Michel Tournier
1924
  1. Vous ne pouvez avoir de l'amitié pour quelqu'un qui n'a pas d'amitié pour vous. Ou elle est partagée, ou elle n'est pas. Tandis que l'amour semble au contraire se nourrir du malheur de n'être pas partagé. L'amour malheureux, c'est le ressort principal de la tragédie et du roman.
    (Le miroir des idées, p. 18, Folio n° 2882)
     
  2. Le comique surgit chaque fois que du mécanique se plaque sur du vivant.
    (Le miroir des idées, p. 24, Folio n° 2882)
     
  3. Être en bonne santé, dit-il [il s'agit de Georges Canguilhem], c'est pouvoir abuser de sa santé impunément.
    (Le miroir des idées, p. 33, Folio n° 2882)
     
  4. Il y a une Pasiphaé qui sommeille en chaque femme.
    [Nota : Pasiphaé en mythologie était la femme de Minos et la mère du Minotaure. Remarquez cependant que Minos n'est pas le père du monstre. -GGJ]

    (Le miroir des idées, p. 35, Folio n° 2882)
     
  5. Le chat semble mettre un point d'honneur à ne servir à rien, ce qui ne l'empêche pas de revendiquer au foyer une place meilleure que celle du chien. Il est un ornement, un luxe.
    (Le miroir des idées, p. 39, Folio n° 2882)
     
  6. L'homme ne promène pas son chien, c'est lui qui est promené par son chien.
    (Le miroir des idées, p. 39, Folio n° 2882)
     
  7. Certes on n'a jamais rien vu de plus grand, majestueux, chaud, murmurant, soupirant, soufflant, fort, gracieux, élégant, érotique, puissant et féminin qu'une locomotive à vapeur.
    (Le miroir des idées, p. 57, Folio n° 2882)
     
  8. Il faut rappeler le proverbe espagnol si profondément pessimiste : " Dans la lutte de l'eau et du feu, c'est toujours le feu qui perd. " Pessimiste, oui, car le feu symbolise ici l'enthousiasme, l'esprit juvénile, l'ardeur entreprenante, et l'eau les tristes et décourageantes sujétions de la réalité.
    (Le miroir des idées, p. 82, Folio n° 2882)
     
  9. Le temps historique est une succession irréversible d'événements imprévisibles et presque toujours catastrophiques dont le plus ordinaire est la guerre, mal absolu.
    (Le miroir des idées, p. 87, Folio n° 2882)
     
  10. Être homme, c'est créer, et une vie où la création n'aurait aucune place ne vaudrait pas d'être vécue, parce qu'il lui manquerait cette étincelle divine qui en fait une vie humaine.
    (Le miroir des idées, p. 96, Folio n° 2882)
     
  11. [...] mettre au monde et élever un enfant [...] est peut-être la plus belle, mais aussi la plus dangereuse de toutes les créations.
    (Le miroir des idées, p. 96, Folio n° 2882)
     
  12. La joie seule est intrinsèque à la création.
    (Le miroir des idées, p. 96, Folio n° 2882)
     
  13. Si la joie colore la création, le plaisir, lui, accompagne la consommation, c'est-à-dire une forme de destruction.
    (Le miroir des idées, p. 97, Folio n° 2882)
     
  14. Il est cependant un domaine où le plaisir et la joie se confondent indissolublement, c'est la sexualité, et c'est ce qui la rend incomparable. Car le désir sexuel est une faim de l'autre, et ressemble par bien des côtés à une pulsion cannibalesque. Le goût violent de la chair d'autrui, de son odeur, des humeurs qu'elle sécrète a un aspect évidemment anthropophage. Et quand le sexe en reste à ce niveau, il n'est pas loin de basculer dans le sadisme. Mais cet élan destructeur est en même temps un acte créateur, et le plaisir sexuel s'épanouit dans la construction d'une vie à deux. Car la rencontre de deux personnes qui s'aiment inaugure une vie nouvelle, imprévue, incomparablement plus riche que la simple addition de leurs qualités respectives.
    (Le miroir des idées, p. 97, Folio n° 2882)
     
  15. [...] on ne gouverne ni sereinement ni innocemment.
    (Le miroir des idées, p. 100, Folio n° 2882)
     
  16. Il faut avoir un chaos en soi-même pour accoucher d'une étoile qui danse. (Frédéric Nietzsche)
    (cité dans Le miroir des idées, p. 101, Folio n° 2882)
     
