Helvétius
1715 - 1771
  1. Les hommes sont toujours contre la raison, quand la raison est contre eux.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  2. Faire sa fortune n'est pas le synonyme de faire son bonheur  ; l'un peut cependant s'accroître avec l'autre.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  3. Ceux qui sont accoutumés à disputer dans les lieux publics doivent plutôt savoir l'art de rendre des idées, que la manière de trouver des vérités.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  4. Rarement les ministres qui ont de l'esprit choisissent des hommes supérieurs pour les mettre en place : ils les croient trop indociles, et pas assez admirateurs.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  5. Il n'y a qu'un imprudent qui risque d'avoir de l'esprit devant les gens qu'il ne connaît pas.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  6. On sacrifie souvent les plus grands plaisirs de la vie à l'orgueil de les sacrifier.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  7. On ne peut, en compagnie, juger de tout l'esprit d'un homme : on peut juger de la partie bonne à la société, mais non pas de la profondeur des idées.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  8. Il serait aisé de faire un livre pour prouver qu'une société de gens qui se conduiraient selon l'Évangile ne pourrait subsister.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  9. La sottise veut toujours parler, et n'a jamais rien à dire  ; voilà pourquoi elle est tracassière.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  10. Le principe de notre estime ou de notre mépris pour une chose est le besoin ou l'inutilité dont elle nous est.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  11. La religion a fait de grands maux, et peu de petits biens.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  12. Les hommes laids, en général, ont plus d'esprit, parce qu'ils ont eu moins d'occasions de plaisirs, et plus de temps pour étudier.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  13. On ne prendra jamais le mot homme pour cheval  ; mais on prendra réfléchir pour penser. Tout mot collectif occasionne des disputes. Il n'y en a point aux mots d'images.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  14. Quand une science ne produit pas un bien très près de sa source, on la regarde comme inutile. C'est un ruisseau qui semble se perdre dans la terre, et qu'on ne voit point produire une autre source.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  15. Dans un gouvernement, il arrive tous les jours des malheurs auxquels on ne peut remédier, faute de remonter à une source très éloignée, que souvent l'ignorance des ministres a fait tarir, tandis qu'on en ouvre d'autres dont le cours inconnu va empoisonner le bonheur public.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  16. Il y a des chiens bons à une chasse, d'autres à d'autres chasses. Pourquoi ne prendrait-on pas des amis dont on se servirait, des uns pour rire, d'autres pour raisonner, enfin d'autres pour pleurer avec nous ?
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  17. On est souvent trop sage pour être un grand homme. Il faut un peu de fanatisme pour la gloire, et dans les lettres et dans les gens d'état.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  18. La justice est un rapport des actions des particuliers au bien public.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  19. On tirerait des conséquences utiles de savoir que la mémoire est la même chose que le jugement et l'imagination. On pourrait déterminer quelles réflexions ou jugements ferait un homme en conséquence des faits qu'il a dans la mémoire, et quelle sorte de réflexions arrivera en conséquence d'une érudition vaste et profonde.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  20. L'histoire est le roman des faits, et le roman l'histoire des sentiments. L'histoire apprend que la vertu n'a rien à gagner avec les hommes  ; que sur cent à peine s'en trouve-t-il un vertueux par inclination  ; qu'ils sont tous faux, perfides, etc. Le roman nous présente des modèles de fidélité, de droiture.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  21. Le génie ressemble à ces terres vastes où il y a des endroits peu soignés et peu cultivés : dans une si grande étendue tout ne peut être peigné. Il n'y a que les petits esprits qui prennent garde à tout  ; c'est un petit jardin qu'ils tiennent aisément peigné.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  22. Pas plus de sûreté dans un dévot que dans un courtisan : l'un abandonne son ami pour faire fortune auprès de son roi  ; l'autre, pour la faire auprès de son Dieu.