Paul Masson
1846 ou 1849-1896
  1. Je n'écris que par aphorismes. J'ai remarqué, en effet qu'on lisait rarement un article d'un bout à l'autre, une pensée toujours.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.1, Léon Vanier, 1896)
     
  2. Tout ce qui verse à l'homme quelque consolation ici-bas, qui lui parle d'infini, de justice ou d'amour, porte comme les anges, un vêtement flottant : la femme, le magistrat, le prêtre.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.1, Léon Vanier, 1896)
     
  3. Il est des gens qui ne dépouillent jamais leur orgueil. Leurs fautes, s'ils les passent en revue, c'est à cheval.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.1, Léon Vanier, 1896)
     
  4. « Ne m'oubliez pas, » soupire le coeur. « Ne t'oublie pas, » hurle la raison.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.2, Léon Vanier, 1896)
     
  5. Quand une femme a l'air généralement sérieux, il y a des chances pour que les perles de son écrin buccal ne soient pas d'un orient irréprochable.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.2, Léon Vanier, 1896)
     
  6. Les malins qui, sous couleur d'instituer des expériences psychologiques, passent leur vie à courtiser les belles dames, me font un peu l'effet de gens qui voleraient des rondins de bois dans une forêt sous prétexte d'étudier la botanique.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.2, Léon Vanier, 1896)
     
  7. Certains médecins, en vous tâtant le pouls, ont une façon de vous prendre par la main qui semble tout de suite vous guider vers un monde meilleur.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.2, Léon Vanier, 1896)
     
  8. Quand on a une volonté de fer, il faut prendre bien garde de la laisser rouiller par des larmes de femme.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.3, Léon Vanier, 1896)
     
  9. On s'étonne parfois que les gens qui n'écoutent jamais ce qu'on leur raconte puissent encore avoir des amis. C'est peut-être ce qui explique de leur part qu'ils en aient tant.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.3, Léon Vanier, 1896)
     
  10. Souvent, pendant que le prêtre est en chaire, ânonnant son prône, un oiseau du ciel prend son vol sous les hautes voûtes. Laissez-la voltiger, cette bestiole, elle prêche aussi à sa manière.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.3, Léon Vanier, 1896)
     
  11. L'être le plus aimable de la création est la femme ; le plus respectable, la mère, à la condition qu'elle cesse d'être une femme.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.3, Léon Vanier, 1896)
     
  12. Quand on veut parler de son premier amour, il est rare qu'on ne songe pas aussitôt à deux ou trois.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.4, Léon Vanier, 1896)
     
  13. Le plus dangereux métal est l'acier. Il fournit la matière des glaives, des plumes à écrire, et des tournures.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.4, Léon Vanier, 1896)
     
  14. Certains êtres nés pour obéir et appelés par le hasard à débattre les grands intérêts coloniaux du pays en face d'une diplomatie chatouilleuse, nous font trembler comme la vue d'un domestique mal dégrossi, manipulant une fragile porcelaine de Chine.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.4, Léon Vanier, 1896)
     
  15. Il y a trois sortes d'établissements au fronton desquels on aurait bien fait de retarder l'inscription des mots ;« Liberté, Égalité, Fraternité », à savoir : les prisons, la Monnaie et les arsenaux.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.4, Léon Vanier, 1896)
     
  16. Ce n'est qu'en participant à l'obscurité des choses que nous parviendrons dans une certaine mesure à en vaincre le mystère. Tissons nos rêveries dans le voile qui nous dérobe Maya, si nous voulons entrevoir ses beautés cachées.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.5, Léon Vanier, 1896)
     
  17. J'ai toujours espoir qu'au jugement dernier on nous accordera le jury.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.5, Léon Vanier, 1896)
     
  18. L'âme est à l'égard des sens comme une noble captive entre les mains des paysans grossiers, condamnée à ne se réjouir que quand ces rustres ont réussi à la mêler à leurs jeux et à la faire entrer dans la danse.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.5, Léon Vanier, 1896)
     
  19. Nos rois avaient leur fou en titre. Le peuple souverain, ayant plusieurs têtes à distraire, devait forcément multiplier l'emploi.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.5, Léon Vanier, 1896)
     
  20. Les impressions de l'enfance sont ineffaçables. Pour marquer sur le sol l'ultime empreinte qui nous fera trébucher à la tombe, notre pied se posera comme au jour de printemps où l'on guida pour la première fois sa démarche tâtonnante. Quand je serai admis dans le choeur des Trônes et des Séraphins, je sens que ma plus hâtive évocation sera celle du petit nez retroussé qui le premier fit battre mon pauvre coeur.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.6, Léon Vanier, 1896)
     
  21. Souvent deux amants se désaltèrent à la même coupe de voluptés ; mais l'un trinque avec du petit bleu, l'autre avec du Syracuse.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.6, Léon Vanier, 1896)
     
  22. Allons ! encore quelques siècles, et on nous appellera le moyen âge. Il faut avouer que nous ne l'aurons pas volé.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.6, Léon Vanier, 1896)
     
  23. Pendant longtemps on a cru qu'il fallait uniquement tenir compte en politique de ceux qui possèdent le monde en surface : les cultivateurs ; mais de plus en plus on prend l'avis de ceux qui tentent de l'accaparer en hauteur : les cultivés. Patience. Bientôt les légitimes amodiateurs de l'azur auront enfin vaincu les paladins du cadastre.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.6, Léon Vanier, 1896)
     
  24. C'est assez d'une très petite dose d'idéal pour ennoblir une longue existence. Recueillez tout l'or des nimbes dont vous avez cerclé le front d'innombrables idoles, et un minuscule flacon suffira à le contenir.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.7, Léon Vanier, 1896)
     
  25. Certaines gens ne résistent pas au plaisir de river son clou à leur meilleur ami, même si la pointe a pénétré en plein coeur.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.7, Léon Vanier, 1896)
     
  26. L'occasion, dit-on, fait les larrons ; elle fait peut-être aussi les Christs.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.7, Léon Vanier, 1896)
     
  27. On a beau avoir la même origine, la destinée nous répartit inégalement ses faveurs. Tel boyau de mouton deviendra la frêle et plaintive chanterelle qui sous l'archet d'un virtuose nous arrachera des larmes, tel autre sera la prosaïque enveloppe, bondée de chair épaisse, d'un saucisson crevant de suffisance.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.7, Léon Vanier, 1896)
     
  28. Ceux que l'amour trahit n'ont qu'à noyer leur chagrin dans l'ivresse. N'est-ce pas Bacchus qui, à Naxos, consola Ariane délaissée ?
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.8, Léon Vanier, 1896)
     
  29. Il est sage de canaliser ses vices, mais il ne faut pas trop s'attarder dans les biefs.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.8, Léon Vanier, 1896)
     
  30. Dans les réceptions du grand monde, les femmes découvrent leur cou, ce noble support du visage, et la courbe divine des épaules, ce fuyant appui de nos fronts. Dans les bals publics, c'est par les extrémités basses qu'elles tendent à se décolleter. Tout le contraste entre deux formes irréductibles d'idéal ne se résume-t-il pas en ce simple trait ?
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.8, Léon Vanier, 1896)
     
  31. Quand je songe que sur cet immense Océan, où l'on peut naviguer durant des semaines sans rencontrer la moindre voile, d'innombrables navires suivent inflexiblement la route qui doit les faire s'éventrer l'un l'autre, je me demande comment on peut encore douter de la Providence.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.9, Léon Vanier, 1896)
     
  32. Se faire dire la bonne aventure ! L'épithète seule aurait dû suffire pour jauger l'impartialité de ce procédé d'investigation.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.9, Léon Vanier, 1896)
     
  33. La religion se fera de plus en plus commode. On finira par monter au ciel en ascenseur.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.9, Léon Vanier, 1896)
     
  34. Quand on veut parvenir, c'est, comme Achille, du côté du talon, mais un peu plus haut, qu'il faudrait être invulnérable.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.9, Léon Vanier, 1896)
     
  35. Ce n'est jamais sans une certaine terreur que je me mets au lit. N'est-ce pas du sommeil d'Adam que Dieu profita pour le gratifier d'une compagne ?
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.10, Léon Vanier, 1896)
     
  36. Les mendiants d'amour sont les plus nerveux de tous. Quand on ne remplit pas la main qu'ils tendent, ils ferment aussitôt le poing.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.10, Léon Vanier, 1896)
     
  37. Tous nos prétoires sont soigneusement lambrissés de chêne. Est-ce pour nous faire regretter davantage celui de Vincennes ?
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.10, Léon Vanier, 1896)
     
  38. Nos savants feront mieux qu'arrêter le soleil : ils le remplaceront.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.10, Léon Vanier, 1896)
     
  39. La femme ne veut, dit-on, qu'une chose : être préférée. Elle doit donc nous permettre de comparer.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.10, Léon Vanier, 1896)
     
