollendorff, 1886)
     
  22. Erreur pour erreur, puisqu'aussi bien l'erreur est seule accessible au coeur de l'homme, il vaut autant que celle-là même qui s'est assise à notre berceau s'agenouille à notre lit de mort.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.143, Paul Ollendorff, 1886)
     
  23. La vérité ne sortira jamais de son puits... Elle s'y est noyée voilà bien longtemps.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.147, Paul Ollendorff, 1886)
     
  24. Le vrai et le faux ont tous leurs fils emmêlés dans le même écheveau.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.147, Paul Ollendorff, 1886)
     
  25. L'esprit du philosophe est un creuset où se fondent en une substance neutre les affirmations et les négations du vulgaire, également pourvues et dénuées de Vérité.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.147, Paul Ollendorff, 1886)
     
  26. Il y a beaucoup de vrai dans ce que le vulgaire croit entièrement faux, et beaucoup de faux dans ce qu'il croit entièrement vrai.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.148, Paul Ollendorff, 1886)
     
  27. L'erreur est l'atmosphère naturelle de l'homme, ce qui n'empêche pas bien des gens qui ne passent pas néanmoins pour imbéciles de croire que leur âme respire la Vérité.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.148, Paul Ollendorff, 1886)
     
  28. Les douces erreurs valent mieux pour l'homme que ne vaudrait la dure Vérité.
    C'est un être si vite disparu.
    Qu'il se joue donc dans l'illusion, comme l'éphémère dans un rayon de soleil couchant 1

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.148, Paul Ollendorff, 1886)
     
  29. Il s'en faut bien que le sens commun soit toujours le bon sens ; c'est souvent le pire sens.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.148, Paul Ollendorff, 1886)
     
  30. Avoir des opinions contradictoires n'est certes pas le fait d'un esprit pratique, mais c'est celui d'un grand esprit digne par là même de représenter l'esprit humain.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.149, Paul Ollendorff, 1886)
     
  31. Le supplice des grands esprits ou simplement des coeurs altruistes est de ne pas toujours savoir par où s'orienter vers le bien.
    Quant aux petits esprits ou aux coeurs égoïstes, ils ne sont pas si embarrassés. Ne connaissant d'autre bien que leur propre bien, ils y vont tout droit, d'instinct... et pourtant se trompent-ils encore quelquefois.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.149, Paul Ollendorff, 1886)
     
  32. Il y a dans l'histoire une partie objective digne de foi et une partie subjective méritant toute défiance.
    La première, très restreinte, se réfère à des faits qui peuvent passer pour constants, parce que tous les témoignages concordent à les proclamer tels.
    Elle est invariable.
    La seconde, très vaste, vise l'appréciation même de ces faits, d'après leurs principes et leurs conséquences, et rien au monde n'est plus arbitraire.
    Somme toute, l'historien le plus scrupuleux n'est qu'un romancier.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.149, Paul Ollendorff, 1886)
     
  33. Tout le monde est dans le faux et, ce qui est fait pour égayer tristement le philosophe, tout le monde croit être dans le vrai.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.150, Paul Ollendorff, 1886)
     
  34. Il y a une effroyable complexité dans les choses humaines, et les simplistes qui croient pouvoir tout trancher en un sens sont des gens à vues bien étroites.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.150, Paul Ollendorff, 1886)
     
  35. L'esprit de l'homme est ballotté comme une épave sur des flots d'incertitude.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.150, Paul Ollendorff, 1886)
     
  36. Ce qu'on appelle une pensée ne correspond à aucune réalité, mais traduit tout simplement un certain point de vue, variable d'un instant à l'autre et d'une circonstance à l'autre, d'où notre esprit a considéré les choses humaines.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.150, Paul Ollendorff, 1886)
     
  37. Ce que nous prenons pour la Vérité n'en est pas même l'ombre, et c'est même une chose à savoir s'il y a une vérité de par l'Univers.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.151, Paul Ollendorff, 1886)
     
  38. Chose vraiment désespérante, l'homme toujours fort éloigné de la Vérité absolue, doit s'en rapprocher plus en niant qu'en affirmant, et c'est là un bien cruel triomphe pour les pessimistes.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.151, Paul Ollendorff, 1886)
     
  39. Tout dans les tendances humaines se contredit et se réfute tellement qu'il n'y reste plus rien de vrai pour le penseur.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.151, Paul Ollendorff, 1886)
     
  40. La Vérité luit pour tous, mais tous n'en voient qu'une partie. C'est un phare à feux changeants qui s'éclipse pour les uns dans le moment même qu'il brille pour les autres.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.151, Paul Ollendorff, 1886)
     
  41. Au rebours du prisme, qui décompose en sept belles couleurs le spectre solaire, de tant d'opinions contradictoires qui se disputent le monde, le scepticisme arrive à composer je ne sais quel spectre ombral où il n'est plus possible de rien distinguer de vrai.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.152, Paul Ollendorff, 1886)
     
  42. Le plus légitime grief qu'on puisse avoir contre la mauvaise fortune, c'est qu'elle rétrécit les coeurs et les esprits naturellement larges et que la bonne fortune eût encore élargis.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.155, Paul Ollendorff, 1886)
     
  43. On peut, avec quelque sang-froid et quelque habileté, tirer profit même de la mauvaise fortune.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.155, Paul Ollendorff, 1886)
     
  44. Le libre-arbitre se meut toujours dans une sphère de fatalité.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.156, Paul Ollendorff, 1886)
     
  45. Notre libre-arbitre n'est peut-être pas autre chose que le jeu nécessaire aux rouages de la Fatalité.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.156, Paul Ollendorff, 1886)
     
  46. L'exercice du libre-arbitre de Paul est la fatalité de Pierre.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.156, Paul Ollendorff, 1886)
     
  47. Il y a des maladroits qui luttent efficacement contre la fortune propice qu'ils méconnaissent, comme il y a des habiles qui luttent en vain contre la mauvaise fortune qu'ils n'ont que trop reconnue.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.156, Paul Ollendorff, 1886)
     
  48. L'homme doit s'estimer heureux quand, à la fin de sa carrière, grâce à la collaboration de sa chance avec son adresse, il n'a pas emboursé trop de horions.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.156, Paul Ollendorff, 1886)
     
  49. C'est une amère mais sérieuse consolation, pour l'honnête homme qui déchoit de son rang, que d'être alors de niveau avec ceux que la Fortune avait, dès l'origine, moins favorisés que lui.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.157, Paul Ollendorff, 1886)
     
  50. Deux sortes de gens qui sont, à la vérité, quelquefois les mêmes, mais se manifestent différemment, selon les circonstances, ont surtout les bonnes grâces de- la Fortune : les arrogants et les pieds-plats.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.157, Paul Ollendorff, 1886)
     
  51. Même un noble esprit peut, sans trop de déshonneur, en sa jeunesse, courtiser la Fortune, quoiqu'elle ne soit qu'une drôlesse, mais s'il s'en voit clairement rebuté, il n'insiste pas.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.157, Paul Ollendorff, 1886)
     
  52. Il vaut mieux se trouver supérieur à la mauvaise fortune qu'inférieur à la bonne.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.157, Paul Ollendorff, 1886)
     
  53. Outre la satisfaction intrinsèque qu'il comporte, le bonheur offre cet avantage de nous être comme un rideau tiré sur le fond atroce de la vie, — oui atroce, même pour les heureux qui ne s'en doutent guère.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.158, Paul Ollendorff, 1886)
     
  54. Nous dépendons du Hasard jusque dans notre propre volonté qu'il suggère, alors même qu'il devrait ensuite la contrecarrer. Notre prétendu libre-arbitre n'est donc qu'un arbitre serf du Hasard.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.158, Paul Ollendorff, 1886)
     
  55. Certains hommes dégoûtent du succès par cela seul qu'ils l'obtiennent ou encore par leur façon de l'obtenir.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.158, Paul Ollendorff, 1886)
     
  56. Peut-être ne décidons-nous jamais qu'en apparence de ce que nous faisons, mais au contraire, ce que nous faisons décide-t-il toujours eu réalité de nous.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.158, Paul Ollendorff, 1886)
     
  57. Il y a un gouvernement réciproque de nous sur les choses et des choses sur nous, mais elles nous gouvernent beaucoup plus que nous ne les gouvernons.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.159, Paul Ollendorff, 1886)
     
  58. Faut-il donc, à l'exemple du gladiateur romain, au moment où l'on va mourir, et quand on a déjà la mort dans l'âme, saluer, le sourire aux lèvres, ce César invisible qu'on nomme le Destin, ou bien est-il permis de lui cracher au visage l'horreur qu'il nous inspire ?
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.159, Paul Ollendorff, 1886)
     
  59. Il faut se fier au malheur et se défier du bonheur. Le premier devient souvent heureux et le second malheureux avec le temps.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.159, Paul Ollendorff, 1886)
     
  60. Pour mille raisons, l'homme ayant quelque supériorité d'âme ou d'esprit a le plus grand intérêt à être riche, et, entre autres, pour celle-ci qu'il se fait respecter, à cause de sa fortune, des maroufles et des imbéciles à qui sa valeur morale n'impose pas.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.159, Paul Ollendorff, 1886)
     