  17. [La peur] est humiliante, parce qu'elle est l'anticipation d'une défaite.
    (Le miroir des idées, p. 102, Folio n° 2882)
     
  18. L'angoisse révèle à l'homme sa solitude, et par là même sa liberté et sa dignité d'homme.
    (Le miroir des idées, p. 103, Folio n° 2882)
     
  19. Un grand auteur est celui dont on entend et reconnaît la voix dès qu'on ouvre l'un de ses livres. Il a réussi à fondre la parole et l'écriture.
    (Le miroir des idées, p. 112, Folio n° 2882)
     
  20. L'éphémère n'est pas forcément méprisable.
    (Le miroir des idées, p. 115, Folio n° 2882)
     
  21. Surtout, la première leçon de la culture, c'est que le monde est vaste, le passé insondable, et que des milliards d'hommes pensent et ont pensé autrement que nous, nos voisins et nos concitoyens. La culture débouche sur l'universel et engendre le scepticisme. S'efforçant d'élargir ses idées à la dimension universelle, l'homme cultivé traite sa propre civilisation comme un cas particulier.
    (Le miroir des idées, p. 121, Folio n° 2882)
     
  22. Signe et image sont les deux grandes voies de la communication entre les hommes à travers l'espace et le temps.
    (Le miroir des idées, p. 123, Folio n° 2882)
     
  23. [Dans la poésie...] la vocation du vers, c'est d'être appris par cœur et récité à tout moment, éternellement.
    (Le miroir des idées, p. 136, Folio n° 2882)
     
  24. " Comprendre " la prose, c'est saisir les idées qui la commandent. " Comprendre " un poème, c'est être envahi par l'inspiration qui en émane.
    (Le miroir des idées, p. 136, Folio n° 2882)
     
  25. Les explications que les scientifiques donnent de ce phénomène [la marée] sont si embrouillées qu'on comprend bien qu'ils n'y comprennent rien.
    (Le miroir des idées, p. 142, Folio n° 2882)
     
  26. Si l'on veut pouvoir agir dans le monde matériel, il faut accepter le risque de pâtir.
    (Le miroir des idées, p. 147, Folio n° 2882)
     
  27. La logique classique nous apprend qu'une définition se compose normalement du genre prochain et de la différence spécifique.
    (Le miroir des idées, p. 163, Folio n° 2882)
     
  28. [..] s'il est bon d'être original, il est mauvais d'être un original.
    (Le miroir des idées, p. 164, Folio n° 2882)
     
  29. L'intelligence est la faculté de relativiser les absolus livrés bruts par l'expérience.
    (Le miroir des idées, p. 176, Folio n° 2882)
     
  30. Il n'y a pas de mystique solitaire.
    (Le miroir des idées, p. 177, Folio n° 2882)
     
  31. [Le Diable] incarne le négatif de façon vivante, efficace, dramatique et pour ainsi dire positive.
    (Le miroir des idées, p. 183, Folio n° 2882)
     
  32. L'homme qui exhibe fièrement le couteau flambant neuf qu'il vient d'acquérir a toutes les chances de se couper dès qu'il s'en servira.
    (La goutte d'or, p.24, Folio n° 1908)
     
  33. Et là, pauvre parmi les pauvres, il fit ce pour quoi les pauvres ont une vocation inépuisable, il attendit, immobile et patient.
    (La goutte d'or, p.88, Folio n° 1908)
     
  34. À Tablebala, on n'a rien, mais on ne manque de rien. C'est ça une oasis.
    (La goutte d'or, p.99, Folio n° 1908)
     
  35. La foule des Maghrébins reçut ces informations avec tout le respect de l'incompréhension.
    (La goutte d'or, p.105, Folio n° 1908)
     
  36. La prodigalité est le seul luxe des pauvres.
    (La goutte d'or, p.109, Folio n° 1908)
     
  37. Coffre-fort fragile et provocant, la vitrine appelle l'effraction.
    (La goutte d'or, p.160, Folio n° 1908)
     
  38. La statue, comme le corps humain, peut être nue. Le mannequin ne peut pas être nu, il ne peut être que déshabillé.
    (La goutte d'or, p.175, Folio n° 1908)
     
  39. Si ce que tu as à dire n'est pas plus beau que le silence,
    Alors tais-toi!

    (La goutte d'or, p.198, Folio n° 1908)
     