  40. Le livre de la nature est un de ces incunables où l'on négligeait de mettre la ponctuation, et dont le titre est à la fin.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.11, Léon Vanier, 1896)
     
  41. On ne m'ôtera pas de la tête qu'il y a eu interversion dans l'ordre des livres saints et que tout ce qui est dit de la création d'un être raisonnable formé à l'image de Dieu doit être rangé parmi les prophéties.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.11, Léon Vanier, 1896)
     
  42. Les gens du monde au coeur sec et à l'abord mielleux m'induisent souvent à penser que nous ne sommes pas aussi loin qu'on veut bien le dire de l'époque de la pierre polie.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.11, Léon Vanier, 1896)
     
  43. Dans la conquête physique d'une femme, contrairement aux lois sur la chute des graves, on va incomparablement plus vite de bas en haut que de haut en bas.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.11, Léon Vanier, 1896)
     
  44. Est-ce bien la peine d'avoir été un grand patriote, un guerrier indomptable comme Jean Hunyade, pour n'être connu, quatre siècles après sa mort, que par une eau purgative ?...
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.12, Léon Vanier, 1896)
     
  45. Où règne l'antique erreur la lumière pénètre difficilement. Les vitraux gothiques interceptent les rayons du soleil, comme chez les vieillards la cornée devient opaque.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.12, Léon Vanier, 1896)
     
  46. Le sort de l'amour, cette passion tragique, dépend d'un tout petit pli du visage : il naît d'un sourire, niche dans une fossette, et meurt d'une ride.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.12, Léon Vanier, 1896)
     
  47. Quand les astronomes nous parlent d'étoiles qui s'éteignent, je crois toujours entendre le Père Éternel murmurer de sa grosse voix : « Allons, bon ! encore un globe de cassé ! »
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.12, Léon Vanier, 1896)
     
  48. Ou la théorie de Darwin n'est qu'un leurre, ou l'homme du siècle prochain naîtra un cigare à la bouche et un bulletin de vote à la main, tout prêt à s'empester et à s'asservir.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.13, Léon Vanier, 1896)
     
  49. Toutes les langues dont Babel fut jadis assourdie jacasseraient-elles à la fois, elles formeraient une cacophonie plus intelligible que celle qui emplit journellement les Pas-Perdus de notre for intérieur.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.13, Léon Vanier, 1896)
     
  50. Il ne faut pas juger de l'arbre par l'écorce. Les Auvergnats portent volontiers des vêtements de velours.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.13, Léon Vanier, 1896)
     
  51. La révélation brusque d'une bassesse physique suffit parfois à étouffer une passion naissante. Tous les commencements d'incendie du coeur peuvent être éteints à la façon humiliante dont usa Gulliver.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.13, Léon Vanier, 1896)
     
  52. Ô hommes politiques, ne grattez pas le mur pour en chasser l'ombre, vous le dégraderiez en vain ; mais augmentez la lumière, l'ombre se dissipera d'elle-même. Ne jetez pas au creuset les faux bijoux, qui contiennent toujours quelques parcelles de pur métal, mais donnez à chacun une pierre de touche avec la manière d'en user.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.14, Léon Vanier, 1896)
     
  53. Le plus joli cadeau que rêve l'enfant est une montre qui lui indique les heures ; quelques années plus tard, ce sera une poupée à ressorts, qui les lui fasse oublier.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.14, Léon Vanier, 1896)
     
  54. Le christianisme a retiré l'âme humaine de roture en lui octroyant pour lettres de noblesse l'Évangile et la croix pour blason.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.14, Léon Vanier, 1896)
     
  55. Nous pardonnons plus facilement à la femme les artifices de son coeur que les perfidies de son corsage.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.14, Léon Vanier, 1896)
     
  56. Quand la mode des processions extérieures reviendra, c'est autour de la Bourse que devra se faire la principale, car c'est là que les récoltes sont toujours le plus compromises.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.15, Léon Vanier, 1896)
     
  57. En fait d'amour, beaucoup de gens sont comme les hannetons, ils comptent leurs écus avant de s'envoler.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.15, Léon Vanier, 1896)
     
  58. Le tonneau est toujours un emblème de folie, soit qu'on l'enfourche comme Bacchus, soit qu'on l'habite, comme Diogène.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.15, Léon Vanier, 1896)
     
  59. La plupart des hommes attendent qu'ils soient vieux pour se replier sur eux-mêmes.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.15, Léon Vanier, 1896)
     
  60. Les déclamations des impies contre le matériel du culte tombent à faux. L'Église n'est pas dans les dalles du sanctuaire, mais dans les fronts qui s'y meurtrissent ; ni dans les vapeurs de l'encens qui flottent au-dessus de l'autel, mais dans la prière qui jaillit plus haut qu'elles et va percer les voûtes ; ni dans la pâle et insipide manne enfin qui descend sur les lèvres du fidèle, mais dans le coeur qu'elle réconforte.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.15, Léon Vanier, 1896)
     
  61. Par la parole l'homme est supérieur à l'animal ; par le silence, à lui-même.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.16, Léon Vanier, 1896)
     
  62. Quand une belle personne a les yeux inégaux, ses amis disent qu'elle en a un plus grand, ses ennemis, un plus petit que l'autre. Toute la différence entre la bonté et la malveillance est là.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.16, Léon Vanier, 1896)
     
  63. Les gens versatiles imitent tout, sauf l'honnêteté ; de même le caméléon prend, dit-on, toutes les couleurs excepté la blanche.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.16, Léon Vanier, 1896)
     
  64. Sur le manuscrit de l'amour l'homme surcharge, la femme biffe.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.17, Léon Vanier, 1896)
     
  65. La critique doit faire l'office des mouchettes, non d'éteignoir.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.17, Léon Vanier, 1896)
     
  66. Peu de gens savent cacher leurs défauts, comme César sa calvitie, avec des lauriers.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.17, Léon Vanier, 1896)
     
  67. Certaines insultes portent en elles leur réconfort. Les chiens n'aboient que contre les roues qui tournent.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.17, Léon Vanier, 1896)
     
  68. Tout coeur qui bat trop fort s'expose à des représailles.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.17, Léon Vanier, 1896)
     
  69. Les pavés des barricades sont dangereux aux gouvernements, mais pas plus que ceux de l'ours.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.17, Léon Vanier, 1896)
     
  70. Les taches de la lune sont sans doute les cicatrices des nombreux trous qu'on lui a faits.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.18, Léon Vanier, 1896)
     
  71. Quand un homme est décoré, on devrait nommer son père pour le moins officier d'académie.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.18, Léon Vanier, 1896)
     
  72. Les gens bien doués sont condamnés d'avance à brûler plus longtemps que les autres dans le Purgatoire, étant plus riches en phosphore.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.18, Léon Vanier, 1896)
     
  73. N'est-il pas pénible de penser que certains écrivains consacrent de longues veilles à des ouvrages soporifiques et procurent à des inconnus un bienfait dont ils se privent eux-mêmes ?
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.18, Léon Vanier, 1896)
     
  74. Les yeux sont tellement le miroir immédiat de l'âme que nous en voulons toujours à ceux qui louchent : nous croyons malgré nous qu'il y a un peu de leur faute. Il semble qu'une absolue rectitude d'âme devrait être assez énergique pour redresser l'axe de la vision physique.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.18, Léon Vanier, 1896)
     
  75. Le coeur de la femme parle hébreu. On n'y comprend rien, et quand il emploie le singulier pour dire : « Je t'aime », par exemple, il entend toute l'espèce.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.19, Léon Vanier, 1896)
     
  76. À peine la création fut-elle terminée que quelques séraphins mal élevés se mirent à l'éplucher. L'opposition est née de bonne heure.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.19, Léon Vanier, 1896)
     
  77. Le plus bel éloge qu'on puisse faire d'un cavalier, c'est de dire que son cheval et lui ne font qu'un.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.19, Léon Vanier, 1896)
     
  78. La plupart des Samsons qui veulent ébranler l'édifice social nous donnent bon espoir : ils sont déjà de leur ancêtre la cécité.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.19, Léon Vanier, 1896)
     
  79. Plus il est de race haute, plus l'homme supporte en silence l'adversité. Moins que le fer gémit l'argent sous le marteau, et moins que l'argent, l'or.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.20, Léon Vanier, 1896)
     
  80. Mal de dents, mal d'amour. Cette ridicule affection ne peut donc pas se passer de bandeau ?
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.20, Léon Vanier, 1896)
     
  81. Rien de plus délicieux que les joies du foyer ; malheureusement tout le monde veut y tisonner.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.20, Léon Vanier, 1896)
     
  82. Il est plus facile de faire un compliment exquis que d'y répondre même médiocrement. Aussi les femmes remercient-elles généralement d'un sourire ; mais n'est-ce pas la moitié d'un baiser ?
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.20, Léon Vanier, 1896)
     