  61. L'indigence de l'honnête homme et l'opulence du coquin sont doublement regrettables. Outre qu'il y a quelque chose de choquant à voir l'honnête homme pauvre et le coquin riche, on peut se dire que si les rôles étaient dans le juste sens, il y aurait moins de coquins heureux et d'honnêtes gens malheureux, car la fortune d'un coquin a coutume de profiter à d'autres coquins, comme celle d'un honnête homme à d'autres honnêtes gens.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.160, Paul Ollendorff, 1886)
     
  62. Il y a plus d'analogie qu'on ne le croit entre la combinaison psychique de faits simples qui produit les événements de notre vie et la combinaison chimique de corps simples qui produit les phénomènes de la Nature.
    Ce qu'on a coutume de nommer la bonne conduite n'est pas autre chose que le tact quelquefois aveugle avec lequel nous évitons un rapprochement de faits susceptibles de déterminer un malheur, soit pour nous-mêmes, soit pour les autres, et nous recherchons, au contraire, un rapprochement d'autres faits, duquel les conséquences doivent être heureuses.
    Il semble qu'un moraliste consommé devrait être capable de régler en quelque sorte sa destinée et celle des personnes à qui il s'intéresse, comme le chimiste l'est de transmuer la matière. Mais la science de la morale est encore à créer.
    Quand elle sera créée, tout romancier qui en aura l'esprit imbu pourra grandement servir la cause de l'Humanité en vulgarisant pour les hommes dans ses oeuvres la nomenclature psychique, sans la connaissance de laquelle il leur est impossible de tirer de leur propre existence le parti qu'elle comporte.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.163, Paul Ollendorff, 1886)
     
  63. Pour peu qu'il eût la puissance en mains, le savant psychologue pourrait produire à coup sûr certains événements bons ou mauvais dans la famille, ou dans l'État, ou dans le monde, par la combinaison de faits simples en telles circonstances déterminées.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.164, Paul Ollendorff, 1886)
     
  64. La valse est une demi-fornication par à peu près, moins intense assurément que l'entière fornication par tout-à-fait, mais ayant cela de beaucoup plus piquant qu'elle se passe en public, sous les yeux complaisants des maris et des mères.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.165, Paul Ollendorff, 1886)
     
  65. Les raffinements de l'obscénité ou les truculences du crime, voilà ce qui fait florès dans la littérature contemporaine ; voilà ce qui donne argent et renom.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.165, Paul Ollendorff, 1886)
     
  66. Le talent n'est pas toujours l'étoile qui naturellement scintille ; c'est parfois le diamant qu'il faut se donner la peine de tirer de sa gangue, d'égriser et de tailler.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.165, Paul Ollendorff, 1886)
     
  67. Dans le domaine infini de la pensée, quiconque n'a pas franchi les limites du connu à l'inconnu, a fait une oeuvre vaine..., je veux dire, plus vaine encore qu'une autre, toutes les oeuvres étant vaines.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.165, Paul Ollendorff, 1886)
     
  68. Les esprits nets, précis et surtout profonds, tout en admirant fort l'art oratoire dans ses beaux mouvements, en seront presque toujours, dès qu'il s'exercera sur eux, plus ou moins incommodés.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.166, Paul Ollendorff, 1886)
     
  69. Il faut à l'orateur une prodigieuse éloquence, ou à l'auditeur un très faible entendement, pour que celui-ci ne regrette point que celui-là n'ait pas tout simplement résumé son discours en quatre mots.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.166, Paul Ollendorff, 1886)
     
  70. Le génie de l'écrivain est tout à fait différent de celui de l'orateur, et jusqu'à un certain point lui est contraire.
    Tandis que le second ne vaut que par les élans, le premier ne vaut que par ces retraites en bon ordre qu'on nomme les ratures.
    Voilà pourquoi il y a si peu de bons écrivains qui sachent parler et si peu de bons orateurs qui sachent écrire.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.166, Paul Ollendorff, 1886)
     
  71. Ce qui constitue le vrai talent pour un écrivain ou pour un artiste, c'est d'exprimer de façon rare des pensées communes, ou mieux encore de façon commune des pensées rares.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.167, Paul Ollendorff, 1886)
     
  72. L'appareil photographique est l'orgue de barbarie de la peinture.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.167, Paul Ollendorff, 1886)
     
  73. La raison pourquoi la musique est l'objet d'un engouement universel, si bien que la plus grande satisfaction semble être de chanter et d'entendre chanter, ne serait-elle pas que rien ne comble mieux qu'elle le vide de l'esprit ?
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.167, Paul Ollendorff, 1886)
     
  74. Les pensées les plus brillantes ne sont que des bulles de savon.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.167, Paul Ollendorff, 1886)
     
  75. La scène dramatique en France n'est plus que la couveuse artificielle de tous les vices. Loin de châtier les mauvaises moeurs eu riant, comme la satire antique, elle les encourage, fût-ce en faisant pleurer.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.168 Paul Ollendorff, 1886)
     
  76. Peut-on imaginer contradiction plus stupéfiante que celle de notre société, qui, tout en flétrissant et punissant même à l'occasion l'adultère, s'en fait un jeu qu'elle enseigne sur toutes ses scènes par la voix de tous ses histrions?
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.168, Paul Ollendorff, 1886)
     
  77. Je me figure une honnête jeune femme, n'ayant vu sur tous les théâtres, depuis plusieurs années, que des pièces dont la principale héroïne est une femme adultère, et je me la figure rougissant de sa vertu et se disant enfin : — « Mais en restant fidèle à mon mari, je suis donc un phénomène quelque peu ridicule, je manque donc aux convenances les plus élémentaires, je n'ai donc rien de la femme à la mode ?
    Bon, bon, il ne faut pas être plus longtemps au-dessous des autres femmes. »

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.168, Paul Ollendorff, 1886)
     
  78. Certains écrivains dépeignent avec un rare talent des ignominies. C'est ce qu'on pourrait appeler des doreurs de boue.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.169, Paul Ollendorff, 1886)
     
  79. Le papotage chroniquailleur de la presse, exécutant des variations plus ou moins heureuses sur le plus mince événement, est aussi fastidieux que celui des salons pour quiconque n'aime pas les paroles perdues.
    Ces gens qui passent leur existence à sculpter des noyaux de cerises finissent par impatienter.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.169, Paul Ollendorff, 1886)
     
  80. 11 est vraiment fâcheux que sous prétexte de parisianisme, nos chroniqueurs à la mode emploient tant d'art à sertir, comme des pierres précieuses, dans l'or le plus pur de leur esprit, non pas les grains de beauté, mais les verrues de Paris.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.169, Paul Ollendorff, 1886)
     
  81. Il y a beaucoup d'ambition, et souvent déplacée, à vouloir se créer un public, si restreint qu'il soit. Étant donnée la banalité du talent qui fleurit chez tant de virtuoses, on doit se faire à ne jouer que pour soi la petite musique railleuse ou désolée qu'on peut avoir dans le coeur.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.170, Paul Ollendorff, 1886)
     
  82. Pourquoi, de tous les artistes, l'artiste lyrique est-il le plus payé ?... Est-ce donc que l'on préfère l'art du chant à tous les autres arts ? Pas précisément, mais c'est que le goût naturel qu'ont les femmes de montrer leurs épaules et leurs bijoux, ne recevant sa véritable satisfaction qu'à l'Opéra, les imprésarios peuvent, sous le plus léger prétexte, taxer les places à des prix fabuleux, sans crainte qu'elles restent inoccupées.
    C'est encore que le chant, de même qu'il est accompagné par l'orchestre, accompagne, à son tour, les coquetteries et même les coquineries des spectatrices.
    Les chanteurs et les chanteuses profitent de cela, à la vérité, dans des proportions qui deviennent de plus en plus scandaleuses, mais ce qu'on paye au fond, ce qu'on veut payer, ce n'est pas leur talent, c'est un droit de demi- passe dans un lupanar idéal.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.170, Paul Ollendorff, 1886)
     
  83. Passé quarante ans, quand l'observateur voit combien sont vaines toutes les pensées qui s'agitent dans les cerveaux humains et combien sont creuses celles qui lui avaient d'abord semblé profondes, il se prend à regretter de n'avoir pas borné son intelligence à la production de sons harmonieux.
    Hélas 1 pourquoi lui est-il impossible, par ignorance de la musique, de s'étourdir avec des mélodies, et de tirer, devant l'abîme d'incertitude qui est le terme de son existence, comme un rideau splendide fait de sonates, de concertos, d'oratorios, d'hymnes, d'intermèdes, de chants de toutes sortes !
    Au moment même où le stupide chasseur le guette traîtreusement, le rossignol prodigue ses trilles enthousiastes. À la veille de mourir,sans avoir pu rien comprendre à la vie, ce pauvre penseur n'a pas la ressource du rossignol.
    Et, cependant, à côté de lui, qui ne sait ni chanter ni faire chanter un instrument et qui, par désespoir philosophique, aurait si grand besoin de le savoir, il y a des ténors et des virtuoses pour lesquels leur grand talent n'a été qu'un moyen de satisfaire leur vanité et de faire leur fortune, et qui n'ont jamais songé que la musique eût d'autre utilité que celle-là.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.171, Paul Ollendorff, 1886)
     