  40. [...] le plaisir de sentir le poids du temps.
    (La goutte d'or, p.200, Folio n° 1908)
     
  41. Le ciseau du sculpteur libère la jeune fille, l'athlète ou le cheval du bloc de marbre. De même les signes sont tous prisonniers de l'encre et de l'encrier. Le calame les en libère et les lâche sur la page. La calligraphie est libération.
    (La goutte d'or, p.201, Folio n° 1908)
     
  42. L'effigie est verrou, l'idole prison, la figure serrure. Une seule clef peut faire tomber ces chaînes : le signe.
    (La goutte d'or, p.201, Folio n° 1908)
     
  43. L'image est toujours rétrospective. C'est un miroir tourné vers le passé. Il n'y a pas plus pure image que le profil funéraire, le masque mortuaire, le couvercle de sarcophage.
    (La goutte d'or, p.201, Folio n° 1908)
     
  44. La calligraphie est l'algèbre de l'âme tracée par l'organe le plus spiritualisé du corps, sa main droite. Elle est la célébration de l'invisible par le visible.
    (La goutte d'or, p.202, Folio n° 1908)
     
  45. [...] les femmes devraient militer pour qu'on leur accorde comme aux hommes le droit à la laideur.
    (Le médianoche amoureux, p.14 Folio n° 2290)
     
  46. Qu'est-ce qu'une scène de ménage ? C'est le triomphe de la femme. C'est lorsque la femme a enfin réussi à force de harcèlements à arracher l'homme à son silence. Alors il crie, il tempête, il injurie, et la femme se laisse voluptueusement baigner par cette averse verbale.
    (Le médianoche amoureux, p.34, Folio n° 2290)
     
  47. Les couples meurent ne n'avoir plus rien à se dire.
    (Le médianoche amoureux, p.37, Folio n° 2290)
     
  48. Un bon conteur doit savoir se renouveler.
    (Le médianoche amoureux, p.38, Folio n° 2290)
     
  49. Si un homme change de femme, c'est afin de trouver chez la nouvelle une oreille vierge pour ses histoires.
    (Le médianoche amoureux, p.39, Folio n° 2290)
     
  50. Il n'y a de bonne intimité que crépusculaire.
    (Le médianoche amoureux, p.41, Folio n° 2290)
     
  51. Brumes dorées du passé, vous magnifiez les moindres choses !
    (Le médianoche amoureux, p.58, Folio n° 2290)
     
  52. [...] les enfants ne sont pas bons, [...] ils sont féroces. Il suffit qu'ils se sentent les plus forts.
    (Le médianoche amoureux, p.79, Folio n° 2290)
     
  53. La volonté de puissance de certaines femmes ne s'accommode que d'un mari diminué, souple comme un gant vide.
    (Le médianoche amoureux, p.80, Folio n° 2290)
     
  54. [...] un trimestre, unité de temps chère aux enseignants.
    (Le médianoche amoureux, p.81, Folio n° 2290)
     
  55. Il appartenait à ce type d'hommes qui d'année en année rejoignent le vieillard qu'ils ont toujours été au fond d'eux-mêmes dès l'âge de vingt ans.
    (Le médianoche amoureux, p.85, Folio n° 2290)
     
  56. Je crois qu'un maître n'a qu'une chance de se faire accepter et de tenir debout face à vingt ou trente garçons et filles de quatorze à dix-sept ans, c'est en participant d'une certaine façon à l'espèce d'ébriété érotique qui caractérise cet âge.
    (Le médianoche amoureux, p.91, Folio n° 2290)
     
  57. [...] la jalousie et la soif de vengeance [...] sont inséparables comme l'action et la passion d'un même coeur.
    (Le médianoche amoureux, p.93, Folio n° 2290)
     
  58. Les intellectuels sont ainsi. Leur goût immodéré de la parole et de l'écriture compromet souvent leurs entreprises les mieux agencées.
    (Le médianoche amoureux, p.95, Folio n° 2290)
     
  59. [...] un feu d'artifice, n'était-ce pas le symbole même du luxe inutile, de la fortune dissipée en fumée pour le plaisir de quelques minutes ?
    (Le médianoche amoureux, p.104, Folio n° 2290)
     
  60. [...] une fois sur deux, un ami qui se marie est un ami perdu.
    (Le médianoche amoureux, p.126, Folio n° 2290)
     