  83. Des charmes capitonnés ne réussissent pas mieux à asservir l'amour, élément subtil, que le coton ne retient les essences qu'on y verse.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.21, Léon Vanier, 1896)
     
  84. Avec les goûts de byzantinisme qui tendent à prévaloir, on recherchera toujours davantage les femmes maigres sur fond d'or.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.21, Léon Vanier, 1896)
     
  85. Le confessionnal lui-même est pour le pécheur une pierre d'achoppement. Les malfaiteurs de boudoir ont grand'peine, j'imagine, à y maîtriser des tentations d'orgueil.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.21, Léon Vanier, 1896)
     
  86. Par toute son habitude la femme trahit sa nature d'esclave. Les couleurs dont elle rehausse son teint ne sont que mensonge, ses jarretières sont des liens, ses bracelets des menottes, ses colliers des carcans ; la cuirasse soyeuse qui comprime ses flancs est la plus étouffante des geôles, et les molles tricheries qui en arrondissent les contours la plus lâche des trahisons.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.21, Léon Vanier, 1896)
     
  87. On se fait des cadeaux, a dit quelqu'un, quand on commence et quand on finit d'aimer. C'est sans doute ce qui explique chez tant de personnes le souci de multiplier les échéances.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.22, Léon Vanier, 1896)
     
  88. De l'écume de mer les anciens firent faillir Astarté la blonde. Nous n'avons su en façonner qu'un calumet nauséabond.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.22, Léon Vanier, 1896)
     
  89. Les coquettes de profession qui se refusent par hypocrite pitié me rappellent toujours un de mes amis qui, en avalant des huîtres, évitait avec le plus grand soin de verser sur elles une goutte de citron, de crainte de les agacer.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.22, Léon Vanier, 1896)
     
  90. Dieu lui-même n'a-t-il pas d'avance excusé tous nos mensonges en nous donnant le rêve ?
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.22, Léon Vanier, 1896)
     
  91. La femme, dit-on, doit être loyale et se confier tout entière ; mais peut-être n'est-il pas indispensable que ce soit au même.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.23, Léon Vanier, 1896)
     
  92. La plupart des réformateurs s'excusent d'être méconnus en citant l'exemple de Galilée. Mais parce qu'on a eu raison d'admettre finalement que la terre tourne, faudra-t-il croire ceux qui soutiennent qu'elle danse ?
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.23, Léon Vanier, 1896)
     
  93. Tous les compliments sont à double fin. Devant une nature morte bien imitée on s'écrie : « Quels superbes fruits ! On y mordrait, » et à une exposition horticole : « Quels superbes fruits ! On dirait qu'ils sont peints. »
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.23, Léon Vanier, 1896)
     
  94. Nous n'apprécions pas assez nos trottoirs qui nous permettent d'éclabousser en toute sécurité les voitures de maître.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.23, Léon Vanier, 1896)
     
  95. Toute peine profonde exhale, comme la statue de Memnon, un gémissement aux premiers et aux derniers feux du jour.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.24, Léon Vanier, 1896)
     
  96. Si l'on formait pour chaque homme un dossier des lettres d'amour qu'il a écrites pendant sa vie, il en est peu qui n'obtiendraient, grâce à ce certificat, leur entrée dans une maison de santé.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.24, Léon Vanier, 1896)
     
  97. Y a-t-il rien de plus mélancolique que de voir un couple de canards s'égarer dans un champ de petits pois ?
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.24, Léon Vanier, 1896)
     
  98. Les dilettanti du coeur ne consomment pas plus de la femme que les courtiers-gourmets n'avalent du vin qu'ils goûtent ; ils se contentent de lui offrir quelques instants l'hospitalité de leur palais.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.24, Léon Vanier, 1896)
     
  99. L'acéré du trait ou la plénitude du sens excusent seuls le genre démodé de l'aphorisme. Les pensées détachées doivent l'être comme des flèches ou comme des fruits pleins de suc et de saveur.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.24, Léon Vanier, 1896)
     
  100. Pour s'assurer la longue possession de ses vassaux, la femme agit comme on faisait autrefois envers les momies, leur vidant d'abord la tête, et comblant le creux avec les plus enivrantes épices.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.25, Léon Vanier, 1896)
     
  101. On rencontre de par le monde d'austères moralistes toujours à cheval sur le devoir. Mais ils ont un manège en ville.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.25, Léon Vanier, 1896)
     
  102. Si tous les hommes descendent du singe, pourquoi l'humanité compte-t-elle tant de serpents, d'ânes, de caméléons, de bécasses et de tigres ?
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.25, Léon Vanier, 1896)
     
  103. Dès qu'il tombe sur un miroir, le regard des filles d'Ève s'allume ; il y a toujours un peu d'argent derrière.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.25, Léon Vanier, 1896)
     
  104. Si jamais on veut décerner mon nom à une rue après ma mort, que ce soit une impasse.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.26, Léon Vanier, 1896)
     
  105. Je ne sais pourquoi la foi du charbonnier me paraît toujours un peu intéressée. N'aura-t-il pas à alimenter les feux éternels ?
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.26, Léon Vanier, 1896)
     
  106. Pas plus que la fraîcheur du gant ne dénonce la propreté de la main, la douceur des manières ne prouve la bonté du coeur. Mais c'est une grave présomption.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.26, Léon Vanier, 1896)
     
  107. On aura beau médire de la bicyclette, elle n'en a pas moins sur l'équitation ce grand avantage d'avoir supprimé une bête sur deux.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.26, Léon Vanier, 1896)
     
  108. Le lien qui unit l'âme au corps est une espèce de mariage ; ils ne peuvent vivre ensemble sans se gourmander, et rien n'égale le chagrin de leur séparation dernière.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.26, Léon Vanier, 1896)
     
  109. La dernière marche d'un escalier qu'on gravit est toujours un peu plus haute que les autres.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.27, Léon Vanier, 1896)
     
  110. Autant l'homme est incomplet qui n'a pas senti hérisser ses cheveux au souffle brûlant des grandes passions, autant il serait funeste et stérile à lui d'y calciner sa vie. Un volcan n'est pas un four crématoire.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.27, Léon Vanier, 1896)
     
  111. Combien un fou n'a-t-il pas de chances de réussir auprès d'une fille d'Ève ! Ne fait-il pas plus de gambades que son singe, ne jacasse-t-il pas plus que son perroquet, n'est-il pas plus caressant que son chat favori, et ne ment-il pas plus impudemment que sa camériste ?
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.27, Léon Vanier, 1896)
     
  112. On ne peut faire saigner un coeur sans être éclaboussé.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.27, Léon Vanier, 1896)
     
  113. Sans les bons, le mal serait singulièrement atténué. Prométhée n'est-il pas aussi responsable de l'incendie du temple d'Éphèse qu'Érostrate ?
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.28, Léon Vanier, 1896)
     
  114. Certains dévots se rendent à l'Église comme à un moulin à prières.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.28, Léon Vanier, 1896)
     
  115. Tous les conseils ne sont pas bons pour tous ni toujours. Qui oserait au hasard déguster les flacons d'une pharmacie ?
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.28, Léon Vanier, 1896)
     
  116. La mort est le meilleur médecin. Une visite lui suffit.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.28, Léon Vanier, 1896)
     
  117. C'est une grave question, qui a le mieux aimé : celui que l'amour a rendu fou ou celui qu'il a rendu sage.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.28, Léon Vanier, 1896)
     
  118. À voir les gens qui voyagent en troisième classe, il y a lieu de s'étonner qu'il n'y en ait pas une quatrième.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.28, Léon Vanier, 1896)
     
  119. Il n'y a pas de martyrs volontaires. Ceux qui se crucifient ont soin d'enfoncer les clous dans des trous déjà existants.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.29, Léon Vanier, 1896)
     
  120. Tel jeune poète sous le coup d'un désespoir d'amour parle de se jeter à l'eau, qui n'aurait qu'à agrandir son encrier.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.29, Léon Vanier, 1896)
     
  121. Le mortier est moins ancien qu'on ne croit. Durant longtemps les murs ne furent cimentés que de sang.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.29, Léon Vanier, 1896)
     
  122. L'insecte qui produit la noix de galle ne se pose que sur les feuilles les plus tendres. L'infortune choisit ses victimes.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.29, Léon Vanier, 1896)
     
  123. La vérité ne gagne pas à voyager, il suffit pour l'altérer du plus court espace : celui de l'oreille à la bouche.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.29, Léon Vanier, 1896)
     
  124. Bien des gens ne sont polis qu'en dedans, comme les canons.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.30, Léon Vanier, 1896)
     
  125. Les géologues seuls me paraissent avoir compris la mission de la noble Europe et pénétré sa pensée profonde, en éclaboussant leurs cartes de larges plaques sanglantes.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.30, Léon Vanier, 1896)
     