  84. Un poète, c'est plusieurs hommes en un seul.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.172, Paul Ollendorff, 1886)
     
  85. Il en est du poète comme de l'araignée. C'est aussi de son propre fonds qu'il tire les fils ténus dont il tisse sa toile, et cette toile sans consistance, dès qu'il a fini de l'ourdir, il la contemple avec le même puéril orgueil et la même sereine immobilité, mais il n'y prendra jamais autant de lecteurs que l'araignée de mouches, et, en prit-il autant, il n'a point, hélas ! la ressource de les manger.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.172, Paul Ollendorff, 1886)
     
  86. Lorsque, sur la foi d'une imagination folle, on s'est cru longtemps un cygne et qu'on s'aperçoit tout à coup, en se regardant au clair miroir d'une fontaine, qu'on est une oie, c'est douloureux. Mais un pareil accident est très rare. Pour quelques oies qui l'éprouvent et qui eussent même mérité par là d'être des cygnes, la plupart des oies qui se sont figuré être des cygnes persistent jusqu'au bout dans leur profonde erreur, et même si tout le monde les considère comme des oies, elles se considèrent toujours comme des cygnes.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.173, Paul Ollendorff, 1886)
     
  87. Il en est presque du talent comme de la vertu. Ceux qui en ont peuvent, à défaut du témoignage d'autrui, trouver dans leur conscience intime de quoi se contenter.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.173, Paul Ollendorff, 1886)
     
  88. Il ne faut pas s'étonner que dans le monde on aime tant la comédie et les comédiens. Le monde lui-même n'est qu'un vaste théâtre mutuel, où l'on n'est possible qu'à la condition de se créer sans cesse une personnalité factice, c'est-à-dire de renoncer à être soi pour jouer des rôles.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.173, Paul Ollendorff, 1886)
     
  89. En littérature, toute personnalité tranchée, tant qu'elle ne s'impose pas au public, le choque ou lui reste indifférente. Pour lui plaire, la première condition est de ne point se distinguer des autres.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.174, Paul Ollendorff, 1886)
     
  90. Devenu délicat, l'esprit se refuse à toute autre nourriture qu'à un consommé d'idées ou de sentiments. Il ne digère plus même des chefs-d'oeuvre, s'ils ne sont pas tout à fait substantiels.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.174, Paul Ollendorff, 1886)
     
  91. Le charlatanisme est une sorte de prestidigitation qui fait sortir de dessous le boisseau un mérite qui n'y est pas.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.174, Paul Ollendorff, 1886)
     
  92. On en est arrivé de nos jours à imiter le talent aussi bien que les métaux rares et les pierres précieuses. C'est une industrie nouvelle que le premier venu peut pratiquer, s'il a quelque flair de nez et quelque souplesse de main.
    Elle rapporte gros à nombre de gens, littérateurs ou artistes, dont les produits sont journellement admirés par ce bon public qui les croit en vrai tandis que c'est du toc. Il n'y aurait pas trop à dire néanmoins si, d'une part, ces parfaits imitateurs avaient la loyauté qu'ont les bijoutiers en faux, de prévenir les chalands inexpérimentés, et si, d'autre part, ils ne faisaient pas une concurrence mortelle à ceux qui mettent pour de bon du talent dans leurs oeuvres.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.174, Paul Ollendorff, 1886)
     
  93. L'artiste, le mieux inspiré, le plus habile, peut et doit compter qu'il ne fait que des bulles de savon qui se brisent en l'air, à moins qu'un miracle ne les cristallise, mais s'il lui plaît, à lui, de voir ces bulles de savon s'iriser un moment au soleil !... Et si cela lui plaît à l'exclusion de tout le reste !
    Peut-être bien est-ce un exercice qui vaut, par exemple, de remuer des balles de coton ou de chiffonner des belles-de-nuit.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.175, Paul Ollendorff, 1886)
     
  94. Dans une foule, il faut trop jouer des coudes pour arriver au premier rang. C'est pourquoi ceux qui n'aiment pas la bousculade préfèrent laisser passer devant eux les plus pressés qu'ils peuvent envier secrètement, mais tout en trouvant dans leur ardeur quelque chose de puéril.
    Il y a de la badauderie jusque dans la poursuite de la renommée qui est vaine comme tout le reste.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.176, Paul Ollendorff, 1886)
     
  95. Rien de plus misérable que le cri de notre vanité, lorsqu'il n'a pas d'écho, mais est aussitôt couvert par la fanfare sonore des grandes renommées.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.176, Paul Ollendorff, 1886)
     
  96. À voir le succès de certains ouvrages et l'insuccès d'autres, c'est à se demander si le mérite d'un artiste ou d'un écrivain n'est pas le plus souvent en raison inverse de ce qu'il paraît au bon public.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.176, Paul Ollendorff, 1886)
     
  97. Étant donné le naturel essentiellement mobile de l'homme, le spectacle même du beau trop prolongé ou trop répété lui devient lassant et il en arrive bientôt à se dégoûter de purs chefs-d'oeuvre.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.177, Paul Ollendorff, 1886)
     
  98. L'esprit de surface recouvre souvent bien de la bêtise au fond, et il en est alors de lui comme de ce glacis miroitant qui apparaît sur les eaux croupissantes.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.177, Paul Ollendorff, 1886)
     
  99. On aura beau contester, avant tout marche dans le domaine intellectuel le rendu d'une idée, puis celui d'un sentiment, puis celui d'une sensation, et enfin celui d'une forme ou d'un fait.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.177, Paul Ollendorff, 1886)
     
  100. Pour que les ignorants puissent se faire une idée, même lointaine, de la profondeur de leur ignorance, il faut encore qu'ils sachent que les savants les plus avérés considèrent la leur propre comme un gouffre insondable.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.178, Paul Ollendorff, 1886)
     
  101. Le plus grand art de la vie est peut-être de se contenter du peu qu'on a ou qu'on peut avoir... de se fabriquer de la joie avec des riens.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.178, Paul Ollendorff, 1886)
     
  102. Parmi ceux qui écrivent à cette heure, il y en a qui ne seront lus qu'aujourd'hui et d'autres qui ne seront lus que demain.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.178, Paul Ollendorff, 1886)
     
  103. Salut, dans la suite des siècles, aux bienheureux érudits, véritables saints de la littérature, seul et dernier espoir des écrivains méconnus de leur temps !
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.178, Paul Ollendorff, 1886)
     
  104. Si j'étais roi, je voudrais me donner une grande satisfaction d'amour-propre et m'ouvrir une page unique dans les fastes de l'histoire. Ce serait de décréter dans mon royaume la République et de m'en faire nommer le président... honoraire.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.181, Paul Ollendorff, 1886)
     
  105. Un jour, je vis un enfant, fils d'excellents bourgeois, qui ramassait des escargots.
    — Qu'en veux-tu faire ? lui dis-je.
    — Je veux, me répondit-il, les porter à la boulangère qui m'en donnera un casse-museau.
    - Laisse, je t'en prie, ces pauvres bêtes tranquilles... Après tout, elles ne font peut-être pas tout le mal qu'on veut bien dire.
    — Ah! dame, cela me vaudra un casse-museau.
    Plus tard, pensai-je, cet enfant devenu homme sera moins naïf, mais non moins avisé.
    Les escargots, ce seront ses pudeurs de conscience ; la boulangère, ce sera le Pouvoir ; le casse-museau, ce sera une bonne place ou une croix d'honneur.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.181, Paul Ollendorff, 1886)
     
  106. Le peuple français, qui s'est montré capable d'une révolution sanglante de si haute portée, semble vraiment incapable de la plus simple évolution pacifique. N'est-ce donc qu'en état de folie furieuse qu'il retrouve son bon sens ?
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.182, Paul Ollendorff, 1886)
     
  107. La politique est le fief des amplificateurs de la parole et de la plume.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.182, Paul Ollendorff, 1886)
     
  108. On est si orniériste en France, et même parmi les gens de progrès, qu'on se refuse à croire qu'une innovation soit praticable tant qu'elle n'a pas été pratiquée.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.183, Paul Ollendorff, 1886)
     
  109. Le législateur a mauvaise grâce à se retrancher derrière la routine populaire pour ne point édicter les réformes d'où le bien-être général pourrait sortir. Il doit être sagace pour le peuple, prudent pour le peuple, résolu pour le peuple, et c'est même là le point essentiel, quoique seulement implicite du mandat qu'il a reçu de lui.
    Outre la lettre de ce mandat, il y en a l'esprit, et il serait désirable que le mandataire eût plus souvent celui de le démêler.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.183, Paul Ollendorff, 1886)
     
  110. La loi qui consacre un progrès non encore mûr, c'est-à-dire non encore fortement désiré par le peuple, est à ce progrès ce qu'est la cloche au melon de couche : elle hâte sa maturité.
    C'est donc la chose la plus déraisonnable de la part du législateur que de ne vouloir pas légiférer d'un progrès sous prétexte qu'il n'est pas encore mûr.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.183, Paul Ollendorff, 1886)
     
  111. Le peuple ne s'aperçoit souvent de l'utilité d'une loi que quand il en éprouve les bienfaits. Il ne faut donc pas attendre qu'il ait songé lui- même à une loi de progrès pour l'édicter.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.184, Paul Ollendorff, 1886)
     