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  23. Les gens du monde aiment les gens qui ont plusieurs sortes d'esprit, parce qu'ils croient avoir plus d'analogie avec eux.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  24. L'esprit ébauche le bonheur que la vertu achève.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  25. Pourquoi dit-on souvent que les gens d'imagination font des projets fous? C'est que, pour exécuter leurs projets, il faudrait avoir autant d'esprit qu'eux  ; et ceux qui ne voient point de moyens de les exécuter aiment mieux dire que le projet est inexécutable, que d'avouer qu'ils n'auraient pas l'esprit de l'exécuter. Ce raisonnement est confirmé par l'expérience. Les grands hommes sont ceux qui inventent et exécutent des choses que les autres hommes croient impossibles. Mais pour cela il faut que la fortune mette les hommes dans une place où ils puissent exécuter ce qu'ils ont inventé  ; sans quoi ils passent en général pour des rêveurs.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  26. Dans les temps de malheur, on aime plus la vertu que l'esprit, parce qu'on en a plus de besoin, et non pas, comme on dit, parce qu'elle vaut mieux. C'est toujours nos besoins qui nous font préférer une chose à l'autre.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  27. Ce qui fait le bonheur des hommes, c'est d'aimer à faire ce qu'ils ont à faire. C'est un principe sur lequel la société n'est pas fondée.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  28. Un homme qui serait beaucoup au-dessus des autres hommes n'en doit point être estimé : ce qu'il voit au-dessus d'eux n'est point vu par eux.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  29. Un sage jouit des plaisirs, et s'en passe, comme on fait des fruits en hiver.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  30. L'envie dit souvent qu'un tel livre ne fait du bruit que par sa hardiesse, pour dire hautement : « Je passerais pour avoir autant d'esprit que cet homme-là si j'étais aussi imprudent. » Vérité hardie est une vérité importante au grand nombre, et peut-être nuisible à des hommes ou à des corps puissants. Celles qui ne font point de bruit n'ont donc nulle importance  ; les auteurs de ces vérités devraient donc moins s'applaudir de leur prudence que rougir de l'inutilité de leur esprit.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  31. Lorsqu'il tombe une étincelle de l'amour dans un coeur, elle l'anime  ; mais si l'amour en approche son flambeau, il le consume.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  32. Il y a des gens qu'il faut étourdir pour les persuader.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  33. La vérité est pour les sots un flambeau qui luit dans le brouillard sans le dissiper.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  34. Quelque temps après qu'une erreur a disparu, les hommes ne conçoivent pas comment on l'a pu croire. On se moque aujourd'hui des Égyptiens qui adoraient leurs dieux sous la figure d'un oignon  ; on rit de la sottise de ces moines qui se disputaient entre eux sur la propriété et l'usufruit de la soupe qu'ils mangeaient : nous apprêtons à rire à nos neveux sur bien d'autres absurdités pour le moins aussi ridicules! Cependant il vient à la tête de peu de gens sensés de se demander : « Que croyons-nous donc de plus raisonnable que les Égyptiens ou les nations les plus barbares? »
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  35. L'humanité est un sentiment réfléchi  ; l'éducation seule le développe et le fortifie.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  36. Je sais, disait une dame malade, d'ailleurs assez heureuse, je sais que je suis heureuse, mais je ne le sens pas. Différence entre le sentiment et la réflexion.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  37. On pourrait calculer la bonté, d'un homme par son bonheur. J'entends par bonheur, non celui qu'on attribue à la fortune, mais celui qui naît d'une bonne santé, de la satisfaction ou du moins de la modération de ses désirs.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  38. Ceux-là seuls sont propres à écrire de la morale, qui n'ont pas besoin d'attribuer leurs actions à d'autres causes qu'à celles qui les leur ont fait faire, et qui n'ont pas besoin de s'attraper eux-mêmes sur les motifs qui les font agir, crainte de se trouver trop méprisables à leurs propres yeux. Il n'y a que celui, par exemple, à qui l'envie n'aura fait commettre aucune mauvaise action qui avouera qu'il a eu de l'envie.