  126. Tout commerce d'amitié pour devenir florissant doit commencer par vendre à perte.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.30, Léon Vanier, 1896)
     
  127. Le parfait sportsman est un homme qui des pieds au genou sent le chien, du genou à la poitrine le cheval, de la poitrine au nez le tabac, du nez jusque par-dessus les oreilles la femme, et depuis les oreilles jusqu'à l'extrémité des cheveux rien du tout.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.30, Léon Vanier, 1896)
     
  128. Les ignorants qui ne savent que médire ou parler d'eux n'ont qu'un tort, c'est de ne pas faire les deux choses en même temps.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.30, Léon Vanier, 1896)
     
  129. Dans ce qu'on appelle la foi des traités il faut sans doute comprendre avant tout les traités d'art militaire.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.31, Léon Vanier, 1896)
     
  130. La félicité est le lot des humbles. Le petit pot de Jenny l'ouvrière a sûrement répandu plus de bonheur ici-bas que les jardins suspendus de Sémiramis.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.31, Léon Vanier, 1896)
     
  131. Le premier poil neigeux qu'on découvre dans sa barbe vous tourmente plus qu'une avalanche sur la tête de votre meilleur ami.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.31, Léon Vanier, 1896)
     
  132. Qu'est la mer à côté de la rosée ? Celle-ci est tout aussi large, beaucoup plus douce, compte autant de perles et n'a pas à son passif un seul naufrage.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.31, Léon Vanier, 1896)
     
  133. La franchise est une belle qualité, sans doute, mais il ne faut pas qu'elle soit gravée sur notre front au point de nous faire paraître aussi malins qu'une charade avec sa solution imprimée d'avance.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.31, Léon Vanier, 1896)
     
  134. Il en est des idées comme des femmes. Dix coûtent moins à nourrir qu'une seule à habiller.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.32, Léon Vanier, 1896)
     
  135. Je me demande parfois si sur l'arbre de la science du bien et du mal il n'y avait pas déjà beaucoup de hannetons.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.32, Léon Vanier, 1896)
     
  136. Toujours ménagère, la femme ne remplit une première fois son coeur que pour jauger ce qu'il contient.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.32, Léon Vanier, 1896)
     
  137. L'amour est le larynx du coeur, le mariage le pharynx. C'est une grande fatalité pour nous quand s'introduit un aliment grossier dans un canal uniquement préposé aux soupirs.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.32, Léon Vanier, 1896)
     
  138. Le poète doit demeurer étranger à toute excitation artificielle. Quand on chevauche Pégase, on n'a pas d'éperons à mettre.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.33, Léon Vanier, 1896)
     
  139. Trop d'humains nous rappellent que nous habitons un astre aplati.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.33, Léon Vanier, 1896)
     
  140. Si l'homme était à roulettes comme le tricycle, que ne donnerait-il pas pour changer ce mode de locomotion contre des jambes !
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.33, Léon Vanier, 1896)
     
  141. Les gentilshommes de sport semblent n'avoir conservé de leur éducation religieuse que le culte de la crèche.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.33, Léon Vanier, 1896)
     
  142. La Bibliothèque Nationale possède environ deux millions de volumes, à peu près autant que Paris contient d'âmes. J'aime à croire pour le dépôt des citoyens reliés que la proportion des méchants et des sots y est moindre. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'ici comme là les trois quarts sont des manuels, des extraits, des dictionnaires et des compilations.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.33, Léon Vanier, 1896)
     
  143. Qui attaque l'Élysée ébranle sa propre maison.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.34, Léon Vanier, 1896)
     
  144. Le malheureux a un avantage, c'est d'être débarrassé des flatteurs. Sur le cyprès on ne trouve point de chenilles.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.34, Léon Vanier, 1896)
     
  145. Les joies d'une bonne conscience nous font envisager avec indulgence la nature entière. C'est un diplôme de baccalauréat délivré au Créateur.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.34, Léon Vanier, 1896)
     
  146. Tout peut être traité de cinquième roue à un char, excepté celle de la Fortune.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.34, Léon Vanier, 1896)
     
  147. Certains portent leur point d'honneur comme un point de côté.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.35, Léon Vanier, 1896)
     
  148. Durant les périodes de froideur on se tait, car toute parole aggraverait le mal. De même dans les excursions de glaciers on s'avance en silence, de crainte que le son de la voix ne provoque la chute des formidables séracs.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.35, Léon Vanier, 1896)
     
  149. À la façon dont s'y prennent ceux qui prétendent faire leur paradis dès ce monde on serait tenté de croire que le ciel n'est autre chose qu'un mauvais lieu.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.35, Léon Vanier, 1896)
     
  150. « La nuit sera bientôt passée, puis surgira l'aurore, et apparaîtra le brillant soleil. » Pendant que la cicindèle enfermée au calice d'un liseron se fait ces réflexions, passe un âne qui d'un coup de dent emporte l'insecte et la fleur.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.35, Léon Vanier, 1896)
     
  151. La parole a été donnée à  l'homme pour aiguiser sa pensée.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.36, Léon Vanier, 1896)
     
  152. Si le droit du seigneur a réellement existé, tous nos paysans ont du sang bleu dans les veines, et la roture de race n'est plus qu'un leurre.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.36, Léon Vanier, 1896)
     
  153. Les gens qui pour pénétrer le mystère de la vie analysent des cadavres sont à  peu près aussi bien avisés que ceux qui, en vue d'approfondir les lois de la balistique, disséqueraient des canons, une fois le coup parti.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.36, Léon Vanier, 1896)
     
  154. À la porte du Paradis terrestre fut placé un ange armé d'une épée. Rien ne peint mieux la déchéance de l'humanité que l'apparition de ce premier factionnaire.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.36, Léon Vanier, 1896)
     
  155. Je m'étonne toujours que l'eau qui tombe sur Paris n'ait pas un petit goût salé.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.36, Léon Vanier, 1896)
     
  156. Avant de prendre un nouvel amant, les femmes devraient bien se dire que ce sera l'ancien d'un autre. Après tout, c'est peut-être ce qui les décide.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.37, Léon Vanier, 1896)
     
  157. Rien ne m'inquiète plus que ces mots : le tribunal de l'histoire. Si encore c'était une cour d'appel !
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.37, Léon Vanier, 1896)
     
  158. Demandez à  un géomètre la mesure de la terre, mais ne lui demandez pas celle de son nez.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.37, Léon Vanier, 1896)
     
  159. Je songe parfois que, si je deviens célèbre, on suspendra après ma mort aux arceaux d'une église de longues tentures noires parsemées de larmes d'argent. D'argent ! Travaillons ferme.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.37, Léon Vanier, 1896)
     
  160. Il y a des silences tellement accusateurs qu'ils ne peuvent être victorieusement réfutés que par le silence. C'est ce qui explique le peu de bruit qu'on entend dans certains rassemblements du grand monde.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.37, Léon Vanier, 1896)
     
  161. Ce n'est jamais que nos prédécesseurs immédiats que nous dénigrons. Reculés dans le lointain de l'histoire, ils redeviennent héroïques. Le casque est glorieux, la perruque ridicule. Qui sait si un jour le chapeau haut de forme, lui aussi, ne sera pas un emblème chevaleresque, ou tout au moins de majesté ?
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.38, Léon Vanier, 1896)
     
  162. Rien ne nous attire plus que la froideur. Ce qui séduit avec une telle puissance tous les aimants de la terre, c'est une masse insensible et dure, là -haut, vers les glaces du pà´le.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.38, Léon Vanier, 1896)
     
  163. À mes heures d'appréhension je vois poindre la féodalité du mastroquet.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.38, Léon Vanier, 1896)
     
  164. On me citait une femme du monde si soucieuse de l'étiquette que ce qui la choquait le plus dans le péché d'Adam et d'àˆve, c'est de penser qu'ils n'avaient pas pelé leur pomme.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.38, Léon Vanier, 1896)
     
  165. Le style c'est l'homme. Chez ceux qui écrivent pour avoir du pain, on trouve le plus souvent des phrases empâtées.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.39, Léon Vanier, 1896)
     
  166. On a découvert en à‰gypte, à  l'aide de puissants microscopes, un animal long d'un vingtième de ligne qui s'occupe activement à  saper la pyramide de Chéops. Courage, petit insecte. Tu seras au bout de ta tâche avant que nous soyons parvenus à  renverser le veau d'or et à  réconcilier le suffrage universel avec la raison universelle.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.39, Léon Vanier, 1896)
     
  167. La vie est un songe, mais les veilleurs de nuit crient trop fort.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.39, Léon Vanier, 1896)
     
  168. C'est souvent à  leurs heures moroses que nos soeurs révèlent leur charme le plus irrésistible. La perle n'est due qu'à  un accès de mauvaise humeur chez l'huître.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.39, Léon Vanier, 1896)
     
