Rodolphe Töpffer
1799 - 1846
  1. [...] L'amour est la passion la plus funeste, la plus méprisable, la plus contraire à la vertu. Un jeune homme qui aime s'adonne au relâchement et à la mollesse ; il n'est plus bon à rien qu'à soupirer auprès d'une femme, comme fit Hercule aux pieds d'Omphale.
    (Les Nouvelles Genevoises, p.11, Librairie Hachette, 1872)
     
  2. L'esprit des enfants est absolu, parce qu'il est borné. Les questions, n'ayant pour eux qu'une face, sont toutes simples ; en sorte que la solution en paraît aussi facile qu'évidente à leur intelligence plus droite qu'éclairée.
    (Les Nouvelles Genevoises, p.12, Librairie Hachette, 1872)
     
  3. Que le coeur est fidèle, quand il est jeune et pur encore ! qu'il est tendre et sincère !
    (Les Nouvelles Genevoises, p.106, Librairie Hachette, 1872)
     
  4. L'idée de la mort est lente à naître. Aux premiers jours de la vie, ce mot est vide de sens. Pour l'enfance, tout est fleuri, naissant, créé d'hier ; pour le jeune homme, tout est force, jeunesse, surabondante vie ; à la vérité, quelques êtres disparaissent de la vue, mais ils ne meurent pas... Mourir ! c'est-à-dire perdre à jamais la joie ! perdre la riante vue des campagnes, du ciel ! perdre cette pensée elle-même, toute peuplée de brillants espoirs, d'illusions si présentes et si vives !
    (Les Nouvelles Genevoises, p.107, Librairie Hachette, 1872)
     
  5. La jeunesse est généreuse, sensible, brave... et les vieillards la disent prodigue, inconsidérée, téméraire.
    La vieillesse est ménagère, sage, prudente... et les jeunes hommes la disent avare, égoïste, poltronne.

    (Les Nouvelles Genevoises, p.108, Librairie Hachette, 1872)
     
  6. [...] Là où est la famille tout s'épure ; que, rassemblée, c'est un sanctuaire d'où la souillure est bannie.
    (Les Nouvelles Genevoises, p.128, Librairie Hachette, 1872)
     
  7. [...] Durant que la langue du méchant sonne ses mensonges et ses vanités, la parole du juste de répand en bienfaisants secours et en salutaires remèdes.
    (Les Nouvelles Genevoises, p.141, Librairie Hachette, 1872)
     
  8. Les traits d'une éducation forte se reconnaissent à tout âge chez ceux qui en ont reçu le bienfait.
    (Les Nouvelles Genevoises, p.147, Librairie Hachette, 1872)
     
  9. [Le bonheur] ne peut résulter que de l'affection commune, de la fidélité commune, du commun concours à tous les devoirs qui naissent de l'état de famille.
    (Les Nouvelles Genevoises, p.167, Librairie Hachette, 1872)
     
  10. Ah ! qui que vous soyez qui faites dépendre votre sort d'un héritage, je vous plains ! Si votre homme ne meurt au plus vite, vous risquez de perdre vos plus belles années dans une ingrate et ennuyeuse attente ; et si impatient de jouir, vous désirez sa mort au moment même où vous lui prodiguez vos caresses, vous êtes un monstre.
    (Les Nouvelles Genevoises, p.224, Librairie Hachette, 1872)
     
  11. [...] Le scandale et la médisance n'épargnent pas les intentions les plus pures et les procédés les plus honnêtes [...].
    (Les Nouvelles Genevoises, p.231, Librairie Hachette, 1872)
     
  12. Aimer, être aimé, connaître les joies d'un amour partagé et le bonheur d'une union intime et tendre, c'est le voeu de la nature et l'irrésistible penchant de tout mortel.
    (Les Nouvelles Genevoises, p.341, Librairie Hachette, 1872)
     
  13. Rencontrer l'amour, se voir renaître, asseoir sa vieillesse au foyer domestique, c'est accomplir sa destinée, c'est tout au moins, parmi les biens précieux qui semblent promis à tous, avoir obtenu sa part.
    (Les Nouvelles Genevoises, p.342, Librairie Hachette, 1872)
     
  14. Quand un homme qui a peur en est à siffler, l'on peut compter qu'il est extraordinairement bas.
    (Les Nouvelles Genevoises, p.397, Librairie Hachette, 1872)
     
