Goswin Joseph Augustin, baron de Stassart
1780-1854
  1. Le public est tellement rassasié de livres aujourd'hui, qu'à moins d'imaginer un titre bizarre et qui pique la curiosité, il est bien difficile de se faire lire.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 1 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  2. Un pauvre diable de philosophe qui, du fond de sa tanière, s'avise de juger les vues politiques et les projets de l'homme d'État, me fait l'effet d'un de nos élégants de Paris qui voudrait mesurer le sommet des Alpes ou des Pyrénées à l'aide d'une lorgnette d'opéra.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 2 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  3. C'est un vice affreux que l'ingratitude ! Aussi bien des gens l'ont en telle horreur, que, pour ne point faire des ingrats, ils renoncent à la bienfaisance.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 3 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  4. L'homme puissant qui, tombé dans le malheur, conserve des amis chauds et des serviteurs affectionnés, est à coup sûr digne de l'estime publique, quelles que soient les clameurs d'un vulgaire presque toujours injuste.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 4 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  5. Ce que nous sommes convenus d'appeler de la modestie est souvent de l'amour-propre déguisé. C'est une vérité qu'on ne révoque plus en doute aujourd'hui. — Ce qu'on regarde au contraire comme de l'amour-propre ne serait-il pas de la modestie? Un homme se loue outre mesure, c'est qu'il a la modestie de croire que personne ne lui rendra justice. Tel autre s'attribue des qualités, des vertus qu'il n'a point, c'est qu'il craint apparemment que les siennes ne soient insuffisantes pour lui mériter la considération publique. J'ai connu, dans mon jeune âge, un homme d'un mérite incontestable, puisqu'il était membre de cinq ou six Académies. Lui adressiez-vous la parole? il relevait aussitôt la tête, vous regardait attentivement, puis, sans vous répondre, promenait ailleurs ses yeux distraits. On ne parlait dans le monde que de son inconcevable amour-propre. Il passait pour orgueilleux. L'était-il en effet? — Non, sans doute, il était modeste et n'osait répondre, parce qu'il manquait de confiance en lui-même et craignait toujours d'affaiblir, par quelque phrase malsonnante, sa réputation d'esprit et de talent. — Lise aime-t-elle à se parer? c'est encore modestie ; c'est qu'elle croit, pour plaire, n'avoir pas assez des dons de la nature. On voit, par ces exemples, qu'il ne faut pas être dupe des apparences, et qu'en tout point, pour bien prendre les choses, il ne s'agit que de les examiner du bon côté.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 5 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  6. Nous connaissons à peine les noms des ministres de Frédéric le Grand. Qu'est ce qu'un ministre sous un souverain qui dirige lui-même les affaires? c'est une espèce de mannequin revêtu d'un habit brodé, et qui agit par ressorts1.
    1Si notre philosophe Circé s'était rappelé que deux grands rois, Henri IV et Louis XIV, ont eu cependant pour ministres les Sully et les Colbert, elle n'aurait peut-étre pas énoncé, du moins d'une manière aussi tranchante, la pensée qu'on vient de lire.

    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 6 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  7. Le savant de fraîche date est un gueux revêtu qui nous fatigue de ses richesses.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 7 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  8. La tombe, qui fait disparaître pour toujours l'existence de l'homme vulgaire, sert de piédestal au grand homme pour exercer sa domination sur les siècles à venir.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 8 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  9. Le paon qui fait la roue me retrace l'image de maint bel esprit de la capitale. Quant au dindon, il ressemble à certain bel esprit de province.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 9 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  10. Les flatteurs de profession nous louent sans nous persuader ; mais il faut être de bon compte, leur encens nous fait toujours quelque plaisir : ils ressemblent à ces femmes galantes, dont nous savourons les témoignages d'amour sans y croire, tant nous sommes délicats sur les jouissances.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 10 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  11. L'éloquence, telle qu'un fleuve majestueux, doit toute sa magnificence à la nature : mais, comme le fleuve a besoin de digues qui dirigent son cours, l'éloquence ne peut se passer des règles du goût.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 11 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  12. Pourquoi vouloir contrôler la vie privée de tel ou tel grand personnage? Siffle-t-on l'acteur hors de la scène ?
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 12 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  13. On a recours au burin pour perpétuer la mémoire du bien qu'on fait, et l'on n'a pas même un crayon pour tracer sur le vélin mobile le bien qu'on reçoit.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 13 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  14. J'aurais été, comme un autre, partisan du droit naturel ; mais la vue d'un homme1 de cinq pieds dix pouces m'a fait faire des réflexions.
    1 On conçoit parfaitement que Circé s'était servie du mot chien au lieu d'homme, mais le traducteur, qui se pique de suivre le précepte d'Horace : non verbum verbo curabis redere, se borne à rendre ici la pensée, le sens de l'original, en l'adaptant au génie de notre langue, à nos mœurs et à nos habitudes bipèdes.

    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 14 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  15. La gloire a parfois ses caprices ; et, tandis qu'elle se refuse aux transports de ses courtisans les plus empressés, elle se fait un jeu d'accorder ses faveurs à ceux qui paraissaient les dédaigner.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 15 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  16. On a tellement défiguré la sensibilité par l'exagération et les grimaces, qu'il n'est plus permis aujourd'hui de se montrer sensible, sous peine de paraître ou faux ou ridicule. Le charlatanisme sentimental a détruit le sentiment.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 16 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  17. Quand l'intrigue ou le hasard distribue les honneurs, le mérite les dédaigne, et l'amour de la gloire s'éteint bientôt pour faire place à la cupidité effrénée qu'accompagnent toutes les passions viles.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 17 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  18. L'amour-propre (je prends ce mot en mauvaise part) est une de ces maladies de l'esprit auxquelles, pour ainsi dire, personne n'échappe. C'est comme la petite vérole, nous en avons le germe en naissant... Mais quel moraliste, quel philosophe pourra jamais faire la découverte d'un vaccin qui en détruise les effets?
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 18 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  19. On dit de tel homme qui, sans esprit, sans talents, sans connaissances, parvient à tout dans ce meilleur des mondes : C'est qu'il est né coiffé. Eh ! non, messieurs, c'est qu'il possède une qualité qui, pour n'être pas très rare, n'en est pas moins précieuse. Cette qualité, qui supplée à toutes les autres, est cet heureux don que la nature refuse trop souvent au génie pour en faire le partage de la médiocrité; c'est cet admirable instinct qui rend les reins flexibles et les fait courber humblement devant le fat puissant, le fripon en crédit, etc.; c'est enfin cette qualité qui rend Damis, l'heureux Damis, si supérieur au bonhomme Bernardin de SaintPierre.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 19 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  20. On représente ordinairement la fortune conduite par le hasard ; je voudrais, moi, lui donner pour guide l'à-propos. Cela serait plus flatteur pour l'espèce humaine, et, à tout prendre, aussi vrai.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 20 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  21. Heureux ceux que la nature gratifie du prisme brillant de la fatuité! Tout change de couleur à leurs yeux, et ils ont l'art de transformer en jouissances d'amour-propre les mortifications les plus cruelles.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 21 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  22. Quel homme peut échapper au joug de la dépendance? Celui qui croit ne dépendre de personne, dépend du hasard, le plus absolu comme le plus capricieux de tous les maîtres.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 22 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  23. Pour que notre esprit soit en pleine valeur, si je puis m'exprimer ainsi, nous avons besoin de quelqu'un qui soit en état de l'apprécier, et qui se donne la peine de le développer. Du choc de deux cailloux la lumière étincelle, a dit un poète. Il faut d'ailleurs, en toute chose, le désir de plaire : un sot ne le provoque point, un sot ne nous inspire rien, il nous laisse froids et sans verve. Nous ne sommes donc pas toujours également aimables ; les charmes de notre conversation ne sont pas, à beaucoup près, toujours les mêmes ; nous dépendons enfin des sociétés où nous nous trouvons ; et pourquoi, d'après cela, ne dirait-on pas : Tel homme a eu de l'esprit tel jour, comme on dit : Il a été brave.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 23 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  24. A quoi bon, révolté de la moindre injustice, se déchainer sans cesse contre ce pauvre genre humain? Un homme d'esprit a dit quelque part : La société est un corps pieux qu'on doit se croire obligé de défendre d'office.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 24 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  25. On a dit de tel personnage célèbre dans l'histoire de nos guerres qu'il avait de l'humanité à tant par heure.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 25 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  26. Un observateur, qui se trouvait à la cour d'un grand prince, se croyait assez habile pour deviner les courtisans de profession, rien qu'à leur voir faire la révérence.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 26 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  27. On voit tant de gens chez qui l'esprit est remplacé par le ridicule qu'en vérité l'on aurait tort de se plaindre, lorsqu'il n'y a qu'absence d'esprit.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 27 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  28. La modestie de bien des hommes que l'on cite peut être considérée comme le charlatanisme du talent.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 28 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  29. Ce qui fait le succès des opéras allemands, c'est qu'en général on aime à s'étourdir par le tapage. La musique allemande me paraît manquer d'expression. Elle peut avoir du mérite pour un concert, j'y souscris sans peine, et je suis sensible autant que personne au charme des belles symphonies d'Haydn, mais elle est rarement dramatique. Afin de s'en convaincre, je voudrais que l'on donnât à un poète français la musique d'un opéra allemand pour y adapter une pièce française ; je suis sûr que les situations et les caractères ne rappelleraient en aucune manière l'original. Qu'on prenne, au contraire, la musique d'un opéra de Grétry, et le poète allemand, s'il est homme d'esprit et de goût, et qu'il ait de l'âme, trouvera tout naturellement, ou je me trompe fort, les situations et, pour ainsi dire, le dialogue même de l'ouvrage français.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 29 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  30. Les gens de lettres mènent une vie trop dissipée à Paris ; voilà sans contredit la principale cause de la stérilité dont généralement on se plaint. Pour peu que cela continue, nous ne verrons plus que des quatrains et des distiques ; si l'on veut avoir un ouvrage de longue haleine, on sera forcé de mettre les gens de lettres aux arrêts, et de claquemurer l'Académie1.
    1On se plaignait alors de la stérilité, maintenant on se plaint d'une excessive abondance.