  61. Rien ne met mieux en valeur la fraîcheur et la gentillesse d'un enfant qu'un vêtement sombre et austère.
    (Le médianoche amoureux, p.128, Folio n° 2290)
     
  62. Quoi de plus mélancolique qu'un photographe qui n'a plus rien à photographier, ayant laissé échapper la seule image qui compte désormais à ses yeux ?
    (Le médianoche amoureux, p.130, Folio n° 2290)
     
  63. Nous autres célibataires, comme on a vite fait de nous traiter de séducteurs, alors que le plus souvent nous ne sommes que séduits, gibiers et non chasseurs, victimes et non bourreaux !
    (Le médianoche amoureux, p.134, Folio n° 2290)
     
  64. Je pense que les relations d'un homme avec l'argent sont aussi profondes et complexes que celles qu'il peut avoir avec Dieu, son propre corps, sa femme, sa mère, etc.
    (Le médianoche amoureux, p.153, Folio n° 2290)
     
  65. [...] elle vivait en état d'extinction.
    (Le médianoche amoureux, p.156, Folio n° 2290)
     
  66. [...] la nuit est par essence le temps de l'anarchie.
    (Le médianoche amoureux, p.159, Folio n° 2290)
     
  67. Quelqu'un qui regarde une peinture ne peut pas se tromper. Ce qu'il voit est une vérité infaillible.
    (Le médianoche amoureux, p.163, Folio n° 2290)
     
  68. Qu'est-ce qu'une classe ? Un grand animal à trente têtes et soixante pieds.
    (Le médianoche amoureux, p.172, Folio n° 2290)
     
  69. Un livre, cela se fait comme un meuble, par ajustement patient de pièces et de morceaux. Il y faut du temps et du soin.
    (Le médianoche amoureux, p.183, Folio n° 2290)
     
  70. Je crois [...] qu'un artiste peut accepter pour sa part tous les honneurs, à condition que son oeuvre, elle, les refuse.
    (Le médianoche amoureux, p.185, Folio n° 2290)
     
  71. Passion, patient, passif, pathologique, pathétique. Cinq mots dont l'étymologie commune se manifeste parfois cruellement dans les faits.
    (Le médianoche amoureux, p.191, Folio n° 2290)
     
  72. L'argent ou la chemise que tu donnes au mendiant, c'est un morceau de toi ou de ton univers que tu livres à sa concupiscence. Le riche est la putain du pauvre.
    (Le médianoche amoureux, p.206, Folio n° 2290)
     
  73. La naissance, l'amour et la mort, il faut le dire, ne sont pas des maladies. Ce sont les trois grandes articulations du destin humain. Il ne convient pas que les médecins s'en emparent.
    (Le médianoche amoureux, p.215, Folio n° 2290)
     
  74. Contre les chagrins de la vie, le voyage n'est-il pas le meilleur des remèdes ?
    (Le médianoche amoureux, p.221, Folio n° 2290)
     
  75. Les hommes qui violent trouvent presque toujours leur salut dans la pudeur de leur victime.
    (Le médianoche amoureux, p.234, Folio n° 2290)
     
  76. Qu'est-ce qu'un musicien qui n'est pas joué, un auteur dramatique sans théâtre ? La communication ajoute à la création une vie innombrable et imprévisible sans laquelle elle n'est qu'un objet inerte.
    (Le médianoche amoureux, p.296, Folio n° 2290)
     
  77. [...] plus vous voulez vous élever, plus il faut avoir les pieds sur terre. Chaque arbre vous le dit.
    (La fugue du petit Poucet, p.61, in Le Coq de bruyère Folio n° 1229)
     
  78. [Le vent et le soleil] ces deux mamelles du cosmos [...]
    (La fugue du petit Poucet, p.61, in Le Coq de bruyère Folio n° 1229)
     
  79. Son comique reposait tout entier sur cette observation très simple : si vous êtes victime d'une malchance, vous intéressez ; de deux malchances, vous faites pitié ; de cent malchances, vous faites rire.
    (Que ma joie demeure, p.90, in Le Coq de bruyère Folio n° 1229)
     
  80. [...] le mal sous sa forme négative - le découragement, la paresse, l'ennui, l'indifférence.
    (Que ma joie demeure, p.91, in Le Coq de bruyère Folio n° 1229)
     
