Francesco Alberoni
1929
  1. L'amour n'est pas forcément un sentiment réciproque. L'amitié au contraire, me semble-t-il, requiert toujours de la réciprocité. Je ne puis être l'ami de quelqu'un qui n'est pas mon ami.
    (L'amitié, Pocket n° 4223, trad. Nelly Drusi, p.13)
     
  2. De mon ami, j'attends qu'il partage l'image que je me fais de moi-même, du moins dans une mesure raisonnable.
    (L'amitié, Pocket n° 4223, trad. Nelly Drusi, p.14)
     
  3. L'amour est sublime et misérable, héroïque et stupide. Juste, jamais. Ce n'est pas l'amour qui relève du registre de la justice, c'est l'amitié.
    (L'amitié, Pocket n° 4223, trad. Nelly Drusi, p.14)
     
  4. Une rencontre est un moment de bonheur intense, un moment de vie où nous comprenons mieux à la fois le monde et nous-même, où nous percevons que l'autre nous aide à suivre la juste voie.
    (L'amitié, Pocket n° 4223, trad. Nelly Drusi, p.16)
     
  5. Rien, cependant, n'est plus éloigné de l'amitié que le rapport maître-élève. L'ami n'est pas un gourou qui possède la vérité ; sa révélation n'est pas un enseignement. C'est une démarche qui permet de parvenir à la même conclusion en partant de points de vue différents. C'est une convergence dans la vérité.
    (L'amitié, Pocket n° 4223, trad. Nelly Drusi, p.20)
     
  6. Connaître, c'est confronter, comparer, distinguer, et ce n'est possible ni dans la fascination d'un mimétisme ni si l'autre nous est étranger.
    (L'amitié, Pocket n° 4223, trad. Nelly Drusi, p.22)
     
  7. Les expériences humaines n'ont pas d'existence intrinsèque ; elles n'existent que si elles se renouvellent. Les amis se ré-encontrent et renouvellent leur amitié à chaque fois. Chaque rencontre représente un risque, l'enjeu est de le surmonter. L'amitié est la combinaison des rencontres réussies.
    (L'amitié, Pocket n° 4223, trad. Nelly Drusi, p.23)
     
  8. Le temps de l'amour est un tourment qui relie le passé le plus reculé à l'avenir le plus lointain. Le présent est la tension née de ce tourment. Chaque instant de l'amour est victime de l'intemporalité, et de l'aspiration à l'éternité.
    (L'amitié, Pocket n° 4223, trad. Nelly Drusi, p.27)
     
  9. Raconter, c'est penser à haute voix. Un ami est toujours habile à la maïeutique, il suscite en nous une réflexion honnête et objective.
    (L'amitié, Pocket n° 4223, trad. Nelly Drusi, p.28)
     
  10. Il en est de l'amitié comme de la pureté ; la moindre flétrissure suffit à en troubler la transparence.
    (L'amitié, Pocket n° 4223, trad. Nelly Drusi, p.29)
     
  11. Tout ce qui est essentiel est inéluctable. L'amitié et l'amour prennent source en des lieux d'essence différente : l'amour dans la passion et la soumission ; l'amitié dans le jugement et la raison.
    (L'amitié, Pocket n° 4223, trad. Nelly Drusi, p.30)
     
  12. L'amitié est la forme éthique de l'éros.
    (L'amitié, Pocket n° 4223, trad. Nelly Drusi, p.31)
     
  13. Il est impossible d'ériger en loi universelle ce qui sort de l'ordinaire.
    (L'amitié, Pocket n° 4223, trad. Nelly Drusi, p.35)
     
  14. L'amitié est la forme spécifique de l'amour qui a pour objet un être que l'on apprécie et qui, d'un point de vue éthique, se conduit correctement.
    (L'amitié, Pocket n° 4223, trad. Nelly Drusi, p.37)
     
  15. Avoir de l'amitié pour quelqu'un, c'est reconnaître en lui une qualité, une vertu, tout à fait évidentes mais que les autres n'apprécient pas, par indifférence ou par hostilité.
    (L'amitié, Pocket n° 4223, trad. Nelly Drusi, p.37)
     
  16. Un ami est celui qui me rend justice au sens profond et fondamental du terme.
    (L'amitié, Pocket n° 4223, trad. Nelly Drusi, p.37)
     