  169. Les grands hommes sont les cimes de l'histoire, mais, comme en géographie, on compte plus de glaciers que de volcans.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.40, Léon Vanier, 1896)
     
  170. Celui qui en faisant souffrir souffre n'est qu'à  demi méchant. Ce qui a fait donner à  certaine pierre le nom d'infernale, c'est qu'elle reste froide en brûlant.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.40, Léon Vanier, 1896)
     
  171. L'homme qui a broyé le plus de coeurs féminins depuis le commencement du monde s'appelait Don Juan Tenorio. Il fallait du ténor dans l'affaire.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.40, Léon Vanier, 1896)
     
  172. Du tissu de nos rêves, quand il est usé, sachons faire de la charpie.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.40, Léon Vanier, 1896)
     
  173. Les êtres à  principes trop rigides naufragent sans rémission. Tels ces navires supérieurement équilibrés qui, lorsqu'ils chavirent, sont invinciblement maintenus la tête en bas, de par la perfection même de leur carène.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.40, Léon Vanier, 1896)
     
  174. La beauté est la clef des coeurs, la grâce le passe-partout, la coquetterie le rossignol, et le flirt la pince-monseigneur.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.41, Léon Vanier, 1896)
     
  175. Il n'a survécu au déluge que les animaux qui ont été embarqués dans l'arche. Il faut avouer que l'occasion était belle pour étouffer la dynastie des puces.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.41, Léon Vanier, 1896)
     
  176. On parle souvent des replis de la conscience : ils ont sans doute été ménagés pour masquer les déchirures.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.41, Léon Vanier, 1896)
     
  177. Même chez le coeur dissimulé, la colère se décèle par un pâle visage ; tel le feu caché dans le bois se trahit par les pleurs de la sève.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.41, Léon Vanier, 1896)
     
  178. Le même objet est regardé par l'ascète comme un sépulcre blanchi, par l'amant comme un bonbon pétri de roses, et par le lion comme cinquante kilos de viande.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.42, Léon Vanier, 1896)
     
  179. Des plus illustres penseurs on cite au maximum vingt mots. Il ne s'agit que de les prononcer.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.42, Léon Vanier, 1896)
     
  180. Les héraldistes appellent rampant un lion qui fait le mouvement de grimper. Faut-il voir là  une ironie ?
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.42, Léon Vanier, 1896)
     
  181. D'après les lois mêmes de la géométrie, le monde ne saurait remplir le coeur de l'homme. En effet, le monde est rond et le coeur triangulaire. Or, on sait qu'un rond inscrit dans un triangle ne le remplit pas.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.42, Léon Vanier, 1896)
     
  182. Il y a des gens dont le cerveau est comme un pulvérisateur. Ils n'émettent pas des opinions, ils les émiettent.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.42, Léon Vanier, 1896)
     
  183. Le poison administré à  Britannicus ayant noirci son visage, l'empereur fit étendre dessus une couche de blanc pour simuler la pâleur de la mort naturelle, mais une grosse pluie survint qui lava le fard. L'histoire est cette pluie.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.43, Léon Vanier, 1896)
     
  184. L'amour est l'escalier qui mène au ciel, la foi en est le garde-fou.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.43, Léon Vanier, 1896)
     
  185. Pour persuader la multitude, il ne faut que des cris et des gestes ; le peuple n'écoute pas, il regarde parler.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.43, Léon Vanier, 1896)
     
  186. L'art de la parure chez la femme est centrifuge, non centripète. La grâce doit se communiquer moins de l'écharpe à  elle que d'elle à  l'écharpe.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.43, Léon Vanier, 1896)
     
  187. Prodiguer à  tout propos les plus subtiles saillies est aussi déplacé que de couper le pain avec un rasoir.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.43, Léon Vanier, 1896)
     
  188. Nous n'apprécions que ce qui est surpris, dérobé. Jusqu'aux vulgaires suiveurs, s'ils s'aperçoivent que la jupe dont ils ont élu le sillage est relevée à  dessein, ils abandonnent la chasse.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.44, Léon Vanier, 1896)
     
  189. En matière de calomnie on se partage la besogne ; la loi frappe les coupables, l'opinion les victimes.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.44, Léon Vanier, 1896)
     
  190. La logique n'est qu'une escrime. À quoi bon l'apprendre quand on ne veut pas se battre ?
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.44, Léon Vanier, 1896)
     
  191. La Révolution française qui a proscrit si rigoureusement le droit de banalité aurait bien dû l'interdire à  ses historiens.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.44, Léon Vanier, 1896)
     
  192. Personne ne se donne sans résistance. Le nuage lui-même, au moment de se répandre en eau bienfaisante, prend un air maussade.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.44, Léon Vanier, 1896)
     
  193. Les esprits puissants réussissent rarement dans le genre familier. Il n'appartient qu'à  Hercule de déposer quand il le veut sa massue pour jouer avec des fuseaux.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.45, Léon Vanier, 1896)
     
  194. On peut tout faire accroire aux femmes, sauf qu'on est aimable.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.45, Léon Vanier, 1896)
     
  195. Quelque polychrome que soit leur pelage, les vaches ne donnent de lait que d'une seule couleur : ainsi, parmi toutes les variétés de devoirs, la charité les résume tous.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.45, Léon Vanier, 1896)
     
  196. Les religions sont comme des boussoles de poche ; elles vous indiquent bien la direction en gros, mais à  mesure qu'on s'approche du pà´le, elles s'affolent.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.45, Léon Vanier, 1896)
     
  197. Il y a des gens qui ont mauvaise grâce, même en s'avouant coupables, comme ces errata où s'étale une bévue nouvelle.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.45, Léon Vanier, 1896)
     
  198. L'amour parle avec éloquence par pantomimes, mais il ne s'exprime jamais plus clairement qu'en inscriptions bilingues.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.46, Léon Vanier, 1896)
     
  199. La civilisation développe même chez nos frères les plus humbles le goût de la réclame. Ce n'est que dans les basses-cours que l'apparition du moindre oeuf est annoncée à  grands gloussements ; dans la forêt la ponte s'accomplit sans publicité.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.46, Léon Vanier, 1896)
     
  200. Dans une maison sans cheminée on ne fait point de feu sous peine d'être asphyxié ; de même dans une âme qui n'a point d'ouverture sur l'infini une passion ne peut s'allumer sans étouffer toutes les voisines.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.46, Léon Vanier, 1896)
     
  201. La nature est insensible à  nos douleurs. N'est-il pas effroyable de penser que les bois de la guillotine peuvent jouer ?
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.46, Léon Vanier, 1896)
     
  202. Qui nous empêche de vivre en frères ? Peut-être la seule présence de nos soeurs.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.47, Léon Vanier, 1896)
     
  203. L'art embellit tout au plus la vie ; la religion seule l'emplit.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.47, Léon Vanier, 1896)
     
  204. Un Français à  l'étranger se reconnaît à  deux signes : 1° à  ce qu'il parle très bien le français ; 2° à  ce qu'il ne parle nulle autre langue.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.47, Léon Vanier, 1896)
     
  205. Si l'inconduite consiste à  courir de la brune à  la blonde, le plus grand débauché est le monogame, puisque pour lui une femme les résume toutes.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.47, Léon Vanier, 1896)
     
  206. Est-ce pour symboliser la victoire ou pour nous rappeler combien tout domicile est précaire que tant de ciels de lit dans nos alcà´ves ont reçu la forme de tentes ?
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.47, Léon Vanier, 1896)
     
  207. Le chemin de la ruine est toujours en bon état ; ce sont les voyageurs eux-mêmes qui paient les frais d'entretien.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.48, Léon Vanier, 1896)
     
  208. « Les jours se suivent et ne se ressemblent pas. » - « Les jours se suivent et se ressemblent. » Telles sont les deux plaintes qu'on entend exhaler du matin au soir par les pauvres humains, souvent par le même, et au même instant.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.48, Léon Vanier, 1896)
     
  209. « Donnez-moi un point d'appui et je soulèverai le monde. » Hélas ! que d'Archimèdes ont follement cherché ce point d'appui sur une épaule potelée mais glissante !
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.48, Léon Vanier, 1896)
     
  210. Les souvenirs d'enfance affluent à  la pensée du vieillard. L'âme veut être enterrée dans sa patrie, comme le corps.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.48, Léon Vanier, 1896)
     
  211. « Le Français né malin... » Ceci fut écrit à  une époque où on était souvent changé en nourrice.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.48, Léon Vanier, 1896)
     
  212. Une plaie qui intéresse les poumons d'un blessé intéresse surtout ses héritiers.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.49, Léon Vanier, 1896)
     
  213. Le temps n'améliore que les Rubens peints. La magie de sa patine ne régit que les chaires sur la toile, non les chairs sous la toile.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.49, Léon Vanier, 1896)
     
  214. Est-il rien de plus ignoble que deux époux se donnant mutuellement leurs biens par testament ? C'est comme s'ils prenaient déjà  le demi-deuil.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.49, Léon Vanier, 1896)
     