  112. On serait naïf de croire à la sincérité des politiciens les plus fidèles en apparence à leur foi politique, et si fidèles qu'ils trahissent souvent pour elle la bonne foi. Ils ne veulent qu'une chose : conserver leur attitude.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.184, Paul Ollendorff, 1886)
     
  113. Nous nous accommodons également de l'autorité et de la liberté, pourvu que l'une et l'autre soient exercées à notre profit, mais nous en sommes également incommodés si elles le sont à nos dépens.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.184, Paul Ollendorff, 1886)
     
  114. La politique exclut presque toujours la sincérité. C'est si vrai que dans maintes circonstances, pour expliquer qu'une personne manque de sincérité, on dit qu'elle est politique, qu'elle parle ou agit, comme elle le fait, par politique.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.185, Paul Ollendorff, 1886)
     
  115. Aux yeux des gens qui joignent le désintéressement à la perspicacité, la politique a cela de peu tentant qu'alors qu'on croit servir la cause de son pays, on sert l'ambition des politiciens.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.185, Paul Ollendorff, 1886)
     
  116. Du suffrage universel il n'en est ni plus ni moins que du suffrage restreint. Ce sont aussi presque toujours de grands intrigants qui se font imposer au peuple bonasse par de petits intrigants, leurs sous-ordres.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.185, Paul Ollendorff, 1886)
     
  117. Les électeurs font quelquefois les élus, mais les élus refont presque toujours les électeurs.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.185, Paul Ollendorff, 1886)
     
  118. L'utopiste est un homme généralement doué d'une raison supérieure, mais qui présume beaucoup trop de l'intelligence du commun, en le croyant capable de partager ses idées.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.186, Paul Ollendorff, 1886)
     
  119. 11 y a un mal tout entier dans les demi-mesures.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.186, Paul Ollendorff, 1886)
     
  120. De même qu'en biologie le besoin crée l'organe, en politique il fournit les moyens.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.186, Paul Ollendorff, 1886)
     
  121. La politique est l'art de faire ses affaires sous le couvert de l'État.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.186, Paul Ollendorff, 1886)
     
  122. Les politiciens, qu'ils soient démocrates ou aristocrates, se servent du peuple et ne songent qu'à s'en servir pour leur intérêt propre : telle est la ressemblance. Mais les premiers ne se servent du peuple qu'en le servant, tandis que les seconds s'en servent en le desservant. Telle est la différence.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.186, Paul Ollendorff, 1886)
     
  123. L'évolution qui porte l'Humanité en avant, et qu'on nomme communément le Progrès, est comparable à un fleuve majestueux, dont ceux qui croient à la Providence divine ne devraient pas plus chercher à remonter le cours que ceux qui ne croient qu'à l'expansion humaine, mais il n'en est pas moins certain que dans le cours lui-même de ce fleuve, il y a des remous bien fâcheux. Il s'en faut que tout soit progrès dans le progrès.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.187, Paul Ollendorff, 1886)
     
  124. Les journalistes ne sont, hélas ! trop souvent, que des avocats remplaçant la langue par la plume et cherchant aussi à convaincre, sans être convaincus.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.187, Paul Ollendorff, 1886)
     
  125. Les compromissions parlementaires, d'où sortent des lois bâtardes, sont peut-être plus funestes au progrès politique que l'effort triomphant d'un parti, d'où sortiraient des lois de réaction ; car il vaut mieux pour lui être enrayé que dévoyé.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.187, Paul Ollendorff, 1886)
     
  126. L'équivoque en politique est le meilleur frein du progrès.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.188, Paul Ollendorff, 1886)
     
  127. Il y a des hommes politiques si traîtres ou si maladroits qu'en disant ou croyant même sincèrement stimuler le progrès, ils le retiennent ; leur prétendu fouet n'est qu'un caveçon.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.188, Paul Ollendorff, 1886)
     
  128. La femme de César, c'est la Démocratie, et comme à la femme de Sganarelle, il lui plaît, à elle, d'être battue.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.188, Paul Ollendorff, 1886)
     
  129. Malheur à celui qui ne hurle pas précisément dans le ton de la bête populaire, quand elle est déchaînée : elle ne lui trouve nulle grâce et ne lui en fait aucune.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.188, Paul Ollendorff, 1886)
     
  130. Qu'il y ait par impossible un homme politique d'un sens et d'un coeur droits, résistant aux exigences parfois stupides, parfois odieuses de son parti, pour demeurer fidèle à sa conscience, il perdra tout crédit et l'on dira de lui que c'est un sauteur.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.188, Paul Ollendorff, 1886)
     
  131. La nation française est comparable à une femme naïve et crédule qu'on voit donner son coeur... et le reste au premier fumiste venu, s'il lui fait de belles phrases.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.189, Paul Ollendorff, 1886)
     
  132. Pour être une maritorne, la plèbe n'en est pas moins femme, et l'unique moyen de se faire aimer d'elle est de ne la point aimer... en lui déclarant d'ailleurs vivement son amour.
    Insensible aux protestations sincères, mais maladroites de tendresse que lui fera l'honnête homme, elle se pâmera toujours d'aise, rien qu'à entendre le gourgandin phraser.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.189, Paul Ollendorff, 1886)
     
  133. Le malheur des peuples est qu'ils sont toujours gouvernés, non dans leur intérêt, mais dans celui de leurs gouvernants.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.189, Paul Ollendorff, 1886)
     
  134. Du jour où la politique ne sera plus l'art de tromper le peuple, qu'elle se prévale de la Monarchie ou de la République, il y aura peut-être plus d'honnêtes gens pour en faire.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.190, Paul Ollendorff, 1886)
     
  135. Pour arriver soi-même en politique, il faut être tors et même retors, mais il faut être droit et très droit pour faire arriver la Justice.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.190, Paul Ollendorff, 1886)
     
  136. Depuis le premier ministre d'un État jusqu'au plus humble fonctionnaire, l'homme qui arrive en place se flatte toujours de mieux faire que son prédécesseur, mais il ne s'en soucie jamais. S'il ne commet pas précisément les mêmes bêtises, il en commet d'autres tout aussi pommées.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.190, Paul Ollendorff, 1886)
     
  137. Bien souvent le peuple hue ceux qui l'aiment, tandis qu'il acclame ceux qui font semblant de l'aimer. Voilà pourquoi les premiers, s'ils sont avisés, ne disputeront jamais aux seconds ses suffrages.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.190, Paul Ollendorff, 1886)
     
  138. Grand merci de la politique, où il n'y a de succès possible que pour ceux qui asservissent leur conscience à un parti, voire même à l'une des fractions d'un parti, et de succès certain que pour ceux qui se jouent de leur conscience et de tous les partis !
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.191, Paul Ollendorff, 1886)
     
  139. En fait d'amour, on commence par aimer tout ce qu'on croit connaître, sans le connaître en réalité ; on continue par n'aimer que ce qu'on ne connaît pas, justement parce qu'on ne le connaît pas encore, et on finit par ne plus même aimer ce qu'on ne connaît pas... parce qu'on le connaît d'avance.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.195, Paul Ollendorff, 1886)
     
  140. Les femmes n'ont guère tout leur prix qu'aux yeux d'un homme qui est atteint de la fluxion périodique de l'amour. C'est alors que la plus disgracieuse d'entre elles lui semble quelque chose d'admirable, qu'il préfère à tout ce qui n'est point femme.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.195, Paul Ollendorff, 1886)
     
  141. Faire l'amour : tomber du haut bien !
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.196, Paul Ollendorff, 1886)
     
  142. Il y a une générosité de sens bien outrageante de la part d'une belle femme qui donne à son amant du plaisir et ne lui en demande pas en retour. Je ne serais pas étonné que la froideur qu'on remarque ordinairement chez les femmes belles tînt à une morgue ridicule, pareille à celle de l'homme important qui ne vous rend votre salut qu'à demi et sans vous regarder.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.196, Paul Ollendorff, 1886)
     
  143. L'amour, si vrai et si profond qu'il soit, qu'un homme a pour une femme ou une femme pour un homme, n'est que le reflet de son égoïsme sur une créature déterminée.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.196, Paul Ollendorff, 1886)
     
  144. Quand on aime réellement, on aime jusqu'aux infirmités de l'objet aimé. C'est ainsi qu'un homme, épris de sa maîtresse, et qui ne désirait certainement pas sa mort, l'ayant entendue tousser, lui parlait de sa « petite toux chérie. »
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.197, Paul Ollendorff, 1886)
     
  145. Ce qui caractérise le mieux l'amour d'un être pour un autre, c'est le double sentiment qu'on éprouve, — de quiétude en sa présence et d'inquiétude en son absence.
    En dehors de ce double sentiment très rarement unilatéral et bien plus rarement encore bilatéral, il peut y avoir de la sympathie, du désir, de la passion et même très vive... Il n'y a point d'amour.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.197, Paul Ollendorff, 1886)
     
  146. De toutes les définitions qui ont été données de l'amour-passion, la plus juste est peut-être la suivante :
    C'est une maladie analogue au daltonisme, découvert par Dalton, et qui consiste en ce que le sujet aimant voit l'objet aimé tout autre qu'il n'est.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.197, Paul Ollendorff, 1886)
     
