Edward Young
1683-1765
  1. Balsamique Sommeil, doux restaurateur de la nature fatiguée ! Semblable à l'homme du monde, il s'empresse de visiter ceux à qui la fortune sourit ; il abandonne les infortunés. Porté sur ses ailes de duvet, il fuit rapidement loin du malheur, et va s'abattre sur des paupières que les larmes n'ont point flétries !
    (Les beautés poétiques, p.17, trad. Bertrand Barère, Éd. F. Buisson, Paris, 1804)
     
  2. Le Bonheur lui-même ne fait pas honneur à son nom ; nos désirs les plus ardents ne remplissent pas notre attente. Combien de fois l'objet que nous souhaitons le plus est loin de ce que nous cherchons, le Bonheur ! Les sentiers les plus doux de la nature sont semés d'épines, et les amis les plus vrais blessent, sans le savoir, notre repose.
    (Les beautés poétiques, p.25, trad. Bertrand Barère, Éd. F. Buisson, Paris, 1804)
     
  3. Ne te défais du temps que comme de ton argent, avec économie ; ne donne d'aucun instant de ta vie, plus que sa véritable valeur ; et quelle est-elle ? Demande à ceux qui meurent quelle est cette valeur ; ils peuvent te le dire. Ne te défais du temps que comme de la vie, avec répugnance.
    (Les beautés poétiques, p.33, trad. Bertrand Barère, Éd. F. Buisson, Paris, 1804)
     
  4. Que la vertu, ou le désir d'être vertueux soit toujours ton objet. La vertu anéantit à la fois toutes tes plaintes ; avec elle, point de frivolité dans les actions, point de lacune dans le temps. Elle agrandit, remplit et immortalise tout ; elle a l'art heureux de convertir tout en or ; c'est la prérogative d'un bon coeur, de lever un riche tribut sur les heures les plus indigentes.
    (Les beautés poétiques, p.35, trad. Bertrand Barère, Éd. F. Buisson, Paris, 1804)
     
  5. Les soins de la vie sont consolateurs. Le Ciel leur donna cette destination. Celui qui n'a pas de tels soins, doit s'en créer, ou doit être malheureux. Les soins de la vie sont une véritable occupation ; et sans occupation, l'âme est sur la roue, livrée à la torture du repos, du repos qui est le plus grand ennemi de l'âme ; l'action est toute sa jouissance.
    (Les beautés poétiques, p.39, trad. Bertrand Barère, Éd. F. Buisson, Paris, 1804)
     
  6. La pensée exprimée par la parole n'en est que mieux sentie. Aussi, en enseignant, nous apprenons ; et en donnant, nous gardons les produits de l'intelligence ; nous les oublions, si nous sommes muets. La parole entretient notre feu intellectuel ; la parole polit les productions de l'esprit : elle les embellit pour en faire des ornements, et les aiguise pour son usage.
    (Les beautés poétiques, p.55, trad. Bertrand Barère, Éd. F. Buisson, Paris, 1804)
     
  7. Quel nombre de pensées noyées dans l'érudition, plongées dans une profonde obscurité, se rouillent dans des volumes respectables, et qui auraient pu se polir et devenir brillantes, si elles avaient été travaillées par la parole, si elles étaient nées héritières de la moitié de leur langue maternelle !
    (Les beautés poétiques, p.55, trad. Bertrand Barère, Éd. F. Buisson, Paris, 1804)
     
  8. La sagesse, quoique plus riche que les mines du Pérou, est plus douce que l'ambroisie distillée par les abeilles, qu'est-elle autre chose que le moyen d'être heureux ? Ce but manqué, elle est plus folle que la folie même ; folle mélancolique, dépouillée de ses grelots.
    (Les beautés poétiques, p.55, trad. Bertrand Barère, Éd. F. Buisson, Paris, 1804)
     
  9. Pourquoi frémir à l'idée de la Mort ? où est-elle ? Arrivée, elle n'est plus ; non venue, ou partie, jamais elle n'est ici. Avant que l'espérance cesse, la sensation s'évanouit. L'homme qui voit tout en noir, reçoit, mais n'éprouve pas le coup terrible de la Mort.
    (Les beautés poétiques, p.77, trad. Bertrand Barère, Éd. F. Buisson, Paris, 1804)
     