    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 30 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  31. La flatterie produit quelquefois ce bien, qu'en louant les grands des vertus qu'ils n'ont pas, elle leur impose, pour ainsi dire, l'obligation de les acquérir, ou du moins d'en prendre le masque.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 31 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  32. Tant d'hommes, avec de l'esprit, des connaissances, de l'érudition même, ne disent et ne font pourtant que des sottises! A quoi cela tient-il?... à ce qu'il leur manque cette espèce de mesure, ce régulateur de conduite que j'appellerai le gouvernail. Ce n'est rien d'amasser des matériaux, si l'on ne possède le secret de les mettre en oeuvre, sans les gaspiller.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 32 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  33. Lexicographus a beaucoup lu : sa tête est remplie d'in-folio et d'in-quarto, mais il ne s'est jamais rendu compte de ses richesses ; aussi, dans la conversation, est-il loin de briller, et paraît-il étranger même aux notions les plus simples. Sa mémoire est comme un magasin dont il n'a que la garde et point la propriété.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 33 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  34. Il ne suffit pas d'avoir de l'esprit pour soi, de savoir se plaire, il faut encore plaire aux autres. Voilà le point essentiel, voilà le bon esprit.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 34 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  35. Quand on a vécu quelque peu dans ce meilleur des mondes, on est tenté d'écrire l'histoire de la plupart des fortunes qui s'y font, en quatre chapitres : l'intrigue, les chevaux de poste, l'à-propos, et... le cotillon 1.
    1Circé, en chienne de bonne compagnie, aurait mieux fait d'employer l'expression décente les femmes; mais on connaît le cynisme philosophique.

    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 35 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  36. Nos faiblesses doivent rester cachées, non sous le voile de l'hypocrisie, mais sous celui de la pudeur.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 36 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  37. Ayons recours aux illusions pour nous défendre contre les vérités affligeantes, comme nous prenons le manteau pour nous garantir des frimas.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 37 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  38. Il est plus facile de jeter du ridicule sur une belle action que de l'imiter.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 38 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  39. Un livre de morale est comme une boutique de friperie ; l'auteur y étale souvent les pensées d'autrui, mais il a grand soin de les retourner auparavant.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 39 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  40. Épouser une femme par amour, c'est trop souvent une folie romanesque, un tort de l'esprit ; mais l'épouser pour la fortune, c'est un manque de délicatesse, c'est une flétrissure du coeur.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 40 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  41. J'ai connu, dans le Nord, des gens vifs et à imagination ardente ; mais celle vivacité, cette imagination étaient presque toujours accompagnées d'un grain de folie. Ce sont comme ces fruits étrangers au climat et qui ne mûrissent que dans les serres chaudes ; il est rare qu'ils soient parfaits.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 41 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  42. Si les hommes du Nord ont moins d'imagination que ceux du Midi, s'ils réussissent moins dans les ouvrages de pur agrément, ils sont, en revanche, penseurs plus profonds ; et l'on trouve chez eux une sensibilité, je ne dirai pas précisément plus vraie, mais plus soutenue. Lequel des deux lots est préférable? Voilà, sans doute, une de ces mille questions qui, malgré les recherches de nos savants et l'esprit scrutateur de nos Académies, resteront encore longtemps indécises ; c'est le cas, je pense, d'en revenir au Système des compensations de M. Azaïs.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 42 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  43. Gravidus-Longus, plein d'un religieux respect pour les doctes in-folio, croirait tout à fait déroger, si, voulant vous demander un rendez-vous, il se bornait à vous écrire, je ne dis pas quatre mots, quatre lignes, mais quatre pages. Ses périodes, ses phrases sont toutes arrondies, toutes ronflantes, toutes académiques, et son mépris pour les monosyllabes est tel que vous ne l'entendrez jamais dire ni oui ni non.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 43 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  44. Quelque obligation qu'on ait au hasard, on rougit d'en convenir. C'est, de tous les bienfaiteurs, celui qui fait le plus d'ingrats.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 44 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  45. Pourquoi donc voit-on tant de vieillards s'abandonner à l'avarice? — C'est que plus on vit avec les hommes, plus on apprécie le besoin de l'indépendance, plus on sent combien il serait peu raisonnable de compter sur les secours de ceux mêmes qui nous touchent de plus près. — On pourrait assigner les mêmes causes aux progrès que la méfiance fait avec l'âge.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 45 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  46. Prendre le ton de la société dans laquelle on doit vivre est toujours une preuve de bon esprit, de sagesse. Il faut savoir la langue du pays qu'on habite. Parler raison, au milieu d'un hôpital de fous, serait le comble de la folie.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 46 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  47. Damis apprécie, comme un autre, les gens de mérite ; mais, suivent-ils la même carrière que lui, dès lors il se donne bien de garde d'en parler avec éloge, de les faire valoir le moins du monde... Cette méprisable tactique n'est pas même utile à celui qui l'emploie ; car dans le siècle où nous vivons, et peut-être dans tous les siècles, ce n'est pas le mérite qu'il faut craindre, mais bien plutôt la médiocrité, toujours rampante, toujours intrigante, et par conséquent toujours favorisée de la fortune.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 47 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  48. O imitatores, servum pecus! Au lieu de céder à une noble et généreuse émulation en cherchant à mieux faire que les autres, trop souvent il nous arrive d'écouter la voix de la paresse qui nous engage à suivre les routes battues. Telle chose pourrait aller mieux qu'elle ne va. Oui, sans doute, mais on nous répond qu'elle s'est toujours faite de même, ou bien qu'elle se fait partout ainsi. C'est de celle manière que la négligence et la routine gouvernent ce monde. Nous craignons de nous faire des ennemis, d'exciter l'envie... et nous perdons lâchement de vue les intérêts du public. Aussi, plus d'améliorations, et dès lors tout languit, tout dégénère, tout se dégrade ; car ce qui ne se perfectionne point se détériore presque infailliblement.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 48 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  49. Rarement celui qui fait une découverte en recueille les fruits : il faut, pour être inventeur, un grandiose qui ne s'accorde guère avec les soins de détail dont presque toujours dépend le succès de nos entreprises. La fortune, j'entends la richesse, n'est pas souvent compagne du génie.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 49 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  50. Un prince, un grand, contracte, à sa naissance, l'obligation de justifier, un jour, par ses vertus et par ses talents, les faveurs de la fortune. Il ne les a, pour ainsi dire, reçues qu'à crédit : c'est une dette qu'il est tenu d'acquitter. Mais, hélas! combien en est-il qui meurent insolvables!
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 50 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  51. Ce qui fait le supplice de l'homme en place, c'est d'être obligé trop souvent, pour ne pas compromettre les intérêts qui lui sont confiés, de sourire au sot qui l'ennuie, et de faire accueil à l'intrigant qu'il n'estime point.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 51 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  52. S'il est des vers qui ont fait la réputation de leurs auteurs, il est encore plus d'auteurs qui ont fait la réputation de leurs vers.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 52 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  53. A trente ans, on ne lit plus un ouvrage d'un bout à l'autre ; on se contente de le parcourir. Aussi manque-t-on rarement de trouver que les livres nouveaux n'ont ni ordre ni méthode.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 53 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  54. Il arrive assez généralement que l'on juge d'une manière défavorable les projets et les actions de l'homme de génie, et que même on cherche à les couvrir de ridicule. Cela me parait tout simple : ils sont trop loin de la portée du vulgaire pour qu'il en arrive autrement, mais l'expérience vengeresse met les choses à leur place ; et les nains qui s'étaient ralliés en foule sous les bannières de l'envie sont contraints, tôt ou tard, de tomber aux pieds du grand homme que la gloire destine aux hommages de la postérité.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 54 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  55. Les grands et les rois ressemblent aux coquettes. Témoignez-leur trop d'amour et d'empressement, vous n'en obtiendrez aucune faveur ; votre amour-propre leur répond suffisamment de votre fidélité.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 55 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  56. Dans le bon siècle dix-neuvième, grâce aux dictionnaires de tout genre, grâce aux mémoires académiques, on devient savant sans qu'il en coûte d'autre peine que celle de feuilleter une douzaine d'in-quarto et une cinquantaine de brochures ; mais il est facile de distinguer les gens d'études profondes, et qui savent penser, de celle foule de perroquets dont l'assourdissant babil n'en impose plus même à ceux qui pour la première fois les entendent.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 56 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  57. Les génies d'un ordre supérieur ne sont pas toujours les plus propres à bien apprécier les hommes de mérite. Leurs propres forces, qu'ils connaissent trop bien, les rendent dédaigneux, et ils regardent comme un soin inutile de mesurer celles des autres.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 57 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  58. Quand on considère l'ingratitude et les injustices auxquelles l'homme en place est plus exposé que personne, on doit lui savoir quelque gré de n'être ni dur, ni égoïste, à quarante ans.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 58 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  59. Tant de gens possèdent de la fortune, des honneurs ; il ne leur manque plus rien que l'estime, la considération publique ; et pourtant, loin de chercher à l'acquérir, ils continuent leurs méfaits, comme au début de leur carrière!... Comment, après tous les exemples que nous en avons sous les yeux, ne pas croire aux protubérances du docteur Gall?
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 59 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  60. Le bien qu'on espère, entouré de prestiges et d'illusions, paraît toujours plus beau que celui dont on jouit. Aussi l'homme n'est-il jamais satisfait du présent, qu'il supporterait même avec peine, s'il ne se laissait aller sans cesse aux charmes que lui présente l'avenir.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 60 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  61. Que de Pygmalions ! que de Pygmalions !... connaissez-vous Bardus? Bardus a fait certain drame auquel les comédiens ont refusé les honneurs de la représentation ; mais, en écrivain modeste, il n'attribue ce petit échec qu'à l'envie s'acharnant sans cesse contre les grands hommes : aussi, pour se venger de l'aréopage comique, a-t-il fait imprimer sa pièce ; je l'ai vu, tout émerveillé de son incomparable mérite, se prosterner devant l'autel qu'il vient d'ériger à ses talents dans un journal que tout auteur prudent, que tout auteur jaloux de ne s'en remettre à personne du soin de sa renommée, ne manque jamais d'avoir à sa disposition. Idole et prêtre tout à la fois, il tenait en main l'encensoir, dont la fumée l'enivrait.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 61 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  62. Quand on voit l'homme d'un génie supérieur démentir tout à coup la fermeté qui le caractérise, et faire, dans une circonstance importante, maint acte de faiblesse qui influe sur le sort de plusieurs provinces, comment ne pas croire que la Providence dirige à son gré les événements, et qu'elle se sert de nous comme de machines destinées à l'exécution de ses grands desseins ?
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 62 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  63. L'homme d'État, en se rappelant qu'il joue on rôle sur le grand théâtre de ce monde, peut-il être toujours lui-même? et s'il manque parfois de naturel ou même de franchise, pourvu que cela n'aille pas trop loin, ne doit-on pas le lui passer en faveur des difficultés de sa position?
