Émile Berr
1855-1923
  1. Il est remarquable que dans un compartiment de chemin de fer où ont dû être entassés plus de voyageurs qu'il n'y a de places à occuper, ce sont généralement les voyageurs debout qui sourient et les voyageurs assis qui ont l'air furieux.
    (Pour une dame qui voudrait penser à autre chose, p.2, Charpentier et Fasquelle, 1916)
     
  2. C'est drôle. J'écris un article. Je mets ma signature dessous. Et je suis obligé, pour parler correctement, de dire que c'est l'article qui a paru sous ma signature.
    (Pour une dame qui voudrait penser à autre chose, p.2, Charpentier et Fasquelle, 1916)
     
  3. C'est un commencement de satisfaction pour la conscience que de classer, avec l'intention d'y répondre, des lettres auxquelles on ne répondra jamais.
    (Pour une dame qui voudrait penser à autre chose, p.3, Charpentier et Fasquelle, 1916)
     
  4. « Pourriez-vous me rendre un service ? » Une phrase que les meilleurs d'entre nous n'ont jamais sentie tomber dans leur oreille sans qu'un petit frisson d'inquiétude les effleurât.
    (Pour une dame qui voudrait penser à autre chose, p.4, Charpentier et Fasquelle, 1916)
     
  5. J'ai connu un père de famille qui parlait avec une modestie touchante de l'intelligence de son fils, et avec une fierté excessive de celle de son chien.
    (Pour une dame qui voudrait penser à autre chose, p.8, Charpentier et Fasquelle, 1916)
     
  6. Certains jeunes gens ont une façon compatissante de respecter les personnes âgées, qui est un peu plu impertinente que de l'irrespect.
    (Pour une dame qui voudrait penser à autre chose, p.8, Charpentier et Fasquelle, 1916)
     
  7. L'ouvrier qui travaille sur le sol est silencieux. Il siffle ou chante volontiers s'il est monté sur quelque chose.
    (Pour une dame qui voudrait penser à autre chose, p.10, Charpentier et Fasquelle, 1916)
     
  8. La photographie dit tout. La peinture escamote, atténue, veut ignorer ce qu'on lui montre... C'est que le peintre est un homme, - et qui a des pudeurs, ou des bontés, que le soleil n'a pas.
    (Pour une dame qui voudrait penser à autre chose, p.12, Charpentier et Fasquelle, 1916)
     
  9. Un préjugé populaire veut que l'on considère comme un agrément rare ou une commodité précieuse deux des actes les plus dépourvus de commodité ou d'agrément qu'il y ait au monde, à savoir : déjeuner sur l'herbe, ou déjeuner dans son lit.
    (Pour une dame qui voudrait penser à autre chose, p.13, Charpentier et Fasquelle, 1916)
     
  10. Je définirais volontiers le tango : une façon troublante et incommode de paraître chercher, à deux, quelque chose qui est tombé par terre.
    (Pour une dame qui voudrait penser à autre chose, p.15, Charpentier et Fasquelle, 1916)
     
  11. Une petite chose qui fait plaisir : apercevoir un peu de café encore au fond de la tasse qu'on croyait vide.
    (Pour une dame qui voudrait penser à autre chose, p.15, Charpentier et Fasquelle, 1916)
     
  12. Parmi ceux qu'on a détestés une minute ou deux : la personne qui donne en même temps que vous le renseignement géographique qu'on eût été fier de donner le premier; - le voisin qui suit des yeux, par-dessus votre épaule, le papier qu'on lit à haute voix.
    (Pour une dame qui voudrait penser à autre chose, p.15, Charpentier et Fasquelle, 1916)
     
  13. L'art d'un grand restaurateur est de donner au passant l'illusion qu'il n'est point un client dont on profite, mais un invité qu'on oblige.
    (Pour une dame qui voudrait penser à autre chose, p.16, Charpentier et Fasquelle, 1916)
     
  14. Qu'une femme laide, qui danse bien, est donc jolie tout le temps qu'elle danse !
    (Pour une dame qui voudrait penser à autre chose, p.22, Charpentier et Fasquelle, 1916)
     
  15. « On sait que... » est, en journalisme, une formule qui signifie : « On ne sait certainement pas que... » Je me demande si les journalistes, à l'étranger, sont aussi polis que nous ?
    (Pour une dame qui voudrait penser à autre chose, p.24, Charpentier et Fasquelle, 1916)
     