  17. [...] la bienveillance est, par excellence, la vertu d'un ami. Seul, il connaît notre véritable personnalité et nous aide à la conquérir.
    (L'amitié, Pocket n° 4223, trad. Nelly Drusi, p.37)
     
  18. C'est une manière d'aimer que de s'efforcer de correspondre à l'image idéale que la personne aimée a de nous.
    (L'amitié, Pocket n° 4223, trad. Nelly Drusi, p.38)
     
  19. Si la société est devenue meilleure, ce n'est pas que les hommes s'aiment davantage, c'est qu'elle s'est dotée d'organisations plus justes.
    (L'amitié, Pocket n° 4223, trad. Nelly Drusi, p.43)
     
  20. L'intelligence est programmée pour la création du différent.
    (L'amitié, Pocket n° 4223, trad. Nelly Drusi, p.46)
     
  21. Un ami est celui qui vous ouvre si vous avez frappé, qui vous donne si vous demandez, sans tenir la comptabilité de ses dons.
    (L'amitié, Pocket n° 4223, trad. Nelly Drusi, p.52)
     
  22. L'amitié est une vertu démocratique et républicaine.
    (L'amitié, Pocket n° 4223, trad. Nelly Drusi, p.53)
     
  23. Les amis ne sont pas des égaux qui ont un comportement réciproque égalitaire comme des moines. Ce sont des égaux qui ont un comportement réciproque personnalisé.
    (L'amitié, Pocket n° 4223, trad. Nelly Drusi, p.74)
     
  24. L'Église catholique dont les prêtres sont instruits dans les séminaires s'est toujours méfiée de l'amitié. Non pas, comme on pourrait le croire, par crainte de l'homosexualité mais parce que les amis sont moins soumis à l'autorité.
    (L'amitié, Pocket n° 4223, trad. Nelly Drusi, p.79)
     
  25. Il n'y a aucune connaissance de la terre qui ne commence par l'imagination. Lorsqu'elle disparaît, lorsque se brise la création par l'imaginaire, la curiosité s'évanouit avec elle et le savoir s'épuise.
    (L'amitié, Pocket n° 4223, trad. Nelly Drusi, p.82)
     
  26. Un ami est toujours un extra-terrestre qui nous permet de dévier de notre parcours quotidien à la découverte d'un ailleurs inaccessible. Être l'ami de quelqu'un signifie qu'on le comprend au-delà des apparences. Il nous rend justice en toute occasion. Il nous aide à aller, au risque de se perdre, où notre destin nous appelle.
    (L'amitié, Pocket n° 4223, trad. Nelly Drusi, p.88)
     
  27. [L'ami] est un complice qui nous aide à nous emparer du monde.
    (L'amitié, Pocket n° 4223, trad. Nelly Drusi, p.91)
     
  28. L'ennui est le symptôme de la détérioration de notre rapport au monde, donc à nous-même. Il ne disparaîtra qu'avec notre retour au monde, avec l'acceptation du défi qu'il nous lance.
    (L'amitié, Pocket n° 4223, trad. Nelly Drusi, p.93)
     
  29. L'amitié est une île d'éthique dans un monde sans morale où tous sont en guerre contre tous.
    (L'amitié, Pocket n° 4223, trad. Nelly Drusi, p.95)
     
  30. Un ami est toujours un personnage à deux faces. D'un côté, il nous renvoie notre image, de l'autre il appartient à cette société qui nous est inconnue.
    (L'amitié, Pocket n° 4223, trad. Nelly Drusi, p.96)
     
  31. La recherche de l'identité est un voyage initiatique. Celui qui poursuit cette quête doit se perdre pour se retrouver, mourir pour renaître, descendre aux enfers pour revenir à la lumière. Ce voyage ne peut être accompli en groupe. C'est une aventure éminemment individuelle.
    (L'amitié, Pocket n° 4223, trad. Nelly Drusi, p.97)
     
  32. [...] du point de vue statistique, ce n'est pas l'amour mais l'érotisme qui domine la vie quotidienne.
    (L'amitié, Pocket n° 4223, trad. Nelly Drusi, p.98)
     
  33. L'érotisme part aussi du désir de connaître les autres. Il est sans doute la forme de connaissance la plus simple et la porte la moins étroite pour une intimité immédiate et totale.
    (L'amitié, Pocket n° 4223, trad. Nelly Drusi, p.100)
     
  34. On n'apprend pas l'amour. Il existe. On n'apprend pas davantage l'amitié.
    (L'amitié, Pocket n° 4223, trad. Nelly Drusi, p.103)
     
