Robert Musil
1880-1942
  1. De tout ce que nous faisons ici, toute la journée, qu'est-ce donc qui mène quelque part ? Qu'est-ce qui nous donne quelque chose, j'entends quelque chose de vrai, tu comprends ? Le soir, on sait que l'on a vécu un jour de plus, que l'on a appris ceci ou cela, que l'on a suivi l'horaire, mais on n'en est pas moins vide, j'entends intérieurement, on éprouve une sorte de faim intérieure...
    (Les désarrois de l'élève Törless, trad. Philippe Jaccottet, p.34, Points R 14)
     
  2. Quand le soir tombe, il y a toujours quelques instants qui ne ressemblent à rien d'autre.
    (Les désarrois de l'élève Törless, trad. Philippe Jaccottet, p.35, Points R 14)
     
  3. Le sentiment de n'être pas compris du monde et le fait de ne le point comprendre, loin d'accompagner simplement la première passion, en sont l'unique et nécessaire cause. Et cette passion elle-même n'est qu'une fuite où être deux ne signifie qu'une solitude redoublée.
    (Les désarrois de l'élève Törless, trad. Philippe Jaccottet, p.47, Points R 14)
     
  4. Les seuls hommes vrais sont ceux qui peuvent pénétrer en eux-mêmes, les esprits cosmiques capables de descendre assez profond pour discerner leurs liens avec le grand rythme universel.
    (Les désarrois de l'élève Törless, trad. Philippe Jaccottet, p.94, Points R 14)
     
  5. Entre la vie que l'on vit et celle que l'on sent, que l'on devine, que l'on voit de loin, il a cette frontière invisible [tracée autour de l'homme], telle une porte étroite où les images des événements doivent se faire aussi petites que possible pour entrer en nous.
    (Les désarrois de l'élève Törless, trad. Philippe Jaccottet, p.177, Points R 14)
     
  6. Il faut apprendre à éprouver la vie comme un long glissement calme. Au moment où l'on y parvient, on est aussi près de la mort que de la vie.
    (Les désarrois de l'élève Törless, trad. Philippe Jaccottet, p.203, Points R 14)
     
  7. Je ne connais plus d'énigmes : les choses arrivent, voilà l'unique sagesse.
    (Les désarrois de l'élève Törless, trad. Philippe Jaccottet, p.211, Points R 14)
     
  8. C'est une chose bien étrange que les pensées. Elles ne sont souvent rien de plus que des accidents qui disparaissent sans laisser de traces, elles ont leurs temps morts et leurs saisons florissantes. On peut faire une découverte géniale et la voir néanmoins se faner lentement dans vos mains, telle une fleur. La forme en demeure, mais elle n'a plus ni couleur, ni parfum. C'est-à-dire que l'on a beau s'en souvenir mot pour mot, que sa valeur logique peut bien être intacte, elle ne rôde plus qu'à la surface de notre être, au hasard, et sans nous enrichir. Jusqu'à ce que revienne soudain - quelques années plus tard peut-être - un moment où nous prenons conscience que dans l'intervalle, même si notre logique a paru en tenir compte, nous avons complètement négligé sa présence.
    (Les désarrois de l'élève Törless, trad. Philippe Jaccottet, p.231, Points R 14)