Joseph Joubert
1754-1824
  1. Recevoir des bienfaits de quelqu'un est une manière plus sûre de se l'attacher que de l'obliger lui-même. La vue d'un bienfaiteur importune souvent, celle d'un homme à qui l'on a fait du bien est toujours agréable. Nous aimons notre ouvrage en lui.
    (Carnets t.1, p.64, nrf/Gallimard, 1994)
     
  2. On peut à force de confiance mettre quelqu'un dans l'impossibilité de nous tromper.
    (Carnets t.1, p.64, nrf/Gallimard, 1994)
     
  3. Un homme qui ne montre aucuns défauts est un sot ou un hypocrite dont il faut se méfier.
    (Carnets t.1, p.65, nrf/Gallimard, 1994)
     
  4. On n'est moins ennemi de ceux qui nous haïssent que de ceux qui nous méprisent.
    (Carnets t.1, p.65, nrf/Gallimard, 1994)
     
  5. On est plus à son aise avec un homme que l'on hait qu'avec un homme qui nous dégoûte.
    (Carnets t.1, p.65, nrf/Gallimard, 1994)
     
  6. Quand on blâme les hommes, il faut leur prouver qu'on a pu les connaître et qu'on n'a pas décidé légèrement.
    (Carnets t.1, p.72, nrf/Gallimard, 1994)
     
  7. " Marchons, et faisons désirer aux hommes de pouvoir nous considérer couchées. "
    (Carnets t.1, p.72, nrf/Gallimard, 1994)
     
  8. Voulez-vous connaître le mécanisme de la pensée, et ses effets ? lisez les poètes. Voulez-vous connaître la morale, la politique ? lisez les poètes. Ce qui vous plaît chez eux, approfondissez-le : c'est le vrai.
    (Carnets t.1, p.78, nrf/Gallimard, 1994)
     
  9. Les plaisirs dont on se souvient sont plus doux et moins vifs que ceux qu'on imagine.
    (Carnets t.1, p.78, nrf/Gallimard, 1994)
     
  10. La vertu, c'est la santé de l'âme.
    (Carnets t.1, p.78, nrf/Gallimard, 1994)
     
  11. La justice et la justesse sont deux qualités qui dérivent de la même source.
    (Carnets t.1, p.79, nrf/Gallimard, 1994)
     
  12. La raison est dans l'homme le supplément universel de l'impuissance de la nature.
    (Carnets t.1, p.80, nrf/Gallimard, 1994)
     
  13. Songe au passé quand tu consultes, au présent quand tu jouis, à l'avenir dans tout ce que tu fais.
    (Carnets t.1, p.83, nrf/Gallimard, 1994)
     
  14. Ceux qui veulent tout ramener à l'égalité naturelle ont tort. Il n'y a point d'égalité naturelle. La force, l'industrie, la raison élèvent des différences entre les hommes à chaque pas. C'est le chef-d'oeuvre de la raison humaine.
    (Carnets t.1, p.86, nrf/Gallimard, 1994)
     
  15. Décomposez un poème excellent ; désunissez-en toutes les expressions, et faites-en un amas, un chaos. Donnez ce chaos à débrouiller à un écrivain médiocre et de ces parcelles éparses dites-lui de créer à sa fantaisie un monde, un ouvrage ; s'il n'ajoute rien, il est impossible qu'il fasse de tout cela quelque chose qui ne plaise pas. De même, changez l'ordre de toutes les pensées d'un beau discours ; mettez les conséquences avant les principes et ce qui suit avant ce qui doit précéder ; démolissez, ruinez tant qu'il vous plaira : il y aura toujours dans ces matériaux renversés de quoi retenir et satisfaire les regards d'un observateur.
    (Carnets t.1, p.89, nrf/Gallimard, 1994)
     
  16. Il faut pour être un grand écrivain une perspicacité d'esprit, une finesse de tact plus grande que pour être un grand philosophe.
    (Carnets t.1, p.89, nrf/Gallimard, 1994)
     
  17. " Mais on ne peut pas tout faire. " Qui te l'a dit ? La paresse, la lâcheté, l'exécrable égoïsme. " Mais je suis occupé de musique, de statues, de tableaux. " Eh jette au feu ta musique, tes tableaux, tes statues, car tu ne feras jamais bien ton métier de musicien, de peintre, de statuaire si tu ne sais pas auparavant ton métier d'homme.
    (Carnets t.1, p.91, nrf/Gallimard, 1994)
     
  18. Si je meurs et que je laisse quelques pensées éparses sur des objets importants, je conjure au nom de l'humanité ceux qui s'en verront les dépositaires de ne rien supprimer de tout ce qui paraîtra s'éloigner des idées reçues. Je n'aimai pendant ma vie que la vérité. J'ai lieu de penser que je l'ai vue sur bien de grands objets. Peut-être un de ces mots que j'aurai jetés à la hâte [...].
    (Carnets t.1, p.93, nrf/Gallimard, 1994)
     
  19. Les femmes aiment les aventures, les rencontres, les hasards, parce qu'elles aiment à se donner et non pas qu'on les donne. Pour ce sexe, faire un doux usage de son corps, c'est en disposer librement. Quand une fois elles ont fait cet acte de liberté, il ne tient qu'aux hommes qu'elles soient constantes. Hors de là, elles ne le sont par le coeur que dans un seul cas, celui où elles ont été prises par force ; j'entends par la force physique et non par la force sociale.
    Cette violence leur fait espérer un grand empire sur l'homme qu'elles ont dominé au point de le mettre hors de lui-même ; comme elles espèrent une grande condescendance de l'homme à qui elles ont tout sacrifié.
    Nota. Il faut que cette violence soit celle de l'homme amoureux et non celle de l'homme brutal.

    (Carnets t.1, p.93, nrf/Gallimard, 1994)
     
  20. S'il y a quelque chose de triste au monde, c'est le peuplier sur les montagnes...
    (Carnets t.1, p.99, nrf/Gallimard, 1994)
     
  21. La pensée se forme dans l'âme comme les nuages se forment dans l'air.
    (Carnets t.1, p.103, nrf/Gallimard, 1994)
     
  22. Tout ouvrage de génie, épique ou didactique, est trop long, s'il ne peut pas être lu dans un jour.
    (Carnets t.1, p.110, nrf/Gallimard, 1994)
     
  23. Car tout sentiment religieux est un sentiment servile et quiconque s'agenouille devant Dieu se façonne à se prosterner devant un roi.
    (Carnets t.1, p.119, nrf/Gallimard, 1994)
     
  24. L'impartialité naît d'une disposition à juger favorablement des hommes et des choses.
    (Carnets t.1, p.121, nrf/Gallimard, 1994)
     
  25. Le plaisir de la chasse est le plaisir d'atteindre.
    (Carnets t.1, p.123, nrf/Gallimard, 1994)
     
  26. Je sens que vos désirs m'attirent.
    (Carnets t.1, p.124, nrf/Gallimard, 1994)
     
  27. Tout se peint dans son imagination, et presque rien ne s'y dessine...
    (Carnets t.1, p.124, nrf/Gallimard, 1994)
     
  28. Quiconque ôte à un homme la liberté pour toute sa vie est digne de mort.
    (Carnets t.1, p.126, nrf/Gallimard, 1994)
     
  29. Les oreilles et les yeux sont les portes et les fenêtres de l'âme.
    (Carnets t.1, p.128, nrf/Gallimard, 1994)
     
  30. ... Ils naissent vieux...
    (Carnets t.1, p.128, nrf/Gallimard, 1994)
     
  31. Le courageux a du courage et le brave aime à le montrer.
    (Carnets t.1, p.129, nrf/Gallimard, 1994)
     
  32. Succès : Sert aux hommes de piédestal. Il les fait paraître plus grands. Si la réflexion ne les mesure.
    (Carnets t.1, p.129, nrf/Gallimard, 1994)
     
  33. On affuble vite sa pensée du premier mot qui se présente et l'on marche en avant.
    (Carnets t.1, p.131, nrf/Gallimard, 1994)
     
  34. Toute doctrine qui ne dit pas que la vertu suffit pour plaire au ciel est d'un méchant ou d'un fanatique ou d'un hypocrite.
    (Carnets t.1, p.133, nrf/Gallimard, 1994)
     
  35. Que chacun pense ce qu'il voudra s'il respecte la paix publique.
    (Carnets t.1, p.133, nrf/Gallimard, 1994)
     
  36. La république est le seul remède aux maux de la monarchie, et la monarchie le seul remède aux maux de la république.
    (Carnets t.1, p.134, nrf/Gallimard, 1994)
     
  37. La lecture de Platon est comme l'air des montagnes. Elle ne nourrit pas, mais elle aiguise nos organes et donne le goût des bons aliments.
    (Carnets t.1, p.135, nrf/Gallimard, 1994)
     
  38. Il est des objections qui annoncent moins le défaut d'une exposition que les défauts de celui qui écoute. Elles ne viennent pas de l'obscurité de la matière mais de l'obscurité de l'esprit qui la considère, ou de sa lenteur ou de sa précipitation ou de son inattention, etc.
    (Carnets t.1, p.137, nrf/Gallimard, 1994)
     
  39. Nous sommes, dans le monde, ce que sont les mots dans un livre. Chaque génération en est comme une ligne, une phrase.
    (Carnets t.1, p.139, nrf/Gallimard, 1994)
     
  40. Hommes, mêlez-vous des choses humaines. Dieux, mêlez-vous des choses divines.
    (Carnets t.1, p.139, nrf/Gallimard, 1994)
     
  41. La sagesse est la force des faibles.
    (Carnets t.1, p.143, nrf/Gallimard, 1994)
     
  42. Enseigner, c'est apprendre deux fois.
    (Carnets t.1, p.143, nrf/Gallimard, 1994)
     
  43. Toute inconstance est un tâtonnement.
    (Carnets t.1, p.143, nrf/Gallimard, 1994)
     
  44. La volonté est une main avec laquelle on plie au dedans de soi tout ce qu'on veut.
    (Carnets t.1, p.143, nrf/Gallimard, 1994)
     
  45. On a besoin, pour vivre, de peu de vie. Il en faut beaucoup pour aimer.
    (Carnets t.1, p.145, nrf/Gallimard, 1994)
     
  46. L'attention (de celui qui écoute) sert d'accompagnement dans la musique du discours.
    (Carnets t.1, p.147, nrf/Gallimard, 1994)
     
  47. Le bien vaut mieux que le mieux.
    (Carnets t.1, p.147, nrf/Gallimard, 1994)
     
  48. Imitez le temps. Il détruit tout avec lenteur. Il mine, il use, il déracine, il détache et il n'arrache pas.
    (Carnets t.1, p.149, nrf/Gallimard, 1994)
     
  49. On entend dans leurs paroles le tintement de leurs cerveaux.
    (Carnets t.1, p.149, nrf/Gallimard, 1994)
     
  50. Tout ce qui corrompt fermente.
    (Carnets t.1, p.150, nrf/Gallimard, 1994)
     
  51. N'élevez pas ce qui est fragile, c'est-à-dire ne l'exposez pas à tomber.
    (Carnets t.1, p.151, nrf/Gallimard, 1994)
     
  52. Oeil -  est le soleil de la face.
    (Carnets t.1, p.158, nrf/Gallimard, 1994)
     
  53. Le son est au vent ce que la flamme est à la chaleur.
    (Carnets t.1, p.159, nrf/Gallimard, 1994)
     
  54. L'évanouissement est une mort courte.
    (Carnets t.1, p.160, nrf/Gallimard, 1994)
     
  55. Ceux qui n'ont à s'occuper ni de leurs plaisirs ni de leurs besoins sont à plaindre.
    (Carnets t.1, p.161, nrf/Gallimard, 1994)
     
  56. Une conversation ingénieuse avec un homme, c'est une mission. Avec une femme, c'est une harmonie, un concert. Il y a le rapport de l'octave à la basse. Vous sortez satisfait de l'une, vous sortez de l'autre enchanté.
    (Carnets t.1, p.161, nrf/Gallimard, 1994)
     
  57. C'est une grande vérité qu'il y a des erreurs invincibles qu'il ne faut jamais attaquer.
    (Carnets t.1, p.165, nrf/Gallimard, 1994)
     
  58. La lumière. C'est un feu qui ne brûle pas.
    (Carnets t.1, p.166, nrf/Gallimard, 1994)
     
  59. Si la nouveauté est indispensable aux passions pour les faire naître, la variété leur est nécessaire pour subsister.
    (Carnets t.1, p.168, nrf/Gallimard, 1994)
     
  60. La politesse est une sorte d'émoussoir qui enveloppe les aspérités de notre caractère et empêche que les autres n'en soient blessés.
    (Carnets t.1, p.169, nrf/Gallimard, 1994)
     
  61. Il faut toujours avoir un peu de condescendance pour les auteurs qu'on lit et se prêter à leurs imaginations quand quelque génie les distingue.
    (Carnets t.1, p.169, nrf/Gallimard, 1994)
     
  62. Il shakespearise souvent.
    (Carnets t.1, p.170, nrf/Gallimard, 1994)
     
  63. Le sublime est la cime du grand.
    (Carnets t.1, p.170, nrf/Gallimard, 1994)
     
  64. Les superstitions sont à la religion ce que la fable est à la poésie.
    (Carnets t.1, p.171, nrf/Gallimard, 1994)
     
  65. Dans le discours, la passion (qui est véhémente) ne doit être que la dame d'atours de l'intelligence, qui est tranquille. Il faut, il est permis, il est même louable de parler avec son humeur, mais il ne faut penser et juger qu'avec sa raison.
    (Carnets t.1, p.175, nrf/Gallimard, 1994)
     