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  39. L'intérêt donne toujours de l'esprit. Mes fermiers m'ont toujours attrapé quand ils ont voulu, pour deux raisons : la première, parce qu'ils connaissaient mieux que moi la matière dont il s'agissait, et que cette connaissance est la base de l'esprit  ; la seconde, parce qu'ils avaient plus d'intérêt à m'attraper que je n'en avais à ne l'être pas, vu qu'ils étaient gueux et moi riche.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  40. L'édit qui établit les notaires insulte plus les hommes que le livre de l'Esprit. L'un dit que les hommes sont fripons, l'autre dit seulement que les hommes n'agissent qu'en vue de l'intérêt personnel.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  41. Lorsque l'on combat les principes d'un homme, on peut montrer les conséquences qui en suivent, mais ne pas assurer qu'il les ait eues en vue, et attendre ce qu'il répondra.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  42. Annibal était borgne. Il se moqua du peintre qui le peignit avec deux yeux, et récompensa celui qui le peignit de profil. On ne veut pas être loué trop fadement, mais on est bien aise qu'on dissimule nos défauts.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  43. C'est le lot des esprits rares d'allier la justesse avec l'imagination.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  44. On n'a point à craindre que la secte académique s'accrédite jamais. La vanité humaine n'aime point à suspendre son jugement  ; la paresse encore s'y oppose : car, pour suspendre son jugement, il faudrait réfléchir, et en général l'homme est ennemi de la réflexion, qui fatigue toujours.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  45. Le principe des moeurs des hommes n'est point dans leurs principes spéculatifs, mais dans leurs goûts et leurs sentiments. Il y a tant de croyants qui agissent mal, et tant d'athées qui agissent bien !
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  46. Les personnes dévotes sont naturellement crédules et soupçonneuses  ; elles doivent donc admettre légèrement tout ce qu'on dit des personnes d'une opinion ou d'une secte différente de la leur.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  47. On ne cesse point de croire une absurdité parce que de bons esprits la démontrent telle  ; mais on la croit parce qu'un petit nombre de sots et de fripons la disent vraie.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  48. Il y a des gens qui se croient de grands raisonneurs parce qu'ils sont pesants dans la conversation, comme des bossus qui se croient de l'esprit parce qu'ils sont mal faits.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  49. Faire beaucoup de rentiers dans un état, c'est lier l'intérêt du roi à l'intérêt d'un grand nombre d'hommes ennemis naturels des propriétaires.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  50. Quiconque est perpétuellement en garde contre lui-même se rend toujours malheureux de peur de l'être quelquefois.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  51. La physique et la morale sont comme deux colonnes isolées éloignées l'une de l'autre, mais qu'un jour un même chapiteau rejoindra.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  52. Il faut être plus lent à condamner l'opinion d'un grand homme que celle d'un peuple entier.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  53. Un homme d'esprit passe souvent pour un fou devant celui qui l'écoute  ; car celui qui écoute n'a que l'alternative de se croire sot, ou l'homme d'esprit fou : il est bien plus court de prendre le dernier parti.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  54. Les petites fautes dans un grand ouvrage sont les miettes qu'on jette à l'envie.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  55. Les rois et les prêtres aiment les contradictions dans les lois, ils s'en servent tour à tour au gré de leurs intérêts. L'utilité publique qu'on poserait pour règle et pour mesure des actions des hommes serait une base de morale qui leur déplairait fort.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  56. Une nation soumise au despotisme connaît rarement un peuple libre. Très peu de Français connaissent les Anglais. Aussi y a-t-il une manière très différente de négocier avec les républicains ou avec les despotes. Les uns suivent leur intérêt, les autres leurs caprices.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  57. C'est un grand tort à un écrivain d'être ennuyeux. On ennuie dans un ouvrage de morale ou de raisonnement toutes les fois qu'on ne réveille pas l'esprit par des idées neuves. Dans les histoires et les romans, les faits tiennent lieu de pensées et d'esprit.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  58. Raisonner, pour la plupart des hommes, c'est le péché contre nature.