  81. En quoi consiste la photogénie ? C'est la faculté de produire des photos qui vont plus loin que l'objet réel.
    (Les suaires de Véronique, p.156, in Le Coq de bruyère Folio n° 1229)
     
  82. [...] la force pernicieuse de l'ennui : il s'entoure d'une sorte de contagion universelle, et projette ses ondes maléfiques sur le monde entier, sur tout l'univers.
    (La jeune fille et la mort, p.186, in Le Coq de bruyère Folio n° 1229)
     
  83. [...] une hallucination auditive.
    (Le jeune fille et la mort, p.191, in Le Coq de bruyère Folio n° 1229)
     
  84. [...] les gens tout à fait normaux sont rarement dans l'enseignement, et peut-être est-il naturel et préférable que les enfants, ces demi-fous que nous tolérons parmi nous, soient élevés par des originaux.
    [Cette définition des enfants se trouve dans la Préface à l'Histoire d'O de Jean Paulhan.]

    (La jeune fille et la mort, p.196, in Le Coq de bruyère Folio n° 1229)
     
  85. [...] la théorie exposée par Henri Bergson dans Le Rire, selon laquelle le comique est du mécanique plaqué sur du vivant.
    (La jeune fille et la mort, p.201, in Le Coq de bruyère Folio n° 1229)
     
  86. - [...] Le scandale est bien souvent dans le regard sans amour que nous portons sur notre prochain. [...]
    - [...] Je crains de ne mettre jamais assez d'amour dans mes regards.
    - [...] Alors fermez les yeux !

    (Le Coq de bruyère, p.210, in Le Coq de bruyère Folio n° 1229)
     
  87. Vous n'êtes pas une femme, vous êtes ma femme.
    (Le Coq de bruyère, p.216, in Le Coq de bruyère Folio n° 1229)
     
  88. [Il] avait été toute sa vie un grand séduit beaucoup plus qu'un vulgaire séducteur.
    (Le Coq de bruyère, p.231, in Le Coq de bruyère Folio n° 1229)
     
  89. La nudité, c'est pire qu'indécent, c'est bestial ! Le vêtement, c'est l'âme humaine.
    (Le fétichiste, p.309, in Le Coq de bruyère Folio n° 1229)
     
  90. Rien de tel pour percer l'âme d'un homme que de l'imaginer revêtu d'un pouvoir absolu grâce auquel il peut imposer sa volonté sans obstacle.
    (Vendredi ou les limbes du Pacifique, p.8, Folio n° 959)
     
  91. [...] gardez-vous de la pureté. C'est le vitriol de l'âme.
    (Vendredi ou les limbes du Pacifique, p.14, Folio n° 959)
     
  92. La nudité est un luxe que seul l'homme chaudement entouré par la multitude de ses semblables peut s'offrir sans danger.
    (Vendredi ou les limbes du Pacifique, p.30, Folio n° 959)
     
  93. [...] autrui est pour nous un puissant facteur de distraction, non seulement parce qu'il nous dérange sans cesse et nous arrache à notre pensée actuelle, mais aussi parce que la seule possibilité de sa survenue jette une vague lueur sur un univers d'objets situés en marge de notre attention, mais capable à tout instant d'en devenir le centre.
    (Vendredi ou les limbes du Pacifique, p.36, Folio n° 959)
     
  94. Je sais maintenant que chaque homme porte en lui - et comme au-dessus de lui - un fragile et complexe échafaudage d'habitudes, réponses, réflexes, mécanismes, préoccupations, rêves et implications qui s'est formé et continue à se transformer par les attouchements perpétuels de ses semblables.
    (Vendredi ou les limbes du Pacifique, p.53, Folio n° 959)
     
  95. Lorsqu'un peintre ou un graveur introduit des personnages dans un paysage ou à proximité d'un monument, ce n'est pas par goût de l'accessoire. Les personnages donnent l'échelle et, ce qui importe davantage encore, ils constituent des points de vue possibles qui ajoutent au point de vue réel de l'observateur d'indispensables virtualités.
    (Vendredi ou les limbes du Pacifique, p.53, Folio n° 959)
     