  66. Supposer vrai n'est pas proprement croire.
    (Carnets t.1, p.180, nrf/Gallimard, 1994)
     
  67. Il est des esprits voyageurs qui aiment à parcourir les livres et en rapportent le souvenir de tout ce qu'ils ont lu. Ceux-là doivent, comme Bayle, composer des dictionnaires, des recueils, etc.
    (Carnets t.1, p.183, nrf/Gallimard, 1994)
     
  68. L'un aime à dire ce qu'il sait, et l'autre ce qu'il pense.
    (Carnets t.1, p.183, nrf/Gallimard, 1994)
     
  69. Au lieu de se plaindre de ce que la rose a des épines il faut se féliciter de ce que l'épine est surmontée de roses et de ce que le buisson porte des fleurs.
    (Carnets t.1, p.183, nrf/Gallimard, 1994)
     
  70. L'imagination est l'oeil de l'âme.
    (Carnets t.1, p.185, nrf/Gallimard, 1994)
     
  71. La raison. L'imagination est sa dame d'atours.
    (Carnets t.1, p.186, nrf/Gallimard, 1994)
     
  72. Mathématiques. La préférence exclusive qu'on leur donne dans l'éducation a de grands inconvénients.
    (Carnets t.1, p.189, nrf/Gallimard, 1994)
     
  73. Dieu est le lieu où je ne me souviens pas du reste.
    (Carnets t.1, p.193, nrf/Gallimard, 1994)
     
  74. La piété est au coeur de ce que la poésie est à l'imagination, ce qu'une belle métaphysique est à l'esprit. Elle exerce toute l,étendue de notre sensibilité.
    (Carnets t.1, p.194, nrf/Gallimard, 1994)
     
  75. Chercher la sagesse plutôt que la vérité. Elle est plus à notre portée.
    (Carnets t.1, p.197, nrf/Gallimard, 1994)
     
  76. La reliure recommande un livre. Il faut qu'un livre rappelle son lecteur, comme on dit que le bon vin rappelle son buveur. Il ne peut le rappeler que par l'agrément. Un certain agrément doit se trouver même dans les écrits les plus austères.
    (Carnets t.1, p.205, nrf/Gallimard, 1994)
     
  77. Aussi ne faut-il dire une vérité aux hommes que lorsqu'on peut leur en dire deux.
    (Carnets t.1, p.207, nrf/Gallimard, 1994)
     
  78. Les passions sont aux sentiments ce que la pluie est à la rosée, ce que l'eau est à la vapeur.
    (Carnets t.1, p.207, nrf/Gallimard, 1994)
     
  79. L'imagination a fait plus de découvertes que les yeux.
    (Carnets t.1, p.207, nrf/Gallimard, 1994)
     
  80. Nos amours et nos aversions sont deux grands ressorts dont la providence se sert.
    (Carnets t.1, p.207, nrf/Gallimard, 1994)
     
  81. Ce monde me paraît un tourbillon habité par un peuple à qui la tête tourne.
    (Carnets t.1, p.211, nrf/Gallimard, 1994)
     
  82. Toute flamme est un feu humide.
    (Carnets t.1, p.213, nrf/Gallimard, 1994)
     
  83. Il faut faire le bien lorsqu'on le peut et faire plaisir à toute heure, car à toute heure on le peut.
    (Carnets t.1, p.213, nrf/Gallimard, 1994)
     
  84. Vérité qui en obscurcit d'autres ne peut pas être vérité.
    (Carnets t.1, p.216, nrf/Gallimard, 1994)
     
  85. Rien ne fait tant honneur à une femme que sa patience, et rien ne lui fait si peu honneur que la patience de son mari.
    (Carnets t.1, p.219, nrf/Gallimard, 1994)
     
  86. Souviens-toi de cuver ton encre.
    (Carnets t.1, p.226, nrf/Gallimard, 1994)
     
  87. Si vous voulez donner aux hommes une vertu, donnez-leur d'abord une passion...
    (Carnets t.1, p.227, nrf/Gallimard, 1994)
     
  88. L'envie veut abaisser et l'émulation égaler. L'une s'afflige des succès, l'autre y aspire. Celle-là est jalouse de tout mérite et l'autre en est ambitieuse.
    (Carnets t.1, p.227, nrf/Gallimard, 1994)
     
  89. Il n'y a que l'homme religieux qui soit toujours le même. C'est que son Dieu ne change pas.
    (Carnets t.1, p.228, nrf/Gallimard, 1994)
     
  90. Si la fortune veut rendre un homme estimable, elle lui donne des vertus. Si elle veut le rendre estimé elle lui donne des succès.
    (Carnets t.1, p.229, nrf/Gallimard, 1994)
     
  91. Où vont les pensées ? dans la mémoire de Dieu.
    (Carnets t.1, p.229, nrf/Gallimard, 1994)
     
  92. La parole parlée est une flèche qu'on décroche.
    (Carnets t.1, p.231, nrf/Gallimard, 1994)
     
  93. Ces vérités ont une si grande beauté que les erreurs même qui nous occupent d'elles ont quelque chose de ravissant. Les ombres mêmes qui les voilent ont je ne sais quoi de lumineux.
    (Carnets t.1, p.234, nrf/Gallimard, 1994)
     
  94. Qui est-ce qui a dit : " Voulez-vous peindre le silence, employez le bruit. Voulez-vous peindre le bruit, employez le silence. "
    (Carnets t.1, p.235, nrf/Gallimard, 1994)
     
  95. Qu'est-ce qu'un diamant, si ce n'est un peu de boue lumineuse ?
    (Carnets t.1, p.235, nrf/Gallimard, 1994)
     
  96. Dans la société, on parle de ce qu'on effleure. Mais dans l'intimité on ne parle guères que de ce qu'on approfondit.
    (Carnets t.1, p.236, nrf/Gallimard, 1994)
     
  97. Il y a des tableaux qui entrent dans l'imagination ; il y en a dont on peut dire que l'imagination entre dedans. Comme il y a des objets qui entrent pour ainsi dire dans les yeux et d'autres où les regards entrent et se plaisent à pénétrer.
    (Carnets t.1, p.237, nrf/Gallimard, 1994)
     
  98. À quoi sert la pudeur ? - Elle sert à paraître plus belle quand on est belle, et à paraître moins laide quand on l'est.
    (Carnets t.1, p.240, nrf/Gallimard, 1994)
     
  99. L'hypocrisie de l'irréligion.
    (Carnets t.1, p.240, nrf/Gallimard, 1994)
     
  100. La crainte est la grâce de la débauche.
    (Carnets t.1, p.241, nrf/Gallimard, 1994)
     
  101. Il n'y a de beaux ouvrages que ceux qui ont été longtemps (sinon travaillés, au moins) rêvés.
    (Carnets t.1, p.242, nrf/Gallimard, 1994)
     
  102. La vérité consiste à avoir, sur quoi que ce soit, une opinion semblable à la pensée de Dieu même.
    (Carnets t.1, p.243, nrf/Gallimard, 1994)
     
  103. Les écrivains qui ont de l'influence ne sont que des hommes qui expriment parfaitement ce que les autres pensent et qui réveillent dans les esprits des idées ou des sentiments qui tendaient à éclore.
    (Carnets t.1, p.243, nrf/Gallimard, 1994)
     
  104. L'idée et la pensée. L'une est clarté, l'autre est solidité. Par la pensée on arrange, par l'idée on conçoit, on crée. L'une est une combinaison de parties déjà connues ; l'autre est un aperçu, une découverte et une mise au jour de natures ou de qualités qui n'étaient pas manifestées. Le fruit de la pensée est une production, celui de l'idée est une création.
    (Carnets t.1, p.247, nrf/Gallimard, 1994)
     
  105. Je n'aimerais point à avoir pour hôte des gens qui ne seraient pas mieux chez moi que chez eux (s'ils sont mes voisins) ou qu'à l'auberge (s'ils voyagent).
    (Carnets t.1, p.252, nrf/Gallimard, 1994)
     
  106. Il est impossible d'aimer deux fois la même personne.
    (Carnets t.1, p.253, nrf/Gallimard, 1994)
     
  107. Disposition à croire ce qu'on entend dire : indice d'un bon naturel.
    (Carnets t.1, p.254, nrf/Gallimard, 1994)
     
  108. Le curieux vraiment curieux est sage. Ami sincère de la vérité, il n'aime qu'elle, et quand il sait d'une obscurité qu'elle est vraiment impénétrable, il n'y cherche point la lumière. Il ne s'arrête point à l'entour. Il ne veut point y pénétrer ni y faire pénétrer les autres. Il ménage leur esprit et le sien. Il se détourne et vole ailleurs.
    (Carnets t.1, p.256, nrf/Gallimard, 1994)
     
  109. Penser ce que l'on ne sent pas, c'est mentir à soi-même, comme l'on ment aux autres lorsqu'on leur dit ce qu'on pense ne pas. Tout ce qu'on pense, il faut le penser avec son être tout entier, âme et corps.
    (Carnets t.1, p.258, nrf/Gallimard, 1994)
     
  110. Les mots sont les corps des pensées.
    (Carnets t.1, p.260, nrf/Gallimard, 1994)
     
  111. Quand les enfants demandent une explication, qu'on le leur donne et qu'ils ne l'entendent pas, ils s'en contentent néanmoins et leur esprit est en repos. Et cependant qu'ont-ils appris ? Ils ont appris que ce qu'ils ne voulaient plus ignorer est très difficile à connaître, et cela même est un savoir. Ils attendent, ils patientent, et avec raison.
    (Carnets t.1, p.266, nrf/Gallimard, 1994)
     
  112. Ce n'est pas assez de faire entendre ce qu'on dit, il faut encore le faire voir. Il faut que la mémoire, l'intelligence et l'imagination s'en accommodent également.
    (Carnets t.1, p.267, nrf/Gallimard, 1994)
     
  113. La mémoire. - C'est une glace qui retient, et retient à jamais. Rien ne s'y perd, ne s'y efface. Mais elle se ternit. On n'y voit rien.
    (Carnets t.1, p.267, nrf/Gallimard, 1994)
     
  114. Newton. Il n'est pas plus vrai qu'il a découvert le système du monde, qu'il est vrai que celui qui a mis au net les comptes de l'administration a découvert un système de gouvernement.
    (Carnets t.1, p.269, nrf/Gallimard, 1994)
     
  115. Je me sers des ailes que vous m'avez données pour m'élever à vous.
    (Carnets t.1, p.274, nrf/Gallimard, 1994)
     
  116. Tout talent a pour cause, pour principe, pour substance et pour essence la capacité d'être plus ou moins attentif.
    (Carnets t.1, p.274, nrf/Gallimard, 1994)
     
  117. Ce qui se communique. - Que la chaleur de l'enthousiasme est indispensable à toutes les instructions dont on veut que l'âme des enfants puisse être pénétrée. Il faut qu'un maître ait de ce qui se communique.
    (Carnets t.1, p.276, nrf/Gallimard, 1994)
     
  118. Les gens trop sensibles se rendent souvent très à plaindre en se persuadant qu'il n'est pour eux qu'une seule manière d'être heureux, tandis que s'ils voulaient se donner la peine de les chercher ils en trouveraient cinquante qui leur réussiraient aussi bien.
    (Carnets t.1, p.277, nrf/Gallimard, 1994)
     
  119. Il faut dire ce qu'on pense pour être content de soi et de ce qu'on dit. Mais pour être éloquent, fécond, varié, abondant, et en un mot un orateur, il suffit et peut-être il est nécessaire de n'avoir à dire que ce qu'on pense à demi, vaguement, depuis peu et à l'instant même où l'on parle. Car la chaleur des pensées vient de leur nouveauté, leur abondance vient des indécisions même de l'esprit. Le sage (c'est-à-dire celui qui ne met au grand jour que ce qu'il a mûri) le sage, dis-je, peut être éloquent comme un oracle, mais il ne sera jamais disert comme Cicéron. Pour faire en ce genre facilement de beaux discours, il faut faire sur soi-même ce qu'on veut faire sur son auditeur, c'est-à-dire se persuader à proportion qu'on parle de la vérité de ce qu'on dit.
    (Carnets t.1, p.278, nrf/Gallimard, 1994)
     
  120. Il faut que l'esprit séjourne dans une lecture pour bien connaître un auteur.
    (Carnets t.1, p.279, nrf/Gallimard, 1994)
     
  121. L'esprit est un feu dont la pensée est la flamme.
    (Carnets t.1, p.281, nrf/Gallimard, 1994)
     
  122. Tout passé est si court !
    (Carnets t.1, p.282, nrf/Gallimard, 1994)
     
  123. Comment il se fait que ce n'est qu'en cherchant les mots qu'on trouve les pensées.
    (Carnets t.1, p.282, nrf/Gallimard, 1994)
     
  124. Laissons dire et laissons croire à l'orgueil humain ; il a besoin de ses fantômes.
    (Carnets t.1, p.282, nrf/Gallimard, 1994)
     
  125. Il est naturel d'imiter ceux qu'on craint et qu'on veut flatter.
    (Carnets t.1, p.286, nrf/Gallimard, 1994)
     
  126. Il faut souvent effacer sur le papier tout ce qu'on n'a pas souvent effacé au dedans de sa tête.
    (Carnets t.1, p.287, nrf/Gallimard, 1994)
     
  127. Prévoir avec force, c'est voir. Ce qu'on prévoit ainsi se rend présent.
    (Carnets t.1, p.287, nrf/Gallimard, 1994)
     