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  59. Les hommes passionnés pour les femmes, la considération ou les honneurs, les obtiendront par des crimes ou des vertus, selon le siècle ou la nation où ils vivront.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  60. Dans les cours, le déshonneur est comme la fumée, qui se blanchit en s'étendant au large.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  61. Si la voix du sang parlait, il n'y a point de jour où il ne se fit dans une rue de Paris plus de reconnaissances qu'en dix ans sur les théâtres français.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  62. On voit se soutenir la vertu persécutée et honorée, mais rarement la vertu persécutée et méprisée.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  63. Si les hommes ne croient pas aux contes des fées et des génies, ce n'est pas leur absurdité qui les retient et les empêche, c'est qu'on ne leur a pas dit d'y croire.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  64. Une des choses qui nous donnent le plus de fausses idées du bonheur, c'est l'exagération des poètes qui nous peignent, par exemple, les transports momentanés de l'amour comme une durée, et nous font par là concevoir une idée de bonheur qui ne peut exister. Voilà le fantôme qui séduit la plupart des hommes, et surtout des jeunes gens.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  65. Le clergé est une compagnie qui a le privilège exclusif de voler par séduction.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  66. Les hommes sont si bêtes qu'une violence répétée finit par leur paraître un droit. On croit en Turquie que le grand-seigneur a droit sur la vie, les biens et la liberté des citoyens.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  67. Il faut être très honnête pour étudier en soi les autres hommes : les fripons auraient trop à rougir.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  68. Les riches et les pauvres se voudraient réciproquement parfaits. Les uns et les autres ont une prétention ridicule  ; mais celle des pauvres est moins odieuse, parce que les riches ont de quoi supporter une injustice et s'en consoler.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  69. Il y a peu d'amis à toute épreuve. Tel pour nous a risqué sa fortune, qui ne risquerait pas un ridicule.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  70. Un père disait à son fils : Vous êtes sot  ; soyez au moins décisif  ; cela réparera votre bêtise.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  71. La croyance aux préjugés passe dans le monde pour bon sens.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     

  72. (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  73. Ce qui nuit le plus à l'avancement des arts et des sciences, c'est ce qu'on appelle ces gens de bon sens qui se donnent le titre de voir net, parce qu'ils ne voient pas loin.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  74. Il y a tant d'inconséquence parmi les hommes, que les rois qui craignent qu'on n'attaque le christianisme seraient bien fâchés de gouverner leurs peuples avec ses lois.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  75. La vertu a bien des prédicateurs et peu de martyrs.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  76. Il ne faut pas avoir trop de petitesse ni trop d'étendue d'esprit pour paraître avoir du bon sens  ; car on n'appelle bon sens parmi presque tous les hommes que l'acquiescement aux choses reçues par les sots  ; et un homme qui n'a en but que la vérité, et qui par conséquent s'éloigne ordinairement des vérités reçues, passe pour fou.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  77. Les conseils durs ne font point d'effet : ce sont comme des marteaux qui sont toujours repoussés par l'enclume.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  78. Il y a des sots qui disent des choses communes d'un air singulier, et qui passent pour des gens d'esprit  ; tandis qu'il y, a des gens d'esprit qui disent des choses fines et bien pensées d'un air commun, et qui passent pour fous ou pour des gens médiocres.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  79. Il en est souvent des états et des armées comme des vaisseaux que leur grandeur empêche de naviguer.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  80. Tout ce qui ne sert pas à la postérité est inutile dans l'histoire.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  81. Il y a peut-être un art à séduire une femme, comme à faire de bons vers. Peut-être cet art-là est-il moins compliqué et demande-t-il par là moins d'estime que les autres  ; mais c'en est un. En tout, les hommes à réflexions sont trop portés à regarder comme sots les gens qui ne savent pas raisonner. Ils devraient penser qu'il y a aussi un art à ne rien dire, peut-être peu estimable, mais enfin dont ils ne sont pas capables. Et les gens du monde se hâtent aussi trop tôt de mépriser un homme taciturne. Il est par là ridicule que l'on n'accorde pas de l'estime et de l'esprit à un grand jurisconsulte ou commerçant : cela doit toujours être en proportion de la rareté et de l'utilité.