  96. Étrange parti pris cependant qui valorise aveuglément la profondeur aux dépens de la superficie et qui veut que " superficiel " signifie non pas " de vaste dimension " mais de " peu de profondeur ", tandis que " profond " signifie au contraire " de grande profondeur " et non pas " de faible superficie ". Et pourtant un sentiment comme l'amour se mesure bien mieux il me semble - si tant est qu'il se mesure - à l'importance de sa superficie qu'à son degré de profondeur. Car je mesure mon amour pour une femme au fait que j'aime également ses mains, ses yeux, sa démarche, ses vêtements habituels, ses objets familiers, ceux qu'elle n'a fait que toucher, les paysages où je l'ai vue évoluer, la mer où elle s'est baignée... Tout cela, c'est bien de la superficie, il me semble !
    (Vendredi ou les limbes du Pacifique, p.69, Folio n° 959)
     
  97. La solitude est un vin fort. Insupportable à l'enfant, elle enivre d'une joie âpre l'homme qui a su maîtriser, quand il s'y adonne, les battements de son coeur de lièvre.
    (Vendredi ou les limbes du Pacifique, p.84, Folio n° 959)
     
  98. [...] notre visage est cette partie de notre chair que modèle et remodèle, réchauffe et anime sans cesse la présence de nos semblables.
    (Vendredi ou les limbes du Pacifique, p.90, Folio n° 959)
     
  99. L'oeil qui crée la lumière invente aussi l'obscurité, mais celui qui n'a pas d'yeux ignore l'une et l'autre, et ne souffre pas de l'absence de la première.
    (Vendredi ou les limbes du Pacifique, p.,103 Folio n° 959)
     
  100. Il y a en moi un cosmos en gestation. Mais un cosmos en gestation, cela s'appelle un chaos.
    (Vendredi ou les limbes du Pacifique, p.117, Folio n° 959)
     
  101. Cette espèce d'ahurissement dans lequel nous nous réveillons chaque matin.
    (Vendredi ou les limbes du Pacifique, p.127, Folio n° 959)
     
  102. Le dormeur est un aliéné qui se croit mort.
    (Vendredi ou les limbes du Pacifique, p.128, Folio n° 959)
     
  103. Exister, qu'est-ce que cela veut dire ? Ça veut dire être dehors, sistere ex. Ce qui est à l'extérieur existe. Ce qui est à l'intérieur n'existe pas. Mes idées, mes images, mes rêves n'existent pas. [...] je n'existe qu'en m'évadant de moi-même vers autrui.
    Ce qui complique tout, c'est que ce qui n'existe pas s'acharne à faire croire le contraire. Il y a une grande et commune aspiration de l'inexistant vers l'existence. C'est comme une force centrifuge qui pousserait vers le dehors tout ce qui remue en moi, images, rêveries, projets, fantasmes, désirs, obsessions. Ce qui n'ex-siste pas in-siste. Insiste pour exister.

    (Vendredi ou les limbes du Pacifique, p.129, Folio n° 959)
     
  104. Procréer, c'est susciter la génération suivante qui innocemment, mais inexorablement, repousse la précédente vers le néant. À peine les parents ont-ils cessé d'être indispensables qu'ils deviennent importuns. L'enfant envoie ses géniteurs au rebut, aussi naturellement qu'il a accepté d'eux tout ce qu'il lui fallait pour pousser.
    (Vendredi ou les limbes du Pacifique, p.131, Folio n° 959)
     
  105. Rien de plus dangereux que l'agacement quand on doit vivre seul avec quelqu'un. C'est une dynamite qui disloque les couples les plus unis.
    (Vendredi ou les limbes du Pacifique, p.210, Folio n° 959)
     
  106. [Les Dioscures] sont plus intimement frères que les jumeaux humains, parce qu'ils se partagent la même âme. Les jumeaux humains sont pluranimes. Les Gémeaux sont unanimes.
    (Vendredi ou les limbes du Pacifique, p.231, Folio n° 959)
     
  107. C'était cela autrui : un possible qui s'acharne à passer pour réel.
    (Vendredi ou les limbes du Pacifique, p.239, Folio n° 959)
     
  108. [...] l'intelligence et la bêtise peuvent habiter dans la même tête sans s'infuencer le moins du monde, comme l'eau et l'huile se superposent sans se mêler.
    (Vendredi ou les limbes du Pacifique, p.245, Folio n° 959)
     
  109. [...] l'erreur commune de projeter l'avenir dans le passé.
    (Gilles & Jeanne, p.17, Folio n° 1707)
     