  147. Négoce, vanité, trahison, luxure : voilà les principaux condiments, isolés ou réunis, de ce ragoût peu ragoûtant que la civilisation nous sert sous le nom d'amour.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.198, Paul Ollendorff, 1886)
     
  148. Pour quiconque n'a plus de mère, il est encore un moyen aussi sûr d'être aimé, c'est d'avoir un chien, mais il n'en est pas d'autre.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.198, Paul Ollendorff, 1886)
     
  149. Plus de gens qu'on ne pense, hommes et femmes, trouvent le vrai charme de l'amour pour deux amoureux, dans le fait qu'ils trahissent un tiers, et le charme suprême pour la personne aimée, dans le fait qu'elle trahit la personne aimante. Voilà un charme qui est loin d'être charmant !
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.198, Paul Ollendorff, 1886)
     
  150. L'amour, même partagé, ne peut donner le bonheur, non seulement en raison de toutes les fortunes contraires, dont l'une ou l'autre ne tarde guère à l'atteindre, mais parce que celui et celle qui s'aiment, s'aimassent-ils également, n'ont jamais la même espèce d'amour.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.199, Paul Ollendorff, 1886)
     
  151. La femme est essentiellement berceuse. Aussi endort-elle les hommes comme les enfants, mais à moins de frais. Toutes les fois que ses caresses n'ont pas la vertu de nous éveiller à l'extrême, elles nous plongent dans une suave torpeur.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.199, Paul Ollendorff, 1886)
     
  152. Si l'on s'entendait une bonne fois pour considérer, — et très justement, — comme la chose la plus naturelle du monde le rapprochement sexuel, on simplifierait de beaucoup l'honneur des maris et la vertu des femmes.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.199, Paul Ollendorff, 1886)
     
  153. L'adultère n'a qu'un vilain, mais un très vilain côté qui le rendra toujours haïssable aux natures droites : c'est la duplicité qu'il suppose ; tous les autres côtés en sont passables.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.199, Paul Ollendorff, 1886)
     
  154. Au point de vue de la vertu, telle qu'elle est comprise dans l'ordre social, les femmes peuvent être divisées en six catégories.
    Il y a :
    1° Celles qui sont décidées à manquer de vertu et qui en manquent ;
    2  Celles qui voudraient bien en manquer et qui n'en manquent pas ;
    3  Celles qui en manquent, quoique ayant l'intention formelle de n'en pas manquer ;
    4  Celles qui n'en ont pas encore manqué, mais qui en manqueront, parce qu'elles sont jeunes ;
    5  Celles qui en ont manqué, mais qui n'en manqueront plus, parce qu'elles sont vieilles ;
    6  Celles qui ont eu d'abord l'intention et qui auront ensuite la chance de n'en pas manquer, lesquelles sont, à proprement parler, les seules femmes vertueuses.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.200, Paul Ollendorff, 1886)
     
  155. Il y a une caresse implicite et licite qui supplée très bien la caresse effective et défendue, et le plus souvent lui est préférable, — en ce qu'elle est exempte de toute désillusion, — dans le regard, le sourire, les paroles même banales qu'échangent un homme et une femme qui se désirent ou même regrettent au fond du coeur de ne pouvoir se désirer.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.201, Paul Ollendorff, 1886)
     
  156. Qu'il y ait des courtisanes ayant tout l'instinct de la mère de famille et des mères de famille tout l'instinct de la courtisane: voilà ce qui montre la cruelle imbécillité du Destin !
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.201, Paul Ollendorff, 1886)
     
  157. Lorsqu'on est parvenu à retourner l'amour comme un gant, et qu'on voit clairement qu'il n'y avait rien dedans qu'une illusion, il est encore possible d'aimer par besoin de nature, sans plus croire le moins du monde à l'amour.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.201, Paul Ollendorff, 1886)
     
  158. Il n'y a pas de tempéraments plus opposés que celui de Don Juan, ayant affaire à une femme délicieuse et en cherchant toujours une nouvelle avec l'espoir de trouver mieux, et celui de Don José (appelons-le ainsi), ayant affaire à une femme insupportable et s'y tenant très fidèlement, dans la crainte de trouver pis.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.201, Paul Ollendorff, 1886)
     
  159. Je veux bien que l'amour soit quelquefois un rayon de soleil sur l'eau d'un lac azuré, mais c'est beaucoup plus souvent un rayon de soleil sur de la boue, quand ce n'est pas, hélas ! de la boue sans soleil.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.202, Paul Ollendorff, 1886)
     
  160. Oh ! la rougeur gauche et charmante qu'un regard de femme allume sur les joues de l'adolescent dont le coeur déborde d'idéal !
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.202, Paul Ollendorff, 1886)
     
  161. Dans sa période active, la femme produit deux effets bien différents sur nous. Lorsque nous sommes encore naïfs et que nous la voyons à travers le prisme de l'idéal, elle nous fait rougir ; quand, plus tard, nous l'étreignons comme une réalité, elle nous fait pâlir.
    Combien il vaut mieux pour elle et aussi pour nous que le voile d'Isis ne soit pas encore déchiré !

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.202, Paul Ollendorff, 1886)
     
  162. L'adultère donne généralement plus de peine qu'il ne cause de plaisir. Donc, au point de vue même de la volupté, sans la moindre acception de morale, c'est une grossière bêtise ; mais, voilà : les romanciers semblent le préconiser dans tous leurs ouvrages et l'on veut imiter les héros de romans.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.203, Paul Ollendorff, 1886)
     
  163. Le prologue de la volupté est irritant, le dialogue enivrant et l'épilogue répugnant.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.203, Paul Ollendorff, 1886)
     
  164. Aussitôt qu'ils ont fini de jouer le mystère charnel de l'amour, l'auteur et l'actrice se trouvent respectivement et réciproquement très bêtes dans les meilleurs cas, et, dans les pires, absolument ignobles.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.203, Paul Ollendorff, 1886)
     
  165. Il n'y a que les bêtes qui envisagent l'amour comme il doit être envisagé ; nous autres, nous y cherchons midi à quatorze heures, et, naturellement, nous ne l'y trouvons pas.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.204, Paul Ollendorff, 1886)
     
  166. L'amour est au vrai la possession réciproque, toujours constante et paisible, mais momentanément avivée par les sens, d'un homme et d'une femme qui s'estiment et se satisfont de tout leur être.
    Le reste usurpe le nom d'amour.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.204, Paul Ollendorff, 1886)
     
  167. Ce qui fait de l'amour monogamique et fidèle et constant quelque chose d'absolument supérieur à tout amour multiple, ou irrégulier, ou accidentel, c'est que lui seul reconstitue sérieusement l'être humain en créant un tout permanent de ses deux moitiés, non de ses deux moitiés physiques dont la conjonction demeure fortuite, mais de ses deux moitiés morales qui ne cessent pas une minute d'être unies. Elles le sont, le jour, par l'identité des joies et des soucis ; elles le sont, la nuit, dans l'absorption même du sommeil par la divine quiétude du côte à côte.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.204, Paul Ollendorff, 1886)
     
  168. L'amour de soi-même, s'il est immodéré, est aussi décevant que les autres amours. On n'est trahi par personne ; on se trahit personnellement. Et les actions sottes et compromettantes que l'on fait alors le démontrent jusqu'à l'évidence.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.205, Paul Ollendorff, 1886)
     
  169. Il est très heureux pour notre amour-propre que nous ne trouvions pas la satisfaction de notre idéal dans la personne aimée, car nous sentirions trop cruellement que nous sommes loin de satisfaire le sien.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.205, Paul Ollendorff, 1886)
     
  170. La substance de l'amour est certainement toujours la même, mais combien sa forme est variable !
    Voilà pourquoi il n'y a pas plus de ressemblance entre l'amour des gens délicats et l'amour des gens grossiers, qu'entre le biscuit de Savoie et le pain de munition, quoique les deux premiers soient faits de consexualité comme les deux seconds de farine.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.206, Paul Ollendorff, 1886)
     
  171. Les hommes ont trouvé moyen de gâcher ce que la Nature leur a donné de meilleur, — l'Amour !
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.206, Paul Ollendorff, 1886)
     
  172. Il y a plusieurs causes faciles à déterminer dans l'excessive tendresse que nous portons d'ordinaire à nos enfants, mais la première en date c'est qu'ils fixent durablement dans leur chair et leur âme un de nos éclairs d'amour.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.206, Paul Ollendorff, 1886)
     
  173. La situation déplaisante où se trouvent réciproquement l'homme et la femme après l'étreinte amoureuse n'est sauvée à peu près que dans le mariage ou du moins dans l'union suivie et confiante... Combien ce qu'ils ont d'abord perdu en ivresse, ils le regagnent en sérénité !
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.207, Paul Ollendorff, 1886)
     
  174. Supposons qu'un homme et une femme d'un esprit tout à fait supérieur aient ensemble une conversation très élevée. Ils n'ont pas de manière plus exquise de la terminer que de tourner à la brute d'un accord spontané, si toutefois ils sont moralement libres de leurs actes.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.207, Paul Ollendorff, 1886)
     
  175. Il y a des gens pour qui l'amour est comme la fleur de Cytise, qui n'embaume qu'à distance. S'ils s'approchent de lui, ils ne le sentent plus.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.207, Paul Ollendorff, 1886)
     
