Giacomo Leopardi
1798-1837
  1. Dans les choses profondes, c'est toujours le petit nombre qui est le plus perspicace ; la majorité, elle, ne s'entend qu'aux évidences.
    (Pensées, trad. Joël Gayraud, p.14, Éd. Allia, 1994)
     
  2. Le cancan le plus recherché, celui qui excite la curiosité et dissipe l'ennui, c'est toujours la révélation toute fraîche de quelque mystère. Adopte donc résolument la règle suivante : si tu ne veux pas que l'on apprenne ce que tu fais, il ne suffit pas de n'en rien dire, il faut s'abstenir de le faire ; et s'il t'est impossible de ne pas agir, sois persuadé que tout se saura un jour, quand bien même tu ne t'en rendrais jamais compte.
    (Pensées, trad. Joël Gayraud, p.16, Éd. Allia, 1994)
     
  3. Il est presque impossible de trouver quelqu'un qui avoue mériter la peine qu'il purge ou qui reconnaisse qu'il a brigué les honneurs dont il jouit ; et peut-être ce dernier cas est-il encore plus rare que le précédent.
    (Pensées, trad. Joël Gayraud, p.21, Éd. Allia, 1994)
     
  4. [...] être aimable, dans la conversation, c'est se sacrifier à l'amour-propre d'autrui.
    (Pensées, trad. Joël Gayraud, p.26, Éd. Allia, 1994)
     
  5. Il me semble bien difficile de dire s'il y a quelque chose de plus contraire à la morale que de parler sans discontinuer de soi-même, ou de plus rare qu'un homme exempt d'un tel défaut.
    (Pensées, trad. Joël Gayraud, p.27, Éd. Allia, 1994)
     
  6. Les hommes, qui sont malheureux par essence, veulent croire qu'ils le sont par accident.
    (Pensées, trad. Joël Gayraud, p.32, Éd. Allia, 1994)
     
  7. Dans la vie, il n'est rien de plus intolérable, ni en fait de moins toléré, que l'intolérance.
    (Pensées, trad. Joël Gayraud, p.35, Éd. Allia, 1994)
     
  8. Tu reconnaîtras la loyauté chez autrui en ce qui, te fréquentant, il ne te laissera pas espérer de bons services, ni surtout en craindre de mauvais.
    (Pensées, trad. Joël Gayraud, p.42, Éd. Allia, 1994)
     
  9. [...] les faibles vivent suivant le bon plaisir du monde, et les forts, selon le leur.
    (Pensées, trad. Joël Gayraud, p.44, Éd. Allia, 1994)
     
  10. Nul ne peut estimer connaître la vie s'il n'a pas appris à prendre pour un pur cliquetis de syllabes les offres de service qui lui sont faites, les plus spontanées, solennelles et répétées qu'elles puissent être.
    (Pensées, trad. Joël Gayraud, p.49, Éd. Allia, 1994)
     
  11. L'on peut prendre pour vérité générale que, sauf à de brefs moments, l'homme, en son for intérieur et à l'insu de tous, ne laisse jamais de nourrir, contre l'évidence, des illusions nécessaires à la tranquillité de son âme et sans lesquelles il ne pourrait vivre.
    (Pensées, trad. Joël Gayraud, p.50, Éd. Allia, 1994)
     
  12. On n'en finirait pas de dresser la liste des illusions et des absurdités qui sont tenues pour vraies par les hommes les plus sensés, chaque fois que l'esprit ne peut venir à bout d'une contradiction qui le tourmente.
    (Pensées, trad. Joël Gayraud, p.51, Éd. Allia, 1994)
     
  13. [...] les timides sont craintifs : ils se gardent de piquer les autres, non parce qu'ils se donnent plus d'importance que les insolents et les audacieux, mais pour éviter d'être piqués à leur tour, vu l'extrême douleur que leur cause chaque pointe qu'ils reçoivent.
    (Pensées, trad. Joël Gayraud, p.52, Éd. Allia, 1994)
     
  14. [...] le moyen le plus direct de gagner la renommée est d'affirmer avec une ferme assurance et le plus souvent possible qu'on la possède déjà.
    (Pensées, trad. Joël Gayraud, p.53, Éd. Allia, 1994)
     
  15. Ce qui nous pousse à nous rendre utiles et à oeuvrer pour de bonnes causes, réside avant tout dans l'estime que nous nous prodiguons.
    (Pensées, trad. Joël Gayraud, p.54, Éd. Allia, 1994)
     