  15. [...] Qui ne naît pas de bon lieu finit toujours mal.
    (Le Presbytère, p.26, Hachette, 1863)
     
  16. [...] Dans la même âme peuvent vivre ensemble les préjugés les plus durs et une bonté naturelle.
    (Le Presbytère, p.26, Hachette, 1863)
     
  17. Le bonheur rend expansif, la joie est folle, dit-on.
    (Le Presbytère, p.33, Hachette, 1863)
     
  18. [Des] années se sont écoulées dès lors, non sans apporter avec elles l'ordinaire tribut de peines, de déceptions et de maux qui sont l'inévitable partage des hommes [...].
    (Le Presbytère, p.34, Hachette, 1863)
     
  19. [...] Le coeur, ingénieux à se leurrer lui-même, retourne invinciblement aux objets qui l'ont ému.
    (Le Presbytère, p.35, Hachette, 1863)
     
  20. Un présent n'est pas ce qui ruine. Dépensez un écu, mais ménagez vos sous.
    (Le Presbytère, p.45, Hachette, 1863)
     
  21. [...] Rien n'attire mieux sur un jeune homme l'attention d'une jeune personne que ce relief dont il jouit parmi les hommes.
    (Le Presbytère, p.64, Hachette, 1863)
     
  22. Il y a des présents que si on ne les fait pas à temps, autant rien.
    (Le Presbytère, p.66, Hachette, 1863)
     
  23. [...] Ce qu'il y a de plus doux au monde : c'est d'abriter la tristesse d'un être bien-aimé, c'est d'être le refuge de ses douleurs.
    (Le Presbytère, p.73, Hachette, 1863)
     
  24. L'argent blanchit tout.
    (Le Presbytère, p.73, Hachette, 1863)
     
  25. [...] Il est des sentiments trop vifs pour qu'ils se laissent exprimer par la parole.
    (Le Presbytère, p.80, Hachette, 1863)
     
  26. [...] Homme qui se marie, c'est homme qui se range, et qu'en hyménée, comme à la chasse, qui court deux lièvres risque de manquer tous les deux.
    (Le Presbytère, p.102, Hachette, 1863)
     
  27. Au fait, c'est bien vrai que la vendange n'est pas le plus joli moment des campagnes. Chez les poètes, peut-être ; pour les buveurs, encore. [...] Mais, à voir la chose de près, tout y est froid, mouillé, fermenté, soufré ; tout y respire la cave, les paches et la chanson. [...] Mais ces raisins, que deviennent-ils ? où sont les grappes vermeilles ? et, quand elles ont disparu des ceps, savez-vous alors rien de plus triste qu'une vigne ?
    (Le Presbytère, p.104, Hachette, 1863)
     
  28. [...] La langue est à la fois la pire chose et la meilleure, comme dit Ésope : la meilleure quand elle se tait, la pire dès qu'elle bouge ; c'est ainsi que j'interprète le dicton. Car la langue, qu'est-ce, sinon la trompette du coeur, lequel est, chez tous les fils d'Ève, farci de médisance, de malice, de préférence de soi, de jalousie des autres ?
    (Le Presbytère, p.120, Hachette, 1863)
     
  29. [...] À mesure que j'avance je trouve plus difficile de faire le bien avec la conviction que ce bien est réel.
    (Le Presbytère, p.129, Hachette, 1863)
     
  30. Mais j'ai hâte que vous deveniez économe, mesuré, prévoyant de l'avenir, plus avide de mettre en réserve que de répandre en abondances, et vous souvenant que c'est sur la diligence des jeunes années que s'économise le repos des vieux jours.
    (Le Presbytère, p.133, Hachette, 1863)
     
  31. [...] Rien n'est aimable comme la bonté unie au mérite ; et, à voir le monde, je commence à croire que le vrai mérite mène tout seul à la vraie bonté. Là où il ne se rencontre pas, la vanité étouffe bientôt les bons mouvements, la bienveillance s'efface derrière les petitesses, la raillerie remplace l'esprit, et l'envie de se distinguer se tourne en une fatuité nulle, hautaine et jalouse.
    (Le Presbytère, p.136, Hachette, 1863)
     