  215. En vieillissant les sutures du crâne s'affermissent, celles du paletot se relâchent.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.49, Léon Vanier, 1896)
     
  216. L'esprit tue tout chez celui qui en possède ; les terrains qui produisent le sel sont impropres à  toute autre culture.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.49, Léon Vanier, 1896)
     
  217. Toutes nos jalousies n'évitent la férocité que pour sombrer dans le ridicule : elles sont à  guillotine ou à  tabatière.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.50, Léon Vanier, 1896)
     
  218. À Paris, les commencements de relations sont beaucoup plus cordiaux que partout ailleurs. On sent instinctivement qu'il n'y en a pas pour longtemps.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.50, Léon Vanier, 1896)
     
  219. Comment veut-on que nous échappions à  la mièvrerie et à  l'affectation, quand notre planète elle-même par son inclinaison sur l'écliptique prend des airs penchés ?
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.50, Léon Vanier, 1896)
     
  220. Le plus grand malfaiteur qui sera jamais fut certainement Caïn, celui qui égorgea le quart du genre humain.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.50, Léon Vanier, 1896)
     
  221. Il est peu de femmes dont un chapeau ne tourne la tête avant de la coiffer.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.50, Léon Vanier, 1896)
     
  222. Les vieillards, dit-on, retombent en enfance. Pas de bien haut.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.51, Léon Vanier, 1896)
     
  223. Pourquoi nos romanciers se tourmentent-ils à  nous décrire les charmes de leur héroïne ? Ils n'ont qu'un mot à  dire : « Lecteur, elle était aussi jolie que ton avant-dernière maîtresse. »
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.51, Léon Vanier, 1896)
     
  224. L'homme n'aime qu'une fois dans sa vie. En effet, à  chaque amour qui lui pousse, il a soin de dire : « Voilà  une nouvelle vie qui commence. »
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.51, Léon Vanier, 1896)
     
  225. Malgré les apparences, il est juste et équitable que le mariage n'ait pas été compris parmi les jeux de hasard. Il est rare en effet que les joueurs ne se rendent pas bientà´t les coeurs qu'ils ont échangés.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.51, Léon Vanier, 1896)
     
  226. Le sage est le roi de l'humanité. Les autres rois ne gouvernent que des patries.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.51, Léon Vanier, 1896)
     
  227. Sur le menu de l'amour, on trouve encore par-ci par-là celui du prochain, mais parmi les plats froids.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.52, Léon Vanier, 1896)
     
  228. Quand la femme se marie, elle dit : « Oui. » C'est la dernière fois qu'elle prononce une phrase d'une syllabe.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.52, Léon Vanier, 1896)
     
  229. Je suis découragé des joies du contact sexuel, depuis que les physiciens m'ont appris qu'il ne peut jamais être complet, et qu'entre le marteau-pilon du Creusot et l'enclume qu'il écrase il y a encore un intervalle. Or, être séparé par un millionième de millimètre ou par deux lieux, n'est-ce pas la même chose pour un coeur assoiffé d'absolu ?
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.52, Léon Vanier, 1896)
     
  230. La curiosité seule suffit à perdre la femme. Certainement Ève n'aimait pas le serpent.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.52, Léon Vanier, 1896)
     
  231. En mariage, il ne doit y avoir qu'un corps et qu'une âme. Rien de plus facile à réaliser, puisque le mari n'y entre que quand sa carcasse est déjà fort entamée et qu'il a éparpillé son âme aux quatre coins du globe.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.52, Léon Vanier, 1896)
     
  232. Le langage, toujours avisé, n'a pas manqué d'appeler « petite oie » la première manifestation de la bête en nous.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.53, Léon Vanier, 1896)
     
  233. Une femme n'est jamais plus grossière qu'une lettre, qui, si cavalière qu'elle soit, commence et finit toujours par un demi-compliment. Même quand elle ne veut plus rien de nous, elle tient encore à ce que son visage et son pied nous plaisent.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.53, Léon Vanier, 1896)
     
  234. Les passions dansent éternellement leur ballet dans notre coeur, et même durant les entractes, elles esquissent leurs pirouettes au foyer ou marivaudent dans les coulisses.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.53, Léon Vanier, 1896)
     
  235. La femme prend le nom du mari, comme un général vainqueur celui de la bataille qu'il a gagnée.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.53, Léon Vanier, 1896)
     
  236. Le peuple dit : « Ma connaissance. » Il ne sait donc pas que dès qu'on commence à connaître, on n'aime plus ?
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.54, Léon Vanier, 1896)
     
  237. Mourons pour la patrie... Soit. Mais vivons pour autre chose.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.54, Léon Vanier, 1896)
     
  238. L'amour socratique n'est qu'un contresens ; l'amour platonique est un non-sens.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.54, Léon Vanier, 1896)
     
  239. Puisqu'on décerne le prix Montyon aux héros de vertu, ne devrait-on pas accorder au moins une médaille de sauvetage à ceux qui ont sauvé les apparences ?
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.54, Léon Vanier, 1896)
     
  240. Avoir donné le divin nom de Psyché à un miroir ! La femme a-t-elle jamais révélé plus cyniquement toute son âme de modiste ?
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.54, Léon Vanier, 1896)
     
  241. L'amour, comme tous les aimants, ne se fortifie qu'en s'armant d'un métal.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.55, Léon Vanier, 1896)
     
  242. Les malices de la plus futée sont cousues de fils blancs : ses nerfs.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.55, Léon Vanier, 1896)
     
  243. Parmi les monuments, statues et autres détails d'architecture qu'on orne d'oripeaux lors des anniversaires de nos glorieuses dates nationales, je m'étonne toujours qu'on oublie de pavoiser les girouettes.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.55, Léon Vanier, 1896)
     
  244. L'occasion ne revient jamais, ou, quand elle revient, c'est avec des cheveux si gris qu'elle ne nous reconnaît pas.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.55, Léon Vanier, 1896)
     
  245. Nous jugeons tout autrement des choses suivant que nous les espérons, que nous les voyons face à face, ou qu'elles s'estompent dans notre souvenir. Telles ces enseignes en trompe-l'oeil munies de lamelles de verre, qui laissent lire au passant charmé successivement trois mots différents.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.55, Léon Vanier, 1896)
     
  246. On voit encore ça et là quelques vieux époux conserver en bocal leur félicité. Vit-on jamais deux amants fêter leur cinquantaine ?
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.56, Léon Vanier, 1896)
     
  247. L'homme le plus malheureux de la création a été sans contredit Adam, qui n'eut pas de souvenirs d'enfance, et dont le premier amour fut utile.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.56, Léon Vanier, 1896)
     
  248. La lettre tue, l'esprit blesse.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.56, Léon Vanier, 1896)
     
  249. Comme Bucéphale qui, à poil, acceptait le plus humble cavalier, et, caparaçonné, le seul Alexandre, ceux qui, devenus riches, renient les amis de l'infortune, atteignent tout juste la hauteur de sentiments d'un cheval de race.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.56, Léon Vanier, 1896)
     
  250. La rosée de certains baisers plus particulièrement élus devrait pouvoir s'engloutir par le larynx et descendre jusqu'au coeur, seul tabernacle digne d'une telle hostie.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.57, Léon Vanier, 1896)
     
  251. Le forgeron, en martelant le fer rouge, frappe toujours quelques petits coups sur l'enclume, uniquement pour varier son oeuvre et la rehausser par quelque souci d'art. Toute une esthétique ne gît-elle pas dans ce retentissant exemple ?
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.57, Léon Vanier, 1896)
     
  252. Quand tous les charmes de la femme sont successivement décédés, reste la femme de son regard comme une lampe dans un caveau funéraire.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.57, Léon Vanier, 1896)
     
  253. Les astronomes eux-mêmes semblent avoir subi la contagion de notre soif de l'or. La première chose qu'ils songent à demander aux raies du spectre, n'est-ce pas de leur révéler dans le soleil et dans les étoiles la présence de métaux ?
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.57, Léon Vanier, 1896)
     
  254. L'humanité se sert volontiers de chevaux pour régler ses comptes avec les grands hommes. Toutefois, si elle en consacre six à traîner en triomphe ses fléaux, elle n'en délègue avarement que quatre pour écarteler ses bienfaiteurs.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.58, Léon Vanier, 1896)
     
  255. Une edelweiss qu'on arrache au front chauve d'un glacier, au péril de sa vie, est une noble conquête, mais combien plus glorieuse la cueillette des camélias qui se pâment au vallon tiède des corsages !
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.58, Léon Vanier, 1896)
     
  256. L'Évangile ne sera apprécié à sa réelle valeur que quand on le lira comme les Védas.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.58, Léon Vanier, 1896)
     
  257. Le monde a deux poids et deux mesures. Si encore il s'en servait !
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.58, Léon Vanier, 1896)
     