  176. Viande creuse ou creusante, mais creuse encore, ce bel Amour !
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.207, Paul Ollendorff, 1886)
     
  177. Ce qui fait de l'amour s'accomplissant quelque chose de vraiment divin, c'est qu'il y a quasi transsubstantiation de l'homme à la femme et de la femme à l'homme.
    Durant les quelques secondes d'extase, il semble à Lui qu'il devient Elle et à Elle qu'elle devient Lui.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.208, Paul Ollendorff, 1886)
     
  178. Il est dommage que l'infini, d'ailleurs bientôt fini de l'amour, résulte d'une opération qui, pour douce et savoureuse qu'elle soit, n'en est pas moins abjecte et ridicule.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.208, Paul Ollendorff, 1886)
     
  179. Au point de vue physiologique, le seul où il faille se placer pour l'envisager, l'amour est une vibration périodiquement utile au bon équilibre de notre organisme ; c'est la remise en train de toute la machine humaine.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.208, Paul Ollendorff, 1886)
     
  180. Les choses de ce monde n'ont qu'un pivot : la conjonction des sexes.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.208, Paul Ollendorff, 1886)
     
  181. Ils doivent être rares les hommes éclairés et consciencieux qui, arrivés à un certain âge, et comme en vue de la Mort, ne se rendent pas le triste témoignage que leur vie ne valait la peine d'être vécue, ni pour eux-mêmes ni pour les autres.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.211, Paul Ollendorff, 1886)
     
  182. La plupart des hommes vivent comme s'ils ne voyaient pas leur vie et surtout comme s'ils ne prévoyaient pas leur mort, — simples animaux à cet égard.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.211, Paul Ollendorff, 1886)
     
  183. Tout à la vie, l'homme ne sent nulle part l'odeur de son cadavre ; préoccupé de la mort, il la sent partout..., même dans le parfum des rosés.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.212, Paul Ollendorff, 1886)
     
  184. L'idée de la mort rectifie la vie.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.212, Paul Ollendorff, 1886)
     
  185. Être cadavre, c'est triste ; être en poussière, c'est déjà charmant; mais être volatilisé... quel rêve !
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.212, Paul Ollendorff, 1886)
     
  186. Quel est le plus sage : lâcher sa vie ou la contenir ? Faire le diable ou bien défaire, refaire et même contrefaire Dieu ?
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.212, Paul Ollendorff, 1886)
     
  187. Une angoisse entre deux néants : telle est la vie !
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.212, Paul Ollendorff, 1886)
     
  188. Le définitif humain n'est jamais que du provisoire. Tout est provisoire dans la vie et surtout la vie.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.212, Paul Ollendorff, 1886)
     
  189. Être sur terre, être sous terre..., quel est le moindre mal ?
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.213, Paul Ollendorff, 1886)
     
  190. Qu'on avance, qu'on recule ; qu'on aille à droite, qu'on aille à gauche..., on arrive à la mort, but involontaire, mais but suprême, et en quelque sorte, circulaire de l'homme.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.213, Paul Ollendorff, 1886)
     
  191. Il est plus difficile d'être spectateur que d'être acteur dans la comédie de la vie. Les plus sots sont acteurs ; ce ne sont que les grands esprits qui peuvent être spectateurs.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.213, Paul Ollendorff, 1886)
     
  192. À peine inscrits sur le grand livre du Destin, nous y sommes effacés.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.213, Paul Ollendorff, 1886)
     
  193. La vie de chacun de nous est un petit ruisselet plus ou moins bourbeux, plus ou moins tapageur, qui ne tarde pas à venir se reperdre dans la terre, d'où il était sorti un instant.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.214, Paul Ollendorff, 1886)
     
  194. La Mort est un aimant d'une jolie puissance et qui attire, bon gré mal gré, de bien loin, les plus récalcitrants d'entre nous.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.214, Paul Ollendorff, 1886)
     
  195. Plus l'aimant odieux et irrésistible de la mort l'attire à lui, plus l'homme, pour peu qu'il soit devenu sage, renonce à ses prétentions d'abord si grandes sur les gens et les choses.
    Finalement, il ne lui en reste plus qu'une, qui est de vivre en paix et en santé ses dernières années... Et encore, instruit par l'expérience, n'ose-t-il guère se flatter d'y réussir.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.214, Paul Ollendorff, 1886)
     
  196. C'est étonnant comme, vus à travers l'objectif de la mort, les plus grands événements de la vie semblent petits, petits !
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.214, Paul Ollendorff, 1886)
     
  197. La vie !... quelle serinette ! Toujours le même air... et pas drôle, même quand il veut l'être, surtout quand il veut l'être. En vérité, en vérité, pour qui l'a entendu longtemps, cet air monotone, le silence de la tombe semble bien préférable.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.215, Paul Ollendorff, 1886)
     
  198. Quand on a entendu rabâcher pendant quarante ans ce méchant opéra de la vie, dans lequel deux ou trois airs seulement ont fait plaisir, — et encore à la condition qu'ils fussent bien chantés par hasard, — il est vraiment inouï qu'on veuille toujours y assister et qu'on redoute le moment où la toile tombera pour la dernière fois.
    Il serait pourtant si naturel de désirer entendre autre chose, ou même ne plus rien entendre du tout.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.215, Paul Ollendorff, 1886)
     
  199. Quelle contradiction amère ! Plus on dépense de vie, moins on se sent vivre. Aussi croirait-on que les gens actifs vivent pour les oisifs et non pour eux-mêmes. Et tandis que les premiers sont envahis de sensations qu'ils n'ont pas le temps de classer, les seconds qui auraient grandement le temps de classer les leurs n'en ont pas ou presque pas !
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.215, Paul Ollendorff, 1886)
     
  200. Pour tout esprit, pour tout coeur délicat, la vie qui lui est départie, si épurée qu'elle puisse être, n'en reste pas moins une grossière ordure, bien digne de précéder cette ordure plus grossière : la mort !
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.216, Paul Ollendorff, 1886)
     
  201. Nous ne sommes que des maquettes que la Nature s'amuse à pétrir, pour les briser le moment d'après, sans songer le moins du monde à nous tailler ou à nous couler en une substance qui nous perpétue.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.216, Paul Ollendorff, 1886)
     
  202. Il faut beaucoup d'ingénuité ou beaucoup d'astuce pour se complaire en la vie et pour s'en avouer content.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.216, Paul Ollendorff, 1886)
     
  203. Nous ne pouvons faire un pas dans la rue sans rencontrer des gens qui, comme nous, vont à leur insu, par des chemins plus ou moins détournés, à leur propre enterrement.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.217, Paul Ollendorff, 1886)
     
  204. Les plus désespérés dans la vie, ceux-là mêmes que leur désespoir semblerait devoir, condamner à l'inaction, sont après tout forcés d'agir comme les autres, mais avec le sentiment cruel qu'ils ne font rien qui vaille, qu'ils se meuvent en plein Néant.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.217, Paul Ollendorff, 1886)
     
  205. C'est un très grand bonheur pour l'homme que son horizon soit si mirageux. Il voit son être à perte de vue et n'aperçoit pas son néant tout proche.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.217, Paul Ollendorff, 1886)
     
  206. Comment admettre que notre individualité reste intacte après la mort, quand déjà, durant la vie, elle subit au physique comme au moral des transformations si considérables qu'il nous semble à nous-mêmes que l'être que nous étions dix ans plus tôt était un autre être que nous ?
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.217, Paul Ollendorff, 1886)
     
  207. S'intéresser à tout ou se désintéresser de tout, ce sont là deux manières de pratiquer la vie. La première la fait mieux passer ; la seconde, la fait moins regretter.
    Quelle est la plus raisonnable? Celle qui convient le mieux à notre tempérament.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.218, Paul Ollendorff, 1886)
     
  208. En vieillissant, les gens qui ont eu le plus de curiosité durant leur jeunesse finissent par n'être plus curieux de rien, sinon de repos. Or, si la satisfaction de cette curiosité dernière se fait un peu attendre, ils peuvent du moins être sûrs qu'elle sera bientôt complète et définitive.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.218, Paul Ollendorff, 1886)
     
  209. Tout est rejeté incessamment par la Nature en son gigantesque creuset, même nos pauvres âmes.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.218, Paul Ollendorff, 1886)
     
  210. L'homme est un pantin sensible que se disputent à tout moment deux bambines également cruelles : la Vie et la Mort, dont l'une commence et l'autre achève de le briser.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.219, Paul Ollendorff, 1886)
     
  211. L'existence la plus industrieusement organisée, celle-là même qui est arrivée à l'apogée de son harmonie, est aussi vite et irrémédiablement détruite par le coup de faulx de la Mort que la modeste toile d'araignée par le coup de plumeau de la ménagère.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.219, Paul Ollendorff, 1886)
     
  212. Dans tous les êtres, notamment dans l'homme, deux forces se manifestent : la concentration du moi, qui intervient par la naissance, et sa dispersion, qui intervient par la mort.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.219, Paul Ollendorff, 1886)
     
  213. C'est presque toujours au moment où noua nous résignons à la vie que nous la perdons.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.219, Paul Ollendorff, 1886)
     