  128. L'esprit... dernière ceinture du monde.
    (Carnets t.1, p.289, nrf/Gallimard, 1994)
     
  129. Il y en a à qui il faudrait conseiller la folie.
    (Carnets t.1, p.289, nrf/Gallimard, 1994)
     
  130. Semblables à ces jeunes gens qui, au lieu de chercher à comprendre, cherchent à juger.
    (Carnets t.1, p.292, nrf/Gallimard, 1994)
     
  131. ... mourir vivant, c'est-à-dire rempli des projets de la vie. Il faut mourir mourant.
    (Carnets t.1, p.292, nrf/Gallimard, 1994)
     
  132. Celui qui rougit commence à se corriger.
    (Carnets t.1, p.297, nrf/Gallimard, 1994)
     
  133. Le raisonnement n'est bon que dans les matières où nous ne voyons goutte. C'est le vrai bâton de l'aveugle.
    (Carnets t.1, p.298, nrf/Gallimard, 1994)
     
  134. Il ne faut pas forcer à nous écouter trop longtemps ceux qui ne peuvent pas nous fuir.
    (Carnets t.1, p.299, nrf/Gallimard, 1994)
     
  135. Il faut traiter nos vies comme nous traitons nos écrits, mettre en accord, en harmonie le milieu, la fin et le commencement. Nous avons besoin pour cela d'y faire beaucoup d'effaçures.
    (Carnets t.1, p.303, nrf/Gallimard, 1994)
     
  136. Avoir de la vertu, c'est savoir bien faire sans que l'imagination nous y porte et s'abstenir de faire mal quoique la passion nous y pousse.
    (Carnets t.1, p.306, nrf/Gallimard, 1994)
     
  137. Le beau, c'est l'intelligence rendue sensible.
    (Carnets t.1, p.307, nrf/Gallimard, 1994)
     
  138. Le pédantisme consiste à parler aux autres de ce qu'on sait et de ce qu'ils ne savent pas, pour leur imposer par là et en faire parade.
    (Carnets t.1, p.316, nrf/Gallimard, 1994)
     
  139. Toute religion est auguste quand tout le monde y croit. C'est l'incrédulité seule qui rend ridicule le merveilleux.
    (Carnets t.1, p.319, nrf/Gallimard, 1994)
     
  140. Le vrai philosophe est celui qui ne se borne pas à l'être, mais qui est également propre à être épris des vérités solides et des vérités incertaines.
    (Carnets t.1, p.323, nrf/Gallimard, 1994)
     
  141. ... Ils aiment mieux qu'on le leur donne à croire qu'à comprendre.
    (Carnets t.1, p.325, nrf/Gallimard, 1994)
     
  142. La parole en effet n'est que la pensée incorporée.
    (Carnets t.1, p.325, nrf/Gallimard, 1994)
     
  143. Le grand bienfait de la religion est d'empêcher l'homme d'être superstitieux.
    (Carnets t.1, p.326, nrf/Gallimard, 1994)
     
  144. Il n'y a dans ce que les hommes ont pensé que quelques sommets, quelques points élevés et dominants. Le reste n'est que leur échelle, échelle que le temps a mis en pièces ; et les pièces en sont perdues, anéanties.
    (Carnets t.1, p.326, nrf/Gallimard, 1994)
     
  145. Il serait difficile de vivre méprisé et d'être vertueux. Nous avons besoin de support.
    (Carnets t.1, p.332, nrf/Gallimard, 1994)
     
  146. Enfants. Ont plus besoin de modèles que de critiques.
    (Carnets t.1, p.332, nrf/Gallimard, 1994)
     
  147. Voltaire. Esprit qui ne se reposait jamais.
    (Carnets t.1, p.334, nrf/Gallimard, 1994)
     
  148. La mort ne ressemble pas à la vie ni le mécanisme au mouvement. Si vous voulez donner de l'homme et du monde une idée exacte et claire, rendez-les transparents, mais ne les disséquez pas.
    (Carnets t.1, p.336, nrf/Gallimard, 1994)
     
  149. La comparaison est une espèce de conjecture.
    (Carnets t.1, p.340, nrf/Gallimard, 1994)
     
  150. On enfle sa voix (dit Montaigne). On enfle aussi sa croyance et sa sincérité.
    (Carnets t.1, p.342, nrf/Gallimard, 1994)
     
  151. Il n'a fallu qu'un grain de matière pour créer le monde. Mais il fallait un monde entier pour créer une âme.
    (Carnets t.1, p.344, nrf/Gallimard, 1994)
     
  152. Celui qui a l'idée abstraite d'une chose la comprend ; mais celui-là seul la fait comprendre qui peut la rendre imaginable.
    (Carnets t.1, p.345, nrf/Gallimard, 1994)
     
  153. Décernez aux chefs des honneurs, mais revêtez-en les soldats.
    (Carnets t.1, p.362, nrf/Gallimard, 1994)
     
  154. La politesse est l'art de s'ennuyer sans ennui ou (si vous l'aimez mieux) de supporter l'ennui sans s'ennuyer.
    (Carnets t.1, p.363, nrf/Gallimard, 1994)
     
  155. L'esprit. Il se fatigue et il s'épuise à courir après des lueurs.
    (Carnets t.1, p.364, nrf/Gallimard, 1994)
     
  156. Toute vérité n'est pas bonne à dire. Car étant dite seule et isolée elle peut conduire à l'erreur et à de fausses conséquences. Mais toutes les vérités seraient bonnes à dire si on les disait ensemble et si on avait une égale facilité de les persuader toutes à la fois.
    (Carnets t.1, p.367, nrf/Gallimard, 1994)
     
  157. Le chant doit être au parler ce que les vers sont à la prose.
    (Carnets t.1, p.369, nrf/Gallimard, 1994)
     
  158. Ne confondons pas ce qui n'est qu'intelligible, c'est à dire facile à entendre avec ce qui est clair.
    (Carnets t.1, p.375, nrf/Gallimard, 1994)
     
  159. [...] n'écris donc pas, si tu n'excelles et, pour exceller, écris peu.
    (Carnets t.1, p.377, nrf/Gallimard, 1994)
     
  160. Marchons nous mieux en apprenant comment s'opère l'équilibre en général ? Mais celui qui nous dit comment il s'opère en nous, nous aide à l'observer. Et celui qui perfectionne nos membres, notre force, notre santé, notre constitution, nous le donne.
    (Carnets t.1, p.378, nrf/Gallimard, 1994)
     
  161. Nos idées se composent d'ombres et de clartés, d'obscurités et de lumières comme nos peintures. - De sorte qu'on pourrait dire que nos idées les plus subtiles se forment par évaporation, opération qui n'a jamais lieu en certains esprits.
    (Carnets t.1, p.387, nrf/Gallimard, 1994)
     
  162. La logique est à la grammaire ce que le sens est au son dans les mots.
    (Carnets t.1, p.392, nrf/Gallimard, 1994)
     
  163. Savoir, c'est voir en soi.
    (Carnets t.1, p.396, nrf/Gallimard, 1994)
     
  164. L'écrivain doit se rendre semblable au peintre. Le peintre considère son modèle trait par trait, mais c'est l'ensemble qu'il en montre. Ce n'est pas rayon par rayon, mais par faisceaux, que la lumière nous éclaire.
    (Carnets t.1, p.400, nrf/Gallimard, 1994)
     
  165. Le talent poétique naît dans les âmes de l'impuissance de raisonner.
    (Carnets t.1, p.403, nrf/Gallimard, 1994)
     
  166. Ferme les yeux et tu verras.
    (Carnets t.1, p.404, nrf/Gallimard, 1994)
     
  167. Ne pas confondre ce qui n'est qu'une chose vraie avec ce qui est la vérité. Les distinguer soigneusement.
    (Carnets t.1, p.406, nrf/Gallimard, 1994)
     
  168. Des livres où l'on trouve tout, - et qu'on ne trouve guère dans un livre que ce qu'on y met ; mais les beaux livres sont ceux où l'esprit trouve une place où il peut mettre beaucoup de choses.
    (Carnets t.1, p.406, nrf/Gallimard, 1994)
     
  169. Tout ce qu'enseigne la géométrie n'est vrai que pour celui qui l'a appris.
    (Carnets t.1, p.409, nrf/Gallimard, 1994)
     
  170. La politesse est à la bonté ce que les paroles sont à la pensée.
    (Carnets t.1, p.410, nrf/Gallimard, 1994)
     
  171. [...] la creuse raisonnaillerie.
    (Carnets t.1, p.412, nrf/Gallimard, 1994)
     
  172. On ne persuade aux hommes que ce qu'ils veulent. Il ne s'agit donc pour les dissuader que de leur faire voir que ce qu'ils veulent en effet n'est pas ce qu'ils pensent vouloir.
    (Carnets t.1, p.414, nrf/Gallimard, 1994)
     
  173. Tout ce qui est beau est indéterminé.
    (Carnets t.1, p.425, nrf/Gallimard, 1994)
     
  174. La religion défend de croire au delà de ce qu'elle enseigne.
    (Carnets t.1, p.427, nrf/Gallimard, 1994)
     
  175. Ne choisir pour son épouse que la femme qu'on choisirait pour ami si elle était homme.
    (Carnets t.1, p.429, nrf/Gallimard, 1994)
     
  176. Deux sortes d'éloquence. Celle qui tend à communiquer nos enthousiasmes et celle qui tend à communiquer nos passions. Dans l'une, tout vise au repos et à la lumière ; tout dans l'autre tend au contraire à l'ardeur, et au mouvement.
    (Carnets t.1, p.429, nrf/Gallimard, 1994)
     
  177. Il me semble beaucoup plus difficile d'être un moderne que d'être un ancien.
    (Carnets t.1, p.438, nrf/Gallimard, 1994)
     
  178. Tous les êtres viennent de peu, et il s'en faut de peu qu'ils ne viennent de rien.
    (Carnets t.1, p.443, nrf/Gallimard, 1994)
     
  179. Pour bien entendre une belle et grande pensée, il faut peut-être autant de temps que pour l'avoir, la concevoir. S'en pénétrer ou la produire sont presque une même action.
    (Carnets t.1, p.443, nrf/Gallimard, 1994)
     
  180. Quand je luis... je perds mon huile.
    (Carnets t.1, p.447, nrf/Gallimard, 1994)
     
  181. Il faut que les pensées s'entresuivent et se lient, comme les sons dans la musique, par leur seul rapport - harmonie - et non comme les chaînons d'une chaîne, comme des perles enfilées.
    (Carnets t.1, p.451, nrf/Gallimard, 1994)
     
  182. Il est bon, il est beau que les pensées rayonnent, mais il ne faut pas qu'elles étincèlent : si ce n'est fort rarement. Qu'elles reluisent est le meilleur.
    (Carnets t.1, p.454, nrf/Gallimard, 1994)
     
  183. Les scrupuleux font rarement de grandes choses.
    (Carnets t.1, p.455, nrf/Gallimard, 1994)
     
  184. On ne sait bien quoi que ce soit que lorsque l'on le sait après l'avoir appris il y a longtemps.
    (Carnets t.1, p.456, nrf/Gallimard, 1994)
     
  185. Cela est vrai, un roi sans religion paraît toujours un tyran.
    (Carnets t.1, p.457, nrf/Gallimard, 1994)
     
  186. Parler plus bas pour se faire mieux écouter d'un public sourd.
    (Carnets t.1, p.472, nrf/Gallimard, 1994)
     
  187. [...] en chassant les dieux, on agrandit le monde.
    (Carnets t.1, p.479, nrf/Gallimard, 1994)
     
  188. N'est pas heureux qui ne veut l'être.
    (Carnets t.1, p.480, nrf/Gallimard, 1994)
     
  189. La peur nourrit l'imagination.
    (Carnets t.1, p.482, nrf/Gallimard, 1994)
     
  190. Tout excès est défaut.
    (Carnets t.1, p.489, nrf/Gallimard, 1994)
     
  191. Réfléchir est un des travaux de la vie, un moyen d'arriver, un chemin, un passage, et non pas un centre. Tout tend sans cesse à sa dernière destination. Connaître et être connu, voilà les deux points de repos. Tel sera le bonheur des âmes.
    (Carnets t.1, p.496, nrf/Gallimard, 1994)
     
  192. Sotte erreur n'est pas dangereuse, mais les erreurs ingénieuses. Tout ce qui n'a aucun danger n'est digne d'aucune attaque.
    (Carnets t.1, p.497, nrf/Gallimard, 1994)
     
  193. La volonté est à notre âme ce qu'est le coeur à notre corps.
    (Carnets t.1, p.513, nrf/Gallimard, 1994)
     
  194. Règle générale : joignez la pensée à l'image, mais ne les mêlez pas, de peur que l'une n'affaiblisse l'autre.
    (Carnets t.1, p.516, nrf/Gallimard, 1994)
     
  195. Oui, il entre inévitablement dans la composition de tout bonheur parfait l'idée de l'avoir mérité.
    (Carnets t.1, p.517, nrf/Gallimard, 1994)
     
  196. En effet je ressemble en beaucoup de choses au papillon. Comme lui j'aime la lumière, comme lui j'y brûle ma vie, comme lui j'ai besoin pour déployer mes ailes que dans la société il fasse beau autour de moi et que mon esprit s'y sente environné et comme pénétré d'une douce température, celle de l'indulgence. J'ai besoin que les regards de la faveur luisent sur moi.
    (Carnets t.1, p.518, nrf/Gallimard, 1994)
     
  197. Rien n'est pire au monde qu'un ouvrage médiocre qui fait semblant d'être excellent.
    (Carnets t.1, p.519, nrf/Gallimard, 1994)
     
  198. Choisir, et l'embarras du choix. Rien n'est plus important et plus pénible dans l'art d'écrire.
    (Carnets t.1, p.523, nrf/Gallimard, 1994)
     