  35. Les prétendus amour-passion, "coup de foudre" ou "toquade" ne sont souvent que des relations érotiques agrémentées d'un peu de romantisme.
    (L'amitié, Pocket n° 4223, trad. Nelly Drusi, p.104)
     
  36. Vivre ensemble consolide les rapports affectifs mais, simultanément, divise. Les amoureux choisissent cette voie et ce risque car l'amour tend à la fusion, tandis que l'amitié préfère renoncer à la fusion en faveur de la rencontre. Une rencontre est toujours positive et l'amitié n'est pas ambivalente.
    (L'amitié, Pocket n° 4223, trad. Nelly Drusi, p.114)
     
  37. Le désir d'amitié est donc précisément un désir d'être compris, sollicité, apprécié pour nous-même.
    (L'amitié, Pocket n° 4223, trad. Nelly Drusi, p.132)
     
  38. Le novateur ou le héros est seul. Chaque fois que nous faisons un acte exceptionnel, nous ne sommes pas compris ; on ne nous croit pas. C'est la règle. Ce qui a une très grande valeur est accueilli exactement comme ce qui n'en a aucune. La société n'est prête que pour la reconnaissance de ceux qui se tiennent dans la moyenne.
    (L'amitié, Pocket n° 4223, trad. Nelly Drusi, p.143)
     
  39. Dans la vie moderne, pleine de bavardages, de dépenses inutiles, de télévision, les choses qui comptent nous apparaissent les plus souvent ainsi, comme un désespoir.
    (L'amitié, Pocket n° 4223, trad. Nelly Drusi, p.151)
     
  40. Connaître notre essence, c'est savoir quels sont nos fins ultimes, nos réels objets d'amour.
    (L'amitié, Pocket n° 4223, trad. Nelly Drusi, p.152)
     
  41. Qu'est-ce que tomber amoureux ? C'est l'état naissant d'un mouvement collectif à deux.
    (Le choc amoureux, Pocket n° 4081, trad. Jacqueline Raoul-Duval et Teresa Matteucci-Lombardi, p.9)
     
  42. [...] l'erreur que fait chacun de nous lorsqu'il tombe amoureux : celle d'imputer l'expérience extraordinaire qu'il est en train de vivre aux qualités de l'être aimé.
    (Le choc amoureux, Pocket n° 4081, trad. Jacqueline Raoul-Duval et Teresa Matteucci-Lombardi, p.12)
     
  43. Il existe un orgueil de la grandeur.
    (Le choc amoureux, Pocket n° 4081, trad. Jacqueline Raoul-Duval et Teresa Matteucci-Lombardi, p.13)
     
  44. L'essentiel, quand on tombe amoureux, est de voir surgir une force terrible qui tend à unir nos deux êtres, à rendre chacun de nous deux irremplaçable, unique pour l'autre. L'autre, l'être aimé, devient celui qui ne peut être que lui, l'absolument unique.
    (Le choc amoureux, Pocket n° 4081, trad. Jacqueline Raoul-Duval et Teresa Matteucci-Lombardi, p.19)
     
  45. L'éros, la sexualité extraordinaire, est monogame.
    (Le choc amoureux, Pocket n° 4081, trad. Jacqueline Raoul-Duval et Teresa Matteucci-Lombardi, p.19)
     
  46. La passion amoureuse entraîne toujours la construction de quelque chose de nouveau à partir de deux structures distinctes.
    (Le choc amoureux, Pocket n° 4081, trad. Jacqueline Raoul-Duval et Teresa Matteucci-Lombardi, p.27)
     
  47. La vie quotidienne est un éternel purgatoire. La vie amoureuse, un paradis ou un enfer ; nous sommes sauvés ou nous sommes damnés.
    (Le choc amoureux, Pocket n° 4081, trad. Jacqueline Raoul-Duval et Teresa Matteucci-Lombardi, p.49)
     
  48. Il y a des différences que l'amour n'arrive pas à combler ; celui qui est compliqué peut comprendre celui qui est simple, mais celui qui est simple ne peut comprendre celui qui est compliqué et qui lui semble menteur ou fou.
    (Le choc amoureux, Pocket n° 4081, trad. Jacqueline Raoul-Duval et Teresa Matteucci-Lombardi, p.76)
     