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  82. Les objets offrent tant de différentes faces, qu'il faudrait toujours examiner, et jamais disputer.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  83. Une nouvelle idée vient de la comparaison de deux choses que l'on n'a pas encore comparées.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  84. Les grands, et surtout les ministres, ont trop de besoins pour donner à l'inclination. Ils préfèrent des sots protégés à des gens d'esprit qui leur plairaient davantage.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  85. Il y a des gens d'esprit qui n'en ont beaucoup qu'avec les sots : tels sont les conteurs. Les raisonneurs n'en ont qu'avec les gens de leur force.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  86. Pour bien écrire l'histoire, il faut prendre le milieu entre Tacite, qui fait toujours agir les hommes avec dessein, et Plutarque, qui les fait toujours agir avec passion. En tout, les hommes tournent longtemps autour du but avant d'y atteindre.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  87. On étudie longtemps pour se rendre habile dans sa profession  ; l'on néglige tout pour remplir la plus importante, celle de gouverner les hommes. Il y a beaucoup de prix à l'académie pour la solution de questions oiseuses, aucun pour celle qui décide du bonheur du genre humain.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  88. Tous les événements sont liés. Une forêt du nord abattue change les vents, les moissons, les arts de ce pays, les moeurs et le gouvernement. Nous ne voyons pas toutes ces chaînes, dont le premier chaînon est dans l'éternité.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  89. La conversation devient plate à proportion que ceux avec qui on là tient sont plus élevés en dignité.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  90. Les Romains pouvaient ôter la vie à leurs enfants, et non la liberté.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  91. C'est aux places fortifiées qu'en général les rois doivent leur puissance et la permission d'être sots.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  92. Un malheureux dit aux gens riches : « Si vous faites des sottises, c'est peu pour vous, mais à moi elles ne sont pas permises  ; » voulant dire par là qu'il n'en fait pas.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  93. Il y a des gens que l'on mène par la crainte même où ils sont d'être menés.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  94. Le cardinal de Richelieu disait que la chambre du roi lui coûtait plus à gouverner que l'état.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  95. Si l'on connaissait bien les motifs qui font agir les hommes, on verrait peut-être qu'ils font ce qu'ils doivent faire  ; on se tairait, et l'on emploierait son temps à trouver les moyens de les rendre vertueux en y attachant leur bonheur.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  96. On n'appelle pas fou un homme qui croit manger le bon Dieu, mais celui qui se dit Jésus-Christ.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  97. Il ne faut avoir l'opinion ni même la raison de son côté, que parce que l'opinion et la raison font de la force. Les gens indifférents dans une question se décident pour la raison : or, comme il y a beaucoup de gens indifférents, la raison devient une force, parce qu'un grand nombre d'hommes fait toujours force, et qu'un parti, quand tout esprit n'est pas éteint dans un pays, croît toujours et devient insensiblement le plus fort.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  98. Il serait fort heureux qu'on se mît bien dans la tête qu'on n'est point en droit de blâmer toute action qui ne nuit point au public : cela épargnerait bien des médisances et des chagrins aux hommes dans la société.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  99. On dit : À quoi sert la vérité dans les ouvrages? cela fera peu de bien dans la société. C'est comme si l'on disait : À quoi sert d'être honnête homme? cela fera peu de bien dans la société  ; car un particulier y est bien peu de chose.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  100. Ceux qui disent qu'on ne peut pas être honnête homme sans religion, s'ils sont protestants, disent indirectement que qui n'est pas sot est malhonnête  ; car ils regardent comme une sottise à nous de croire à la transsubstantiation.