  199. Toute perfection est lente ; tout ce qui est mûr a mûri lentement.
    (Carnets t.1, p.526, nrf/Gallimard, 1994)
     
  200. Les dettes abrègent la vie.
    (Carnets t.1, p.527, nrf/Gallimard, 1994)
     
  201. Les pensées qui nous viennent valent mieux que celles qu'on trouve.
    (Carnets t.1, p.528, nrf/Gallimard, 1994)
     
  202. Il faut toujours qu'une idée et même un sentiment paraissent sortir du sein, du fonds et comme des entrailles de plusieurs autres.
    (Carnets t.1, p.531, nrf/Gallimard, 1994)
     
  203. Il y a toujours, dans un mauvais auteur, le commencement, le quart, le milieu d'un grand écrivain.
    (Carnets t.1, p.532, nrf/Gallimard, 1994)
     
  204. Les très bons écrivains écrivent peu parce qu'il faut beaucoup de temps pour réduire en beauté leur abondance ou leur richesse.
    (Carnets t.1, p.538, nrf/Gallimard, 1994)
     
  205. Ni tous les rossignols ne chantent également bien, ni toutes les roses ne sentent également bon.
    (Carnets t.1, p.544, nrf/Gallimard, 1994)
     
  206. Découper ce qu'on pense est bien fait. Mais il ne faut pas découper son sujet avant d'y avoir pensé. C'est là ce qui est un défaut, et un défaut propre à décrier la découpure.
    (Carnets t.1, p.544, nrf/Gallimard, 1994)
     
  207. Il ne faudrait jamais chercher à résoudre une question par le côté qui la montre difficile. En ce cas, cherchez un de ses autres aspects et tournez-là ou faites-en le tour.
    (Carnets t.1, p.545, nrf/Gallimard, 1994)
     
  208. La musique a sept lettres, l'écriture a vingt-cinq notes.
    (Carnets t.1, p.547, nrf/Gallimard, 1994)
     
  209. Quiconque ne s'est pas observé lui-même porte en soi une expérience qu'il ignore.
    (Carnets t.1, p.558, nrf/Gallimard, 1994)
     
  210. La vie est un devoir dont il faudrait tâcher de se faire un plaisir, comme de tous nos autres devoirs.
    (Carnets t.1, p.559, nrf/Gallimard, 1994)
     
  211. [Il] a dans l'esprit comme dans la voix une extinction perpétuelle.
    (Carnets t.1, p.560, nrf/Gallimard, 1994)
     
  212. J'ai de la peine à quitter Paris parce qu'il faut me séparer de mes amis ; et de la peine à quitter la campagne parce qu'alors il faut me séparer de moi.
    (Carnets t.1, p.562, nrf/Gallimard, 1994)
     
  213. On a beau faire, la première question de l'homme est toujours " qu'est-ce que cela ? " " À quoi bon ? " n'est que la seconde. Tant notre besoin essentiel est de connaître et tant acquérir des idées est notre grande ambition.
    (Carnets t.1, p.566, nrf/Gallimard, 1994)
     
  214. Plutarque dit qu' " il faut écouter... préparé ".
    (Carnets t.1, p.570, nrf/Gallimard, 1994)
     
  215. C'est l'orgueil qui fait le sophiste, la bonne foi fait le savant.
    (Carnets t.1, p.571, nrf/Gallimard, 1994)
     
  216. En effet, les idées claires servent à parler ; mais c'est presque toujours pour quelque idée confuse que nous agissons. C'est elles qui mènent la vie.
    (Carnets t.1, p.572, nrf/Gallimard, 1994)
     
  217. Parler est une source d'erreurs, peut-être aussi de quelques vérités. La parole a des ailes. Elle porte où l'on n'irait pas. Nécessité de discourir, nécessité d'en trop dire, de surabonder.
    (Carnets t.1, p.576, nrf/Gallimard, 1994)
     
  218. L'art n'est que du naturel perfectionné.
    (Carnets t.1, p.585, nrf/Gallimard, 1994)
     
  219. C'est une clef ; qu'elle soit d'or ou de fer, qu'importe ? elle est propre à ouvrir.
    (Carnets t.1, p.598, nrf/Gallimard, 1994)
     
  220. Tout ce qui est exact est court.
    (Carnets t.1, p.603, nrf/Gallimard, 1994)
     
  221. Ce qu'on cherche surtout dans les livres sans s'en apercevoir, ce sont des mots propres à exprimer nos propres pensées.
    (Carnets t.1, p.616, nrf/Gallimard, 1994)
     
  222. Les mathématiques, cette demi métaphysique (car l'esprit y opère sur des rapports qu'il conçoit comme dans la première de ces sciences sur des substances qu'il imagine).
    (Carnets t.1, p.617, nrf/Gallimard, 1994)
     
  223. Toute preuve excellente doit naître de l'explication, et toute excellente explication produit la preuve.
    (Carnets t.1, p.620, nrf/Gallimard, 1994)
     
  224. Il faut que le coeur marche avant l'esprit et l'indulgence avant la vérité.
    (Carnets t.1, p.622, nrf/Gallimard, 1994)
     
  225. Un des plus sûrs moyens de tuer un arbre est de le déchausser et d'en faire voir les racines. De même des institutions. Celles que l'on veut conserver, il ne faut pas trop en désenterrer l'origine. Tout commencement est petit.
    (Carnets t.1, p.624, nrf/Gallimard, 1994)
     
  226. Le poli et le fini est au style ce que le vernis est aux tableaux. Il les conserve, les fait durer, les éternise en quelque sorte.
    (Carnets t.1, p.630, nrf/Gallimard, 1994)
     
  227. Dans les plaisirs, la modération ne suffit pas ; il faut le choix. Le licite.
    (Carnets t.1, p.636, nrf/Gallimard, 1994)
     
  228. Il faut agir tant que l'on vit. Mais quoi ? faut-il agir à la fin de la vie comme au milieu ou au commencement. À cette époque, notre action ne doit-elle pas être dirigée autrement que dans d'autres temps ? Faut-il agir pour ce qui fuit ou pour ce qui s'approche ?
    (Carnets t.1, p.641, nrf/Gallimard, 1994)
     
  229. Quand on écrit avec facilité, on croit toujours avoir plus de talent qu'on n'en a.
    (Carnets t.1, p.643, nrf/Gallimard, 1994)
     
  230. Il en est de la métaphysique comme des religions. Personne (ou chacun) n'aime que la sienne.
    (Carnets t.1, p.643, nrf/Gallimard, 1994)
     
  231. L'or est le soleil des métaux.
    (Carnets t.1, p.650, nrf/Gallimard, 1994)
     
  232. Et peut-être on ne parle jamais si bien que lorsqu'on ne sait pas parfaitement ce qu'on va dire.
    (Carnets t.1, p.650, nrf/Gallimard, 1994)
     
  233. Nous trouvons éloquent, dans les livres, non seulement tout ce qui augmente nos passions, mais aussi tout ce qui augmente nos opinions.
    (Carnets t.1, p.651, nrf/Gallimard, 1994)
     
  234. La vérité ressemble au ciel ; et l'opinion à des nuages.
    (Carnets t.1, p.653, nrf/Gallimard, 1994)
     
  235. Le coeur est à l'âme ce que le sexe est au corps : c'est l'organe de son amour.
    (Carnets t.1, p.656, nrf/Gallimard, 1994)
     
  236. Comme les crimes ont multiplié des lois, les erreurs ont multiplié les explications.
    (Carnets t.1, p.656, nrf/Gallimard, 1994)
     
  237. Ces pensées qui nous viennent subitement et qui ne sont pas encore à nous.
    (Carnets t.2, p.8, nrf/Gallimard, 1994)
     
  238. Dans les belles traductions il faut, comme dans les empreintes d'un cachet, quand elles sont fidèles, le relief en creux, le creux en relief.
    (Carnets t.2, p.12, nrf/Gallimard, 1994)
     
  239. Gloire. Plus belle à désirer qu'à posséder.
    (Carnets t.2, p.15, nrf/Gallimard, 1994)
     
  240. Il ne faut jamais regretter le temps qui a été nécessaire pour bien faire ce qu'on a fait.
    (Carnets t.2, p.20, nrf/Gallimard, 1994)
     
  241. Qui ne contente pas son propre esprit, dans ce qui dépend de l'esprit, ne contentera jamais parfaitement l'esprit des autres.
    (Carnets t.2, p.20, nrf/Gallimard, 1994)
     
  242. Faites que ce qui est vice chez les autres soit chez vous une qualité.
    (Carnets t.2, p.20, nrf/Gallimard, 1994)
     
  243. Toutes les choses qui sont aisées à bien dire ont été parfaitement dites.
    (Carnets t.2, p.20, nrf/Gallimard, 1994)
     
  244. Ils les roulent longtemps dans leur pensée, et les mots se sentent du lieu où ils ont séjourné.
    (Carnets t.2, p.21, nrf/Gallimard, 1994)
     
  245. Dieu, seul miroir où l'on puisse se connaître. Dans tous les autres on ne fait que se voir.
    (Carnets t.2, p.31, nrf/Gallimard, 1994)
     
  246. L'exception vient toujours de la raison de la règle.
    (Carnets t.2, p.34, nrf/Gallimard, 1994)
     
  247. Toute réflexion est art.
    (Carnets t.2, p.45, nrf/Gallimard, 1994)
     
  248. On peut avancer longtemps dans la vie sans y vieillir.
    (Carnets t.2, p.47, nrf/Gallimard, 1994)
     
  249. En morale, en littérature, les erreurs d'optique sont produites par l'irréflexion.
    (Carnets t.2, p.49, nrf/Gallimard, 1994)
     
  250. ... est pour moi un aimant qui a perdu ses attractions.
    Son magnétisme : un nuage qu'on aurait déflogistiqué.

    (Carnets t.2, p.54, nrf/Gallimard, 1994)
     
  251. Nos défauts nous rendent attentifs à ceux des autres. Nous comparant sans cesse à eux, nous ne songeons point aux côtés qui ne leur sont pas communs avec nous.
    (Carnets t.2, p.58, nrf/Gallimard, 1994)
     
  252. Ce que l'homme ne connaît que par sentiment, on ne peut l'expliquer que par l'enthousiasme.
    (Carnets t.2, p.81, nrf/Gallimard, 1994)
     
  253. Quiconque n'est jamais dupe n'est pas ami.
    (Carnets t.2, p.87, nrf/Gallimard, 1994)
     
  254. Pour bien exprimer leurs pensées, il faut que les uns dilatent leur esprit et que les autres le contractent.
    (Carnets t.2, p.95, nrf/Gallimard, 1994)
     
  255. Rien ne plaît tant dans une phrase que lorsque, par sa contexture, un des mots indique la cause dont un autre a marqué l'effet.
    (Carnets t.2, p.96, nrf/Gallimard, 1994)
     
  256. Il n'y a d'idées proprement nécessaire dans le monde que celles dont tout le monde a.
    (Carnets t.2, p.99, nrf/Gallimard, 1994)
     
  257. La grande affaire de l'homme c'est la vie, et la grande affaire de la vie c'est la mort.
    (Carnets t.2, p.100, nrf/Gallimard, 1994)
     
  258. La vie entière est employée à s'occuper des autres : nous en passons une moitié à les aimer, l'autre moitié à en médire.
    (Carnets t.2, p.100, nrf/Gallimard, 1994)
     
  259. Pour descendre en nous-même, il faut d'abord nous élever.
    (Carnets t.2, p.102, nrf/Gallimard, 1994)
     
  260. Les illusions viennent du ciel et les erreurs viennent de nous.
    (Carnets t.2, p.103, nrf/Gallimard, 1994)
     
  261. Il y a aujourd'hui dans le monde trop de pensées, et pas assez de grandes pensées.
    (Carnets t.2, p.106, nrf/Gallimard, 1994)
     
  262. Que la comédie doit s'abstenir de montrer ce qui est odieux.
    (Carnets t.2, p.111, nrf/Gallimard, 1994)
     
  263. Le marbre est de l'air concentré. J'appellerai le diamant de la lumière condensée. Le monde est un point boursouflé.
    (Carnets t.2, p.111, nrf/Gallimard, 1994)
     
  264. La peine de la dispute en excède de bien loin l'utilité. Toute contestation rend l'esprit sourd  et, quand on est sourd, je suis muet.
    (Carnets t.2, p.112, nrf/Gallimard, 1994)
     
  265. La vogue est à la réputation ce qu'un catafalque est à un mausolée.
    (Carnets t.2, p.112, nrf/Gallimard, 1994)
     
  266. Le mot de Mr Dubut : " L'amour est une curiosité et la constance une paresse. " Cela ressemble à l'amour et à la paresse de beaucoup de gens.
    (Carnets t.2, p.113, nrf/Gallimard, 1994)
     
  267. De la patience. Nécessaire pour avoir du plaisir quand on lit (ou quand on regarde) et pour avoir raison quand on juge, et pour bien faire quand on agit, soit qu'on veuille inventer ou mettre en oeuvre.
    (Carnets t.2, p.113, nrf/Gallimard, 1994)
     
  268. Pour procéder par l'analyse, il faut une lenteur et une patience dont tous les bons esprits ne sont pas susceptibles. Pour procéder par la synthèse, il faut une rapidité d'observation et une puissance de pénétration dont tout le monde n'est pas capable. On peut dresser à l'analyse par des exemples, mais on n'apprend point la synthèse. Quiconque n'en est pas né capable ne le devient pas. L'analyse est commode pour tous les professeurs. Mais elle n'est point utile à tous les écoliers. Il est des esprits qui sont nés pour une autre allure. On les retarde ; on les disloque quand on les force à ces retardements.
    (Carnets t.2, p.113, nrf/Gallimard, 1994)
     