  16. L'idée que se fait l'artiste de son art ou le savant de la science croît toujours en raison inverse du sentiment qu'ils ont de leur propre valeur.
    (Pensées, trad. Joël Gayraud, p.54, Éd. Allia, 1994)
     
  17. On présente faussement l'ennui comme un mal commun. Il est commun d'être inactif, ou plutôt désoeuvré ; il ne l'est pas de s'ennuyer. L'ennui est l'apanage des gens d'esprit. Plus l'intelligence est vive, plus l'ennui est fréquent, douloureux, terrible.
    (Pensées, trad. Joël Gayraud, p.56, Éd. Allia, 1994)
     
  18. Il n'est au monde rien de plus rare qu'une personne que l'on peut supporter tous les jours.
    (Pensées, trad. Joël Gayraud, p.62, Éd. Allia, 1994)
     
  19. Grande et terrible est la puissance du rire : contre elle nul ne saurait se prémunir ; et l'homme qui a le courage de rire est le maître du monde, comme celui qui est toujours prêt à mourir.
    (Pensées, trad. Joël Gayraud, p.64, Éd. Allia, 1994)
     
  20. Tous les hommes, à des degrés certes différents, s'imitent eux-mêmes quand ils n'imitent pas les autres.
    (Pensées, trad. Joël Gayraud, p.66, Éd. Allia, 1994)
     
  21. Nul ne devient homme s'il n'a d'abord acquis une grande expérience de soi-même, où il se révèle à ses propres yeux, se forge un jugement sur son propre compte et ainsi détermine en quelque sorte sa destinée et sa vie.
    (Pensées, trad. Joël Gayraud, p.67, Éd. Allia, 1994)
     
  22. Le moyen le plus sûr de cacher aux autres les limites de son savoir est de ne jamais les dépasser.
    (Pensées, trad. Joël Gayraud, p.70, Éd. Allia, 1994)
     
  23. De même que le mépris blesse et irrite bien plus que la haine, de même l'estime est plus douce que la bienveillance ; et en général les hommes se soucient beaucoup plus d'être estimés que d'être aimés, c'est même leur souhait le plus cher.
    (Pensées, trad. Joël Gayraud, p.73, Éd. Allia, 1994)
     
  24. [...] qu'importe que tel ou tel besoin soit imaginaire : si rares sont les choses de la vie à ne pas tenir tout entières dans l'imagination.
    (Pensées, trad. Joël Gayraud, p.76, Éd. Allia, 1994)
     
  25. Ce ne sont pas nos défauts qui sont ridicules, mais le soin que nous prenons à les dissimuler et à feindre d'en être épargnés.
    (Pensées, trad. Joël Gayraud, p.78, Éd. Allia, 1994)
     
  26. La conversation la plus brillante et la plus sensée se compose en majeure partie de propos frivoles ou rebattus qui ne servent qu'à faire passer le temps. Il faut bien, en effet, que chacun se résolve à débiter quantité de choses banales pour pouvoir en dire parfois de rares qui ne le soient pas.
    (Pensées, trad. Joël Gayraud, p.86, Éd. Allia, 1994)
     
  27. Il est curieux de voir combien l'excellence adopte fréquemment les manières simples, alors que les manières simples passent si souvent pour un signe de médiocrité.
    (Pensées, trad. Joël Gayraud, p.87, Éd. Allia, 1994)
     
  28. On apprécie et on loue le silence dans la conversation lorsqu'on sait que celui qui se tait n'hésite pas quand il le faut à prendre hardiment la parole.
    (Pensées, trad. Joël Gayraud, p.87, Éd. Allia, 1994)
     
  29. Je crois d'ailleurs que, par ennui, il ne faut entendre que le pur désir du bonheur, quand il n'est pas satisfait par le plaisir ni franchement blessé par la douleur.
    (Dix petites pièces philosophiques, trad. Joël Gayraud, p.50, Éd. Le temps qu'il fait, 1985)
     
  30. La vie est ainsi faite que, pour la supporter, il faut chaque jour la déposer pour reprendre haleine, et se restaurer par un avant-goût et comme une petite part de mort.
    (Dix petites pièces philosophiques, trad. Joël Gayraud, p.111, Éd. Le temps qu'il fait, 1985)