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 63 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  64. 1 Que de mathématiciens dans le monde ! Que de mathématiciens ! Le ciel, comme dit le bon la Fontaine, semble en avoir béni l'engeance. Toutes les conversations commencent aujourd'hui par A + B, et, pour peu que cela continue, les sciences même ne s'expliqueront plus que par des chiffres combinées avec l'A, B, C. Déjà un philosophe de mes amis a conçu l'heureuse idée de réduire en équations algébriques tout ce qu'il y a de fixe dans la science de l'avocat. Bientôt une règle de trois donnera la solution d'un procès comme celle d'un problème ; les formes d'un acte se trouveront toutes dans une progression géométrique ; et l'on aura, au lieu d'un code, une échelle des délits et des peines. La justesse de l'esprit ne sera plus une qualité louable chez les juges ; on ne vantera que la justesse de leur compas : chaque tribunal, armé du sien, réduira le discours de l'avocat en équations, multipliera le délit par les circonstances, divisera par la question intentionnelle, et trouvera pour résidu un chiffre qui, porté sur l'échelle des délits et des peines, donnera juste la proportion du châtiment qu'aura mérité le coupable. Alors, plus de jugements arbitraires. Si l'accusé d'ailleurs croit avoir à se plaindre, la cour de cassation lui fera la preuve de la règle qui l'aura condamné.
    1Cette observation de notre philosophe Circé avait déjà paru dans un journal (le Bulletin littéraire), en 1804, sous le litre de Plaisanterie sur un ouvrage sérieux.

    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 64 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  65. Témoignez des respects au fat en crédit, bientôt, vous regardant comme une victime dévolue à sa vanité, il se croira tout permis, et vous saurez jusqu'à quel point il est possible de pousser l'impertinence.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 65 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  66. Cette extrême politesse qu'affectent certains grands seigneurs, cette politesse qui n'a rien d'affectueux, n'est-elle pas, en quelque sorte, un avis au public pour repousser toute espèce de familiarité?
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 66 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  67. Lavater, quelque habile qu'on le suppose, ne serait qu'un très petit garçon, pour la connaissance des hommes, auprès de tel mendiant de Paris dont le son de voix, pour ainsi dire attractif, parvient à découvrir les organes de la sensibilité jusque dans les plus secrets replis du coeur, et qui possède ainsi l'art de se faire, année commune, au delà de mille écus de rente, ce qui fait le double du traitement accordé au laborieux commis, et quatre fois plus que ne gagne le modeste artisan à la sueur de son front.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 67 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  68. Une volonté ferme, qu'aucune difficulté n'arrête et qui brave tous les obstacles, ne doit être considérée comme un indice du génie qu'à la condition de subordonner préalablement ses projets à la prudence.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 68 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  69. Ce qui rend si pénible aux femmes la marche du temps, c'est leur miroir ; peu savent l'envisager de sang-froid.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 69 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  70. Sous le règne de Louis XIV, où tout était, pour ainsi dire, représentation, Paris ressemblait assez à un vaste théâtre sur lequel chacun cherchait à remplir, le mieux possible, son rôle ; mais il est devenu depuis lors une espèce de bal masqué où l'on ne se borne plus, comme autrefois, à se contraindre, à bien s'observer, mais où l'on prend un masque pour mieux intriguer, pour mieux arriver à ses fins. Que de gens même, ne se contentant pas d'un seul masque, en changent sans cesse selon les circonstances qui se présentent et les hommes auxquels ils ont affaire!
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 70 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  71. Enclume, ou marteau : tel est le sort de la plupart des hommes ! Heureux, mille fois heureux le sage qui possède le secret de n'être ni l'un ni l'autre, et qui parvient à quitter ce monde sublunaire sans avoir été ni froissant ni froissé!
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 71 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  72. Il est essentiel, dès l'entrée dans le monde, de s'imposer la loi de choisir avec soin et discernement ses bienfaiteurs ; car rien n'est plus pénible que d'avoir des obligations à l'homme qu'on n'estime point.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 72 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  73. Lorsqu'un chef d'oeuvre dramatique est accueilli trop souvent avec une froideur désespérante pour le génie, d'où peut venir le succès prodigieux de tant de pièces médiocres? Serait-ce que, favorisant davantage le malin plaisir de la critique, elles procurent à l'amour-propre du spectateur plus de moyens de se satisfaire? Le chef-d'oeuvre, qui n'est pas toujours à sa portée, le laisse en quelque sorte dans une stupide admiration, tandis que l'allure bourgeoise du drame lui permet de déployer toutes les ressources de son esprit, et d'étaler avec complaisance le fruit de ses mesquines éludes.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 73 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  74. En faisant du bien à quelqu'un, c'est trop souvent un esclave qu'on veut acheter.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 74 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  75. On est sensible au bienfait, et l'on éprouve un ressentiment vif de l'offense, par une suite des mêmes dispositions naturelles. Aussi les personnes reconnaissantes sont-elles, pour l'ordinaire, vindicatives. Il leur faut une force de raison peu commune, il leur faut une grande supériorité d'âme pour associer à leur vengeance cette générosité, cette noblesse, qui la fait ressembler à l'oubli des injures.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 75 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  76. Chaque siècle (le nôtre ne fera pas, je pense, exception à la règle) offre dans les premiers emplois de l'État un nombre prodigieux de Gascons... Par Gascons, j'entends aussi les Provençaux, les Languedociens, voire même les Périgourdins. À quoi faut-il attribuer, du moins en grande partie, leurs succès? Est-ce à la supériorité de leurs talents? Mais si nous consultons l'histoire et les noms illustres qu'elle consacre, cette supériorité sera loin de paraître incontestable. Nous en trouverons, je crois, plutôt la cause dans cette chaîne patriotique qui semble unir plus intimement les hommes du midi de la France que ceux des provinces septentrionales, et qui ne leur permet jamais de rester étrangers à la gloire les uns des autres. Il semble que l'accent devienne entre eux un lien commun ; c'est comme une espèce de mot d'ordre maçonnique imposant le devoir de s'intéresser à tous les frères initiés, et de contribuer de son mieux à leur fortune. Un Gascon donne-t—il au théâtre une tragédie, aussitôt des légions arrivent des bords du Rhône et de la Garonne avec des battoirs pour applaudir à tout rompre. Un Gascon occupe-t-il une chaire dans la capitale, non seulement la salle est toujours remplie, mais on se coudoie, on se bat à la porte pour venir l'entendre. Puis les auditeurs d'applaudir chaque période, et de s'écrier à tue-tête (j'en ai plusieurs fois été témoin ) : Boilà commé on parlé, sandis! cé n'est point uné mazetté qué lé professur Longéac : c'est lé diou dé l'éloquence. Un Gascon, lancé dans la carrière des armes, ne fait plus un pas, plus un mouvement, qu'à l'heure même cent cadédis n'embouchent les trompettes de la renommée, et les journaux portent au loin ce nom voué d'avance à l'immortalité. Un Gascon se trouve-t-il en passe d'arriver au ministère, son éloge vole bientôt de café en café, on le fait circuler dans toutes les coteries, il se répète de bouche en bouche, et son mérite grossit à vue d'oeil, jusqu'à ce qu'enfin son énorme réputation ne permette plus à l'autorité souveraine de le laisser dans l'oubli. Ces grands hommes de fabrique gasconne, parvenus au comble des honneurs, traînent après eux, comme de raison, leur nombreux cortège, et la Garonne débordée inonde ainsi toute la France. Le manège que je viens de signaler est au surplus fort innocent ; il fait honneur au patriotisme de ceux qui l'emploient, il prouve ce que peuvent les hommes sous l'influence de la concorde et de l'amitié. Concordiâ res partoe crescunt1. La justesse de cette maxime, qu'avait adoptée pour devise la république des Provinces Unies, est frappante ; elle devrait être méditée dans les écoles publiques ; ce serait sans contredit le meilleur antidote contre les poisons de l'envie.
    1Les petites choses s'accroissent et se fortifient par la concorde.

    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 76 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  77. Celui qui ne met point à profit les revers de la fortune pour perfectionner son esprit et son coeur ne mérite pas d'être heureux.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 77 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  78. Une bourse de commerce est un temple qui réunit toutes les sectes aux autels de la même divinité.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 78 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  79. On aime encore l'image des biens que l'on a perdus. Denys le Tyran, banni de ses États, s'était fait, dit-on, maître d'école à Corinthe ; il trouvait des charmes à tenir en main une férule qui lui rappelait le sceptre de Syracuse. J'ai connu beaucoup un ex-grand seigneur qui, pour se consoler des disgrâces de la fortune, et pour adoucir le regret de n'avoir plus à faire les honneurs de sa table, s'était établi écuyer tranchant à table d'hôte dans une des principales auberges de Francfort.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 79 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  80. Le viager détruit le fonds. Celui qui cherche avec trop d'empressement à jouir de sa réputation, presque toujours perd de vue la postérité. Il substitue mille ébauches brillantes, si l'on veut, mais sans caractère, au chef-d'oeuvre qui, moins séduisant peut-être, mais plus solide, pouvait rendre son nom immortel.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 80 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  81. Nos attachements sont presque toujours entachés d'un peu d'égoïsme ; l'égoïsme est le pivot autour duquel chacun tourne sans trop s'en apercevoir. L'abnégation de nous-même ne prévaut que dans les grandes circonstances où l'âme s'élève au-dessus des petites passions et jusqu'à l'héroïsme.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 81 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  82. Si l'on veut rendre la critique utile, il faut avoir grand soin de lui donner la louange pour passeport.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 82 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  83. L'homme puissant a-t-il des faiblesses, personne n'ose prendre sur soi de paraître les avoir remarquées, et dès lors il se persuade facilement que tout le monde les ignore.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 83 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  84. Nous avons besoin, plus qu'on ne pense, des chimères du beau idéal. La vérité finirait par nous rendre froids, égoïstes et durs. Une loi de l'État (je le dis très sérieusement), une loi de l'État qui obligerait un ministre, un gouverneur de province, à lire de temps en temps un roman tel que les Tableaux de famille d'Auguste Lafontaine1, ne serait peut-être pas si mauvaise.
    1 Écrivain allemand dont les ouvrages, traduits en français par l'auteur de Caroline de Lichtfield, Mlle de Monlolieu, obtinrent une vogue qui s'est soutenue jusqu'à l'apparition de Walter Scott, le grand peintre de moeurs, le magicien du roman.

