Émile Faguet
1847-1916
  1. Pour apprendre à lire, il faut d'abord lire très lentement et ensuite il faut lire très lentement et, toujours, jusqu'au dernier livre qui aura l'honneur d'être lu par vous, il faudra lire très lentement.
    (L'art de lire, éd Armand Colin, p.11)
     
  2. Lire lentement, c'est le premier principe et qui s'applique absolument à toute lecture. C'est l'art de lire comme en essence.
    (L'art de lire, éd Armand Colin, p. 12)
     
  3. [...] Platon qui, comme tous les philosophes, écrit moins pour être admiré que pour être compris et même moins pour être compris que pour faire penser.
    (L'art de lire, éd Armand Colin, p. 17)
     
  4. Lire un philosophe, c'est le comparer sans cesse à lui-même; c'est voir ce qui en lui est sentiment, idée sentimentale, idée résultant d'un mélange de sentiments et d'idées, idée idéologique enfin, c'est-à-dire résultant d'une lente accumulation, dans l'esprit du penseur, d'idées pures ou presque pures.
    (L'art de lire, éd Armand Colin, p. 18)
     
  5. Ce qu'on déteste le plus au monde, quand on a l'âme active et non pas seulement passive et soumise, c'est ce que l'on a vu autour de soi à vingt ans.
    (L'art de lire, éd Armand Colin, p. 18)
     
  6. Lire un philosophe, c'est le relire si attentivement qu'on l'analyse.
    (L'art de lire, éd Armand Colin, p. 21)
     
  7. On ne connaît sans doute quelqu'un que quand on sait ce qu'il est et aussi ce qu'il pouvait être.
    (L'art de lire, éd Armand Colin, p. 22)
     
  8. [...] il y a des plaisirs d'infidélité et l'infidélité à l'égard d'un auteur est un innocent libertinage.
    (L'art de lire, éd Armand Colin, p. 23)
     
  9. Les contradictions sont les accidents de paysage d'un grand penseur.
    (L'art de lire, éd Armand Colin, p. 23)
     
  10. Je ne souhaite pas que les auteurs abondent en contradictions; mais je souhaite que les lecteurs puissent en trouver.
    (L'art de lire, éd Armand Colin, p. 23)
     
  11. Il ne faut point [...] parce que nous avons trouvé contre un raisonnement un peu faible de l'auteur un raisonnement assez fort, croire toujours avoir raison contre lui.
    (L'art de lire, éd Armand Colin, p. 25)
     
  12. En choses intellectuelles, il ne faut ni abdication ni triomphe. L'abdication est toujours un peu déprimante et le triomphe est toujours vain.
    (L'art de lire, éd Armand Colin, p. 26)
     
  13. La lecture est ainsi faite de ce que nous savons, de ce que nous apprenons et de ce que nous n'apprenons que parce que nous le savions déjà et de ce que nous savons mieux maintenant parce que nous venons de le rapprendre.
    (L'art de lire, éd Armand Colin, p. 34)
     
  14. Chacun de nous est un petit monde où le monde entier se voir (sic, je pense qu'il faut lire voit. GGJ] en raccourci et est véritablement comme en germe [...]
    (L'art de lire, éd Armand Colin, p. 34)
     
  15. [...] la musique seule est tout à fait l'art qui permet qu'on échappe à la vie et qui aide à en sortir.
    (L'art de lire, éd Armand Colin, p. 39)
     
  16. [...] le risque de se tromper aiguise le désir de voir juste et relève le plaisir d'avoir probablement raison, et il y a un plaisir, je ne dirai pas plus grand, mais plus piquant, à être à peu près certain qu'on a raison, qu'à en être pleinement sûr.
    (L'art de lire, éd Armand Colin, p. 66)
     
  17. Rien ne révèle la débilité et ne l'entretient comme la moquerie.
    (L'art de lire, éd Armand Colin, p. 96)
     
  18. S'exercer à la moquerie, c'est avoir déjà et se conférer la volonté d'impuissance.
    (L'art de lire, éd Armand Colin, p. 96)
     
  19. [...] on est bien plus sot en contrariant sa nature qu'en la suivant.
    (L'art de lire, éd Armand Colin, p. 99)
     
  20. La haine d'un sot livre est un sentiment très inutile en soi; mais qui a son prix s'il ravive en nous l'amour et la soif de ceux qui sont bons.
    (L'art de lire, éd Armand Colin, p. 100)
     