  110. Décidément les chefs de guerre sont bien encombrants en temps de paix !
    (Gilles & Jeanne, p.39, Folio n° 1707)
     
  111. La rapacité est mille fois moins meurtrière que le fanatisme.
    (Gilles & Jeanne, p.49, Folio n° 1707)
     
  112. [...] les hommes sont comme les lions, comme toutes les bêtes, comme tous les êtres vivants. La faim les rend féroces. Et qu'est-ce que la pauvreté, sinon une faim généralisée ?
    (Gilles & Jeanne, p.70, Folio n° 1707)
     
  113. [...] il faut avoir le courage de plonger dans les ténèbres pour en rapporter la lumière.
    (Gilles & Jeanne, p.75, Folio n° 1707)
     
  114. Le pouvoir excessif rend fou. Qu'est-ce qu'un tyran ? C'est un souverain que son pouvoir a rendu fou.
    (Gilles & Jeanne, p.90, Folio n° 1707)
     
  115. Ce qui est redoutable [...] c'est un pouvoir illimité commandé par un esprit borné. Il n'est pas de violence ni de crime qu'il ne faille craindre de mains vigoureuses au service d'une tête faible.
    (Gilles & Jeanne, p.91, Folio n° 1707)
     
  116. Ainsi quand nous approchons de l'heure de notre mort, notre vie familière peut paraître inchangée, l'au-delà hurle à nos oreilles un chant profond qui tourne en dérision toutes nos petites préoccupations.
    (Gilles & Jeanne, p.102, Folio n° 1707)
     
  117. [...] le monde entier n'est qu'un amas de clefs et une collection de serrures. Serrures le visage humain, le livre, la femme, chaque pays étranger, chaque oeuvre d'art, les constellations du ciel. Clefs les armes, l'argent, l'homme, les moyens de transport, chaque instrument de musique, chaque outil en général. La clef, il n'est que de savoir s'en servir. La serrure, il n'est que de savoir la servir... afin de pouvoir l'asservir.
    (Petites proses, p.19, Folio n° 1768)
     
  118. Prière du matin. Seigneur, place sur mon chemin un grand amour qui illumine et saccage ma vie !
    (Petites proses, p.44, Folio n° 1768)
     
  119. Mais il en va d'une oeuvre comme d'un arbre : plus les racines s'enfoncent dans la nuit dense de la terre, plus grand est le morceau de ciel que la ramure peut embrasser.
    (Petites proses, p.55, Folio n° 1768)
     
  120. Vieillir. Deux pommes sur une planche pour l'hiver. L'une se boursoufle et pourrit. L'autre se dessèche et se ratatine. Choisis si possible cette seconde sorte de vieillesse, dure et légère.
    (Petites proses, p.79, Folio n° 1768)
     
  121. C'est d'ailleurs l'un des pièges de la coquetterie : soigner ses cheveux, c'est se préoccuper de l'aspect que l'on a de dos.
    (Petites proses, p.100, Folio n° 1768)
     
  122. [...] la grande différence entre l'amour et l'amitié, c'est qu'il ne peut y avoir d'amitié sans réciprocité.
    (Petites proses, p.111, Folio n° 1768)
     
  123. Car l'amour peut aussi être coprophage.
    (Petites proses, p.112, Folio n° 1768)
     
  124. Car l'admiration, plus encore que l'amour, peut être une passion dangereuse.
    (Petites proses, p.113, Folio n° 1768)
     
  125. Le magazine, le film, la télévision gavent l'oeil et réduisent le reste de l'homme à néant. L'homme d'aujourd'hui se promène muselé et manchot dans un palais de mirages.
    (Petites proses, p.116, Folio n° 1768)
     
  126. Non, vraiment, quand on se regarde sans complaisance, il faut mieux en convenir : le néant est la sagesse même.
    (Petites proses, p.139, Folio n° 1768)
     
  127. Mais le propre de la création est de rendre l'impossible non seulement réel, mais nécessaire.
    (Petites proses, p.161, Folio n° 1768)
     
  128. Au temps qui détruit tout, l'homme répond par l'image.
    (Petites proses, p.168, Folio n° 1768)
     
  129. Enfin dès la deuxième loi du décalogue se trouve promulgué le monopole divin de l'image :" Tu ne feras pas d'image peinte ni sculptée. " Il faudra attendre des millénaires pour que l'homme d'État - ce singe de Dieu - retrouve cette triple opération : autoportrait, diffusion, monopole.
    (Petites proses, p.169, Folio n° 1768)
     