  269. Tout ce qui est brillant et qui passe devant les yeux sans donner le temps de le regarder éblouit. Il faut que l'ombre succède à l'éclair, pour être supportable.
    (Carnets t.2, p.118, nrf/Gallimard, 1994)
     
  270. Quand mes amis sont borgnes, je les regarde de profil.
    (Carnets t.2, p.119, nrf/Gallimard, 1994)
     
  271. La facilité est ennemie des grandes choses.
    (Carnets t.2, p.121, nrf/Gallimard, 1994)
     
  272. Elle a de l'enthousiasme dans la voix. Et il en faut, dans la couleur pour être grand peintre, dans les sons pour être grand musicien, et dans les mots pour être grand écrivain. Mais il faut que cet enthousiasme soit caché et presque insensible. C'est cet enthousiasme qui fait ce qu'on appelle le charme.
    (Carnets t.2, p.121, nrf/Gallimard, 1994)
     
  273. Quand on aime, c'est le coeur qui juge.
    (Carnets t.2, p.122, nrf/Gallimard, 1994)
     
  274. Si on veut en bien juger, il ne faut pas voir les choses basses de trop haut, ni les choses hautes de trop bas.
    (Carnets t.2, p.128, nrf/Gallimard, 1994)
     
  275. Appelons donc hommes de génie ceux qui font vite ce que nous faisons lentement.
    (Carnets t.2, p.133, nrf/Gallimard, 1994)
     
  276. " C'est sortir de la question ", dites-vous ? Oui, mais ce n'est pas sortir du sujet. Or, c'est le sujet qui est important dans la question.
    (Carnets t.2, p.134, nrf/Gallimard, 1994)
     
  277. Des mots qui riment avec eux-mêmes, comme pourtour.
    (Carnets t.2, p.135, nrf/Gallimard, 1994)
     
  278. Ceux qui ne se rétractent jamais s'aiment plus que la vérité.
    (Carnets t.2, p.138, nrf/Gallimard, 1994)
     
  279. Il y a deux manières d'être sublime. On l'est par ses idées ou par ses sentiments. Dans ce second état, on a des paroles de feu qui pénètrent et qui entraînent. Dans le premier, on n'a que des paroles de lumière qui échauffent peu, mais qui ravissent.
    (Carnets t.2, p.139, nrf/Gallimard, 1994)
     
  280. Du centre, il faut apercevoir le cercle.
    (Carnets t.2, p.139, nrf/Gallimard, 1994)
     
  281. Le commérage est de ce qui se passe et non de ce qui est. C'est une curiosité qui roule dans un petit cercle et n'en sort pas ; c'est une recherche des faits pour en parler, et non pas pour en rien conclure.
    (Carnets t.2, p.140, nrf/Gallimard, 1994)
     
  282. Tous les jardiniers habitent de beaux lieux parce qu'ils les rendent tels.
    (Carnets t.2, p.140, nrf/Gallimard, 1994)
     
  283. Cette disposition à ne vivre qu'avec son propre coeur et ses illusions n'est autre chose qu'une crapule délicate.
    (Carnets t.2, p.144, nrf/Gallimard, 1994)
     
  284. Il faut qu'il y ait plusieurs voix ensemble dans une voix pour qu'elle soit belle. Et plusieurs significations dans un mot pour qu'il soit beau.
    (Carnets t.2, p.146, nrf/Gallimard, 1994)
     
  285. La clarté seule devrait suffire pour rendre heureux.
    (Carnets t.2, p.146, nrf/Gallimard, 1994)
     
  286. Mémoire, méthode. Il y a des esprits dont l'attention est toujours dirigée en dehors et devant leurs yeux et d'autres qui regardent toujours en arrière et dans leur cerveau. Aux premiers, il faut des figures, des tableaux synoptiques (comme on dit), des machines. Il faut laisser arranger aux autres dans leur propre tête et selon leur fantaisie ce qu'ils doivent retenir. Donner leurs traits et les faits, cela suffit.
    (Carnets t.2, p.147, nrf/Gallimard, 1994)
     
  287. Ceux qui en toutes choses ont des opinions qui ne peuvent ni croître ni diminuer et sur lesquelles personne ne peut opérer aucun changement, - combien ils sont peu propres à la société.
    (Carnets t.2, p.149, nrf/Gallimard, 1994)
     
  288. Le beau est à la vérité ce que les couleurs sont à la lumière.
    (Carnets t.2, p.150, nrf/Gallimard, 1994)
     
  289. Si, quand une pierre tombe, Dieu l'aide à tomber.
    (Carnets t.2, p.151, nrf/Gallimard, 1994)
     
  290. Il y a des vérités qu'on a besoin de colorer pour les rendre visibles. Tout ce qui tient à l'imagination surtout ne peut avoir d'existence extérieure que par les formes et les couleurs.
    (Carnets t.2, p.156, nrf/Gallimard, 1994)
     
  291. Ce n'est pas la volonté et le talent tout seuls qui font faire de beaux ouvrages : il faut encore l'occasion.
    (Carnets t.2, p.159, nrf/Gallimard, 1994)
     
  292. J'ai besoin d'huiler mon cerveau.
    (Carnets t.2, p.159, nrf/Gallimard, 1994)
     
  293. Que ce qui vous est promis en songe arrive en songe !
    (Carnets t.2, p.166, nrf/Gallimard, 1994)
     
  294. Ceux qui ont du jugement l'exercent aussi bien en jugeant des pierres qu'en jugeant des hommes.
    (Carnets t.2, p.167, nrf/Gallimard, 1994)
     
  295. La beauté est quelque chose d'animal, le beau est quelque chose de céleste.
    (Carnets t.2, p.169, nrf/Gallimard, 1994)
     
  296. Imaginez des corps lumineux et voyants. Tels sont les esprits qu'on appelle ingénieux. Il sort d'eux des rayons qui, en tombant sur les objets qu'ils examinent, les leur font voir plus clairement.
    (Carnets t.2, p.173, nrf/Gallimard, 1994)
     
  297. Le chant est au parler ce que le son est au bruit.
    (Carnets t.2, p.174, nrf/Gallimard, 1994)
     
  298. Il n'y a que nos passions et nos pensées qui nous fassent comprendre celles des autres.
    (Carnets t.2, p.176, nrf/Gallimard, 1994)
     
  299. Le méchant est celui qui aperçoit le mal avec plaisir partout où il est à faire ou à découvrir.
    (Carnets t.2, p.176, nrf/Gallimard, 1994)
     
  300. Ce sont toujours nos impuissances qui nous irritent.
    (Carnets t.2, p.179, nrf/Gallimard, 1994)
     
  301. Tout rayon qui outre-passe et n'est pas réfléchi n'éclaire point.
    (Carnets t.2, p.179, nrf/Gallimard, 1994)
     
  302. Est bien peu sage qui n'a que sa propre sagesse, et peu savant qui ne l'est que de sa science.
    (Carnets t.2, p.192, nrf/Gallimard, 1994)
     
  303. Il y a des esprits dont on peut dire " il y fait clair " et d'autres dont on peut dire seulement " il y fait chaud ". Il y a beaucoup de chaleur où il y a beaucoup de mouvement (et au rebours) ; et il y a beaucoup de lumière où il y a beaucoup de sérénité. Sans la sérénité, point de lumière.
    (Carnets t.2, p.193, nrf/Gallimard, 1994)
     
  304. Un visage sans traits, un livre dont rien ne peut être cité.
    (Carnets t.2, p.202, nrf/Gallimard, 1994)
     
  305. Chacun ne peut voir qu'à sa lampe ; mais il peut marcher ou agir à la lumière d'autrui.
    (Carnets t.2, p.208, nrf/Gallimard, 1994)
     
  306. Celui qui en toutes choses appellerait toujours un chat " un chat " serait un homme franc et pourrait être un honnête homme, mais non pas un bon écrivain. Car, pour bien écrire, le mot propre et suffisant ne suffit pas. Il ne suffit pas d'être clair et d'être entendu : il faut plaire, il faut enchanter, il faut séduire et mettre des illusions dans tous les yeux. J'entends des illusions qui éclairent, et non des illusions qui trompent en dénaturant les objets.
    (Carnets t.2, p.208, nrf/Gallimard, 1994)
     
  307. Nous autres occidentaux, nous avons l'esprit inquiet.
    (Carnets t.2, p.210, nrf/Gallimard, 1994)
     
  308. Non, l'homme n'est pas né pour connaître, mais nous y sommes destinés.
    (Carnets t.2, p.213, nrf/Gallimard, 1994)
     
  309. Le reflet est pour les couleurs ce que l'écho est pour les sons.
    (Carnets t.2, p.217, nrf/Gallimard, 1994)
     
  310. Ce qu'on appelle harmonie dans le style dépend peut être plus de la figure des mots que de leur son. Les mots se peignent à l'oreille.
    (Carnets t.2, p.222, nrf/Gallimard, 1994)
     
  311. Il y a des choses qui ne sont bonnes que lorsqu'elles sont vraies. Il y en a d'autres qui, pour être bonnes, n'ont besoin que d'être pensées.
    (Carnets t.2, p.224, nrf/Gallimard, 1994)
     
  312. [...] un beau sentiment vaut mieux qu'un fait et qu'une certitude.
    (Carnets t.2, p.225, nrf/Gallimard, 1994)
     
  313. Le poli. Donner le poli. C'est là ce qui exige du temps. Et plus ce qu'on dit est neuf, plus il faut du temps et de soins pour donner le poli.
    Le poli conserve les livres, le marbre et le bronze. Il s'oppose à leurs rouilles.

    (Carnets t.2, p.229, nrf/Gallimard, 1994)
     
  314. Un clou, pour y suspendre ses pensées.
    (Carnets t.2, p.230, nrf/Gallimard, 1994)
     
  315. Se tromper est un petit malheur, mais s'égarer en est un grand.
    (Carnets t.2, p.231, nrf/Gallimard, 1994)
     
  316. Voltaire. Rousseau. Il faut les lire, quand on veut désapprendre. Ils font douter de tout ce qui est su, de tout ce qui est sûr.
    (Carnets t.2, p.233, nrf/Gallimard, 1994)
     
  317. Le vrai caractère du style épistolaire littéraire est l'enjouement, l'urbanité.
    (Carnets t.2, p.235, nrf/Gallimard, 1994)
     
  318. Abus et danger d'appliquer le jugement où il faut appliquer le goût et le goût où il faut appliquer le jugement.
    (Carnets t.2, p.236, nrf/Gallimard, 1994)
     
  319. L'erreur agite, la vérité repose.
    (Carnets t.2, p.239, nrf/Gallimard, 1994)
     
  320. On se luxe l'esprit comme le corps.
    (Carnets t.2, p.239, nrf/Gallimard, 1994)
     
  321. Je suis comme Montaigne « impropre au discours continu ».
    (Carnets t.2, p.240, nrf/Gallimard, 1994)
     
  322. Les passions des jeunes gens sont des vices dans la vieillesse.
    (Carnets t.2, p.241, nrf/Gallimard, 1994)
     
  323. Pour être tragiques, il faut que les malheurs soient rares.
    (Carnets t.2, p.243, nrf/Gallimard, 1994)
     
  324. La plupart des pensées de Pascal (sur les lois, les usages, les couleurs) ne sont que les pensées de Montaigne qu'il a refaites.
    (Carnets t.2, p.243, nrf/Gallimard, 1994)
     
  325. Des clartés de l'esprit qui naissent de la pureté. Dieu ! que la chasteté produit d'admirables amours ! De quels ravissements nous privent nos intempérances !
    (Carnets t.2, p.243, nrf/Gallimard, 1994)
     
  326. Le soir de la vie apporte avec soi ses lumières et sa lampe pour ainsi dire.
    (Carnets t.2, p.244, nrf/Gallimard, 1994)
     
  327. Volupté. L'habitude y sert plus que la jeunesse.
    (Carnets t.2, p.245, nrf/Gallimard, 1994)
     
  328. Être naturel, dans les arts, c'est être sincère.
    (Carnets t.2, p.245, nrf/Gallimard, 1994)
     
  329. La jeunesse voudrait que tout fût nouveau, comme elle, dans le monde. La vieillesse aime ce qui est ancien. Il faut aimer ce qui est censé.
    (Carnets t.2, p.246, nrf/Gallimard, 1994)
     
  330. En effet, la bonté sans doute nous rend meilleurs que la morale.
    (Carnets t.2, p.247, nrf/Gallimard, 1994)
     
  331. M. de Bausset dit de Fénéon :« Il aimait plus les hommes qu'il ne les connaissait. » Ce mot est charmant... et il est impossible de louer avec plus d'esprit ce qu'on blâme ou de mieux louer en blâmant.
    (Carnets t.2, p.248, nrf/Gallimard, 1994)
     
  332. Une notion exacte et claire et des paroles transparentes sont deux conditions nécessaires et indispensables pour faire exister une idée. Toute expression qui n'est que juste ne peut bien exprimer qu'un jugement.
    (Carnets t.2, p.248, nrf/Gallimard, 1994)
     
  333. Un cercle n'est pas un contour. Un contour est un cercle indécis et légèrement ondoyant. Mathématiques poétiques !
    (Carnets t.2, p.253, nrf/Gallimard, 1994)
     
  334. Ce qui fait qu'on cherche longtemps, c'est qu'on ne cherche pas où il faut et qu'on cherche où il ne faut pas. Mais comment chercher où il faut quand on ignore même ce qu'on cherche ? et c'est ce qui arrive toujours quand on compose et quand on crée. Heureusement, en s'égarant ainsi, on fait plus d'une découverte, on a des rencontres heureuses et on est souvent dédommagé de ce qu'on cherche sans le trouver par ce qu'on trouve sans le chercher.
    (Carnets t.2, p.254, nrf/Gallimard, 1994)
     