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  101. Les prêtres enseignent aux enfants en termes clairs des choses inintelligibles, et aux hommes faits, en termes inintelligibles, des choses claires.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  102. Toutes les fois qu'on n'a pas, dans le gouvernement, l'utilité publique pour point de ralliement, il n'y a plus de principe dans un état  ; car la soumission n'en est pas un, ni le despotisme, qui n'est que l'exercice d'une volonté arbitraire qui change à tout moment.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  103. On se trompe toujours dans ses raisonnements lorsqu'on raisonne a priori  ; voilà pourquoi tant de métaphysiciens sont tombés dans des erreurs : c'est a posteriori qu'il faut raisonner, c'est-à-dire, d'après les faits bien observés. C'est la méthode de Locke, sans contredit le premier bon métaphysicien. Le mot même de métaphysique nous l'indique  ; il signifie après la physique. Cette physique nous donne des faits  ; et, de la comparaison de ces faits, nous en tirons des résultats généraux que l'on appelle métaphysique  ; et chaque science a la sienne. Toute métaphysique qui n'est point appuyée sur une grande base de faits est une fausse métaphysique de mots.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  104. Quand un peuple tel que les Huns, les Goths, etc., n'a connu d'autre gloire que celle des armes, il n'est pas nécessaire d'encourager chez eux les arts pour leur faire conserver leur vertu guerrière. Il n'en est pas de même d'une nation policée : y détruire les arts, c'est éteindre toute émulation, par conséquent toute vertu guerrière. C'est l'émulation et l'envie de se distinguer qui est le levain propre à mettre en fermentation les talents de toute espèce.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  105. Il y a dans la morale, comme dans l'astronomie, des temps plus propres à l'observation. Les comètes morales qui passent mettent ceux qui existent plus à portée d'observer. Quand la sottise insulte au mérite et tient le haut du pavé, quand elle est puissante et ne garde aucun ménagement, elle est bien plus facile à observer.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  106. Les gens faux connaissent le moins les hommes : ils sont trop occupés à se cacher. Les gens francs qui n'ont point de vices, se montrent à découvert, et peuvent employer les forces de leur esprit à pénétrer les autres.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  107. Quand il y a tolérance dans un état, c'est qu'il y a équilibre de puissance. Ce qui faisait la tolérance d'écrire lorsque les gens de robe étaient ministres, c'est que le mal qu'on disait des grands seigneurs plaisait aux ministres charmés de voir abaisser la noblesse  ; et quand on disait du mal des ministres, les grands seigneurs en riaient dans les petits cabinets, parce qu'ils étaient enragés de ne pas gouverner eux-mêmes.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  108. Le gouvernement qui devient bien intolérant a encore bien des sottises à faire : c'est le voleur qui voudrait fermer la bouche à ceux qui déposent contre lui.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  109. L'intérêt ferait nier les propositions de géométrie les plus évidentes, et croire les contes religieux les plus absurdes.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  110. Tout habillement qui serait propre à marquer une belle taille passera toujours pour ridicule. Il y a trop de gens mal faits intéressés à en dire du mal. C'est de même de l'esprit et d'un bon livre.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  111. Quand on nous dit que la vertu seule nous rend heureux, c'est trop prendre les hommes pour des enfants. Il faut d'abord être au-dessus des besoins physiques : à moins qu'on ne nous suppose comme dans les romans de chevalerie, où les héros sont toujours en action et se battent toujours, sans qu'il y soit fait mention s'ils dînent, soupent et dorment.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  112. Quand il y a dans un état une puissance autre que la loi, la loi devient moins respectable. L'accomplissement de la loi fait la justice : or, si cette puissance est la plus forte, on vient bientôt à mépriser la justice  ; et de là une infinité de crimes.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  113. La législation fait tout : c'est pourquoi les jésuites, qui ont la même religion que les minimes*, jouent dans le monde un bien plus grand rôle qu'eux.
    [GGJ] Les Minimes sont des religieux mendiants, membres de l'Ordre des Minimes fondé par saint François de Paule. (Wikipédia).