  258. Si le fantôme du Brocken suffit à effrayer l'amour, c'est assez de l'eau des mirages pour étancher ses soifs.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.59, Léon Vanier, 1896)
     
  259. L'étiquette mondaine exige de la femme la mise à l'étalage d'un trapèze de viande. Moins exigeante pour l'homme, elle se contente par l'exhibition d'un triangle de toile. O sainte Géométrie, que d'absurdités se commettent en ton nom !
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.59, Léon Vanier, 1896)
     
  260. « Tomber amoureux, » quelle jolie expression ! Mais pourquoi faut-il qu'on tombe toujours sur la tête ?
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.59, Léon Vanier, 1896)
     
  261. Certaines natures brillantes mais pourries demandent avant d'être abordées un patient travail d'épuration, comme ces jolies poires toutes véreuses qu'il faut sculpter, pour ainsi dire, à seule fin d'en isoler la pulpe esculente.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.59, Léon Vanier, 1896)
     
  262. « Cache ta vie, » dit le Sage. Qui donnera alors le bon exemple ?
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.60, Léon Vanier, 1896)
     
  263. La nature ne connaît que le pas et le galop. Comme pour le cheval, le plus clair de notre éducation est de nous apprendre à trotter.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.60, Léon Vanier, 1896)
     
  264. Aux qualités qu'on exige d'une bonne maîtresse, connaissez-vous beaucoup de ses esclaves capables de tenir son rôle ?
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.60, Léon Vanier, 1896)
     
  265. Certains gentilshommes faisant sonner à tout propos les exploits de leurs ancêtres n'ont du croisé que leur paletot.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.60, Léon Vanier, 1896)
     
  266. Nos lèvres sont une porte qui s'ouvre et se ferme à volonté sur une grotte humide aux voluptueux mystères. Mais combien plus merveilleux le monde de splendeur et de rêve sur lequel se closent les battants de nos paupières !
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.60, Léon Vanier, 1896)
     
  267. L'amour est une harpe éolienne qui résonne d'elle-même ; le flirt, un harmonica nécessitant l'emploi des mains ; le mariage un harmonium, qui ne marche qu'à coups de pieds.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.61, Léon Vanier, 1896)
     
  268. Heureuses les tortues ! Partout où elles vont, elles transportent leur alcôve.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.61, Léon Vanier, 1896)
     
  269. Pour peu que le ver de terre soit égoïste, il doit bien souffrir du coup de bêche qui de lui en fait deux.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.61, Léon Vanier, 1896)
     
  270. Les condottieri de l'amour vénal sont sevrés des âpres voluptés de la conquête. Sur les trois ponts dont s'enorgueillit leur casque il est rare qu'il y en ait un pour symboliser celui des soupirs.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.61, Léon Vanier, 1896)
     
  271. Celui qui a le coeur content trouve le bonheur partout. Quand son pied se joue dans une pantoufle, n'est-ce pas pour l'oisif comme si tout l'univers était recouvert d'un cuir souple et caressant ?
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.61, Léon Vanier, 1896)
     
  272. La vérité sort de la bouche des enfants. Par malheur, c'est leur nez qui veut toujours nous faire des révélations.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.62, Léon Vanier, 1896)
     
  273. Pauvres Parisiens ! En fait de clocher natal ils ne connaissent que la course au clocher.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.62, Léon Vanier, 1896)
     
  274. Il faut dans la conversation, comme dans la salade, du sel, un peu de poivre, assez de vinaigre, beaucoup d'huile, mais surtout bien remuer.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.62, Léon Vanier, 1896)
     
  275. Le méchant ne voit que des méchants autour de lui. Tout vice est teinté de jaunisse.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.62, Léon Vanier, 1896)
     
  276. On blâme beaucoup ceux qui n'ont ni queue ni tête. Et pourtant ne serait-ce pas tout le secret du bonheur !
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.63, Léon Vanier, 1896)
     
  277. Pour étendre son horizon le coeur le plus froid n'a besoin que d'une habile attitude. Pour agrandir une perspective à l'infini, il suffit de deux glaces placées en face l'une de l'autre.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.63, Léon Vanier, 1896)
     
  278. Les femmes qui n'accusent que trente ans se fondent sans doute sur ce que les dix premières années de leur vie ne sont pas coupables.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.63, Léon Vanier, 1896)
     
  279. Nos corps sont les temples du Saint-Esprit, mais depuis longtemps laïcisés.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.63, Léon Vanier, 1896)
     
  280. Heureux le livre dont une ligne fait penser une page, mais surtout décourage de l'écrire !
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.63, Léon Vanier, 1896)
     
  281. On change le nom de ses passions et on croit avoir changé leur direction ; tels ces conseils municipaux, affolés de démocratie, qui passent leur vie à débaptiser nos rues.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.64, Léon Vanier, 1896)
     
  282. Pour que l'amitié succède à l'amour, il faut que l'estime soit pourvue d'un legs important.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.64, Léon Vanier, 1896)
     
  283. La rhétorique et la logique sont les armes savantes de la pensée : la première en est l'artillerie, la seconde le génie.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.64, Léon Vanier, 1896)
     
  284. La rouge fleur de l'honneur ne devrait avoir droit de s'épanouir sur une poitrine que quand elle a ses racines dans le coeur.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.64, Léon Vanier, 1896)
     
  285. Notre intérêt plaide devant notre conscience, à la façon de ces vieux avocats qui s'attendent d'un moment à l'autre à être appelés pour compléter le tribunal.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.64, Léon Vanier, 1896)
     
  286. Tel enfant de famille opulente élevé pour faire un demi-dieu sera tout au plus un bon quart d'agent de change.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.65, Léon Vanier, 1896)
     
  287. Il y a des sacrifices que nous offrons à Dieu que quand il nous y invite directement, comme ce cavalier qui, tombant de cheval, disait : « Je voulais justement descendre. »
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.65, Léon Vanier, 1896)
     
  288. L'Église doit être bonne mère ; elle outrepasserait son rôle en se montrant bonne fille.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.65, Léon Vanier, 1896)
     
  289. Tout peut devenir objet de mode, hormis la raison, négation des modes.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.65, Léon Vanier, 1896)
     
  290. Quand on admire quelqu'un sans savoir pourquoi, on peut être certain que c'est sans fondement ; mais quand on aime sans savoir pourquoi, c'est le vrai amour.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.65, Léon Vanier, 1896)
     
  291. Se glorifier de trésors qu'on tient enfermés sans profit pour personne est à peu près aussi avisé que de s'enorgueillir des mines d'or du centre de la terre qu'on foule aux pieds en marchant.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.66, Léon Vanier, 1896)
     
  292. Une des entreprises les plus laborieuses en toute publique occurrence est d'empêcher la fanfare de se prendre pour la procession elle-même.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.66, Léon Vanier, 1896)
     
  293. Il y a des gens qui se marient soi-disant par économie. C'est donner une haute idée de leurs performances.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.66, Léon Vanier, 1896)
     
  294. Chose singulière, nous sommes moins exigeants en matière d'espace que de temps. Nous prenons plus facilement notre parti de ne pas peser trois cents livres que de ne pas vivre trois cents ans.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.66, Léon Vanier, 1896)
     
  295. La vertu gît au milieu. Le vice aussi.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.67, Léon Vanier, 1896)
     
  296. Tout sentiment qui s'écrit est vite fané. On ne trempe pas les fleurs dans l'encre.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.67, Léon Vanier, 1896)
     
  297. À l'état normal le volume du coeur n'est guère plus considérable que le poing du sujet auquel il appartient. Si du moins il n'était pas plus menaçant !
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.67, Léon Vanier, 1896)
     
  298. La plupart des lettres qu'écrivent à leurs derniers instants ceux qui recourent au suicide semblent prouver qu'ils auraient pu employer utilement encore quelques belles années, tout au moins à feuilleter des grammaires.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.67, Léon Vanier, 1896)
     
  299. On ne peut ouvrir un livre sans apprendre quelque chose, quand ce ne serait que l'inutilité d'écrire.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.67, Léon Vanier, 1896)
     
  300. L'honneur est une boussole cachée sur notre coeur, mais dont l'aiguille est toujours faussée par la petite mine d'or de notre porte-monnaie.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.68, Léon Vanier, 1896)
     
  301. Les billets qu'on prend à la loterie du mariage rappellent trop souvent celui de La Châtre.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.68, Léon Vanier, 1896)
     
  302. Un amour qui meurt de ses blessures était au moins anémique.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.68, Léon Vanier, 1896)
     
  303. Tous les prophètes de la vie future nous la dépeignent meilleure ou pire que celle-ci ; aucun ne l'annonce semblable. Le pessimisme a ses limites.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.68, Léon Vanier, 1896)
     
  304. L'esprit, comme l'imagination, nous renseigne sur le temps, mais l'esprit le proclame comme une horloge, l'imagination le révèle polychrome, comme un cadran de Flore.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.68, Léon Vanier, 1896)
     