  335. « Le sentiment (dit Geoffroy) rend insipide tout ce qui n'est pas lui et c'est là son inconvénient. » Il a raison. C'est aussi là le grand inconvénient du plaisir. Il dégoûte de la raison.
    (Carnets t.2, p.257, nrf/Gallimard, 1994)
     
  336. Balzac. Un de nos plus grands écrivains et le premier entre les bons si on consulte l'ordre du temps. Utile à lire, à méditer, et excellent à admirer, également propre à instruire et à former par ses défauts et par ses qualités.
    (Carnets t.2, p.258, nrf/Gallimard, 1994)
     
  337. Le meilleur de tous les expédients pour s'épargner beaucoup de peines, c'est de penser très peu à soi, je veux dire à son intérêt propre.
    (Carnets t.2, p.260, nrf/Gallimard, 1994)
     
  338. La nécessité peut rendre une action douteuse innocente, mais ne peut la rendre louable.
    (Carnets t.2, p.263, nrf/Gallimard, 1994)
     
  339. La métaphysique est belle, mais le style métaphysique ne vaut rien. L'habitude des termes abstraits n'est supportable que dans la géométrie. Là, elle est à sa place, elle est convenable, elle a presque plus de clarté que n'en auraient des mots plus clairs.
    (Carnets t.2, p.265, nrf/Gallimard, 1994)
     
  340. L'expérience varie, et peut produire également la confiance ou la défiance. Hipocrate l'appelait trompeuse. Il faut donc réunir son expérience à celle des autres pour bien juger.
    (Carnets t.2, p.267, nrf/Gallimard, 1994)
     
  341. En tout, être l'âme de beaucoup de choses, et n'être la tête de rien.
    (Carnets t.2, p.269, nrf/Gallimard, 1994)
     
  342. Un peu de pensée suffit à l'esprit, comme un peu de lumière suffit à l'oeil pour son plaisir. Car toute pensée est lueur.
    (Carnets t.2, p.270, nrf/Gallimard, 1994)
     
  343. L'haleine de l'esprit, c'est l'attention.
    (Carnets t.2, p.271, nrf/Gallimard, 1994)
     
  344. Le châtiment des mauvais princes est d'être crus pires qu'ils ne sont.
    (Carnets t.2, p.271, nrf/Gallimard, 1994)
     
  345. Le grand inconvénient des livres nouveaux est de nous empêcher de lire les anciens.
    (Carnets t.2, p.276, nrf/Gallimard, 1994)
     
  346. La beauté touche les sens et le beau touche l'âme.
    (Carnets t.2, p.277, nrf/Gallimard, 1994)
     
  347. Il y a des sciences bonnes dont l'existence est nécessaire et dont la culture est inutile. Telles sont les mathématiques.
    (Carnets t.2, p.277, nrf/Gallimard, 1994)
     
  348. Le châtiment de ceux qui ont trop aimé les femmes est de les aimer toujours.
    (Carnets t.2, p.278, nrf/Gallimard, 1994)
     
  349. Les mathématiques [...] ne sont qu'une machine sans corps que l'esprit humain a inventée.
    (Carnets t.2, p.280, nrf/Gallimard, 1994)
     
  350. Tout ce qu'on a pu mesurer paraît petit.
    (Carnets t.2, p.280, nrf/Gallimard, 1994)
     
  351. Je n'ai jamais ouï dire que le feu fût ennemi de la lumière.
    (Carnets t.2, p.284, nrf/Gallimard, 1994)
     
  352. Il n'y a rien de plus beau qu'un beau livre.
    (Carnets t.2, p.285, nrf/Gallimard, 1994)
     
  353. La tendresse est le repos de la passion.
    (Carnets t.2, p.285, nrf/Gallimard, 1994)
     
  354. Il y a des esprits qui veulent qu'on enchaîne leur attention.
    (Carnets t.2, p.285, nrf/Gallimard, 1994)
     
  355. Quiconque consulte la lumière qui est en lui (comme dans tous les autres) excelle à bien juger des objets que cette lumière éclaire.
    (Carnets t.2, p.287, nrf/Gallimard, 1994)
     
  356. Nous perdons toujours l'amitié de ceux qui perdent notre estime.
    (Carnets t.2, p.290, nrf/Gallimard, 1994)
     
  357. Le but n'est pas toujours placé pour être atteint, mais pour servir de point de mire ou de direction. Ainsi le précepte de l'amour des ennemis.
    (Carnets t.2, p.290, nrf/Gallimard, 1994)
     
  358. Ne confondez pas ce qui est spirituel avec ce qui est abstrait. Et souvenez-vous que la philosophie a une muse et ne doit pas être une simple boutique à raisonnements.
    (Carnets t.2, p.299, nrf/Gallimard, 1994)
     
  359. Il y a une infinité de choses qu'on fait bien que lorsqu'on les fait par nécessité.
    (Carnets t.2, p.300, nrf/Gallimard, 1994)
     
  360. On n'en aime que mieux à lire les traductions quand on entend les langues. Les traductions alors soulagent et exercent en même temps, car on peut comparer.
    Il en est de même des extraits quand on a lu les livres entiers.

    (Carnets t.2, p.308, nrf/Gallimard, 1994)
     
  361. J'aime peu la prudence si elle n'est morale. La simple circonspection nuit aux affaires dans les conseils et ne sert qu'à celui qui l'a. Dans l'exécution, la circonspection est meilleure ; dans les délibérations, c'est la franchise ou la sincérité. Elle ouvre de nouvelles voies aux recherches, elle promène l'esprit sur plus de points, elle multiplie les unités dans la quantité des expédients soumis aux délibérations. Enfin elle aide aux heureux résultats ; car pour bien choisir, il vaut mieux choisir entre mille qu'entre deux ou trois.
    (Carnets t.2, p.311, nrf/Gallimard, 1994)
     
  362. Les meilleures lois naissent des usages.
    (Carnets t.2, p.311, nrf/Gallimard, 1994)
     
  363. La bonne volonté se nourrit facilement d'espérances.
    (Carnets t.2, p.319, nrf/Gallimard, 1994)
     
  364. Il ne faut pas seulement qu'un ouvrage soit bon, mais qu'il soit fait par un bon auteur.
    (Carnets t.2, p.321, nrf/Gallimard, 1994)
     
  365. - ces insupportables parleurs qui vous entretiennent toujours de ce qu'ils savent et ne vous entretiennent jamais de ce qu'ils pensent.
    (Carnets t.2, p.325, nrf/Gallimard, 1994)
     
  366. La critique est un exercice méthodique du discernement.
    (Carnets t.2, p.326, nrf/Gallimard, 1994)
     
  367. La crédulité se forge plus de miracles que l'imposture ne peut en inventer.
    (Carnets t.2, p.329, nrf/Gallimard, 1994)
     
  368. L'esprit est l'atmosphère de l'âme.
    (Carnets t.2, p.338, nrf/Gallimard, 1994)
     
  369. En la rendant plus obscure et pour ainsi dire plus noire, cette philosophie, ils paraissaient l'avoir rendue plus profonde. C'est ainsi qu'une eau bourbeuse et qui coule peu...
    (Carnets t.2, p.338, nrf/Gallimard, 1994)
     
  370. La sagesse est le commencement du beau.
    (Carnets t.2, p.342, nrf/Gallimard, 1994)
     
  371. L'utilité ou l'inutilité essentielles de nos pensées sont le seul principe constant de leur gloire ou de leur oubli.
    (Carnets t.2, p.344, nrf/Gallimard, 1994)
     
  372. Il faut être caillou dans le torrent, garder ses veines et rouler sans être dissous (ni dissolu).
    (Carnets t.2, p.345, nrf/Gallimard, 1994)
     
  373. « La lumière est l'ombre de Dieu. » La clarté est une ombre de la lumière.
    (Carnets t.2, p.346, nrf/Gallimard, 1994)
     
  374. L'esprit est pour l'âme une espèce d'organe, une espèce d'oeil, de langue, d'ouïe et même de cerveau, une espèce de porte-voix, de télescope et de compas. Et quelquefois cet organe agit tout seul.
    (Carnets t.2, p.348, nrf/Gallimard, 1994)
     
  375. Les livres consolent des hommes.
    (Carnets t.2, p.353, nrf/Gallimard, 1994)
     
  376. La bonne humeur dans l'homme est aux plaisirs ce que la belle imagination est aux beaux arts : elle s'y plaît, elle les aime, elle les multiplie, elle les crée.
    (Carnets t.2, p.355, nrf/Gallimard, 1994)
     
  377. Le sophisme littéraire ou l'art de farder les pensées par des mots. Les mots fardent quand ils donnent aux pensées de l'éclat, sans y ajouter de la beauté. Il y a un lustre nécessaire à tout bon style, qui n'est pas proprement du fard ; il n'est que de la propreté.
    Il y a quelquefois dans le style un lustre, un éclat qui est semblable à celui des métaux. Ceux qui l'emploient ne fardent pas à proprement parler, mais ils dorent ce qu'ils disent. On dirait que ceux-là écrivent avec une encre plus luisante et qu'ils ont jeté sur leur écriture encore fraîche ou de la poudre de diamant ou de la poussière d'ailes de papillons. Tout cela ne va point à l'âme ni aux goût, mais s'arrête aux yeux de l'esprit qui est d'abord ébloui et insensiblement fatigué.

    (Carnets t.2, p.356, nrf/Gallimard, 1994)
     
  378. L'indifférence donne un faux air de supériorité.
    (Carnets t.2, p.357, nrf/Gallimard, 1994)
     
  379. Lorsqu'un dessinateur ou un peintre veulent imaginer un enfoncement, ils mettent de l'obscur sur du clair. C'est l'artifice qu'emploient beaucoup d'écrivains sérieux et surtout ceux qui s'appellent aujourd'hui idéologues. Ils se donnent un air profond par le grossier prestige d'une certaine obscurité.
    (Carnets t.2, p.358, nrf/Gallimard, 1994)
     
  380. Quand on a trop craint ce qui arrive, on finit par éprouver quelque soulagement lorsque cela est arrivé.
    (Carnets t.2, p.359, nrf/Gallimard, 1994)
     
  381. Nous suivons volontiers ceux qui veulent nous conduire où nous voulons aller. C'est ce qui explique l'ascendant de tant d'orateurs et la vogue de tant de livres. Ils flattaient l'esprit de leur siècle., les erreurs du moment, les goûts ou les passions du jour.
    (Carnets t.2, p.364, nrf/Gallimard, 1994)
     
  382. Il faut se défier des idées simples dans ce qui de sa nature est compliqué ; et des idées compliquées dans ce qui est simple de soi. On ne doit pas plus analyser ce qui est simple, c'est à dire le décomposer, qu'on ne doit le compliquer. L'une et l'autre opération le dénaturent, l'anéantissent ; ce sont deux abus en direction et en sens contraires.
    (Carnets t.2, p.366, nrf/Gallimard, 1994)
     
  383. L'imagination, miroir et peintre.
    (Carnets t.2, p.366, nrf/Gallimard, 1994)
     
  384. « Le médecin (disait Baglivi) fait (souvent) la médecine avec son tempérament. » Et le moraliste fait souvent la morale avec son caractère, le théologien la religion selon son humeur.
    (Carnets t.2, p.369, nrf/Gallimard, 1994)
     
  385. C'est un grand art de mettre dans le style des incertitudes qui plaisent.
    (Carnets t.2, p.371, nrf/Gallimard, 1994)
     
  386. Il faut du ciel à la morale comme de l'air à un tableau.
    (Carnets t.2, p.371, nrf/Gallimard, 1994)
     
  387. C'est une vérité cubique : c'est à dire une maxime vraie de quelque côté qu'on la tourne, sur quelque face qu'on la présente, sous quelque point de vue qu'on l'envisage.
    (Carnets t.2, p.378, nrf/Gallimard, 1994)
     
  388. Il faut être le juge et le censeur, mais non le législateur unique de soi-même. Quand notre volonté est notre règle, qu'est-ce qui peut servir de règle à la notre volonté ?
    Obligation imaginaire : ce qu'on se prescrit seul, on s'en dispense seul et quand on veut.

    (Carnets t.2, p.379, nrf/Gallimard, 1994)
     
  389. Il faut toujours avoir dans sa tête un coin ouvert et libre pour y donner une place aux opinions de nos amis et les y loger en passant. Il faut avoir enfin un coeur et un esprit hospitaliers. Il devient réellement insupportable de converser avec des hommes qui n'ont dans le cerveau que des cases où tout est pris.
    (Carnets t.2, p.379, nrf/Gallimard, 1994)
     
  390. Il y a des mots agréables à l'oeil (comme il y en a d'agréables à l'oreille). Par un heureux mélange des lettres dont ils sont formés ou par l'agrément de ces lettres. Car chaque lettre a sa figure.
    (Carnets t.2, p.380, nrf/Gallimard, 1994)
     
  391. Peu de livres peuvent plaire toute la vie. Il y en a dont on se dégoûte avec le temps et la sagesse ou le bon sens, comme des passions.
    Les beaux ouvrages n'ennivrent point, mais ils enchantent.