  16. Je connais un garçon très gentil qui a une habitude affreuse. Chaque fois qu'on lui demande : « Comment allez-vous ? » il explique comment il va. Il est devenu impossible à fréquenter.
    (Pour une dame qui voudrait penser à autre chose, p.27, Charpentier et Fasquelle, 1916)
     
  17. On peut écrire dans le bruit. Mais on ne peut guère se relire que dans le silence.
    (Pour une dame qui voudrait penser à autre chose, p.34, Charpentier et Fasquelle, 1916)
     
  18. Les intentions d'un chien sont toujours spirituelles, quand le maître a de l'esprit.
    (Pour une dame qui voudrait penser à autre chose, p.36, Charpentier et Fasquelle, 1916)
     
  19. Un homme de cinquante ans chez qui l'ennui de vieillir l'emporte sur la curiosité de se regarder vieillir n'a pas le droit de dire qu'il a le goût de l'observation.
    (Pour une dame qui voudrait penser à autre chose, p.37, Charpentier et Fasquelle, 1916)
     
  20. On ressent auprès d'un déménageur très poli le même genre d'émoi reconnaissant que devant un chirurgien tendre.
    (Pour une dame qui voudrait penser à autre chose, p.38, Charpentier et Fasquelle, 1916)
     
  21. Il dit : « Je n'ai pas la prétention de faire le stratège... » Et il fait le stratège, en disant cela. On sent même, au ton dont il le fait, à son geste, à certains clignements d'yeux, qu'il croit bien le faire excellemment.
    (Pour une dame qui voudrait penser à autre chose, p.40, Charpentier et Fasquelle, 1916)
     
  22. Il y a peu d'hommes assez courageux pour n'être pas, dans une discussion, du côté de celui qui fait rire.
    (Pour une dame qui voudrait penser à autre chose, p.40, Charpentier et Fasquelle, 1916)
     
  23. Mlle M...., amie de Chenavard, m'a cité ce mot du vieux peintre :
    « J'aurais voulu mériter la gloire, et demeurer inconnu. »

    (Pour une dame qui voudrait penser à autre chose, p.50, Charpentier et Fasquelle, 1916)
     
  24. J'ai entendu un jour un militaire qui avait beaucoup d'esprit définir la bonne santé « le silence des organes. »
    (Pour une dame qui voudrait penser à autre chose, p.52, Charpentier et Fasquelle, 1916)
     
  25. L'ami convalescent me dit : « Pensez donc... près de 40 degrés pendant trois semaines ! » Ça n'est pas vrai. Il en a eu 39 au plus, pendant quinze jours. Mais il exagère le péril, pour augmenter sa joie d'y avoir échappé.
    (Pour une dame qui voudrait penser à autre chose, p.55, Charpentier et Fasquelle, 1916)
     
  26. Il est très difficile de perdre un parapluie qu'on n'aime pas.
    (Pour une dame qui voudrait penser à autre chose, p.60, Charpentier et Fasquelle, 1916)
     
  27. Au cours d'une discussion politique assez vive, C... disait : « Si je n'étais cardiaque, je me mettrais en colère, mais mon médecin me l'a défendu. » Il ajoutait : « Tu ne saurais croire combien c'est bon d'avoir le coeur un peu fragile. On s'exerce à ne plus rien prendre au sérieux. »
    (Pour une dame qui voudrait penser à autre chose, p.66, Charpentier et Fasquelle, 1916)
     
  28. « Une infériorité écrasante ». J'ai rencontré cette expression chez un écrivain qui passe pour savoir très bien son français.
    (Pour une dame qui voudrait penser à autre chose, p.68, Charpentier et Fasquelle, 1916)
     
  29. Je ne sais pas s'il existe au monde un homme assez discret pour ne pas tendre l'oreille au murmure d'une voix de femme qu'il perçoit, à l'hôtel, de l'autre côté de la cloison.
    (Pour une dame qui voudrait penser à autre chose, p.77, Charpentier et Fasquelle, 1916)
     
  30. Il y a bien des chances pour qu'un homme très supérieur à la besogne qu'il fait la fasse mal : un bon rasoir est un mauvais coupe-papier.
    (Pour une dame qui voudrait penser à autre chose, p.80, Charpentier et Fasquelle, 1916)