  10. Être sans cesse à désirer, c'est le plus mauvais de tous les emplois ! c'est l'inverse de la philosophie, c'est la consomption de la santé !
    (Les beautés poétiques, p.79, trad. Bertrand Barère, Éd. F. Buisson, Paris, 1804)
     
  11. La Religion est tout. Descendant des cieux vers les malheureux mortels, elle tient dans sa main gauche le monde actuel, et dans sa droite le monde à venir.
    (Les beautés poétiques, p.97, trad. Bertrand Barère, Éd. F. Buisson, Paris, 1804)
     
  12. L'Orgueil, semblable à un aigle, bâtit son nid parmi les étoiles ; mais le Plaisir, semblable à l'alouette, fait son nid à terre.
    (Les beautés poétiques, p.111, trad. Bertrand Barère, Éd. F. Buisson, Paris, 1804)
     
  13. Le monde est une école d'injustice ; et quel essaim d'élèves se forme autour d'elle ! Il faut que nous les imitions, ou que nous les désapprouvions. Il faut que nous entrions dans leurs rangs, ou comme leurs complices, ou comme leurs ennemis : l'un de ces partis entache notre innocence, et l'autre trouble notre repos. De là vient que depuis la naissance de la nature, la sagesse a été obligée de vivre dans la retraite, et de languir pour être en repos.
    (Les beautés poétiques, p.113, trad. Bertrand Barère, Éd. F. Buisson, Paris, 1804)
     
  14. La crainte de la mort est moins vile que la crainte de la vie.
    (Les beautés poétiques, p.125, trad. Bertrand Barère, Éd. F. Buisson, Paris, 1804)
     
  15. Tandis que l'homme croît, la vie est en décroissance ; et chaque mouvement de notre berceau nous approche de la tombe. Notre naissance n'est autre chose que le commencement de notre mort, comme la bougie se fond dès l'instant qu'elle est allumée.
    (Les beautés poétiques, p.129, trad. Bertrand Barère, Éd. F. Buisson, Paris, 1804)
     
  16. Une âme sans réflexion et sans pensée, semblable à une maison inhabitée, tombe en ruine.
    (Les beautés poétiques, p.129, trad. Bertrand Barère, Éd. F. Buisson, Paris, 1804)
     
  17. [...] La richesse (semblable à un chef d'atelir) ordonne de nouveaux travaux, des travaux successifs, des travaux sans fin. La richesse assassine la paix qui d'abord la fit briller. Les pauvres ne sont qu'à moitié aussi malheureux que les riches, dont l'orgueilleux et pénible privilège est de supporter à la fois un double fardeau de peines, de sentir à la fois l'aiguillon de l'envie et du besoin, besoin sans bornes, que les deux Indes ne sauraient satisfaire !
    (Les beautés poétiques, p.157, trad. Bertrand Barère, Éd. F. Buisson, Paris, 1804)
     
  18. C'est l'immortalité, c'est elle seule qui, au milieu des peines, des humiliations et des vanités de la vie, peut consoler, élever et remplir notre âme. L'immortalité seule produit amplement cet effet. Elle nous élève au-dessus des peines et des jouissances de la vie ; celles-là en sont la terreur ; et les autres perdent de leur lustre.
    (Les beautés poétiques, p.161, trad. Bertrand Barère, Éd. F. Buisson, Paris, 1804)
     
  19. Considère la nature entière : tout y est révolution ; tout y change ; rien n'y meurt. Le jour succède à la nuit, et la nuit succède au jour qui disparaît à son tour. Les étoiles se lèvent, se couchent et se lèvent encore. La terre suit leur exemple.
    (Les beautés poétiques, p.163, trad. Bertrand Barère, Éd. F. Buisson, Paris, 1804)
     
  20. La Vérité est immortelle comme ton âme ; et le mensonge est aussi passager que tes jouissances. Sois sage, et ne fais pas de la vengeance la plus grande jouissance du ciel. Sois sage, et ne fais pas de l'immortalité une malédiction.
    (Les beautés poétiques, p.205, trad. Bertrand Barère, Éd. F. Buisson, Paris, 1804)
     