    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 84 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  85. L'intérêt bien entendu, c'est-à dire guidé par la raison, est plus favorable à la vertu qu'au vice, parce que les vices lui sont moins utiles que les vertus.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 85 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  86. J'ai lu le Voyage sentimental de Sterne, j'ai lu le Voyage autour de ma chambre, du comte Xavier de Maislre 1. Ce sont des bagatelles charmantes ; mais un ouvrage plus piquant encore, et dont je voudrais qu'un homme d'esprit se chargeât, ce serait un Voyage sur les bords du Pactole, ou Histoire de fortunes qui se sont faites depuis vingt-cinq ans. À ce projet, que de courtisans, que de prétendus héros, que d'administrateurs, que de financiers, je vois déjà frémir ! Je ne parle point des fournisseurs : ils ont depuis longtemps, comme on dit, toute honte bue; et néanmoins, à tout prendre, parmi les sangsues publiques, les fournisseurs sont encore les moins coupables. Ils retirent, à la vérité, les marrons du feu, mais trop souvent on les y contraint, et ils n'en conservent pour l'ordinaire que la moindre part. 1 Quoique Circé ait beaucoup vécu parmi les hommes, elle n'était point, que je sache, parvenue à parler leurs langues. Ce passage me porte à croire que le Voyage sentimental, et d'autres ouvrages encore, ont été traduits en chien, par M. Dupont de Nemours, ou par quelqu'un de ses disciples ; c'est au surplus un fait à vérifier.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 86 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  87. La robe du magistrat, la soutane épiscopale, et les broderies de l'homme de cour, inventées pour la vaniteuse médiocrité, ne sont pas toujours inutiles au mérite même. Elles rappellent à ceux qui les portent les bienséances dont ils ont juré d'être esclaves, et qu'on ne brave jamais impunément.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 87 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  88. Il est des gens si pleins d'eux-mêmes, et qui trouvent tant de charmes à s'appesantir sur le monosyllabe moi, qu'en le prononçant ils ont le secret d'en faire deux syllabes.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 88 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  89. Si nous nous trouvons moins heureux d'aimer que d'être aimés, c'est que nous n'aimons pas véritablement. Notre amour n'est autre chose que de la vanité.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 89 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  90. L'amour véritable et parfait, tel que le conçoit une imagination ardente, n'est pas précisément le phénix ou le merle blanc dont chacun parle et que personne n'a vu, mais il faut convenir qu'il leur ressemble beaucoup.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 90 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  91. On fait trop souvent honneur à la probité de ce qui n'appartient qu'à la crainte et au manque d'audace.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 91 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  92. Vous avez remarqué sans doute avec quel soin bon nombre de marchands du Palais-Royal, à Paris, étalent tout ce qu'ils possèdent, de manière à séduire le premier coup d'oeil. Vous en êtes ébloui d'abord ; mais le crédit de nos enchanteurs perd cent pour cent si vous vous avisez de passer plus loin que la boutique ; car vous chercheriez vainement le magasin. Tout pour l'extérieur : voilà leur devise. N'est-ce pas ainsi qu'en agissent, au moral, tant d'êtres médiocres qui veulent faire néanmoins fortune dans ce tourbillon qu'on appelle le monde? El ce manège ne leur réussit-il pas à merveille? Les souverains, les ministres n'ont point ou ne se donnent point le temps d'étudier les hommes et d'approfondir les choses ; ils ne peuvent voir que l'écorce, ils ne peuvent juger que sur l'enseigne ; et comment dès lors la médiocrité, parce de tous ses avantages et calculant avec art l'effet de toutes ses démarches, de toutes ses paroles, n'obtiendrait elle pas la préférence sur le génie presque toujours inégal, du moins en apparence, fier, et ne déployant d'ailleurs jamais ses ressources qu'on n'ait manifesté le désir de les connaître ?
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 92 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  93. Errer de désir en désir, de regret en regret, jusqu'à ce que le tombeau vienne mettre un terme à ce rêve pénible, voilà ce qu'on appelle vivre. C'est à cette chimère néanmoins que tant de gens tiennent.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 93 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  94. La modération et l'impartialité, qui nous servent à juger sainement les passions et à nous prémunir contre leurs excès, sont des vertus auxquelles il est difficile que les contemporains applaudissent ; c'est à l'équitable avenir qu'il appartient de les apprécier.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 94 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  95. Le passé s'embellit, à nos yeux, des ennuis du présent.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 95 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  96. La raison, presque toujours, se perfectionne, chez nous, aux dépens du coeur : nous faisons, par réflexion, à quarante ans1, le bien qu'à vingt nous aurions fait par instinct.
    1Notre bonne Circé, qui se met ici de la partie, n'avait pas lu sans doute l'almanach de Gotha, qui borne la vie des chiens à dix-huit ans tout au plus.

    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 96 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  97. L'amitié n'est point aveugle, mais elle regarde comme un de ses devoirs les plus impérieux de ne remarquer, du moins en public, dans l'objet aimé, que les choses belles, grandes et honorables ; elle a soin de jeter sur tout le reste le voile de l'indulgence. Eh ! s'il en était autrement, nos amis, qui connaissent mieux que personne nos défauts et nos faiblesses, ne seraient-ils pas mille fois plus à craindre que nos ennemis même auxquels ils fourniraient ainsi des armes contre nous?
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 97 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  98. Pour réussir auprès des hommes, il faut savoir les étonner et captiver sans cesse leur attention. La faute qu'on répare avec éclat produit plus d'effet qu'une sagesse monotone et timide, qu'apprécie rarement la multitude.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 98 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  99. Ces gens qui se montrent tout de flamme pour commencer l'exécution des projets qu'ils ont conçus, et de glace lorsqu'il s'agit de l'achever, sont fort dangereux dans les affaires publiques ; ils compromettent sans cesse les intérêts des citoyens, et bouleversent tout sans obtenir jamais le moindre résultat satisfaisant.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 99 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  100. Il faut presque toujours, dans les grandes occasions, ne prendre conseil que de soi-même. Consulter les autres, en pareil cas, c'est s'exposer à tous les inconvénients de l'incertitude et de l'irrésolution ; c'est risquer de n'être plus à temps pour saisir l'à-propos ; c'est vouloir perdre le droit de maîtriser les circonstances.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 100 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  101. Les réformateurs, parmi lesquels beaucoup sont moins épris d'une vaine gloire qu'animés de l'amour du bien public, ne trouvent autour d'eux que des mécontents et des ingrats. La postérité, plus équitable d'ordinaire que les contemporains, mais induite en erreur par la calomnie, qui trop souvent préside aux travaux de l'histoire, ne leur rend même pas toujours la justice qu'ils ont méritée.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 101 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  102. L'écrivain qui veut aspirer à la gloire des succès durables doit être moins jaloux d'étonner ses lecteurs par la nouveauté de ses opinions et par la hardiesse de ses figures oratoires, que de leur persuader, par la justesse de ses idées et par la simplicité de son style, qu'il est impossible de penser et d'écrire autrement que lui.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 102 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  103. Qui n'aime à s'abandonner aux prestiges de la mémoire et de l'imagination? Qui n'aime à faire, en quelque sorte, du passé et de l'avenir le présent ?
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 103 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  104. Les vertus publiques exigent, parfois, j'en conviens, des sacrifices qui les mettent en opposition avec les vertus privées. Cependant il est moins rare qu'on ne le pense de posséder au même degré les unes et les autres ; l'histoire de nos hommes célèbres nous en fournit plus d'une preuve sans réplique ; et qui ne se rappelle ici les noms des Catinat, des l'Hôpital, des Molé, des d'Aguesseau, des Malesherbes, et de tant d'autres, dont la nation s'enorgueillit à si juste titre !
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 104 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  105. En cherchant à nous donner les qualités qui nous manquent, nous négligeons trop souvent celles que nous a départies la nature, et dont le bon emploi nous suffirait. Tant il est vrai de dire que le mieux est l'ennemi du bien.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 105 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  106. Que la paresse et l'oisiveté vous maîtrisent, et bientôt vous ne serez plus en état d'agir, ni même de penser sans vous faire violence.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 106 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  107. On n'a jamais une meilleure opinion de soi-même, on ne se sent jamais plus d'obligeance, que lorsqu'on a besoin des autres.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 107 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  108. Les voyageurs parlent ordinairement avec enthousiasme des chefs-d'oeuvre de l'art, surtout lorsque ces chefs-d'oeuvre ont le mérite inappréciable de deux mille ans d'antiquité; mais s'ils joignaient aux éloges une critique éclairée, dût-elle même paraître un peu minutieuse, quel service ne rendraient-ils pas aux jeunes artistes qui, trop souvent, admirent tout sur parole, et confondent ainsi les défauts avec les beautés des grands maîtres. Il en est de même en littérature ; par un culte superstitieux, l'admiration aveugle ou exagérée est très nuisible au bon goût. Sachons donc gré à Voltaire d'avoir eu le courage (c'est bien le mot) de commenter Corneille ; et loin de nous l'injustice trop commune de le lui reprocher comme un témoignage d'envie ou comme une irrévérence injurieuse pour le fondateur de notre théâtre.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 108 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  109. Si l'on ne craignait de paraître manquer de goût en pensant tout haut sur les ouvrages dont le temps a consacré le succès, que de réputations se trouveraient en danger d'être, sinon détruites, du moins atténuées considérablement!
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 109 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  110. On a grand tort de blâmer les illusions du bel âge. Passe encore si la vérité les remplaçait ; mais non : de tristes erreurs leur succèdent pour l'ordinaire. Si nous voyons, à vingt-cinq ans, tout en beau, si nous croyons tous les hommes bons et vertueux, nous en sommes quelquefois dupes, j'en conviens ; mais aussi nous faisons plus de frais pour leur plaire, nous tenons davantage à leur estime, notre conduite en vaut mieux, et en général nous avons moins à nous en plaindre. À quarante ans, au contraire, nous nous exagérons presque toujours les torts de la société et des individus qui la composent, notre confiance est détruite ; mais si nous avons lieu d'être mécontents des autres, oserions-nous répondre que nous ne les avons jamais repoussés par nos manières dédaigneuses et par notre excessive réserve? oserions-nous répondre que nous n'avons pas, de notre côté, des reproches graves à nous faire?
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 110 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  111. Les pensées qu'on jette isolément sur le papier1 ont, en général, un air d'apprêt qui gâte tout. Les pensées, au contraire, qu'on laisse tomber de loin en loin dans un ouvrage sont, pour ainsi dire, nées du sujet ; elles plaisent par ces grâces naturelles, par ce facile abandon et cette aimable bonhomie qu'exclut nécessairement la prétention affichée de régenter le lecteur.
    1 Puisse le lecteur se rappeler que ces pensées sont extraites d'un autre ouvrage (Mémoires sur les moeurs de ce siècle), et ne pas trouver plus d'orgueil que de modestie dans cet aveu de notre philosophe Circé.