    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  114. Il est rare que ce soit le génie de prévoyance qui donne une nouvelle forme aux états  ; ce n'est que le malheur et l'ambition.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  115. Machiavel dit que la noblesse dans une république est la vermine qui ronge les fondements de l'état.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  116. Il n'y a de roturiers que ceux qui ont perdu leurs titres de noblesse.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  117. Le despotisme conduit les femmes à l'esclavage.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  118. Le corsaire désire la guerre, parce que son intérêt n'est pas lié à la tranquillité publique. Chacun est plus ou moins corsaire.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  119. Veux-tu plaire aux hommes : fais valoir leur esprit.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  120. Une vérité qu'on veut prouver doit recevoir toute sa force et sa clarté des dernières réflexions qu'on fait pour la prouver.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  121. Le ridicule est comme les honneurs  ; c'est la manière équitable de les distribuer qui en fait la valeur et l'utilité.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  122. Les hommes qu'on appelle faibles ne sont qu'indifférents  ; car on est toujours vif sur l'objet de ses passions.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  123. Fontenelle dit qu'il est assez singulier de perdre successivement la vue, l'ouïe, la mémoire, et de se trouver dans la classe des végétaux, après s'être vu Fontenelle.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  124. Un homme disait à un courtisan : Vous n'êtes pas fait pour me voir, parce que je suis un bourgeois  ; et moi je ne suis pas fait pour vous voir, parce que vous êtes un sot.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  125. Avoir de la décence dans le monde, c'est être faible, souvent fripon, quelquefois et presque toujours flatteur.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  126. Les intrigues et le mouvement qu'il faut se donner pour se faire une grande réputation nous empêchent de la mériter.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  127. Il n'y a personne plus tôt dupe que celui qui se donne tant de peine pour ne l'être jamais.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  128. Les princes et les grands qui ne répondent point aux gens font un mystère de leur faiblesse.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  129. Euripide dit qu'il est honteux d'ignorer l'équité, et de savoir ce que c'est que la nature de Dieu, de l'âme, de l'univers.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  130. La justice n'a plus lieu quand la force lui manque.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  131. En général, les ouvrages qui plaisent sont ceux où l'on voit de la justice et de l'humanité : les hommes en sont avides.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  132. Il est bien singulier que les prêtres, qui ont avancé des maximes aussi énormes contre les souverains, n'aient pas été sur-le-champ anéantis. C'est une furieuse preuve de leur crédit, de leurs richesses et de l'imbécillité des hommes.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  133. La justice ou l'injustice d'une loi se mesure sur le plus ou le moins de bonheur du peuple.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  134. Ce qui fait la libéralité, c'est la cause pour laquelle on l'exerce.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  135. Honorer n'est qu'avoir de l'estime pour la puissance de quelqu'un. Voilà pourquoi l'on n'a guère de considération pour ceux qui ne peuvent guère.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  136. Liberté, c'est avoir la permission de faire tout ce qu'on peut faire selon les forces humaines.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  137. Une faction est un nouvel état dans le premier.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  138. L'état monarchique n'est pas la patrie des ambitieux ni des talents  ; c'est la patrie où les hommes communs sont plus heureux. Les grands seigneurs n'y ont d'autre parti à prendre qu'être sots et ignorants. Avec l'âme grande et éclairée, ils seraient ambitieux et trop à craindre.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  139. Chacun peint l'homme comme il lui plaît  ; tantôt on le fait petit comme un insecte, tantôt élevé comme un géant, et puissant comme un Dieu. C'est un objet à plusieurs faces, que l'on considère du côté que l'on veut. L'éloquence l'exagère ou le rétrécit à sa manière. La raison et la philosophie seules le voient tel qu'il est, c'est-à-dire avec la conformation de ses organes, avec sa capacité de recevoir des impressions et de les conserver.