  214. Il est à croire que toutes les portes par lesquelles nous sortons de la vie s'ouvrent sur le Néant, mais à tout hasard on doit s'arranger de manière à en sortir par une bonne porte.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.220, Paul Ollendorff, 1886)
     
  215. Il n'y aura bientôt plus que des restes de moi, mais il me plaît que ce soient ceux d'un honnête homme, c'est-à-dire d'un homme mort affamé de justice.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.220, Paul Ollendorff, 1886)
     
  216. Le vide que nous croyons faire est bientôt comblé, mais celui qui se fait en nous ne l'est que fort lentement, s'il l'est jamais.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.220, Paul Ollendorff, 1886)
     
  217. Il n'y a guère d'immortel en ce monde que la Mort.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.220, Paul Ollendorff, 1886)
     
  218. Si encore ce moment de vie nous pouvions le passer à notre guise ! Mais à l'ironie d'une mort toujours imminente s'ajoute celle d'une existence jamais satisfaite.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.220, Paul Ollendorff, 1886)
     
  219. Le torrent plus ou moins bourbeux de la vie entraîne au gouffre insondable de la mort, dans un effroyable pêle-mêle et avec une vertigineuse rapidité, nos forces et nos faiblesses, nos illusions et nos déconvenues, nos activités et nos fainéantises, nos amours et nos haines, notre foi et notre scepticisme, tout ce qui dilate ou comprime notre coeur.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.221, Paul Ollendorff, 1886)
     
  220. La vie n'est qu'une chandelle de deux sous, bien vite brûlée, et à la lueur facilement extinguible de laquelle nous jouons les uns contre les autres un jeu effréné.
    Est-ce le jeu qui ne vaut pas la chandelle, ou plutôt n'est-ce point la chandelle qui ne vaut pas le jeu ?

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.221, Paul Ollendorff, 1886)
     
  221. Le hasard est plus clément qu'on ne croit.
    Que de fois nous avons dû friser la mort sans nous en douter !

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.221, Paul Ollendorff, 1886)
     
  222. Au moment où il vient de s'emparer de Gênes par trahison, Fiesque, en passant sur une planche, tombe à la mer et s'y noie. Les ambitieux feraient bien de ne jamais perdre de vue la planche de Fiesque.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.222, Paul Ollendorff, 1886)
     
  223. Tout au plus comparables à des phosphorescences aussitôt disparues qu'apparues, mais toujours remplacées par d'autres, sont, les masses humaines grouillant sur la terre.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.222, Paul Ollendorff, 1886)
     
  224. Nous tournoyons plus ou moins sur nous-mêmes, plus ou moins vite, plus ou moins longtemps autour d'un trou, et c'est la vie ; enfin, nous tombons dans ce trou béant qui nous attire sans cesse, et c'est la mort.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.222, Paul Ollendorff, 1886)
     
  225. C'est une question de savoir si la conquête même du monde vaudrait la peine d'être faite pour si peu de temps qu'on en pourrait jouir.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.223, Paul Ollendorff, 1886)
     
  226. La vie, qui est notre tout durant les quelques instants que nous la possédons, est bien peu de chose, pour quiconque réfléchit, près de la mort qui sera pourtant notre rien, mais un rien capable de nous posséder éternellement.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.223, Paul Ollendorff, 1886)
     
  227. Nous nous anéantissons constamment en nous-mêmes ; car il n'y a pas en chacun de nous un seul et même être, mais une série d'êtres, dont l'un absorbe l'autre jusqu'au dernier, c'est-à-dire jusqu'à celui qui meurt de façon apparente.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.223, Paul Ollendorff, 1886)
     
  228. Bien des gens qui se croient pour longtemps en vie vont être en mort.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.223, Paul Ollendorff, 1886)
     
  229. Appeler la mort « l'autre vie » est un euphémisme charmant qui fait illusion à ces pauvres hommes.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.224, Paul Ollendorff, 1886)
     
  230. On dit souvent d'un homme qui réussit dans ce monde : « Il est arrivé. » Non, non, pas encore. On veut dire qu'il suit triomphalement l'une des plus belles avenues qui conduisent à la mort. C'est seulement quand il sera au bout de cette avenue qu'on pourra le considérer, à juste titre, comme arrivé.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.224, Paul Ollendorff, 1886)
     
  231. Pour celui qui est parti de ce monde, c'est-à- dire qui n'est plus, quelle différence y a-t-il entre laisser un grand nom ou en emporter un petit ?
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.224, Paul Ollendorff, 1886)
     
  232. Il y a quelque chose de fort comique dans la sinistre façon dont la Mort ponctue, au moment où nous nous y attendons le moins, la longue kyrielle de nos espoirs.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.224, Paul Ollendorff, 1886)
     
  233. Nous posons tous, qui d'une façon, qui de l'autre, nous sacrifions même tout à la pose, sans nous apercevoir que la Mort nous guette et qu'elle rit de notre suffisance, à s'en tenir les côtes.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.225, Paul Ollendorff, 1886)
     
  234. Ça n'existera plus demain et ça prend aujourd'hui des airs éternels !
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.225, Paul Ollendorff, 1886)
     
  235. Nous ne sommes que des squelettes travestis en chair pour un instant.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.225, Paul Ollendorff, 1886)
     
  236. L'expérience de la vie produit l'effet d'une substance réfrigérante sur les coeurs les plus chauds : elle les glace.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.225, Paul Ollendorff, 1886)
     
  237. Si l'on regarde d'ensemble les choses de la vie, tout en paraît affreusement gris.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.225, Paul Ollendorff, 1886)
     
  238. Très farceuse, la Mort. Elle s'amuse souvent à nous enlever le couvert quand nous commençons à manger.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.226, Paul Ollendorff, 1886)
     
  239. Tout est chrysocale, en ce monde, même l'or.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.226, Paul Ollendorff, 1886)
     
  240. Obstrué par l'amoncellement de ses griefs contre la vie, le coeur de certains hommes n'a presque plus la latitude de battre, et il finit même peu à peu par s'en déshabituer.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.226, Paul Ollendorff, 1886)
     
  241. Pour qui voit bien que la vie n'est qu'une méchante comédie d'une heure sur laquelle va tomber le rideau de la mort éternelle, il est presque indifférent d'y jouer tel rôle plutôt que tel autre. On accepte volontiers le premier venu, le moins difficile à apprendre.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.226, Paul Ollendorff, 1886)
     
  242. Héraclite et Démocrite ont raison l'un et l'autre. La vie est déplorable, mais elle est dérisoire.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.227, Paul Ollendorff, 1886)
     
  243. Au moment de souffler la petite lumière qui est en nous, la Mort s'en sert pour éclairer d'un jour sinistre, sinon toujours à nos propres yeux, du moins à ceux de nos proches, toutes les sottises ou toutes les vilenies de notre existence éphémère.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.227, Paul Ollendorff, 1886)
     
  244. Quand on a bien compris qu'on aspire, en vain, au ciel, on se trouve bien heureux de pouvoir respirer sur la terre.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.227, Paul Ollendorff, 1886)
     
  245. Il n'est pas de difficultés inextricables d'où la Mort ne puisse tout à coup tirer les gens avec une facilité merveilleuse. Et quand elle le fait, elle se montre bien bonne ; mais il lui arrive plus souvent (et en cela elle se montre bien méchante) d'arracher avec la même facilité les gens à des situations superbes.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.227, Paul Ollendorff, 1886)
     
  246. La vie est une pitoyable chose subie par de pitoyables gens.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.228, Paul Ollendorff, 1886)
     
  247. C'est une grande simplificatrice que la Mort. Elle réduit tout à rien pour nous.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.228, Paul Ollendorff, 1886)
     
  248. Il y a dans le jeu de la vie des naïfs qui, ayant le sentiment de bien jouer et jouant en effet fort bien, s'étonnent de perdre toujours. C'est qu'ils jouent franc-jeu contre des biseauteurs.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.228, Paul Ollendorff, 1886)
     
  249. Nous ne faisons que camper quelque temps sur la terre, puis nous décampons dessous.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.228, Paul Ollendorff, 1886)
     
  250. Il semble que l'idée de la mort dût nous aiguillonner à jouir de la vie. Ainsi l'avait compris le Trimalcion qu'a célébré Pétrone. Mais d'ordinaire, c'est justement l'inverse. On jouit d'autant plus de la vie qu'on pense moins à la mort et d'autant moins qu'on y pense plus.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.228, Paul Ollendorff, 1886)
     
  251. Nous courons plus ou moins longtemps après la Vie, et quand nous pensons l'avoir enfin attrapée, c'est la Mort que nous tenons ou plutôt qui nous tient.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.229, Paul Ollendorff, 1886)
     
  252. L'homme a jeté l'immortalité sur la mort comme pour se la cacher ; c'est qu'il doit absolument mourir et qu'il ne le veut absolument pas.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.229, Paul Ollendorff, 1886)
     
  253. On est toujours mal venu à parler de la Mort à des mortels qui ne veulent que l'oublier, à plonger le nez dans leur néant à des présomptueux qui se croient tout.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.229, Paul Ollendorff, 1886)
     
  254. La vie n'est qu'un prêt que nous fait la Nature à nous tous les tirés du néant, et pour ce prêt remboursable d'un instant à l'autre, elle exige ces gros intérêts, dont elle a sans doute besoin : nos souffrances physiques et morales.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.230, Paul Ollendorff, 1886)
     