    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 111 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  112. Il est des circonstances impérieuses qui, si elles abattent le faible, électrisent le fort et doublent ses facultés. Que de belles actions, que de prodiges ne leur devons-nous pas ! La nécessité, prise dans ce sens, devient la mère des vertus sublimes.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 112 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  113. Le siècle dans lequel nous vivons se présente toujours à nos yeux hérissé des sottises qui le dégradent, tandis que les siècles précédents, pour arriver jusqu'à nous, se sont épurés au creuset de la critique ; il n'en reste plus que les objets dignes de notre admiration. Voilà ce dont peut-être on ne se rend pas assez compte, et ce qui fait que, pour l'ordinaire, nous sommes enthousiastes des temps passés et détracteurs du nôtre.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 113 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  114. Si la fortune est aveugle, c'est une infirmité contagieuse pour ses favoris... Elle les rend impropres à conjurer les orages qui les menacent ; les revers les trouvent sans force et sans défense. De là ces catastrophes, ces chutes terribles dont l'histoire nous offre tant d'exemples.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 114 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  115. Les mêmes circonstances renaissent sans que nous nous montrions plus sages. L'expérience, qui nous coûte si cher, nous est rarement d'une grande utilité.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 115 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  116. Il est nécessaire de se tenir en garde contre l'imagination ; elle nuit presque toujours au jugement et à la mémoire. Par elle, les chimères remplacent les réalités et trop souvent nous entraînent d'erreur en erreur, de folie en folie, jusqu'à notre ruine totale.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 116 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  117. L'homme que le sort condamne à gouverner l'espèce humaine devrait, pour se consoler des injustices trop communes de l'opinion publique, relire chaque matin la fable du Meunier, son Fils et l'Âne.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 117 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  118. Le mérite, dit-on, se cache, et l'on doit se donner la peine de le chercher avec soin. 11 faut convenir que cela n'est pas commode pour les princes et pour leurs ministres. Pourquoi donc aussi le mérite a-t-il son orgueil?... Hélas! c'est que la perfection n'existe point dans cette triste planète que certains philosophes ont pourtant surnommée le meilleur des mondes possibles.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 118 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  119. Les petites considérations sont les entraves habituelles du génie.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 119 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  120. Il en est souvent des bons mots comme des pièces de monnaie qu'on voit circuler de main en main ; chacun s'en croit le propriétaire, et l'on s'en fait honneur à tour de rôle.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 120 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  121. Les hommes d'une trempe assez forte pour résister aux revers de la fortune sont assez rares ; mais j'en connais bien moins encore que la fortune n'ait point corrompus.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 121 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  122. Le ton de fatuité, l'air de suffisance et le babil sentencieux de ce qu'on veut bien appeler, à Paris, gens de bonne compagnie, peuvent en imposer un instant à l'homme modeste ; mais bientôt le charme cesse, et ces esprits si brillants, si sémillants, semblables aux machines de Vaucanson, s'arrêtent tout court ou se répètent.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 122 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  123. Que de gens, à la ville comme à la cour, ridiculisent ou blâment dans autrui ce qu'ils seraient très flattés d'avoir fait eux-mêmes.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 123 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  124. Il en est de la gloire comme de la cuisine, il ne faut pas en voir les apprêts.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 124 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  125. Si le génie était toujours accompagné de la patience et de l'amour du travail, à quelle hauteur n'atteindrait-il point !
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 125 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  126. Il doit être bien plus facile de faire une conquête que de la conserver, car il faut moins d'habileté pour attaquer que pour se défendre.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 126 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  127. Si vous avez le malheur d'être méfiant, prenez au moins le masque de la confiance : s'agit-il d'obtenir de quelqu'un des sacrifices et du dévouement? le plus sûr moyen est de compter ou de paraître compter entièrement sur lui. Le moindre soupçon est regardé comme un outrage ; il détruit l'enthousiasme, blesse l'amour-propre, et presque toujours allume le désir de la vengeance.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 127 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  128. Le lien qui unit entre eux les membres d'un même corps est presque toujours une entrave pour le génie. S'il a l'audace de vouloir s'en affranchir, la punition suit de près l'offense. Malheur à qui s'élève! l'esprit de corps se plaît à s'armer du niveau de l'égalité. Souvent, afin de maintenir l'équilibre, il embouche les trompettes de la renommée en faveur de la médiocrité peu redoutable, tandis qu'il déchaîne les serpents de l'envie contre le mérite trop prépondérant. Toute corporation, en un mot, est une espèce de république qui n'admet point de dictature ; l'éclat d'une vertu trop insigne y devient nécessairement l'objet de la méfiance générale.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 128 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  129. Toute politique contraire aux intérêts de la majeure partie des individus qui composent la société est nécessairement vicieuse. Elle est l'objet de trop de regards intéressés à découvrir le défaut de la cuirasse, pour ne pas succomber tôt ou lard. Le bonheur des hommes appuyé sur les bases solides de l'expérience, et non sur les brillantes chimères d'un mieux idéal qui sacrifie toujours le présent à l'avenir, doit donc être le but de tout bon gouvernement, de tout gouvernement raisonnable.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 129 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  130. Comme il y a d'aimables négligences qui servent de parure à l'esprit, il est aussi des faiblesses dont le coeur s'honore.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 130 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  131. Savoir paraître dupe à propos... savoir s'ennuyer avec grâce et sans qu'il y paraisse... voilà deux qualités que je regarde comme indispensables pour l'homme d'État.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 131 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  132. La jouissance de soi-même n'est point une chimère, un mot vide de sens, comme l'ont avancé quelques prétendus philosophes ; c'est un bien très réel, mais que l'honnête homme seul possède. C'est la jouissance de soi-même qui le console des disgrâces de la fortune, et lui fait trouver mille charmes dans la médiocrité, lorsque tant de fripons parviennent aux honneurs et sont comblés des distinctions de cour, vains hochets qui cessent d'avoir un prix en cessant d'être les enseignes du mérite et de l'honneur.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 132 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  133. Quand enfin écrira-t-on l'histoire comme elle doit être écrite? et quand verrons-nous les Numa, les Marc-Aurèle, les Charles le Sage, et les Stanislas, au premier rang si longtemps usurpé par les Alexandre, les César, et les Gengis-kan? Les princes fidèles aux devoirs du trône, les bienfaiteurs de l'humanité, céderont-ils toujours le pas aux fléaux des peuples, à ces monarques insensés ou coupables qui, plus épris de la gloire mensongère des exploits guerriers que sensibles aux bénédictions de leurs sujets, n'ont cherché que le bruit et l'éclat, sans songer aux flots de sang que coûtaient les chimères de leur orgueil? Historiens qui préconisez l'esprit de conquête, vous êtes plus répréhensibles que les conquérants même... Historiens, gardez-vous de représenter, sous les traits séduisants de la gloire, une furie dont nous aurions horreur, si elle était dépouillée des lauriers qui la surchargent et des prestiges qui l'environnent: réservez tous vos éloges pour les vertus paisibles, et vous serez pour lors ce que vous devriez toujours être, les fidèles interprètes de la sagesse des siècles, les apôtres de la morale et de l'humanité.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 133 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  134. La plupart des questions qui se présentent à noire esprit offrent tant de faces, tant d'aperçus différents, que l'on serait tenté parfois de jouer à croix ou pile, pour décider s'il convient de les attaquer ou de les défendre.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 134 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  135. Les abus qui existent dans l'État nous frappent et nous irritent ; mais nous les supporterions avec plus de patience si nous pouvions prévoir ce qui doit les remplacer. Élaguons, j'y consens, quelques branches parasites, mais que ce soit d'une main timorée et prudente ; respectons l'arbre qui nous prête son ombrage protecteur. Cet arbre est imparfait, sans doute ; mais songeons-y bien, l'arbrisseau que nous lui substituerions, sans feuilles, pour ainsi dire, et sans consistance, serait plusieurs années encore le jouet incertain des vents. Si chacun avait été mieux pénétré de ces principes en 1789, que de maux on aurait épargnés à la France et à l'Europe entière !
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 135 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  136. Autre temps, autre manière de voir. N'est-ce pas cette maxime, fondée sur l'expérience, qui justifie tant de philosophes accusés de n'être pas toujours d'accord avec eux-mêmes? La philosophie n'est que la sagesse humaine, et l'on ne peut raisonnablement exiger d'elle plus de perfection que n'en comporte notre nature, Revenons-en donc à notre texte : Autre temps, autre manière de voir! Voltaire, à la cour du grand Frédéric, pouvait-il parler, pouvait-il penser comme Voltaire dans les prisons de Francfort, comme Voltaire au comble de la gloire dans son château de Ferney? Si l'on se donnait la peine d'étudier et d'apprécier l'influence que doivent exercer sur l'écrivain les diverses positions dans lesquelles il se trouve, on serait tout surpris de trouver la plupart des contradictions, qui d'abord nous blessaient, plus apparentes que réelles, tandis que ses principes sont au fond toujours les mêmes.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 136 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  137. Le génie que la raison abandonne s'égare bientôt et dégénère en folie.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 137 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  138. Trop souvent nous nous plaignons d'être abandonnés par la fortune, lorsque c'est nous qui l'abandonnons.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 138 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  139. Il est fâcheux que, pour obtenir en politique des résultats satisfaisants, on soit obligé parfois de se servir d'hommes méprisables et tarés : tels que les harpies, ils souillent tout ce qu'ils touchent, et leur nom que repousse l'opinion publique discrédite d'avance les meilleures choses. Le temps, par bonheur, en fait tôt ou tard justice. C'est le citron qu'on jette au loin après en avoir exprimé le jus.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 139 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  140. La méfiance, lorsqu'elle n'est pas le fruit du malheur, est ordinairement le cachet de la perfidie.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 140 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  141. On a souvent agité la question de savoir lequel est préférable, du matin ou du soir, pour les travaux de l'esprit. Le matin, sans contredit, on est plus disposé aux recherches, aux raisonnements, à tout ce qui exige de la patience et du sang-froid, mais le soir me parait plus convenable pour les inspirations poétiques1 : la tête encore remplie de tous les objets qui se sont succédé sous nos yeux pendant la journée, nous nous sentons en verve, et les images pour lors se présentent en foule à notre imagination.
    1 Notre Circé se montre ici bien tranchante. Le duc de Lévis. qui s'occupe de la même question (Recueil de maximes, 3e éd., page 207) n'ose la décider ; il se borne à dire que «tout dépend de l'action plus ou moins prompte des organes de la nutrition. La pensée, dit-il, ne saurait agir avec toute son énergie que dans cet état de liberté qui suit le travail de l'assimilation et précède le besoin.»

