Robert Merle
1908-2004
  1. L'avant-goût de la mort est atroce.
    (Madrapour, Folio n° 972)
     
  2. La clairvoyance des gens bornés: ils comprennent tout, mais à moitié.
    (Madrapour, Folio n° 972)
     
  3. N'oubliez pas que, si longue vous apparaisse votre existence, votre mort, elle, est éternelle.
    (Madrapour, Folio n° 972)
     
  4. [...] une maladie bien américaine: l'interventionnisme.
    (Madrapour, Folio n° 972)
     
  5. Il y a chez nous tous, je crois, un instant qui nous donne une connaissance de ce que nous allons vivre. Je n'ai aucun doute là-dessus. Les devins d'autrefois voyaient l'avenir, parce que la clairvoyance n'était pas chez eux, comme chez nous, obscurcie par le refus de l'homme de connaître à l'avance son propre sort. Je répète ma conviction: la vision du destin qui nous attend est enclose en chacun de nous. Nous en jouirions - mais peut-on jouir d'une prescience qui débouche tôt ou tard sur la mort? - Si nous n'avions élevé entre elle et nous le mur de notre aveuglement.
    (Madrapour, Folio n° 972)
     
  6. Curieux qu'une moitié de notre vie soit faite de sommeil et que dans la moitié qui reste, la moitié encore soit faite d'oubli ou d'aveuglement sur l'avenir. C'est ainsi que l'on parvient par degrés insensibles à la mort: en rêvant la plupart du temps qu'on est en train de vivre.
    (Madrapour, Folio n° 972)
     
  7. La pensée qu'on survivra un jour à son propre corps n'est pas, il faut le dire, très adoucissante. Surtout au moment de s'endormir.
    (Madrapour, Folio n° 972)
     
  8. Il y a une certaine façon policière d'interroger les gens, dont on dirait qu'elle a pour but de ne 'pas' découvrir la vérité.
    (Madrapour, Folio n° 972)
     
  9. Et croyez-vous, parce que nous sommes partis, que nous sommes certains d'arriver?
    (Madrapour, Folio n° 972)
     
  10. Je suppose que les grands anémiés et les très vieilles personnes doivent éprouver vingt-quatre heures sur vingt-quatre ce sentiment accablant d'être vidés progressivement de leurs forces.
    (Madrapour, Folio n° 972)
     
  11. [...] la fausseté fondamentale de ce culte stupide rendu publiquement au hasard, au mensonge et à l'argent.
    (Madrapour, Folio n° 972)
     
  12. [...] les délices amers de l'auto-accusation.
    (Madrapour, Folio n° 972)
     
  13. Dans les grandes communautés militaires, c'est l'homosexuel, latent ou avéré, qui le plus souvent, j'imagine, se désigne pour les missions suicides. Il est de l'étoffe dont le héros est fait. Détaché par la nature des cycles de la transmission de la vie, il est davantage disponible pour la mort.
    (Madrapour, Folio n° 972)
     
  14. Douter, ce n'est pas, comme je croyais, s'installer dans l'incertitude; c'est nourrir, l'une après l'autre, deux certitudes contradictoires.
    (Madrapour, Folio n° 972)
     
  15. Et d'abord, qu'est-ce que ça veut dire, croire? Surtout quand on fait suivre le verbe de l'adverbe vraiment?. Il y a un monde qui sépare l'irréprochable croire vraiment du douteux vouloir croire et du plus douteux faire semblant. Trois catégories où pourraient se classer les gens qui prient, s'ils avaient coeur à une telle classification, fût-elle secrète, fût-elle possible: car ceux qui veulent croire ne sont-ils pas aussi ceux qui croient qu'ils croient? Quelle fondrière, que ce problème! Et moi qui crois en Dieu, ou qui veux croire en Dieu - ce qui revient peut-être au même en pratique, mais non dans le for intérieur -,à cet instant, je ne crois vraiment qu'à une chose: à ma propre mort.
    (Madrapour, Folio n° 972)
     
  16. Quand on regarde longuement un mort, on finit toujours par discerner d'imperceptibles mouvements sur son visage. Cette illusion doit tenir au fait que nous n'arrivons pas à nous résigner à son irrémédiable immobilité.
    (Madrapour, Folio n° 972)
     
  17. Quand un homme est devenu un corps, avec quelle hâte nous en disposons! Vivant, il a pu nous être cher. Mort, il nous devient odieux. Vite! Vite! Qu'on l'emporte! Qu'on le mette dans un trou! Qu'on le brûle! Conservons de lui seulement ce matériau extra-léger: le souvenir, et cet élément ultra-propre: l'idée de l'être qu'il fut.
    (Madrapour, Folio n° 972)
     
  18. [...] le fou peut s'habituer à son asile, le prisonnier à sa cellule, l'enfant martyr à son placard - et les regretter quand ils les quittent.
    (Madrapour, Folio n° 972)
     
  19. [...] qu'est-ce qui différencie un souvenir unique d'un rêve ? Je ne puis trancher, puisque certains rêves, par leur cohérence, leur relief, leur logique interne et la richesse de leurs détails, donnent une impression de réalité qui même au réveil, ne se dissipe pas tout à fait. Inversement, n'a-t-on pas le sentiment, dans certains moments amers de solitude et d'échec, que les souvenirs qui vous assaillent - par exemple, un "grand amour" que vous avez cru, pendant quelques mois ou quelques années, partagé - ont été davantage rêvés que vécus?
    (Madrapour, Folio n° 972)
     
  20. En temps ordinaire, la roue du temps ne se contente pas de tourner et de vous emporter dans son cercle. Elle est dentelée et vous accroche sans fin de souci en souci. On ne vit pas. On tourne sans trêve dans les mêmes peurs, dans les mêmes obsessions. Sauf que dans le tout jeune âge, le futur pèse sur notre présent, le saisit dans son tourbillon et l'étouffe.
    (Madrapour, Folio n° 972)
     
  21. -Je crois vous aimer.
    -Quand en serez-vous sûre?
    -Quand nous serons séparés.

    (Madrapour, Folio n° 972)
     
  22. [...] on ne comprend jamais très bien l'être qu'on aime. Non pas qu'il soit plus opaque que les autres. Mais on se pose davantage de questions sur lui.
    (Madrapour, Folio n° 972)