  21. La raison est l'apanage particulier de l'homme ; la sensation est celui de la brute. Le moment présent est le domaine étroit des sens ; l'avenir est l'empire illimité de la raison. [...] Et qu'est-ce que la raison ? Définissons-la en ces termes : La raison est l'attitude droite de l'âme.
    (Les beautés poétiques, p.221, trad. Bertrand Barère, Éd. F. Buisson, Paris, 1804)
     
  22. De toutes les passions, l'espérance est celle qui est le plus notre amie sur la terre. Les passions qui portent un nom plus pompeux nous sont moins favorables. La joie a ses larmes ; les transports ont leur terme. L'espérance semblable à une boisson cordiale, n'est point malfaisante, quoique forte : elle vivifie et rend serein le coeur de l'homme ; elle ne lui fait pas échanger sa sagesse avec les jouissances. C'est tout ce que notre état actuel peut supporter sans danger.
    (Les beautés poétiques, p.223, trad. Bertrand Barère, Éd. F. Buisson, Paris, 1804)
     
  23. Veux-tu t'accrocher à la grandeur ? Sache d'abord ce que c'est. Penses-tu que la grandeur consiste dans les places distinguées ? La gloire ne réside pas dans un plumet, quelque haut que nous le portions, quoiqu'attaché par la fortune pour nous distinguer de la foute.
    (Les beautés poétiques, p.239, trad. Bertrand Barère, Éd. F. Buisson, Paris, 1804)
     
  24. Avec la piété commence tout bien sur la terre. C'est la fille aînée de la raison. Sa première loi étant violée, la conscience demeure blessée, affaiblie, sans sentiment, et impuissante pour le bien ; une affection simulée limite son plus grand pouvoir.
    (Les beautés poétiques, p.247, trad. Bertrand Barère, Éd. F. Buisson, Paris, 1804)
     
  25. La jouissance peut-elle exister sans avoir sa base dans la réflexion ? Et la réflexion peut-elle exister dans les temps orageux ?
    (Les beautés poétiques, p.251, trad. Bertrand Barère, Éd. F. Buisson, Paris, 1804)
     
  26. Les jouissances des sens sont viles auprès de celles de l'âme. Les sens se nourrissent uniquement du présent ; l'âme, pour trouver des jouissances, s'empare du passé et de l'avenir.
    (Les beautés poétiques, p.253, trad. Bertrand Barère, Éd. F. Buisson, Paris, 1804)
     
  27. Soutenir le mal avec fermeté, savourer pleinement le bien, voilà toute la science du bonheur.
    (Les beautés poétiques, p.253, trad. Bertrand Barère, Éd. F. Buisson, Paris, 1804)
     
  28. L'esprit fait l'intrigant ; le bon sens constitue l'homme. L'esprit hait l'autorité, aime les troubles, et se regarde comme un éclair au milieu d'un orage. Il est dangereux dans la politique ; c'est la mort dans la religion. L'esprit deviendra-t-il chrétien, tandis que les sots croient ? Le bon sens est notre bouclier ; l'esprit n'est que le plumet ; le plumet expose aux dangers, c'est notre casque qui nous garantit. Le bon sens est le diamant pesant, solide et sans gerçure ; lorsqu'il est taillé par l'esprit, il jette des feux plus brillants.
    (Les beautés poétiques, p.267, trad. Bertrand Barère, Éd. F. Buisson, Paris, 1804)
     
  29. Connaître le monde et ne pas l'aimer, c'est là que tu dois viser ; il ne donne que peu, et ce peu, il ne le donne pas longtemps.
    (Les beautés poétiques, p.269, trad. Bertrand Barère, Éd. F. Buisson, Paris, 1804)
     
  30. Oh ! combien leur [en parlant des méchants] gaîté est laborieuse ! à peine peuvent-ils étouffer les vapeurs de leur spleen, à peine peuvent-ils rassembler assez de patience pour supporter la farce de la vie, et entretenir un triste rire jusqu'à la chute de la toile.
    (Les beautés poétiques, p.269, trad. Bertrand Barère, Éd. F. Buisson, Paris, 1804)
     
  31. Les empires meurent : où sont maintenant l'empire romain, l'empire des Grecs ? Ce ne sont plus que de vains noms ! Cependant peu de personnes les considèrent sous cet utile rapport, quoique la moitié de nos connaissances ne soit que leur épitaphe.
    (Les beautés poétiques, p.281, trad. Bertrand Barère, Éd. F. Buisson, Paris, 1804)
     