    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 141 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  142. Qu'un homme tombe par terre, il y aura toujours des gens prêts à le couvrir de boue.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 142 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  143. La plupart des historiens ressemblent à certains confesseurs de rois. Ils se montrent fort indulgents pour le crime heureux, et réservent toute leur sévérité philosophique pour les criminels maladroits qui n'ont pas su conduire leur barque à bon port.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 143 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  144. L'homme supérieur qui n'attache point d'importance aux petites choses, et qui ne sait pas être mystérieux lorsqu'il s'agit de vétilles, passe souvent pour indiscret aux yeux du vulgaire.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 144 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  145. L'honnête homme ennuyeux l'est bien plus qu'un autre, car non seulement il faut qu'on le supporte, mais encore qu'on prenne sur soi de l'écouter avec des égards et même avec l'air de la bienveillance.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 145 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  146. Il y a des gens qui possèdent le secret de ne jamais trouver une loi claire, parce qu'au lieu de se servir de leur intelligence, de leur raison, pour éclaircir les doutes et faire disparaître les difficultés, ils épuisent les ressources de leur esprit à tout épiloguer, si bien que les démonstrations les plus précises deviennent pour eux des problèmes.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 146 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  147. Les hommes passent et les principes restent. Si vous voulez acquérir une considération indépendante des circonstances, cherchez bien moins à plaire aux grands qu'à remplir vos devoirs.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 147 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  148. L'écrivain qui n'a d'autre esprit que l'esprit de son siècle parvient rarement à la postérité.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 148 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  149. Pour l'homme vertueux, peu sensible aux vicissitudes de la fortune, le malheur même a des charmes... Eh ! n'est-ce donc rien que le baume des consolations de l'amitié et ce calme ineffable d'une bonne conscience?
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 149 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  150. On ne peut nier l'influence des climats sur les tempéraments et celle des tempéraments sur les passions. Aussi certains vices paraissent-ils appartenir à tel pays plutôt qu'à tel autre : il ne faudrait, pour s'en convaincre, qu'avoir sous les yeux le tableau des crimes commis pendant dix années dans les divers départements de la France. Il est hors de doute qu'on trouve de plus nombreux exemples d'ingratitude et d'envie dans le nord, tandis que l'amour de la vengeance et les crimes qu'il enfante sont plus prononcés dans le midi. Je conclus de tout cela que l'éducation doit être dirigée de manière à corriger partout ce que la nature semble avoir de défectueux. Du reste, qu'on n'aille pas croire que je veuille accorder légèrement la moindre prééminence à une nation sur une autre. Tout se compense, je le sais. On peut faire la satire ou le panégyrique du même peuple sans blesser la vérité, mais non toutefois sans blesser la justice.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 150 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  151. La misanthropie et l'égoïsme sont ordinairement les tristes fruits de l'expérience, mais lorsqu'on les a recueillis, on doit être assez sage pour se retirer dans la solitude. On n'est plus fait dès lors pour la société.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 151 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  152. Comme ici-bas rien n'est stable, comme la fortune, la gloire, le génie même, sont soumis aux caprices du sort, il faut attendre, pour faire l'apothéose d'un homme, que la mort ait mis le sceau à sa réputation.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 152 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  153. On doit juger la première édition d'un ouvrage sur l'ensemble et non sur les détails. Les détails se perfectionnent, de reste, quand l'ensemble est satisfaisant.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 153 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  154. Les palais des princes et des grands ont beau changer de propriétaires, les salons et les antichambres offrent toujours à l'oeil du philosophe observateur les mêmes personnages. Les courtisans ressemblent aux chats, qui sont moins attachés au maître qu'à la maison.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 154 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  155. La fortune est trop capricieuse pour ne pas changer souvent les ministres qui desservent ses autels ; mais, quels qu'ils soient, honnêtes ou fripons, sots ou gens d'esprit, la tourbe des courtisans prosternés sur le parvis du temple n'en applaudit pas moins aux arrêts de la déesse.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 155 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  156. Se plaindre d'une injustice, c'est presque toujours en provoquer une nouvelle.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 156 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  157. Quel trait sublime! s'écrie-t-on de toutes parts ; c'est à cette fermeté courageuse que nous devons la fortune, la vie et l'honneur! Quelle barbarie ! quelle atrocité ! c'est un monstre qui nous fait horreur ! Il s'agit pourtant de la même action, du même personnage, et ce sont les mêmes juges... mais quinze jours se sont écoulés entre ces deux manières de voir ; et l'idole que la multitude portait aux nues est maintenant dans la fange.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 157 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  158. Il est des hommes qui parlent toujours très sagement du passé et ne font néanmoins que des sottises ; ils arrivent ainsi d'erreurs en erreurs jusqu'au terme de la vie. La nature, qui les a doués du don de réfléchir, mais qui n'y a pas joint la prévoyance, semble les destiner à connaître successivement, par une triste expérience, les travers de tous les âges.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 158 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  159. Un éloge philosophique de la danse, dans lequel seraient indiqués tous les personnages célèbres qui ont été redevables à cet art enchanteur de leur fortune dans le monde, présenterait à la curiosité l'intérêt le plus vif. Si Dieu me prête vie, je m'en occuperai quelque jour. Quand nous voyons combien de jeunes gens sont jugés hommes de mérite sur un entrechat ou sur un pas de trois, et combien (par l'heureuse influence des femmes, qui sous l'empire de notre bonne loi salique, sont assez ordinairement les dispensatrices des grâces) il en est qui passent d'une salle de bal dans le sanctuaire de la justice ou dans le siège supérieur de l'administration d'une province, on conviendra que la danse tient, à bon droit, le haut bout dans l'éducation moderne.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 159 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  160. C'est une question aujourd'hui de savoir si les vertus ne vous font pas plus d'ennemis que les vices.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 160 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  161. La probité, dans ceux qui gouvernent, est sans contredit une des qualités les plus utiles aux gouvernés en général ; mais, comme elle froisse beaucoup d'intérêts particuliers, et que des gens à grande influence la trouvent parfois incommode, elle est rarement appréciée autant qu'elle devrait l'être.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 161 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  162. Il n'est peut-être pas un homme de génie qui n'ait été vingt fois sur le point de passer pour fou.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 162 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  163. Le feu de l'imagination a besoin de s'allumer par degrés ; si vous l'attisez avec trop de prestesse, vous n'en obtiendrez que de faibles étincelles destinées à mourir en naissant.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 163 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  164. Ce qui distingue les princes législateurs et leur assure la gloire la plus flatteuse, c'est qu'ils se survivent dans leurs oeuvres et qu'ils règnent encore au delà du tombeau par la force de leurs institutions.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 164 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  165. Les cervelles humaines sont de véritables girouettes que le vent de la fortune dirige à son gré. Vive le roi ! vive la Ligue ! Un antiquaire courtisan, que je pourrais nommer, n'a-t-il pas prétendu reconnaître dans la tête du même prince tantôt les traits de l'empereur Trajan et tantôt ceux de Tibère?
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 165 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  166. Bien des gens, pour échapper au reproche de perfidie, prennent le masque de la légèreté.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 166 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  167. Le vulgaire recherche avec un empressement avide les faiblesses des grands hommes pour se consoler d'une supériorité qui l'écrase et l'afflige.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 167 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  168. Il est, mais en petit nombre, des hommes qui jouissent d'une réputation si bien établie qu'on ne peut, sans se compromettre soi-même, en médire ni s'en plaindre.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 168 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  169. Un ministre, un grand peut très bien dire parfois une sottise, mais c'est à coup sûr en faire une que de paraître la remarquer.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 169 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  170. Le caprice que modère la raison ou le désir de plaire n'est pas dépourvu d'agréments ; il jette de la variété sur le commerce de la vie ; c'est une sauvegarde contre l'ennui.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 170 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  171. La mémoire est un des plus précieux dons de la nature, mais, par la confiance aveugle qu'elle nous inspire, elle favorise trop souvent la paresse.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 171 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  172. Il faut bien qu'au désintéressement (pour qu'il y ait encore, de loin en loin, quelques hommes qui s'en piquent) soient attachés des charmes de conscience et des jouissances d'amour-propre, car, on doit en convenir, c'est une vertu qu'on n'encourage guère de notre temps. Eh ! ne voyons-nous même pas la considération publique devenir, pour mettre le comble au scandale, le prix de la bassesse et des plus honteuses rapines?
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 172 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  173. La douceur de moeurs est peut-être plus souvent encore l'effet de l'égoïsme que celui de la bonté, mais ce n'en est pas moins une vertu sociale. Sachons en jouir sans trop chercher à l'analyser.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 173 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  174. Suivant Sénèque1, il n'est pas un homme qui, s'il avait à recommencer sa carrière, ne se conduisit autrement, et beaucoup mieux que la première fois. Pour autrement, je le conçois sans peine ; quant au mieux, n'en déplaise à la philosophie, j'en doute fort. Peut-être se montrerait-il plus prudent et plus circonspect, mais toutes ses actions ne seraient-elles pas empreintes de l'odieux cachet de l'égoïsme? Il pourrait donc se conduire mieux respectivement à lui, mais non dans l'intérêt des autres, non dans l'intérêt général de la société.
    1 Circé qui, vraisemblablement, n'avait pas la facilité qu'ont nos académiciens bipèdes de vérifier le texte même des philosophes de l'antiquité, cite les auteurs sur ouï-dire, comme le font, avec plus d'assurance encore, quelques savants de nos jours. Aussi commet-elle une erreur très grave en s'étayant ici de l'autorité de Sénèque. Au reste, si Sénèque n'a point dit ce qu'on lui fait dire, je ne l'ai pas moins lu dans plus d'un livre ancien et moderne, car on sait assez que la littérature ne manque point de ces écrivains penseurs qui, répétant, de siècle en siècle, les mêmes idées, les transmettent ainsi jusqu'à nous, à peu près comme les échos se renvoient, de montagne en montagne, les mêmes sons jusqu'à la vallée.