  49. Personne ne tombe amoureux s'il est, même partiellement, satisfait de ce qu'il a et de ce qu'il est. L'amour naît d'une surcharge dépressive qui se caractérise par l'impossibilité de trouver dans l'existence quotidienne quelque chose qui vaille la peine.
    (Le choc amoureux, Pocket n° 4081, trad. Jacqueline Raoul-Duval et Teresa Matteucci-Lombardi, p.79)
     
  50. Ce n'est pas la nostalgie de l'amour qui nous pousse à tomber amoureux, mais la certitude de n'avoir rien à perdre en devenant ce que nous devenons ; c'est la perspective du néant devant nous.
    (Le choc amoureux, Pocket n° 4081, trad. Jacqueline Raoul-Duval et Teresa Matteucci-Lombardi, p.80)
     
  51. Tomber amoureux ne correspond pas au désir d'aimer une personne belle ou intéressante ; mais à celui de reconstruire la société, de voir le monde d'un oeil nouveau.
    (Le choc amoureux, Pocket n° 4081, trad. Jacqueline Raoul-Duval et Teresa Matteucci-Lombardi, p.82)
     
  52. Face à l'événement qui n'aurait pas dû se produire, la société réagit toujours en essayant de nier son existence, de faire comme s'il n'avait jamais existé.
    (Le choc amoureux, Pocket n° 4081, trad. Jacqueline Raoul-Duval et Teresa Matteucci-Lombardi, p.94)
     
  53. La culture quotidienne cherche toujours à imposer ses dichotomies : ou tu aimes pour toujours ou tu n'aimes jamais ; ou c'est un absolu ou c'est quelqu'un pareil aux autres ; ou ils sont toujours unis ou ils sont toujours séparés, etc. En définissant et en interrogeant de cette manière, notre culture pousse les amoureux à se définir dans la contradiction, dans la folie. La chose devient dramatique au plan éthique. Tomber amoureux est un acte de libération. Et la liberté n'est pas seulement vécue comme le fait de se libérer de ses liens, mais comme le droit de ne pas dépendre des conséquences nées de décisions passées, qu'elles soient les nôtres ou celles d'autrui.
    (Le choc amoureux, Pocket n° 4081, trad. Jacqueline Raoul-Duval et Teresa Matteucci-Lombardi, p.96)
     
  54. L'amour naissant, comme tout état naissant, est une exploration du possible à partir de l'impossible, une tentative de l'imaginaire pour s'imposer à l'existant. Plus la tâche est grande, plus long est le voyage, moins probable est l'arrivée. Son histoire se réduit alors à l'histoire de ce voyage et de ses mésaventures, des luttes soutenues, sans qu'il y ait jamais une rive où aborder, un port où festoyer.
    (Le choc amoureux, Pocket n° 4081, trad. Jacqueline Raoul-Duval et Teresa Matteucci-Lombardi, p.111)
     
  55. Est jaloux celui qui s'aperçoit [...] que la personne aimée trouve en quelqu'un d'autre une qualité semblable à celle que lui-même trouve dans la personne aimée : un détail ou un geste, une habileté ou une disposition. [...] Dans la jalousie, nous découvrons donc que la personne que nous aimons est attirée, charmée, par un don que nous n'avons pas, et que quelqu'un d'autre possède.
    (Le choc amoureux, Pocket n° 4081, trad. Jacqueline Raoul-Duval et Teresa Matteucci-Lombardi, p.113)
     
  56. En réalité, dans la vie, l'amour comme toutes les transformations radicales, ne peut apparaître que quelque fois ou même jamais.
    (Le choc amoureux, Pocket n° 4081, trad. Jacqueline Raoul-Duval et Teresa Matteucci-Lombardi, p.124)
     
  57. Rien ne détruit plus complètement l'amour naissant que la répétition de l'identique, l'obligation de revivre des expériences déjà effectuées, de retrouver les mêmes obstacles, déjà connus, déjà imaginés, déjà vécus.
    (Le choc amoureux, Pocket n° 4081, trad. Jacqueline Raoul-Duval et Teresa Matteucci-Lombardi, p.146)
     
  58. [...] le routinier a le privilège de l'emporter toujours sur l'extraordinaire.
    (Le choc amoureux, Pocket n° 4081, trad. Jacqueline Raoul-Duval et Teresa Matteucci-Lombardi, p.150)
     
  59. [...] l'utilitarisme est la façon de penser de la vie quotidienne.
    (Le choc amoureux, Pocket n° 4081, trad. Jacqueline Raoul-Duval et Teresa Matteucci-Lombardi, p.161)