  32. L'âme maladive de l'homme, quoique perpétuellement ballottée et agitée en tout sens, ne peut se reposer que sur toi ; ici-bas dans une pleine confiance, et ensuite dans une jouissance entière.
    (Les beautés poétiques, p.365, trad. Bertrand Barère, Éd. F. Buisson, Paris, 1804)
     
  33. Ni les bras croisés, ni la paresse de l'esprit ne peuvent garantir la sûreté du genre humain. Nul ne peut être bon avec de la paresse. C'est par les peines et les soins, c'est par une industrie variée, que nous pouvons gagner les hauteurs escarpées su ciel. La terre est une arène de combats et non de repos ; le bonheur de l'homme n'est tout au plus qu'un bonheur pénible.
    (Les beautés poétiques, p.373, trad. Bertrand Barère, Éd. F. Buisson, Paris, 1804)
     
  34. Écoutez, vous, filles si belles de cette heureuse terre ; vous dont les yeux brillants commandent au monde soumis ; la beauté consiste dans la vertu.
    (Les beautés poétiques, p.397, trad. Bertrand Barère, Éd. F. Buisson, Paris, 1804)
     
  35. L'amour de la louange, quel que soit l'art que l'on mette à le cacher, règne plus ou moins, et s'épanouit dans tous les coeurs. L'orgueilleux endure travaux sur travaux pour obtenir des éloges ; l'homme modeste les fuit, mais c'est pour s'en mieux assurer.
    (Les beautés poétiques, p.403, trad. Bertrand Barère, Éd. F. Buisson, Paris, 1804)
     
  36. Les fous contemplent et envient ; l'envie darde un aiguillon qui rend un berger aussi malheureux qu'un roi.
    (Les beautés poétiques, p.405, trad. Bertrand Barère, Éd. F. Buisson, Paris, 1804)
     
  37. La nature a fait l'espèce humaine si faible, ou bien les mortels sont entraînés à de telles faiblesses par leurs vices ; vanité toute puissante ! c'est là ton ouvrage ! C'est à toi qu'ils doivent ce petit instant de plaisir, et leur baume de malheur.
    (Les beautés poétiques, p.407, trad. Bertrand Barère, Éd. F. Buisson, Paris, 1804)
     
  38. Et quoi de plus insensé que de courir la chance de la renommée ? combien le prix est vain ! combien nos efforts vers ce but sont impuissants ! Car, qu'est-ce que des hommes qui courent après une louange sublime, si ne n'est des bulles d'air sur le rapide ruisseau du temps ; bulles qui s'élèvent, tombent, se gonflent et disparaissent ? Ils naissent, et sont oubliés par milliers dans une heure.
    (Les beautés poétiques, p.409, trad. Bertrand Barère, Éd. F. Buisson, Paris, 1804)
     
  39. L'homme serait riche avec peu de chose, si son jugement était sain. La nature est frugale, et ses besoins sont en petit nombre ; et le petit nombre de besoins une fois satisfait, nous donne un véritable plaisir ; mais les insensés se créent eux-mêmes de nouveaux besoins. L'imagination et l'orgueil cherchent à grands frais des objets qui n'ont point de prix pour la raison, ni pour les sens.
    (Les beautés poétiques, p.411, trad. Bertrand Barère, Éd. F. Buisson, Paris, 1804)
     
  40. Le plaisir, comme le vif-argent, est brillant et fugitif ; nous tâchons de le saisir avec la plus grande industrie. Il nous échappe toujours, et toujours il brille. Si vous le saisissez enfin, calculez le grand profit qui vous en revient ; qu'est-ce autre chose qu'un poison violent circulant dans vos veines ?
    (Les beautés poétiques, p.413, trad. Bertrand Barère, Éd. F. Buisson, Paris, 1804)
     
  41. La richesse peut-elle donner le bonheur ? Regardez autour de vous, et voyez quelle joyeuse indigence ! quelle pompeuse misère ! Tout ce que la fortune verse sur vous avec prodigalité, l'esprit l'anéantit, et demande encore davantage. La richesse est un escroc ; ne croyez pas ce qu'elle vous dit.
    (Les beautés poétiques, p.413, trad. Bertrand Barère, Éd. F. Buisson, Paris, 1804)