    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 174 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  175. Médire des heureux du siècle est la consolation ordinaire de ceux que la fortune néglige ; il ne faut pas la leur envier.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 175 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  176. À la cour où tant de gens se louent eux-mêmes avec une impudence sans égale, la modestie est rarement appréciée. Elle passe pour gaucherie, et l'on se persuade d'ailleurs que l'homme modeste, qui croirait manquer à toutes les bienséances en faisant son propre éloge, n'ose se le permettre par la crainte de voir l'opinion publique le démentir.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 176 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  177. Grâce aux progrès de la civilisation, pour qu'une vérité utile puisse aujourd'hui circuler librement, il faut que le mensonge ou le charlatanisme la colore.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 177 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  178. Les hommes qui se piquent le plus d'habileté ne sont pas toujours ceux qui réussissent le mieux. Il est rare qu'ils soient prévoyants ; ils se croient, dans l'esprit, assez de ressources pour se tirer du plus mauvais pas, et leur amour-propre, qui dédaigne la prudence, les fait échouer tôt ou tard dans des entreprises que le bon sens tout seul aurait couronnées du succès.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 178 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  179. Pour bien apprécier les usages d'un pays, il faut que l'habitude y ait un peu façonné les verres de notre lorgnette.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 179 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  180. Valsain est tellement occupé de ce qu'il doit dire pour faire de l'effet et briller dans un cercle, qu'il n'est jamais à ce qu'on lui dit ; aussi la conversation, avec un bel esprit de cette force, finit-elle toujours par des coq-à-l'âne.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 180 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  181. Il faut le dire à la honte de l'espèce humaine, le respect, parmi nous, est presque toujours fils de la crainte. Il s'accorde moins à la vertu qu'à la puissance.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 181 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  182. L'homme d'un mérite supérieur qu'on méconnaît ou qu'on néglige ne tarde pas à devenir dangereux, eût-il d'ailleurs en partage les vertus les plus pures. Comme il n'est pas satisfait de sa position, il se persuade sans peine que tout est mal autour de lui, et bientôt, sous les traits mêmes du patriotisme, les projets les plus séditieux se glissent dans son coeur. Le premier devoir d'un souverain est donc de rechercher avec soin les lumières pour les faire concourir toutes à l'ornement de l'édifice social.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 182 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  183. La calomnie, dont nous avons si souvent à nous plaindre, devrait nous inspirer de l'indulgence pour les autres, ou du moins plus de circonspection et de réserve dans les jugements que nous en portons.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 183 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  184. Par le temps qui court, je l'ai déjà dit, il est plus de gens modestes qu'on ne pense. Ne l'est-il pas ce grand seigneur dont le luxe, les chevaux, les chiens et les maîtresses ont dérangé la fortune et qui, regardant la richesse comme préférable encore aux prérogatives de la naissance, va demander humblement, pour l'héritier de son nom, la fille unique de cet épais financier? Et le fastueux Mondor qu'on voit aller, avec un empressement risible, essuyer les mépris et les railleries de ce duc si riche et si vain, n'a-t-il pas la modestie de croire que la fortune a besoin, pour obtenir plus de considération, de se glisser quelquefois parmi les broderies de la cour? Cet homme de lettres, enfin, que l'on voit passer alternativement de la table du grand seigneur à celle du financier, n'est-il pas assez modeste pour mettre, en quelque sorte, l'esprit au dessous de l'or et des parchemins ?
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 184 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  185. La partialité des Suétones et des Tacites de nos jours me ferait presque révoquer en doute les vertus de Trajan et les vices de Néron.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 185 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  186. La prospérité nous enivre et nous trompe. Le malheur qui la remplace nous fait seul entendre le langage de la vérité.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 186 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  187. Pour combattre la gloire qui l'offusque, la médiocrité manque rarement d'appeler la calomnie à son secours.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 187 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  188. Un moraliste qui, tourmenté sans cesse du désir de plaire, cherche à tourner toutes ses pensées en saillies et toutes ses maximes en épigrammes, nous instruit moins qu'il ne nous amuse ; encore se fatigue-t-on bientôt de le voir toujours occuper la scène. Ses ouvrages, si différents des livres du bon Montaigne et du sage Vauvenargues, passent et tombent dans l'oubli, comme ces feuilles légères qui contiennent le programme d'une séance académique ou d'un spectacle.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 188 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  189. Tenez-les pour incurables, ces hommes en si grand nombre qui se complaisent dans leur ignorance et s'en font même, en quelque sorte, un titre de gloire. Qu'attendre, hélas ! d'un pays où la direction des affaires est confiée à ces agents ineptes de la routine et de l'erreur?
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 189 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  190. Des gens, qui confondent tout dans leur esprit parce que jamais ils ne remontent au principe et à l'origine des choses, ne cessent de déclamer contre les lumières du siècle. Ils feraient bien mieux, ce me semble, de les mettre à profit : elles nous coûtent assez cher pour ne pas les dédaigner.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 190 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  191. Il n'est pas sans danger de se montrer supérieur aux faiblesses de l'amour. Les héros et les philosophes qui ont affiché cette prétention n'ont pas eu toujours à s'en applaudir. La malignité humaine s'empresse de leur supposer des faiblesses plus honteuses encore. De là toutes ces imputations calomnieuses ou malveillantes auxquelles furent en butte Alexandre, Titus, Trajan, Adrien, Socrate, Catinât, Vendôme, Frédéric le Grand et tant d'autres.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 191 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  192. Pourquoi blâmer les grands hommes de sacrifier aux opinions du vulgaire et de se prêter aux faiblesses de leur siècle ? L'être raisonnable ne doit-il donc pas quelquefois paraître s'amuser des jouets du jeune âge pour obtenir sa confiance et captiver son affection.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 192 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  193. Nous aimons à trouver dans nos supérieurs des faiblesses qui soient, en quelque sorte, les garants de leur indulgence pour nos propres fautes.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 193 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  194. La fortune ne supplée point à l'éducation ; le laquais parvenu conserve encore, malgré l'éclat du luxe qui l'environne, des airs d'antichambre. C'est comme le juif polonais qui se décrasse en vain dans les eaux du baptême ; on le reconnaît toujours.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 194 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  195. Je pourrais citer certain pays où, par je ne sais quelle vanité ridicule, on se persuade d'abord qu'un étranger ne peut avoir une étincelle d'esprit ni même le sens commun ; mais bientôt après lui trouve-t-on du mérite, on croit devoir, par un retour de justice, se l'exagérer à soi-même comme aux autres. C'est pour lors un engouement incroyable. On se livre à l'enthousiasme, et cet accent qui naguère avait prévenu contre un homme, d'ailleurs assez médiocre, ne tarde pas à lui valoir un brevet de génie supérieur.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 195 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  196. Il est des réputations qui dégoûteraient de la célébrité.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 196 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  197. Je ne sais plus quel philosophe, pour exprimer combien nous sommes presque toujours les artisans de nos propres maux, appelait le malheur l'exécuteur des hautes oeuvres de la justice.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 197 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  198. Une musique légère ne tarde pas à communiquer aux tètes qu'elle électrise, une légèreté qu'on aurait peine à concevoir si l'on ne savait que les hommes, en général, se payent plus de sons que de paroles. Eh ! n'a-t-on pas vu (à des époques fort rapprochées), sur les divers théâtres d'une capitale célèbre, des paroles très différentes par le sens qu'elles renfermaient et par l'effet qu'elles devaient produire, mises sur le même air, chantées par le même personnage et devant les mêmes spectateurs, exciter également un enthousiasme universel?
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 198 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  199. Faites, tant qu'il vous plaira, de mauvais compliments à Dorimond, il ne s'en fâchera point. L'amour-propre est toujours là pour lui dire à l'oreille qu'ils ne peuvent s'adresser à lui.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 199 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  200. L'erreur qui, tout en nous trompant, nous console, n'est-elle pas préférable à la vérité qui nous éclaire, mais nous afflige ?
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 200 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  201. Gardons-nous de plaindre les gens à systèmes. Toujours remplis d'illusions et de chimères, ce sont les êtres les plus heureux que je connaisse.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 201 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  202. L'impôt le plus onéreux n'est rien en comparaison du mal que fait à ses peuples le souverain qui confie les emplois publics à des hommes ineptes, faibles ou sans probité.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 202 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  203. Les privations nous font mieux apprécier les jouissances ; elle sont au plaisir ce que l'ombre est au tableau.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 203 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  204. La sottise, qui règne au milieu des ténèbres de l'ignorance, redoute les lumières qu'apporte la philosophie, comme la chicane astucieuse craint de voir l'oeil perçant de la justice démêler ses trames coupables et ruiner ses espérances.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 204 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  205. Dans tous les pays, l'accent étranger est soumis à un droit d'aubaine.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 205 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  206. La musique bruyante, mise à la mode par certains compositeurs modernes, détruit en nous le goût de ce charme exquis du naturel et de la vérité... elle produit l'effet de ces liqueurs fortes qui blasent à tel point ceux qui s'y adonnent, que le nectar même finirait par leur paraître fade.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 206 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  207. Il faut bien de l'esprit pour être ignorant sans se donner jamais de ridicule.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 207 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  208. Delmas, dans un salon, paraît préoccupé; il ne parle à qui que ce soit, mais une sorte de contrainte et de gêne répandue sur toute sa personne annonce qu'il voudrait entamer une conversation. Tout à coup il s'approche de vous d'un air mystérieux, et vous croyez qu'il va vous confier un secret important, lorsqu'il vous glisse dans le tuyau de l'oreille quelques lieux communs sur la pluie ou sur le beau temps.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 208 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  209. La solitude nourrit l'âme de grandes idées qui la prémunissent et la fortifient contre les passions.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 209 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  210. Les courtisans se font un devoir d'exagérer le mérite de l'idole qu'ils encensent, non seulement pour justifier la bassesse de leurs hommages, mais encore parce qu'ils espèrent, en augmentant l'éclat du culte dont ils sont les ministres, accroître aussi, dans une égale proportion, le respect que déjà leur porte la multitude.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 210 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  211. Il faut plus qu'on ne pense de force d'âme et de courage d'esprit pour ne jamais franchir les bornes de la modération.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 211 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  212. Le coeur doit trop souvent gémir des succès de l'esprit.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 212 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  213. Le jeune homme qui se trouve lancé dans le monde doit se considérer comme un joueur d'échecs. Les services de ses ancêtres, ses relations de famille et les autres avantages dont il jouit sont, pour ainsi dire, autant de pièces ou de machines que la fortune met à sa disposition. C'est à lui de les diriger avec prudence, avec habileté.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 213 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  214. Le Français gagne à être vu dans sa patrie, et l'Allemand chez l'étranger.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 214 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  215. L'indulgence est un des caractères distinctifs de la supériorité : il faut avoir un grand mérite soi-même pour ne jamais se permettre de contester celui des autres.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 215 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  216. L'homme qui, après s'être écarté des règles de la sagesse, prend enfin (ce qui malheureusement est rare) la ferme résolution de rentrer pour toujours dans le sentier de la vertu, y marche d'un pas plus assuré que personne, car son expérience sait le garantir de tous les pièges.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 216 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  217. L'irrésolu Mérax cède, sans calculs et comme par hasard, à un mouvement d'impétuosité que presque aussitôt il se reproche, lorsque tout à coup le succès justifie son audace, et le voilà qui se croit un grand homme.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 217 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  218. L'amour de la gloire est l'unique frein que reconnaisse l'ambitieux.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 218 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  219. Le goût est, pour ainsi dire, le parachute du génie ; il a manqué quelquefois au grand Corneille, souvent à Crébillon, et presque toujours à Lemierre1.