  130. [Riz] trois lettres, comme dans le mot blé, mais entre ces deux nourritures fondamentales, il y a la distance de deux groupes de civilisations.
    (Petites proses, p.190, Folio n° 1768)
     
  131. Oui, je crois qu'un livre a toujours deux auteurs : celui qui l'a écrit et celui qui le lit.
    (Petites proses, p.222, Folio n° 1768)
     
  132. Pas plus qu'on ne peut se retenir de goûter à certains gâteaux ou de faire l'amour avec certains corps, on ne saurait refuser à certains poignards, à certains pistolets, l'acte qu'ils appellent de toute leur admirable forme.
    (Petites proses, p.237, Folio n° 1768)
     
  133. Être jeune, c'est n'avoir perdu personne encore. Mais ensuite nos morts nous entraînent avec eux, et chacun est un rocher jeté dans notre mémoire qui fait monter notre ligne de flottaison. À la fin, nous dérivons à fleur d'eau, à fleur d'existence, n'offrant plus aux vivants que juste ce qu'il faut de regards et de paroles pour leur faire croire que nous sommes de ce monde.
    (Petites proses, p.243, Folio n° 1768)
     
  134. Il y a un signe infaillible auquel on reconnaît qu'on aime quelqu'un d'amour, c'est quand son visage vous inspire plus de désir physique qu'aucune autre partie de son corps.
    (Petites proses, p.245, Folio n° 1768)
     
  135. Découvrir, inventer, créer, il y a une affinité profonde entre ces trois démarches. Inventer, c'est étymologiquement invenire : aller-à, c'est-à-dire découvrir et créer. Rappelons qu'en termes juridiques celui qui « découvre » un trésor, s'appelle « l'inventeur » de ce trésor. Et il est bien vrai qu'avant son intervention, le trésor n'existait pas. C'est sa découverte qui l'a fait exister avec en plus un effet rétroactif.
    (Journal extime, p.,10 La Musardine, 2002)
     
  136. Sa fonction [au chef d'orchestre] est d'incarner la musique avec tout son corps.
    (Journal extime, p.21, La Musardine, 2002)
     
  137. J'entre chez M.L. et son chien se précipite sur moi en aboyant. J'ai un mouvement de recul. M.L. : « De quoi as-tu peur ? Tu sais bien qu'un chien qui aboie ne mord pas ». Moi : « Oui, mais lui le sait-il ? »
    (Journal extime, p.29, La Musardine, 2002)
     
  138. Proverbe arabe : Celui qui prétend tout comprendre s'expose à mourir de colère.
    (Journal extime, p.30, La Musardine, 2002)
     
  139. Avoir, comme on dit, « un pied dans la tombe », ce n'est pas être malade, c'est avoir enterré la moitié de ceux qu'on aime.
    (Journal extime, p.39, La Musardine, 2002)
     
  140. Pour vivre à deux, il importe plus de bien dormir que de bien coucher ensemble.
    (Journal extime, p.42, La Musardine, 2002)
     
  141. « J'ai compris ce qu'est l'obscurité, dit l'aveugle. C'est quand tu ne me touches plus. »
    (Journal extime, p.61, La Musardine, 2002)
     
  142. Livret scolaire : casier judiciaire.
    (Journal extime, p.95, La Musardine, 2002)
     
  143. Quand une souris voit passer une chauve-souris, elle s'écrit : « Oh un ange ! »
    (Journal extime, p.124, La Musardine, 2002)
     
  144. Un écrivain inspiré est celui qui est dépassé par son propre texte.
    (Journal extime, p.126, La Musardine, 2002)
     
  145. [...] Socrate avec ses questions sans queue ni tête et son principe absurde « Connais-toi toi-même » (qu'y a-t-il de moins intéressant au monde que moi-même ?).
    (Journal extime, p.213, La Musardine, 2002)
     
  146. Exiger toute la vérité, c'est faire preuve d'une présomption infinie. C'est en réalité se prendre pour Dieu. Car c'est supposer qu'on est capable de supporter toute la vérité sans faiblir, sans réagir de façon désordonnée, injuste, voire criminelle ou suicidaire. Ce qui est au-dessus des facultés humaines. Mais comment avoir la sagesse de dire : « Ne me donnez que la quantité et la qualité de vérité que je mérite » ?
    (Journal extime, p., La Musardine, 2002)