  305. Il faut choisir ses opinions et les adapter à sa taille, mais on n'est pas tenu de les créer de toutes pièces. De même qu'on élit une étoffe et qu'on la fait couper à sa mesure, mais que le plus excentrique ne s'est pas encore avisé de tondre un mouton ou de planter des cotonniers spécialement pour sa jaquette.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.69, Léon Vanier, 1896)
     
  306. Quelle source intarissable de félicité que les enfants dans le cercle de famille ! Jusqu'à six ans leurs piaillements vous empêchent de terminer une seule phrase ; à partir de sept ans, on ne peut plus rien dire devant eux. Et dans l'intervalle, ils on généralement la fièvre typhoïde.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.69, Léon Vanier, 1896)
     
  307. Une mauvaise habitude ne meurt jamais ab intestat.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.69, Léon Vanier, 1896)
     
  308. Pour obtenir d'une personne ce qu'on désire il ne faut pas s'adresser à son coeur seul, ni à sa tête seule, mais à l'un et à l'autre ensemble, de même qu'un mendiant avisé ne sollicite que les couples marchant côte à côte et qui lui donnent par amour-propre.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.69, Léon Vanier, 1896)
     
  309. Sans doute l'homme a été créé à l'image de Dieu, mais à une époque où les procédés de reproduction étaient encore dans l'enfance.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.70, Léon Vanier, 1896)
     
  310. Plusieurs ont toutes les qualités voulues pour entretenir un parfait commerce d'amitié, mais ils ne font le commerce qu'en gros.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.70, Léon Vanier, 1896)
     
  311. C'est pour le coeur surtout que trois incendies équivalent à un déménagement.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.70, Léon Vanier, 1896)
     
  312. La plupart des femmes entendent le mot « constance » comme le lac de ce nom, dont les eaux limpides baignent quatre pays différents.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.70, Léon Vanier, 1896)
     
  313. Les enfants se forment souvent plus vite qu'on ne le voudrait ; ils scandalisent alors leurs éducateurs comme des échafaudages qui prendraient racine et jetteraient des bourgeons.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.71, Léon Vanier, 1896)
     
  314. Puisqu'il devient de mode de couler en bronze tous les hommes utiles à l'humanité, n'élèvera-t-on pas bientôt une statue à ceux qui n'ont pas inventé la poudre ?
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.71, Léon Vanier, 1896)
     
  315. Quand je vois un de ces parchemins d'autrefois, muni de son large sceau royal, portant un arrêt de mort, je ne puis m'empêcher de songer, à la honte des animaux, que les matériaux employés à ce chef-d'oeuvre d'humanité ont été fournis par un âne, une oie et quelques abeilles.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.71, Léon Vanier, 1896)
     
  316. Certains visages sont la carte de l'honneur et de la loyauté, mais n'indiquent que des régions polaires.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.71, Léon Vanier, 1896)
     
  317. Les peuples civilisés s'offrent entre eux les vérités au bout d'une baïonnette, comme les gens mal élevés se présentent le pain à la pointe d'un couteau.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.72, Léon Vanier, 1896)
     
  318. La colère bannit la réflexion, mais ses conséquences lui accordent aussitôt un sauf-conduit.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.72, Léon Vanier, 1896)
     
  319. Qui sait si un caniche aboyant de la même façon pour exprimer qu'il a faim d'os et soif de caresses, n'est pas considéré par les siens comme un éminent virtuose en calembours ?
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.72, Léon Vanier, 1896)
     
  320. Tout finit par des chansons. La dernière, c'est le De profundis.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.72, Léon Vanier, 1896)
     
  321. Les femmes honnêtes se donnent tout entières à des riens, les autres à des pas grand'chose.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.72, Léon Vanier, 1896)
     
  322. On quitte ses amis sous prétexte qu'ils ont changé. Pour tout ennemi de la monotonie, ce serait cependant le meilleur motif à les garder.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.73, Léon Vanier, 1896)
     
  323. L'orgueil ne se complaît qu'à détruire ; un seul chêne en tombant fait plus de bruit que n'en font ensemble en croissant tous les végétaux répandus sur la surface du globe.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.73, Léon Vanier, 1896)
     
  324. Pour beaucoup d'écrivains la fortune n'est que l'honnête récompense accordée à celui qui rapporte un objet perdu.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.73, Léon Vanier, 1896)
     
  325. En morale, c'est déjà être vaincu que de conclure une trêve.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.73, Léon Vanier, 1896)
     
  326. Les sensations modelées forment la sensualité ; ciselées, le sentiment.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.73, Léon Vanier, 1896)
     
  327. La nature place toujours le remède à côté du mal ; on voit même des gens qui ne prennent jamais que le remède.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.74, Léon Vanier, 1896)
     
  328. On peut, quoique blasé, demander des consolations à l'amour, de même qu'on peut prendre médecine sans y croire.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.74, Léon Vanier, 1896)
     
  329. Le génie est une longue patience, plus une occasion.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.74, Léon Vanier, 1896)
     
  330. Toute amitié rompue d'un côté l'est des deux.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.74, Léon Vanier, 1896)
     
  331. Apprendre par coeur est bien, apprendre par le coeur est mieux.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.74, Léon Vanier, 1896)
     
  332. L'homme vit tant qu'il désire. La femme est morte qui n'est plus désirée, même par un seul.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.74, Léon Vanier, 1896)
     
  333. Celui qui dans une symphonie ne découvre pas chaque fois des beautés nouvelles n'est qu'un instrument.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.75, Léon Vanier, 1896)
     
  334. Que l'auteur de la Vénus de Médicis n'ait en aucun point copié la nature, c'est là une vérité dont il nous faut payer cher la conquête, mais qui, une fois acquise, n'est plus jamais exposée à être détrônée de son piédestal.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.75, Léon Vanier, 1896)
     
  335. Le coeur aspire et étouffe, le cerveau pétille et fait trémousser. L'un est une machine pneumatique, l'autre est une bouteille de Leyde.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.75, Léon Vanier, 1896)
     
  336. Qui parle de supprimer les étrennes ? Une si solennelle occasion d'affirmer l'indépendance de son coeur !
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.75, Léon Vanier, 1896)
     
  337. Certains disent : « Mon Dieu », comme on dit : « Mon général ».
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.75, Léon Vanier, 1896)
     
  338. On recommande d'éviter l'esprit facile ; quant à l'esprit difficile, son nom seul le condamne. À quel genre alors se vouer ?
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.76, Léon Vanier, 1896)
     
  339. En tirant un coup de fusil, un chasseur est toujours sûr d'abattre quelque chose, quand ce ne serait que son orgueil.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.76, Léon Vanier, 1896)
     
  340. On aurait tort d'envier aux sots une vanité qui leur sert d'utile dérivatif. C'est comme la crête qui en se gonflant prémunit les dindons contre l'apoplexie.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.76, Léon Vanier, 1896)
     
  341. Toute maladie du corps social trouve plus vite des avocats que des médecins.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.76, Léon Vanier, 1896)
     
  342. Il est peu de prédicateurs qui, quelque sujet qu'ils traitent, ne nous donnent pas une certaine idée de l'éternité.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.76, Léon Vanier, 1896)
     
  343. Est-il plus douce volupté au monde que d'entendre sa prose dans la bouche d'une jeune et jolie femme, heurtée au pur cristal de sa voix ? Quel baiser colombin vaut cette aérienne communion d'âmes ?
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.77, Léon Vanier, 1896)
     
  344. Dans la vie du coeur on est toujours volé quand on s'abandonne à aimer, toujours richement rémunéré quand on se regarde aimer.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.77, Léon Vanier, 1896)
     
  345. Le propre des grandes passions est de rendre l'idée de la mort indifférente, soit par espoir, soit par contraste.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.77, Léon Vanier, 1896)
     
  346. Rien n'est plus délicieux qu'être étendu sous un arbre, en été, avec un bon livre, si ce n'est d'être étendu en été, sous un arbre, sans livre.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.77, Léon Vanier, 1896)
     
  347. Ce n'est pas l'enlèvement qui est difficile, c'est l'emballement.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.77, Léon Vanier, 1896)
     
  348. Certains naïfs s'imaginent que l'ancienneté confère des titres en amour. Pourquoi pas la vieillesse ?
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.78, Léon Vanier, 1896)
     
  349. Ainsi que les beaux corps, l'âme gagne à être vue à nu, mais perd à être disséquée.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.78, Léon Vanier, 1896)
     
  350. La véritable amitié se reconnaît à ce qu'elle ne guette dans notre coeur aucune succession à prendre et qu'elle trouve toujours, pour y faire son entrée, des voies semées de fleurs et l'arc de triomphe tout dressé.
    (Les Pensées d'un Yoghi , p.78, Léon Vanier, 1896)