    (Carnets t.2, p.380, nrf/Gallimard, 1994)
     
  392. Le silence. - Délices du silence. - Il faut que les pensées naissent de l'âme et les paroles du silence. - Un silence attentif.
    (Carnets t.2, p.381, nrf/Gallimard, 1994)
     
  393. Tous les hommes d'esprit valent mieux que leurs livres. Les hommes de génie valent moins. (Peut-être les savants aussi.) Et c'est ainsi que le rossignol vaut moins que son chant, le ver à soie moins que son industrie : l'instinct enfin plus que la bête.
    (Carnets t.2, p.383, nrf/Gallimard, 1994)
     
  394. Opiniâtre, entêté. - L'entêté pense fortement tout ce qu'il pense. L'opiniâtre tient fortement à ses opinions faibles ou fortes.
    (Carnets t.2, p.383, nrf/Gallimard, 1994)
     
  395. L'âme est tout l'homme.
    (Carnets t.2, p.385, nrf/Gallimard, 1994)
     
  396. Rien n'est plus ennuyeux que la longue réfutation d'une erreur qui n'est ni la nôtre, ni celle de nos amis, ni celle de nos ennemis.
    (Carnets t.2, p.385, nrf/Gallimard, 1994)
     
  397. Ce n'est pas ce qui est le plus beau, mais ce qui fait naître en nous les belles idées, que nous aimons le mieux.
    (Carnets t.2, p.387, nrf/Gallimard, 1994)
     
  398. Il y a en effet souvent plus d'esprit et de perspicacité dans une erreur que dans une découverte.
    (Carnets t.2, p.390, nrf/Gallimard, 1994)
     
  399. L'ordre est à l'arrangement ce que l'âme est au corps, ce que l'esprit est à la matière. L'arrangement sans ordre est un corps sans âme.
    (Carnets t.2, p.392, nrf/Gallimard, 1994)
     
  400. Le ciel ne nous doit que ce qu'il nous donne et il nous donne souvent ce qu'il ne nous doit pas.
    (Carnets t.2, p.392, nrf/Gallimard, 1994)
     
  401. Le but de la dispute, ou de la discussion, ne doit pas être la victoire, mais l'amélioration.
    (Carnets t.2, p.393, nrf/Gallimard, 1994)
     
  402. Jardin qui sent le renfermé.
    (Carnets t.2, p.394, nrf/Gallimard, 1994)
     
  403. Il n'y a de bon dans les innovations que ce qui est développement, accroissement, achèvement.
    (Carnets t.2, p.395, nrf/Gallimard, 1994)
     
  404. Egregie fallitur. Il se trompe, mais noblement, mais savamment, mais avec grâce, avec esprit, avec sagesse et avec beaucoup de beauté.
    (Carnets t.2, p.395, nrf/Gallimard, 1994)
     
  405. Écrire. Pour bien écrire, il faut une facilité naturelle et une difficulté acquise - ou autrement - écrire facilement par nature et difficilement par art (par réflexion et par bon goût, etc.).
    (Carnets t.2, p.399, nrf/Gallimard, 1994)
     
  406. L'attention qu'on donne à la maison et aux meubles, distrait du maître et le temple distrait de dieu.
    (Carnets t.2, p.401, nrf/Gallimard, 1994)
     
  407. I. Un peu de tout, rien à souhait : grand moyen d'être modéré, d'être sage, d'être content.
    II. Ayez soin qu'il manque toujours à votre maison quelque chose dont la privation ne vous soit pas trop sensible et dont le désir vous soit agréable.
    III. Il faut se maintenir en tel état et en telle disposition qu'on ne puisse être ni rassasié ni insatiable.
    IV. Quand on a tout, on est trop plein.

    (Carnets t.2, p.401, nrf/Gallimard, 1994)
     
  408. La moitié de moi se moque de l'autre.
    (Carnets t.2, p.402, nrf/Gallimard, 1994)
     
  409. On se trompe par supériorité et par médiocrité.
    (Carnets t.2, p.402, nrf/Gallimard, 1994)
     
  410. « Il sait trop tout ce qu'il veut dire... » Voilà un blâme littéraire qui paraît d'abord singulier, mais qui a du sens. Il taxe ces jeunes esprits qui ne soupçonnent jamais rien de ce qui est au delà de leur portée et qui ne voient que ce qu'ils atteignent. Genre de mérite et de médiocrité incompatibles avec tout progrès et avec toute modestie.
    (Carnets t.2, p.402, nrf/Gallimard, 1994)
     
  411. De la vanité qui veut plaire et de celle qui veut dominer et qui consiste à se faire valoir. (Il vaut mieux se faire agréer.)
    (Carnets t.2, p.403, nrf/Gallimard, 1994)
     
  412. Je suis brouillé avec la trésorerie, parce que je regarde l'argent comme le fumier (comme un engrais) et qu'ils le regardent comme la récolte.
    (Carnets t.2, p.404, nrf/Gallimard, 1994)
     
  413. Raisonner avec assurance, avec hauteur, c'est raisonner avec orgueil.
    (Carnets t.2, p.407, nrf/Gallimard, 1994)
     
  414. Il faut mettre son honneur dans ses devoirs et ses devoirs dans son emploi.
    (Carnets t.2, p.408, nrf/Gallimard, 1994)
     
  415. Homère a peint la vie humaine. Chaque village a son Nestor, son Agamemnon, son Ulysse. Chaque paroisse a son Achille, son Diomède, son Ajax. Chaque siècle a son Priam, son Andromaque et son Hector.
    (Carnets t.2, p.408, nrf/Gallimard, 1994)
     
  416. Clarté d'un livre. Il y a des idées qui paraissent claires [...] et qui cessent de l'être quand on veut s'en ressouvenir. C'est qu'elles ne sont pas en harmonie avec les clartés de notre esprit. Elles ne sont que des clartés individuelles d'une vérité fantastique. C'est la lumière d'un tableau, une lumière feinte et peinte, une lumière artificielle.
    On trouve en effet dans certains livres des lumières artificielles, assez semblables à celles des tableaux et qui se font par la même sorte de mécanisme, en amoncelant les obscurités dans certaines parties, et en les délayant dans d'autres. Il naît de là une certaine magie de clair-obscur qui n'éclaire rien, mais qui paraît donner quelque clarté à la page où elle se trouve et qui serait plus véritablement éclairée si tout le papier était blanc.
    Ce qu'on appelle clair dans un tableau n'est pas du clair proprement dit, mais de l'obscur mis en opposition avec du sombre. On peut ainsi innocemment tromper l'esprit avec des paroles.

    (Carnets t.2, p.410, nrf/Gallimard, 1994)
     
  417. Ses pensées, l'un les crayonne, l'autre les peint, l'autre les grave, et quelquefois un autre les sculpte.
    (Carnets t.2, p.411, nrf/Gallimard, 1994)
     
  418. Prenons y garde et encore une fois souvenons nous en bien, l'éducation ne consiste pas seulement à orner la mémoire et à éclairer l'entendement : elle doit surtout s'occuper à éclairer la volonté.
    (Carnets t.2, p.413, nrf/Gallimard, 1994)
     
  419. En toutes choses, suis la règle, ou mieux encore, la raison de la règle, si tu la sais.
    (Carnets t.2, p.414, nrf/Gallimard, 1994)
     
  420. L'esprit doux. Il faut avoir l'esprit doux. L'esprit est feu. Quand le feu est doux, il attire ; s'il est trop ardent, on le fuit. Alors, il brûle, il blesse, il se fait craindre.
    (Carnets t.2, p.414, nrf/Gallimard, 1994)
     
  421. Faire tomber ce qu'on enseigne, sous le sens ou sous l'imagination.
    (Carnets t.2, p.414, nrf/Gallimard, 1994)
     
  422. [...] ce qui sert à nos erreurs sert aussi à notre savoir, et que ce qui nous égare peut aussi nous mener au but.
    (Carnets t.2, p.414, nrf/Gallimard, 1994)
     
  423. La foi est un miroir sacré.
    (Carnets t.2, p.415, nrf/Gallimard, 1994)
     
  424. Consulte les anciens, écoute les vieillards. L'homme qui n'est sage que de sa sagesse propre n'est pas sage.
    (Carnets t.2, p.415, nrf/Gallimard, 1994)
     
  425. Le beau est toujours sérieux. Le beau a toujours quelque calme, mais non toujours quelque sérénité.
    La douleur et ses équilibres. La tranquilité de la vie peut quelquefois balancer comme un contrepoids la désolation du moment.

    (Carnets t.2, p.420, nrf/Gallimard, 1994)
     
  426. [...] cette heureuse imbécillité qui nous porte aux choses sublimes.
    (Carnets t.2, p.414, nrf/Gallimard, 1994)
     
  427. Je ne puis faire bien qu'avec lenteur et avec une extrême fatique.
    Des moments de lumière sont tous des moments de bonheur. Quand il fait clair dans notre esprit, il fait beau.

    (Carnets t.2, p.421, nrf/Gallimard, 1994)
     
  428. Rien n'est meilleur qu'un enthousiasme qui a raison.
    (Carnets t.2, p.423, nrf/Gallimard, 1994)
     
  429. Ce qui trompe en morale, c'est l'amour excessif du plaisir ; et ce qui nous arrête et nous retarde en métaphysique, c'est l'amour de la certitude.
    (Carnets t.2, p.424, nrf/Gallimard, 1994)
     
  430. Le temps et la vérité sont amis ; quoiqu'il y ait beaucoup de moments contraires à la vérité.
    (Carnets t.2, p.424, nrf/Gallimard, 1994)
     
  431. La justice est la vérité en action.
    (Carnets t.2, p.424, nrf/Gallimard, 1994)
     
  432. Entre le fracas et le fatras il y a peu de distance et peu de différence, quant aux lettres et quant au sens.
    (Carnets t.2, p.424, nrf/Gallimard, 1994)
     
  433. L'esprit militaire est un esprit favorable à la bougrerie.
    (Carnets t.2, p.424, nrf/Gallimard, 1994)
     
  434. Tout vieillit, même l'estime, si on n'y prend garde.
    (Carnets t.2, p.426, nrf/Gallimard, 1994)
     
  435. Être libre n'est pas faire ce qu'on veut, mais ce qu'on a jugé meilleur et plus convenable.
    (Carnets t.2, p.430, nrf/Gallimard, 1994)
     
  436. Il faut haïr et mépriser avec esprit.
    Les gros mots blessent le bon goût. Le sot rire rend haïssable celui qui l'a. Le sot rire est toujours le rire d'un sot.

    (Carnets t.2, p.430, nrf/Gallimard, 1994)
     
  437. Presque tous les hommes aiment mieux le danger que la peur. Quelques-uns même aiment mieux la mort que le danger et mieux leur perte que la douleur. C'est que la peur, le danger et la douleur troublent la raison. Le cheval se jette dans le précipice pour échapper à l'éperon.
    (Carnets t.2, p.432, nrf/Gallimard, 1994)
     
  438. Une tête forte n'est rien si elle n'est pas une tête bien faite.
    (Carnets t.2, p.438, nrf/Gallimard, 1994)
     
  439. Hobbes était, dit-on, humoriste. Je n'en suis pas surpris ; c'est la mauvaise humeur surtout qui rend l'esprit et le ton décisifs. C'est elle qui nous porte irrésistiblement à concentrer nos idées. Elle abonde en expressions vives. Mais, pour devenir philosophique, il faut que la mauvaise humeur naisse uniquement de la déraison d'autrui et non pas de la nôtre, du mauvais esprit des temps où l'on vit et non pas de notre mauvais esprit propre.
    La véritable profondeur vient des idées concentrées.

    (Carnets t.2, p.439, nrf/Gallimard, 1994)
     
  440. « Un beau désordre » (Boileau) est un désordre apparent et un ordre réel. Par « un beau désordre » l'esprit est conduit au but après l'avoir désiré et y parvient par un labyrinthe délicieux.
    (Carnets t.2, p.441, nrf/Gallimard, 1994)
     
  441. Travailler pour n'avoir rien à faire : c'est à cela que se passe la vie humaine. Le mouvement mène au repos ; le repos se conserve en soi, se nourrit de lui-même.
    (Carnets t.2, p.444, nrf/Gallimard, 1994)
     
  442. Que peut-on faire entrer dans un esprit qui est plein ? (plein de lui-même.)
    (Carnets t.2, p.447, nrf/Gallimard, 1994)
     
  443. Cherchons nos lumières dans nos sentiments. Il y en là une chaleur qui contient beaucoup de clarté.
    (Carnets t.2, p.447, nrf/Gallimard, 1994)
     
  444. Tout éclat vient de quelque reflet.
    (Carnets t.2, p.450, nrf/Gallimard, 1994)
     
  445. Notre vie est du vent tissé. Memento quia ventus est vita mea (dit Job, chap. 7, 1 ad. 8). Et ibid. : Dies mei velocius transierunt quam tela a texente succiditur.
    (Carnets t.2, p.456, nrf/Gallimard, 1994)
     
  446. Ce n'est pas de se tromper qu'il faut avoir peur, mais de s'égarer.
    (Carnets t.2, p.456, nrf/Gallimard, 1994)
     
  447. Il est permis (ou plutôt il est inévitable) à tout le monde d'avoir son avis. Mais il n'est pas permis à tout le monde de se fier à l'avis qu'on a.
    (Carnets t.2, p.458, nrf/Gallimard, 1994)
     
  448. C'est le goût qui est le lien de l'âme et du corps. Mais sans l'imagination, point de goût. L'imagination est au bon goût ce que la simple mémoire est au jugement froid, au jugement proprement dit.
    (Carnets t.2, p.466, nrf/Gallimard, 1994)
     
  449. La malhomie, opposée à la bonhomie.
    (Carnets t.2, p.468, nrf/Gallimard, 1994)
     
  450. L'extrême subtilité peut se retrouver dans les idées, mais ne doit pas se trouver dans le raisonnement. Les idées font l'office de la lumière et participent à sa nature. Mais le raisonnement est un bâton et présente une espèce de tâtonnement où il doit se trouver quelque chose de très palpable.
    (Carnets t.2, p.472, nrf/Gallimard, 1994)
     
  451. Rentrez dans votre sphère, reposez vous dans votre centre, plongez-vous dans votre élément : bonne maxime à pratiquer et dont il faut se souvenir.
    (Carnets t.2, p.472, nrf/Gallimard, 1994)
     
  452. « Toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire », parce qu'elles ne sont pas toutes de véritables vérités.
    (Carnets t.2, p.473, nrf/Gallimard, 1994)
     
  453. [En parlant de Locke]
    Bon questionneur, bon tâtonneur, mais sans lumière, - presque sans yeux. C'est un aveugle qui se sert bien de son bâton.