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  140. Quand on est jeune, on fait des vers, des bouquets à Philis. Est-on plus mûr, on fait des raisonnements solides. Il en est des hommes comme des arbres qui ne portent de fruits qu'après avoir quitté leurs fleurs. On a des sentiments et des désirs avant d'avoir des réflexions.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  141. Il ne suffit pas, pour bien tracer les causes de la grandeur d'un empire, de bien recueillir les faits, il faut les voir dans leur vrai point de vue. Souvent on l'ignore, souvent on cherche un système où il n'y en a point, et presque toujours on cherche un principe unique où il y en a cent. Dans son Livre sur les Causes de la Grandeur et de la Décadence des Romains, Montesquieu n'a pas assez connu les hasards heureux qui ont servi Rome. Il est tombé dans l'inconvénient, trop commun aux raisonneurs, de vouloir rendre raison de tout  ; et dans le défaut aussi des gens de cabinet, qui, oubliant l'humanité, prêtent trop aisément des vues constantes, des principes uniformes, à tous les corps : et souvent c'est un homme seul qui dirige à son gré ces graves multitudes qu'on appelle sénats.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  142. Si Montesquieu s'occupe moins de ce que le devoir exige de nous, que des moyens par lesquels on peut nous obliger à les remplir, il a tort. Un des grands moyens d'engager les hommes à remplir leurs devoirs, c'est de ne point leur imputer d'arbitraire, et de bien leur montrer la liaison inséparable de leurs devoirs et de leur bonheur.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  143. C'est à la loi à protéger l'égalité. Remontez à la source des privilèges, ils sont tous fondés sur des préjugés ou sur des injustices. Ceux qui par hasard ont été accordés comme récompenses, sont l'effet d'une vue courte et peu sensible au bonheur des autres  ; car il n'y a aucun privilège, qui ne nuise à un tiers. Il est injuste de favoriser une partie de la nation aux dépens du reste, et cela est toujours ainsi. Quant à l'ancienne possession, c'est un titre presque toujours vicieux dans son origine  ; et, aux yeux d'un philosophe, on ne prescrit jamais contre les vrais intérêts du peuple. Il est toujours sage, en rachetant ou en indemnisant les particuliers, de travailler à l'anéantissement de tout privilège. Les places seules doivent avoir des distinctions, et jamais de privilèges ni d'exemptions.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  144. Dans un temps de lumière, si l'on était vraiment éclairé, on ne tremblerait pas  ; si l'on avait un plan bien formé dans la tête, et le courage qui fait qu'on le suit, on ne tremblerait pas  ; si l'on était bien persuadé que toutes les lois se bornent à empêcher de nuire, qu'il faut d'ailleurs laisser la plus grande liberté possible  ; si l'on était bien persuadé que les impôts doivent être assis sur le revenu de la nation, et bornés aux vrais besoins de la nation, l'on ne tremblerait pas. C'est l'ignorance qui a peur  ; c'est la demi-lumière qui craint les abus de la correction. Quand on voit bien le tout, quand on pénètre bien, non la constitution d'un état particulier, mais celle des hommes et des choses, on ne dit pas qu'il y a du bien, du mieux et du pire  ; on dit : voilà la nature des choses et des hommes, et l'on va droit au but sans trembler.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)
     
  145. Quand je vois une espèce d'animal habiter des lieux écartés, se construire un nid bien caché, en dérober les avenues à la curiosité, je dis alors : sans doute il a des ennemis plus redoutables que ses forces ne sont grandes. S'il n'est pas dans un état de guerre, peu s'en faut  ; il est au moins dans un état de crainte. Tel est l'état des animaux. S'il y avait une espèce d'animal qui, outre des ennemis à craindre, eût encore des dangers à courir de la part de ses semblables, et qui pût lui-même se faire craindre d'eux, alors cette crainte réciproque constituerait l'état de guerre. Il faut de plus encore examiner s'ils n'ont rien à espérer les uns des autres  ; si, aux craintes qui les éloignent, il ne se joint pas des besoins et des penchants qui les rapprochent  ; et alors leur état serait guerre et paix, et la paix serait leur véritable état. S'ils avaient outre cela une raison qui, en les éclairant sur les moyens de concilier leurs vrais intérêts, leur offrît des moyens de ne plus se craindre, je crois que c'est la nature de l'homme.
    (Pensées et réflexions, in Oeuvres Complètes T.3, Paris, 1818)