  255. La vie n'est pour chacun de nous qu'un bien médiocre intermède d'être, coupant un peu plus tôt ou un peu plus tard, ici ou là, notre éternel néant.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.230, Paul Ollendorff, 1886)
     
  256. S'acheminer vers la Mort le plus doucement possible, par le sentier que le Destin lui a fait prendre, mais en pleine conscience du but dérisoire de ses travaux et de ses peines : tel doit être l'objectif du penseur.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.230, Paul Ollendorff, 1886)
     
  257. Le bonheur, ou pour mieux dire : le malheur moindre, est non pas dans la diversité, mais dans l'uniformité de la vie.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.230, Paul Ollendorff, 1886)
     
  258. Qui dira s'il est plus drolatique ou plus lamentable de voir tous ces ambitieux se bousculer, comme ils le font, pour aboutir... à quoi? Au cul-de-sac du tombeau !
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.231, Paul Ollendorff, 1886)
     
  259. Eu égard au peu de solidité de notre vie, qui toujours menace ruine et qui bientôt va s'écrouler, c'est peut-être un moindre leurre de ne pas réussir dans ce monde que d'y triompher, puisque les victorieux de la Vie vont être terriblement défaits par la Mort.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.231, Paul Ollendorff, 1886)
     
  260. Ce n'est pas seulement notre chair usée à la longue ou brisée tout à coup que la Nature met au rancart, comme nous y mettons nous-mêmes une loque hors d'usage, c'est notre coeur et notre esprit, c'est notre individualité, c'est notre moi.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.231, Paul Ollendorff, 1886)
     
  261. Qu'il y ait une autre vie ou qu'il n'y en ait pas, nous n'avons pointa hésiter dans celle-ci. Il faut qu'au moral comme au physique notre coeur domine notre ventre, et que notre cerveau domine notre coeur.
    C'est le moyen de sortir de la matière, si nous pouvons en sortir finalement, ou tout au moins de nous prouver à nous-mêmes que nous serions dignes d'en sortir. Nous servons toujours bien ainsi notre orgueil à défaut de notre intérêt.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.231, Paul Ollendorff, 1886)
     
  262. Qu'on affirme ou qu'on nie Dieu et l'âme, l'on n'en tombe pas moins probablement dans les mêmes fondrières de la mort absolue et définitive, mais les négateurs ont la malchance de voir ces fondrières, tandis que les affirmateurs ont la bonne chance de ne les voir pas.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.2,32 Paul Ollendorff, 1886)
     
  263. Évidemment, pour être si confiants dans la vie et dans la mort, les optimistes n'y voient et n'y entendent goutte.
    Ce sont des étourneaux. Ce sont des corneilles qui abattent des noix.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.232, Paul Ollendorff, 1886)
     
  264. Les misères de la vie sont les circonstances atténuantes de la Mort.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.233, Paul Ollendorff, 1886)
     
  265. Aujourd'hui chaude et florissante, belle madame, entre les draps de ce lit moelleux, demain froide et pourrissante entre les pierres de ce dur caveau !
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.233, Paul Ollendorff, 1886)
     
  266. Le néant absolu de la vie est un secret que peu de gens savent.
    Ceux qui, l'ayant pénétré, n'en veulent point abuser, ont lieu d'être stupéfaits de l'ordre et de la modération qu'on voit régner dans la Société.
    Tous ces hommes et toutes ces femmes, qui n'ont qu'un moment à vivre, l'emploient avec un bon sens presque égal à celui des fourmis, leur diminutif. Ils s'organisent comme s'ils devaient vivre toujours. Ils prennent ainsi, à la vérité, par pur instinct, le parti que la sagesse commande de prendre à de plus clairvoyants. En se ruant à corps perdu sur la vie, au lieu de la mener doucement et régulièrement, n'y seraient-ils pas plus tôt brisés ?

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.233, Paul Ollendorff, 1886)
     
  267. Au sein de sa vie éphémère, l'homme peut montrer une égale sagesse en prenant l'un ou l'autre de ces deux partis extrêmes : Vivre avec le plus d'intensité possible pour mettre le temps à profit, ou réduire son existence à rien pour enlever à la Mort qui accourt tout empire sur lui-même.
    Le premier de ces partis est sans doute plus pratique, mais combien le second est plus fier !

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.234, Paul Ollendorff, 1886)
     
  268. Les personnalités brillantes ressemblent à ces pièces d'artifice qui, après avoir jeté un éclat plus ou moins grand et plus ou moins long, s'éteignent tout à coup, ne laissant de tant de mouvement et de lumière qu'une carcasse inerte et sombre.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.234, Paul Ollendorff, 1886)
     
  269. Tout ce qui s'élève au-dessus de la vie pratique mène parallèlement une vie idéale, mais il importe de ne point s'y embrouiller, c'est à- dire de ne point se croire dans l'une quand on est dans l'autre, car il n'y aurait pas plus sot que l'homme jugeant pratique la vie idéale, ni plus malheureux que celui qui agirait idéalement dans la vie pratique.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.235, Paul Ollendorff, 1886)
     
  270. Ceux qui ne peuvent se faire à la Vie ont de quoi se consoler en pensant que la Mort les va faire bientôt à elle.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.235, Paul Ollendorff, 1886)
     
  271. L'inaction devient presque une vertu pour ceux qui ont reconnu l'absolue vanité de l'action.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.235, Paul Ollendorff, 1886)
     
  272. L'extrême facilité avec laquelle la Mort nous prend ajoute à l'amertume et à la dérision des difficultés si grandes que nous avons nous-mêmes à prendre la Vie.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.235, Paul Ollendorff, 1886)
     
  273. Deux mirages, celui de l'avenir d'abord, celui de l'éternité ensuite, empêchent l'homme de voir le trou béant qui est à ses pieds et qui va l'engloutir.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.236, Paul Ollendorff, 1886)
     
  274. Et puis, quand on saurait pertinemment que la mort est bien le terme final de l'homme et qu'il n'y a rien pour lui au-delà, cela changerait-il beaucoup le train de la vie ? Nullement. Outre que le besoin de vivre serait identique, il y aurait encore des gens qui se sacrifieraient pour leurs semblables, comme il y en a qui, tout en croyant à l'immortalité de l'âme, sacrifient leurs semblables à eux-mêmes.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.236, Paul Ollendorff, 1886)
     
  275. Quand le coeur de l'homme se bat lui-même, à chacun de ses battements, il est temps qu'il cesse de battre.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.236, Paul Ollendorff, 1886)
     
  276. Heur et malheur ont si vite trouvé leur équation dans le néant, que ce n'est vraiment pas la peine de se croire heureux ou malheureux.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.237, Paul Ollendorff, 1886)
     
  277. Le néant, où nous étions avant notre entrée dans la vie, ne nous préoccupe guère, et d'ailleurs nous le comblons, en quelque sorte, par les connaissances acquises.
    Mais nous sommes d'autant plus attristés du néant où nous serons après notre entrée dans la mort, que rien ne nous semble pouvoir le combler.

    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.237, Paul Ollendorff, 1886)
     
  278. Voilà bien notre bêtise à nous autres les rêveurs. Au lieu de profiter de l'instant de vie que nous donne la Nature, nous l'employons à réfléchir sur cette drôlerie atroce qui ne tarde point à suivre ce don magnifique mais si précaire d'une existence distincte, à savoir, la dissolution de notre être dans l'Infini.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.237, Paul Ollendorff, 1886)
     
  279. Entraînés par le torrent de la vie tantôt dans le limon qu'il roule, tantôt sous la splendeur du ciel, nous passons, nous sommes passés et nous voilà disparus à jamais.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.238, Paul Ollendorff, 1886)
     
  280. Il y a comme une cruelle et lugubre farce dans la foudroyante rapidité avec laquelle le Destin nous supprime, au beau milieu de nos occupations, de nos tendresses, de nos convoitises, ne laissant de nous soudain qu'un mannequin de chair bientôt relégué sous terre et qui, de décomposition en décomposition, finira par se consumer.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.238, Paul Ollendorff, 1886)
     
  281. Avoir occupé la scène du monde ou l'avoir regardée de son petit coin, qu'importe, une fois mort ?... Et l'on vit si peu de temps !
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.238, Paul Ollendorff, 1886)
     
  282. Sur les flots du Néant, d'où nous sommes brusquement sortis comme Vénus Anadyomène de l'écume de la mer, l'esquif plus ou moins grand que nous frète le Destin cingle à l'aventure, gréé de nos ardeurs et de nos convoitises, chargé de nos lassitudes et de nos déceptions, le plus souvent ballotté par la tourmente, quelquefois bercé par l'accalmie, et il vogue ainsi à plus ou moins long cours, mais à cours toujours vain, jusqu'à ce qu'il sombre et nous engouffre avec lui.
    (La Proie du Néant (Notes d'un pessimiste), p.238, Paul Ollendorff, 1886)
     

Alexandre Vinet

  1. Lisez, mais pensez ; et ne lisez pas si vous ne voulez pas penser en lisant, et penser après avoir lu.
    (Choix de lectures, p. 23, Lausanne, 1843)