    (Carnets t.2, p.477, nrf/Gallimard, 1994)
     
  454. Une partie de l'amour de la vérité consiste à aimer à entendre dire aux hommes ce qu'ils pensent et aussi à aimer à les voir se montrer tels qu'ils sont, dans leurs actions.
    (Carnets t.2, p.479, nrf/Gallimard, 1994)
     
  455. Il n'y a point d'ensorcellement sans art et sans habileté. Une femme qui a un amant peut n'être qu'aimable ; si elle en a mille, elle a du manège.
    (Carnets t.2, p.480, nrf/Gallimard, 1994)
     
  456. Tourmenté par la maudite ambition de mettre toujours tout un livre dans une page, toute une page dans une phrase et cette phrase dans un mot. C'est moi.
    (Carnets t.2, p.485, nrf/Gallimard, 1994)
     
  457. En religion et en éducation, le zèle qui vient de l'âme est tout, parce que dans les choses morales le feu vient toujours de quelque lumière secrète.
    (Carnets t.2, p.489, nrf/Gallimard, 1994)
     
  458. Pour bien faire, il faut oublier qu'on est vieux quand on est vieux et ne pas trop sentir qu'on est jeune quand on est jeune.
    (Carnets t.2, p.491, nrf/Gallimard, 1994)
     
  459. Ce qui étonne, étonne une fois ; mais ce qui est vraiment admirable est de plus en plus admiré.
    (Carnets t.2, p.491, nrf/Gallimard, 1994)
     
  460. L'espace est au lieu ce que l'éternité est au temps, un infini.
    (Carnets t.2, p.493, nrf/Gallimard, 1994)
     
  461. Heureux est l'écrivain qui peut faire un beau petit livre.
    (Carnets t.2, p.493, nrf/Gallimard, 1994)
     
  462. Il faut qu'il y ait partout (j'entends dans toutes les oeuvres de l'art) de la musique et du dessin.
    (Carnets t.2, p.493, nrf/Gallimard, 1994)
     
  463. Vous allez à la vérité par la poésie et j'arrive à la poésie par la vérité.
    (Carnets t.2, p.495, nrf/Gallimard, 1994)
     
  464. Les quatre facultés, le goût, le jugement, l'imagination et la raison. Il faut les consulter tous quatre, pris ensemble et séparément.
       comme un recteur suivi des quatre facultés...(Boileau)
    Ainsi doit opérer l'écrivain sage.

    (Carnets t.2, p.495, nrf/Gallimard, 1994)
     
  465. On rend presque démontré ce qu'on parvient à rendre sensible et on rend presque sensible tout ce qu'on rend imaginable. C'est donc un grand service à rendre aux vérités abstraites que de les rendre imaginables.
    (Carnets t.2, p.497, nrf/Gallimard, 1994)
     
  466. Ce qu'il y a de pis dans l'erreur, ce n'est pas ce qu'il y a de faux, mais ce qu'elle a de volontaire, d'aveugle, de passionné.
    (Carnets t.2, p.499, nrf/Gallimard, 1994)
     
  467. Quand on a trouvé ce qu'on cherchait, on n'a pas le temps de le dire. Il faut mourir.
    (Carnets t.2, p.500, nrf/Gallimard, 1994)
     
  468. « Car nous ne possédons véritablement ces (on pourrait dire les) idées abstraites que lorsque nous les avons refaites nous mêmes ; nous nous les approprions par là en quelque sorte. Et jusqu'au moment où nous les avons reconstruites, elles ne sont guère pour nous que ce que seraient les signes d'un langage que nous ne comprendrions pas. » (Frédéric Cuvier, Projet... pag. 60.
    (Carnets t.2, p.504, nrf/Gallimard, 1994)
     
  469. Toute puissance a sa source unique dans quelque obéissance.
    (Carnets t.2, p.510, nrf/Gallimard, 1994)
     
  470. Le mépris qui rend méprisable, le respect qui rend respectable.
    (Carnets t.2, p.511, nrf/Gallimard, 1994)
     
  471. La plus pernicieuse des folies est celle qui ressemble à de la sagesse (ce qu'on prend pour de la sagesse).
    (Carnets t.2, p.513, nrf/Gallimard, 1994)
     
  472. Une des propriétés de la puissance, en quelque degré qu'elle soit, est d'enivrer ceux qui l'exercent.
    (Carnets t.2, p.517, nrf/Gallimard, 1994)
     
  473. L'esprit éminemment faux est celui qui ne sent jamais qu'il s'égare.
    (Carnets t.2, p.517, nrf/Gallimard, 1994)
     
  474. Dans le savoir, l'inutile fait souvent oublier le nécessaire.
    (Carnets t.2, p.519, nrf/Gallimard, 1994)
     
  475. Il y a des indulgences qui sont un déni de justice.
    (Carnets t.2, p.519, nrf/Gallimard, 1994)
     
  476. Ne pas montrer une chaleur qui ne sera pas partagée. Rien n'est plus froid que ce qui n'est pas communiqué.
    (Carnets t.2, p.519, nrf/Gallimard, 1994)
     
  477. Éviter l'air profond, pour n'avoir pas l'air obscur.
    (Carnets t.2, p.520, nrf/Gallimard, 1994)
     
  478. Chacun est sa parque à lui-même et se file son avenir.
    (Carnets t.2, p.523, nrf/Gallimard, 1994)
     
  479. La politique, ou l'art (ou le don) de connaître et de mener la multitude ou la pluralité. La gloire de cet art est de mener cette multitude, non pas où elle veut ni où l'on voudrait soi-même, mais où elle doit aller.
    (Carnets t.2, p.523, nrf/Gallimard, 1994)
     
  480. En littérature, rien ne rend les esprits si imprudents et si hardis que l'ignorance des temps passés et le mépris des anciens livres.
    (Carnets t.2, p.524, nrf/Gallimard, 1994)
     
  481. La peur tient à l'imagination, la lâcheté au caractère.
    (Carnets t.2, p.525, nrf/Gallimard, 1994)
     
  482. Le remords sanctifie le vice.
    (Carnets t.2, p.526, nrf/Gallimard, 1994)
     
  483. Ce n'est pas une tête forte, mais une raison forte qu'il faut louer, qu'il faut honorer dans les autres et qu'il faut désirer pour soi. Souvent ce qu'on appelle une tête forte n'a qu'une forte déraison.
    (Carnets t.2, p.527, nrf/Gallimard, 1994)
     
  484. Des mauvaises choses bien faites.
    (Carnets t.2, p.527, nrf/Gallimard, 1994)
     
  485. Se font abstraits pour paraître profonds.
    Des ombres qui cachent des vides, c'est ce que sont la plupart des termes abstraits.

    (Carnets t.2, p.528, nrf/Gallimard, 1994)
     
  486. Ce qui blesse trop ma raison excite mon humeur et l'humeur nuit à la réflexion qui exige une certaine patience. Je deviens donc incapable de la réfuter quand j'entends une absurdité. Il y a des absurdités délicates et ce sont celles-là qui me révoltent le plus.
    (Carnets t.2, p.533, nrf/Gallimard, 1994)
     
  487. On ne peut s'expliquer franchement qu'avec l'espoir d'être entendu et on ne peut espérer d'être entendu que par les gens qui sont à moitié de notre avis.
    (Carnets t.2, p.541, nrf/Gallimard, 1994)
     
  488. L'Homère des Français, le dirai-je ? c'est Lafontaine.
    (Carnets t.2, p.541, nrf/Gallimard, 1994)
     
  489. Il vaut mieux s'occuper de l'être que du néant. Songe donc à ce qui te reste, plutôt qu'à ce que tu n'as plus.
    (Carnets t.2, p.545, nrf/Gallimard, 1994)
     
  490. Têtes qui n'ont point de fenêtres. Rien n'y vient du côté du ciel. Ou le jour n'y vient jamais d'en haut.
    (Carnets t.2, p.548, nrf/Gallimard, 1994)
     
  491. La vanité, qui consiste dans le désir de plaire ou de se rendre agréable aux autres, est une demi-vertu, car c'est évidemment une demi-humilité et une demi-charité.
    (Carnets t.2, p.553, nrf/Gallimard, 1994)
     
  492. Une des plus utiles sciences est de savoir qu'on s'est trompé. Une des plus délicieuses découvertes qu'on puisse faire est de découvrir son erreur.
    « Capable de se détromper ! » Belle louange et belle qualité.

    (Carnets t.2, p.559, nrf/Gallimard, 1994)
     
  493. L'art de bien dire est l'art d'atteindre. - Mal dire ou donner un mauvais arrangement à ses paroles ou à ses pensées, c'est prendre son épée par la pointe ou par le milieu, vouloir la faire entrer par le pommeau.
    (Carnets t.2, p.569, nrf/Gallimard, 1994)
     
  494. Vous voulez parler à quelqu'un : ouvrez d'abord les oreilles.
    (Carnets t.2, p.569, nrf/Gallimard, 1994)
     
  495. On peut être instruit et très instruit, c'est à dire être dressé et très dressé à quelque art, à quelque industrie et n'être pas éclairé.
    Le bâton même de l'aveugle l'instruit, le soutient, le dirige, mais ne l'éclaire pas.

    (Carnets t.2, p.573, nrf/Gallimard, 1994)
     
  496. Relis ce que tu as lu si tu veux l'entendre.
    (Carnets t.2, p.580, nrf/Gallimard, 1994)
     
  497. Tout n'est pas saint dans les saints, ni lumière dans les hommes éclairés.
    (Carnets t.2, p.582, nrf/Gallimard, 1994)
     
  498. Le plus grand besoin d'un peuple est d'être gouverné et son plus grand bonheur d'être bien gouverné.
    (Carnets t.2, p.583, nrf/Gallimard, 1994)
     
  499. La paix de l'âme vaut mieux que la curiosité et que toutes les autres ambitions.
    (Carnets t.2, p.583, nrf/Gallimard, 1994)
     
  500. Les meilleures pensées sont celles qui, pour paraître belles, n'ont pas besoin de la beauté de l'expression.
    (Carnets t.2, p.584, nrf/Gallimard, 1994)
     
  501. Rien ne rapetisse l'homme comme les petits plaisirs.
    (Carnets t.2, p.588, nrf/Gallimard, 1994)
     
  502. L'innocence a ses dédommagements
    (Carnets t.2, p.588, nrf/Gallimard, 1994)
     
  503. En toutes choses et entre toutes choses, il y a des limbes, des entre-deux ; même entre les vers et la prose ; entre la poésie et la simple éloquence, entre le négligé et le soigné, l'artificiel et le naturel, l'ordinaire et le singulier.
    (Carnets t.2, p.588, nrf/Gallimard, 1994)
     
  504. Il y a des choses dont on ne peut bien parler que par écrit, qu'on ne peut bien savoir que lorsqu'on songe à les écrire et qu'on ne peut cependant songer à écrire que lorsqu'on les sait par avance.
    (Carnets t.2, p.592, nrf/Gallimard, 1994)
     
  505. Je méprise cet homme par synthèse ; ne me questionnez donc pas par analyse.
    (Carnets t.2, p.592, nrf/Gallimard, 1994)
     
  506. Malheur à qui se trompe tard ! Il ne se détrompera pas.
    (Carnets t.2, p.611, nrf/Gallimard, 1994)
     
  507. Qu'est-ce que définir ? C'est décrire, c'est dessiner avec des mots ce que l'esprit seul aperçoit ; c'est donner des extrémités à ce qui n'en a pas pour l'oeil ; c'est peindre ce qu'on ne peut voir ; c'est circonscrire en un espace qui n'a pas de réalité un objet qui n'a pas de corps. Et qu'est-ce que bien définir ? C'est représenter nettement l'idée que tous les esprits se font en eux et malgré eux de l'objet dont on veut parler, quand ils y pensent au hasard.
    (Carnets t.2, p.616, nrf/Gallimard, 1994)
     
  508. Celui qui a inventé l'imprimerie a immortalisé l'écriture.
    (Carnets t.2, p.618, nrf/Gallimard, 1994)
     
  509. La littérature des peuples commence par les fables et finit par les romans.
    (Carnets t.2, p.620, nrf/Gallimard, 1994)
     
  510. On supporte toujours facilement une puissance qu'on espère pouvoir exercer un jour.
    (Carnets t.2, p.621, nrf/Gallimard, 1994)
     
  511. Il n'y a point d'autorité aussi constamment, aussi entièrement et aussi généralement respectée que celle qui naît du mérite véritable et reconnu.
    (Carnets t.2, p.621, nrf/Gallimard, 1994)
     
  512. Ne vous exagérez pas les maux de la vie et n'en méconnaissez pas les biens, si vous cherchez à vivre heureux.
    (Carnets t.2, p.623, nrf/Gallimard, 1994)
     
  513. Le talent va où est la voix de la louange... C'est la sirène qui l'égare.
    (Carnets t.2, p.626, nrf/Gallimard, 1994)
     
  514. Excelle et tu vivras.
    (Carnets t.2, p.627, nrf/Gallimard, 1994)