  21. Un auteur, de nos jours, est un moine qui écrit pour son couvent, isolé dans un petit monde isolé. La littérature est devenue conventuelle.
    (L'art de lire, éd Armand Colin, p. 103)
     
  22. Quand on peint son héros, on peint son idéal, et l'idéal que l'on a, on se croit toujours un peu, on se croit du moins par moments, de force à le réaliser. [...] Poser un héros, c'est un peu poser en héros.
    (L'art de lire, éd Armand Colin, p. 105)
     
  23. La lecture est une victoire de l'ennui sur l'amour-propre.
    (L'art de lire, éd Armand Colin, p. 107)
     
  24. Le plaisir de lire un livre suranné est toujours un peu languissant.
    (L'art de lire, éd Armand Colin, p. 109)
     
  25. Ce qui empêche de jouir de belles choses, c'est l'envie de les trouver mauvaises; il n'y a rien de plus incontestable.
    (L'art de lire, éd Armand Colin, p. 116)
     
  26. Le mécontentement, c'est le désir de mécontenter.
    (L'art de lire, éd Armand Colin, p. 117)
     
  27. Le lecteur aime celui qui lit et qui lui parle de lectures, et en vient même, par besoin de confidences intellectuelles à faire et à recevoir, à ne pouvoir plus se passer de lui.
    (L'art de lire, éd Armand Colin, p. 124)
     
  28. Le critique doit inviter à relire ou à repenser sa lecture.
    (L'art de lire, éd Armand Colin, p. 129)
     
  29. Qui est-ce qui a une personnalité? Ils sont rares qui en ont une. Presque personne n'est une personne. Et à seize ans, personne n'est une personne.
    (L'art de lire, éd Armand Colin, p. 134)
     
  30. Il y a deux éducations: la première que l'on reçoit au lycée, la seconde que l'on se donne à soi-même; la première est indispensable, mais il n'y a que la seconde qui vaille.
    (L'art de lire, éd Armand Colin, p. 135)
     
  31. Lire est doux; relire est - quelquefois - plus doux encore.
    (L'art de lire, éd Armand Colin, p. 139)
     
  32. Je relis beaucoup; je crois comprendre beaucoup mieux. C'est une vieillesse qui n'est pas sans charme que celle que l'on consacre à corriger ses vieux contresens.
    (L'art de lire, éd Armand Colin, p. 140)
     
  33. La première lecture est au lecteur ce que l'improvisation est à l'orateur.
    (L'art de lire, éd Armand Colin, p. 140)
     
  34. Relire apprend l'art de lire.
    (L'art de lire, éd Armand Colin, p. 141)
     
  35. Revoir les lieux autrefois visités, les amis autrefois fréquentés, les livres lus jadis, est une des passions du déclin. Or, c'est précisément se comparer à soi-même; c'est éprouver si l'on a toujours autant de facultés de sentir et si l'on a les mêmes.
    (L'art de lire, éd Armand Colin, p. 142)
     
  36. Rencontrant une dame qu'il n'avait pas vue depuis très longtemps un homme d'âge hésitait: "Comment! dit la dame, vous ne me reconnaissez pas? - Hélas! madame; j'ai tant changé!".
    (L'art de lire, éd Armand Colin, p. 142)
     
  37. Peu de romans lus avec ivresse à vingt ans plaisent à quarante. C'est un peu pour cela qu'il faut les relire, pour se relire, pour se rendre compte de soi, pour s'analyser, pour se connaître par comparaison et pour savoir ce qu'on a perdu.
    (L'art de lire, éd Armand Colin, p. 143)
     
  38. Relire, c'est lire ses mémoires sans se donner la peine de les écrire.
    (L'art de lire, éd Armand Colin, p. 144)
     
  39. C'est une grande marque, pour un livre, d'excellence ou de conformité avec notre caractère, que le désir que l'on a de le rouvrir.
    (L'art de lire, éd Armand Colin, p. 145)
     
  40. Lire, c'est penser avec un autre, penser la pensée d'un autre, et penser la pensée, conforme ou contraire à la sienne, qu'il nous suggère.
    (L'art de lire, éd Armand Colin, p. 149)
     
  41. La lecture, certaines précautions prises, est un des moyens de bonheur les plus éprouvés. Elle conduit au bonheur, parce qu'elle conduit à la sagesse et elle conduit à la sagesse parce qu'elle en vient et que c'est son pays même, où naturellement elle aime à mener ses amis.
    (L'art de lire, éd Armand Colin, p. 150)