  32. Le mérite [...] dans un jeune homme, nous flatte, nous séduit sans doute, mais c'est parce que nous le voyons apprécié, non pas parce que nous en sommes juges. D'ailleurs, soyez équitable, et voyez combien de choses marchent encore à nos yeux avant le mérite, c'est-à-dire avant de vastes connaissances, ou de beaux écrits, ou le talent des grandes affaires... la grâce des manières, les qualités du caractère, la sympathie des pensées, la réserve, la modestie, que sais-je, le courage, des procédés empreints de noblesse ou d'un délicat attrait.
    (Le Presbytère, p.138, Hachette, 1863)
     
  33. [...] La vanité, sans dégrader, corrompt pourtant, puisqu'elle enchaîne la bienveillance !
    (Le Presbytère, p.139, Hachette, 1863)
     
  34. Ce qui est bon n'est cher qu'une fois.
    (Le Presbytère, p.143, Hachette, 1863)
     
  35. [...] C'est une ingrate journée que le jour de l'an des villes : on s'y agite en visites, on s'y fatigue en compliments, on s'y consume en riens laborieux.
    (Le Presbytère, p.144, Hachette, 1863)
     
  36. La force est aux hommes, mais la ruse est aux femmes ; et tandis que la force terrasse à l'occasion, la ruse règne à la durée.
    (Le Presbytère, p.164, Hachette, 1863)
     
  37. [...] Que j'aimerais [...] acquérir cet usage du monde dont, au fond, je fais peu d'estime, mais qui, au fond aussi, me semble si commode, si nécessaire dès qu'on met le pied dans un salon ! Que l'on est vite niais, en présence de ces personnes dont le monde avec ses conventions, ses réticences, ses formules, semble être l'élément naturel ; qui jouent avec aisance, qui marchent avec grâce et légèreté sur ce sol où sans cesse je perds l'équilibre, bien heureux encore quand je ne tombe pas lourdement !
    (Le Presbytère, p.166, Hachette, 1863)
     
  38. Que ce doit être triste d'être invitée au bal pour n'y bouger pas de sa chaise ! de voir ses compagnes briller, s'animer, danser, et de demeurer délaissée ! d'être à la fois dédaignée des messieurs et plainte des mamans qui vous entourent ! Comment donc se fait-il qu'on aille au bal lorsqu'on n'est pas pleine de grâce et belle comme le jour ?
    (Le Presbytère, p.169, Hachette, 1863)
     
  39. [...] À vrai dire le théâtre est la plus étrange chose pour un paysan comme moi. On y voit des personnages qui ont la prétention d'être des gens de campagne ; rien ne me paraît plus comique que leur jeu, leur costume et l'assurance avec laquelle ils se donnent pour des gens de campagne. Pour les bergères, les Estelles, figurez-vous des poupées mignonnes : mousseline, rubans, bouquets, escarpins ; et puis, fardées jusqu'aux yeux et les mains dans les poches à lisérés ; le langage, les manières et la naïveté sont de même aloi.
    (Le Presbytère, p.205, Hachette, 1863)
     
  40. Quand on ne bride pas sa jeunesse, on gâte par avance son âge mûr. Fleur véreuse, poire gâtée.
    (Le Presbytère, p.250, Hachette, 1863)
     
  41. [...] Ce qui abrège les jours, c'est la lourdeur de l'âme, et ces brumes où la tristesse l'enveloppe.
    (Le Presbytère, p.189, Hachette, 1863)
     
  42. L'amour est un rusé, et avec lui il n'y a sainte qui tienne.
    (Le Presbytère, p.279, Hachette, 1863)
     
  43. Qu'on meure de chagrin, possible : mais qu'on meure d'amour, ça ne s'est vu. On pleure un galant, c'est trop juste, mais jusqu'à ce qu'il en vienne un autre. Chez toutes le coeur est volage, l'idée changeante, et la chanson a raison, qui dit :
    Belle souvent gémit et pleure....
    Mais c'est pour l'amant qui demeure,
    Ou qui bien vite est de retour.

    (Le Presbytère, p.360, Hachette, 1863)
     
  44. [...] On ne voit guère de gentilles [filles] prendre un malotru, de raffinées se choisir un rustaud. Que si une le fait, c'est bon un temps; mais, quand l'amour n'aveugle plus, on y voit clair : alors viennent les discordances ; ce sont deux ennemis que, pendant leur sommeil, on a attachés ensemble ; réveillés, ils vont se reconnaître, puis se chamailler jusqu'à tant que la chaîne rompe.
    (Le Presbytère, p.361, Hachette, 1863)
     
  45. Chez les belles âmes,l'épreuve met en lumière ce que le bonheur laissait enfoui ; elle fait appel aux vertus difficiles, et ces vertus répondent à l'appel.
    (Le Presbytère, p.367, Hachette, 1863)
     
  46. [...] Il y a quelque chose de bien plus triste, de bien plus à craindre que l'infortune : c'est lorsque les tempêtes du coeur et le désordre des passions amènent la déraison ; c'est lorsqu'un caractère bon, droit, aimable, se manque à lui-même, récrimine, s'aigrit, devient injuste, se livre en proie à des mouvements dont il ne sait plus être maître ou dont il ne s'efforce pas de modérer la violence.
    (Le Presbytère, p.375, Hachette, 1863)
     
  47. Pour sermonner les paysans, il faut les connaître, et pour les remuer, il faut secouer brusquement. Ils ont leurs vertus, toujours menacées par le cabaret ; et ils ont leurs défauts, pas tant sujets à grossir que lourds et tenaces. Aux unes, il faut des étais qui ne soient pas fragiles ; aux autres, il faut des coups vigoureux et bien ajustés : sinon, c'est du bruit, et autant en emporte le vent.
    (Le Presbytère, p.447, Hachette, 1863)
     
  48. Les humbles devoirs [...] sont les vrais, sont les purs, sont les aimables devant Dieu, parce qu'ils sont les seuls qui soient dépouillés de cet alliage mondain de la gloire, de célébrité, d'éclat, où la vanité entre en partage avec la conscience.
    (Le Presbytère, p.461, Hachette, 1863)
     
  49. [...] Il est digne de louange, digne d'admiration, de se relever de la chute, et les plus belles palmes ne sont pas pour ceux qui ne faillirent jamais, mais pour ceux qui, du fond de l'abîme, reprennent par un effort sublime, leur essor vers les hauteurs.
    (Le Presbytère, p.472, Hachette, 1863)
     
  50. [...] Combien vite fuit la haine au premier souffle de la charité !
    (Le Presbytère, p.488, Hachette, 1863)
     
  51. La cupidité, l'esprit d'intrigue, appartient à bien des hommes et sont la cause de bien des actions basses et méchantes ; l'orgueil, le défaut de principes, cette démangeaison de la langue qui porte tant d'oisifs à rechercher et à répandre le mal plus aisément que le bien, ce qui est secret avec plus de plaisir que ce qui est découvert, sont à la fois des traits communs à une foule d'hommes et des sources fécondes de maux et de catastrophes.
    (Le Presbytère, p.492, Hachette, 1863)
     
  52. [...] Qui n'a pas observé combien les souvenirs d'enfance, l'égalité de condition, des goûts analogues, une instruction de même degré, ont de force pour approcher deux hommes différents de naturel, et plus différents encore de moralités ?
    (Le Presbytère, p.493, Hachette, 1863)
     
  53. Il appartient à la vraie charité de voiler ce qui peut nuire, et de ne s'ôter aucun des moyens de faire le bien.
    (Le Presbytère, vol,2, p.265, Genève, 1839)
     
  54. Je ne trouve pas [...] que le lustre des paroles fasse briller les mauvaises raisons; et plus je vois de mots employés à soutenir un dire, plus je le soupçonne équivoque, ambigu.
    (Le Presbytère, vol,2, p.295, Genève, 1839)
     
  55. Le coeur, comme la parole, se développe, se réchauffe, grandit, se fortifie par l'exercice : l'action lui donne du tact et de l'expérience ; l'accomplissement des devoirs lui donne de la dignité et du sérieux ; la lutte exalte ses sentiments et ses forces ; l'infortune, si elle ne l'aigrit pas, l'épure : elle l'enrichit de mélancolie, de pitié, de profondeur, de sensibilité chaude, pénétrante, irrésistible.
    (Le Presbytère, vol,2, p.331, Genève, 1839)
     
  56. Le vrai talent, le véritable éclat, l'éloquence, [...] elle n'est point dans l'enveloppe, mais dans ce que l'enveloppe recouvre, elle n'est pas dans cette forme extérieure dont les rhéteurs se flattent de nous enseigner la coupe et les proportions ; elle est dans la pensée elle-même, dans le coeur : c'est de lui qu'elle procède, c'est de lui, et par lui, qu'elle trouve ses formes, non pas toujours éclatantes, mais toujours propres à l'objet, colorées, touchantes, heurtant au bon endroit du coeur des autres.
    (Le Presbytère, vol,2, p.331, Genève, 1839)