    1 Comment notre philosophe Circé était-elle parvenue à connaître le théâtre? C'est encore là, sans doute, un des miracles de la science de M. Dupont de Nemours, et je renvoie le lecteur à l'explication que j'en ai donnée dans la note mise au bas de la Pensée 86, ou plutôt aux mémoires sur l'instinct des animaux.

    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 219 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  220. L'horizon est l'emblème du génie de Bossuet. On croit d'abord en mesurer toute l'étendue, mais bientôt, en cherchant à le connaître d'une manière plus précise, on s'aperçoit qu'il s'étend à vue d'oeil et qu'il échappe, si je puis me servir de celle expression, au compas de la critique.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 220 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  221. Tantôt souple, insinuant, tantôt calme et réservé, d'autres fois hautain ou dédaigneux, l'amour-propre est un caméléon qui sait prendre toutes les formes.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 221 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  222. Il est rare que l'ennui manque une fête de cour ; il fait si bien qu'il s'y glisse sous le manteau de l'étiquette.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 222 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  223. La prudence veut qu'on sacrifie sans cesse le présent à l'avenir, mais la mort souvent vient mettre nos calculs en défaut, et l'avenir pour lors nous fait banqueroute.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 223 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  224. L'imagination est capricieuse de sa nature ; elle a ses instants de verve qu'il ne faut pas négliger. On doit saisir au passage ses faveurs que le temps emporte sur ses ailes.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 224 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  225. La beauté comme le talent, pour avoir toute sa perfection, a besoin que la politesse lui serve de vernis.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 225 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  226. Il est des hommes assez malheureusement nés pour ne pouvoir pas même écrire une adresse sans y empreindre, en quelque sorte, le sceau de l'ineptie et du ridicule.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 226 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  227. Dulis ne réussit point dans le Midi, parce qu'il y passe pour un esprit apathique et fier qui ne sait pas courtiser les grands et faire à propos une démarche importante ; dans le Nord, il ne réussit pas davantage, parce qu'on l'y regarde comme un intrigant, attendu qu'il n'évite point de plaire à des hommes très aimables, à la vérité, et très dignes de l'estime publique, mais qui sont assez malheureux pour avoir du crédit à la cour. Que manque-t-il donc à Dulis pour se concilier les esprits? — De savoir prendre successivement les moeurs et les usages des divers pays qu'il habite. Il est certains cas où le mezzo termine, si vanté des sages, n'est bon à rien.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 227 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  228. Si c'est un devoir pour l'honnête homme de ne point taire au prince les abus que présente l'administration de l'État, c'en est un également de n'en parler jamais au public qu'avec une extrême circonspection, afin de ne pas s'exposer à détruire cette harmonie et cette confiance qui seules peuvent fortifier les ressorts d'un gouvernement.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 228 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  229. Il n'y a que la bonté de l'homme d'esprit qui soit active et qui produise des résultais ; celle du sot est apathique, et par cela même inutile à ceux qui en sont les objets.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 229 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  230. Une statue de médiocre grandeur que supporte un énorme piédestal, voilà l'emblème de la plupart de ces grands qu'enfante le hasard et qu'encense la multitude.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 230 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  231. L'envie réussit trop souvent à flétrir de son souffle impur les lauriers de la gloire.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 231 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  232. Les hommes qui n'ont pas de chaleur naturelle y suppléent par les grimaces en parlant, et par les exclamations multipliées lorsqu'ils écrivent.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 232 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  233. Attacher de l'importance aux petits succès, c'est prouver qu'on n'est point fait pour en obtenir de plus considérables. Un prince toujours occupé du soin de se donner des grâces et de mériter le prix de la course ou de la danse pourrait-il ambitionner la véritable gloire? Ses faibles mains ne sauraient atteindre aux lauriers immortels.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 233 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  234. L'impertinence a parfois son utilité, mais c'est une monnaie qu'il faut tenir en réserve pour solder le compte des gens qui s'en servent d'habitude.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 234 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  235. Trop souvent, pour n'être pas à rien faire, on s'amuse à faire des riens.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 235 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  236. Le peuple qui paye le moins d'impôts n'est pas toujours le plus heureux ; le plus heureux est celui dont les impôts sont le mieux administrés. Mettre le gouvernement à même d'encourager les beaux-arts dont tous les pays deviennent tributaires, de creuser des canaux, de construire des routes qui vivifient le commerce et l'agriculture, en multipliant les communications des provinces entre elles, n'est-ce pas faire des deniers publics l'emploi le plus utile?
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 236 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  237. Les moralistes trop austères sont comme ces médecins qui effrayent et découragent leurs malades ; ils font si bien que le mal, augmentant toujours, ne tarde point à devenir mortel.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 237 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  238. Lorsqu'on éprouve du penchant pour la satire, on doit avoir le courage de s'interdire avec soin la plus légère épigramme.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 238 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  239. L'honneur sans argent est comme ces vieilles médailles de bronze qui n'ont de cours qu'auprès de quelques amateurs d'antiquités.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 239 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  240. Le prince ou le magistrat, qui veut tenir dans un parfait équilibre la balance de la justice, doit s'attendre à ce que les uns l'accusent de dureté, les autres de trop d'indulgence ; mais le suffrage de quelques êtres raisonnables le consoleront des jugements inconsidérés du vulgaire.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 240 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  241. Un vain éclat qui, semblable à celui d'un incendie, n'éclaire que des ruines, voilà ce qui reste le plus souvent de cette gloire militaire si imposante dans le style épique de nos poètes et de nos historiens.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 241 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  242. Un congrès diplomatique ressemble assez à une bourse de commerce : les ministres que les diverses cours y accréditent sont des espèces de courtiers ou agents de change politiques qui jouent sans cesse à la hausse ou à la baisse selon le vent qui souffle.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 242 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  243. Si les mêmes mots pouvaient présenter à chacun les mêmes idées, il serait plus facile de s'entendre en morale comme en politique.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 243 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  244. Épicure et Marc-Aurèle nous conseillent, l'un et l'autre, de prendre la nature pour guide dans la carrière de la vie ; mais comme chacun de ces deux philosophes a considéré la nature sous des points de vue différents, à raison de la différence de leurs caractères, il en résulte des conséquences pour ainsi dire opposées. L'un fait consister le bonheur dans la pratique des devoirs et l'autre dans l'amour des plaisirs.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 244 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  245. Le croirait-on? il est des gens qui semblent ne se rapprocher du malheureux que par un esprit d'égoïsme et pour mieux sentir le prix du bonheur dont ils jouissent.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 245 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  246. Un ministre devrait avoir, si je puis m'exprimer ainsi, la fièvre du bien public, et plût à Dieu que cette maladie devint contagieuse!
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 246 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  247. L'impuissance et la médiocrité cherchent fastueusement à se couvrir du manteau de la paresse, aujourd'hui que la paresse, ennoblie par les vers d'Horace et de Chaulieu, jouit d'une sorte de faveur dans le monde.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 247 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  248. Revoyez, dans les salons ou les antichambres du monarque, ce courtisan qui, dans les provinces, vous avait paru d'une politesse exquise, d'une amabilité parfaite ; c'est tout au plus s'il voudra vous reconnaître ; il sera fier et insolent comme Arlequin sur ses tréteaux.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 248 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  249. Si nous sommes vraiment vertueux, la calomnie, loin de nous décourager dans la pratique du bien, doit nous porter à faire mieux encore.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 249 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  250. Le mépris de soi-même est le dernier supplice de l'avilissement et de la bassesse.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 250 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  251. Les hommes sont assez inconséquents pour voir avec peine, malgré les avantages qu'ils en retirent, la supériorité des talents unie à celle de la puissance. Un souverain publie-t-il un ouvrage qui l'honore, on doute, ou plutôt on feint de douter qu'il en soit véritablement l'auteur, et l'on finit par vous demander à l'oreille le nom de son teinturier, comme si la nature, qui distribue les dons de l'esprit, en avait déshérité les princes. Cette injustice, je l'avoue, m'a toujours indigné. Que de motifs n'avons-nous pas, cependant, pour bénir le ciel d'inspirer à ceux qui nous gouvernent ce goût des lettres, cet amour de la gloire littéraire qui les préserve des appas de l'ambition et du funeste attrait des conquêtes. Qu'eussent été Julien et Frédéric le Grand sans la philosophie?
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 251 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  252. La vertu que trahit la fortune est bientôt méconnue et même calomniée. Que de témoignages de cette triste vérité par le temps qui court !
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 252 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  253. Qu'on donne des ailes à la fortune . l'allégorie me parait juste ; mais on a tort d'en donner également au génie ; je voudrais le représenter sur le dos d'une tortue pour exprimer avec quelle peine il arrive aux honneurs, quand toutefois il y arrive.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 253 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  254. L'oeil de la police est fort utile dans un État, mais ses mains y sont de trop.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 254 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  255. Un prince, un ministre qui reçoit, pour la première fois, des hommes connus par leur esprit et par leurs talents littéraires, se croit dans l'obligation de se tenir toujours sur ses gardes. Il sent trop qu'on vient lui prendre mesure ; comment alors n'aurait-il pas un air de contrainte et de gène?
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 255 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  256. On juge et l'on doit, en effet, juger l'homme célèbre avec plus ou moins de rigueur selon l'importance du rôle qu'il a joué dans le monde, ou la réputation dont jouissent ses ouvrages. Le mérite du second ordre qui, par cela même qu'il n'atteint point aux beautés supérieures, offre aussi moins d'inégalités choquantes, est en quelque sorte le plus heureux. On peut le louer impunément et sans conséquence.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 256 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  257. Le génie et le savoir de beaucoup de personnages célèbres ressemblent à ces décorations d'opéra qui de loin nous imposent, mais dont le grandiose et la profondeur disparaissent dès qu'on en approche.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 257 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  258. Le Français est naturellement très sociable, il aime à faire les frais d'une conversation ; aussi rien, lorsqu'il a de l'esprit, n'égale son amabilité ; niais, en revanche, lorsqu'il est sot, connue cette sottise s'étale et s'agite sans cesse, rien ne peut se comparer à la fatigue, à l'ennui qu'il vous cause.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 258 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  259. Semblable à Saturne qui dévorait ses enfants, plus d'un héros a détruit lui-même sa propre gloire.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 259 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  260. Il est plus facile d'être généreux que de résister à la tentation d'en tirer ensuite vanité.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 260 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  261. Si l'on est envieux d'une belle action, c'est parce qu'on ne se sent point le courage de l'imiter ; la diatribe que se permet l'envie peut donc être considérée comme l'aveu de sa propre faiblesse et du mérite qu'elle déchire.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 261 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  262. Est-il une seule journée d'un grand homme (si tous les détails pouvaient en être connus) qui ne prêtât vingt fois à rire de pitié... Grandeur et faiblesse! c'est la devise de ce qu'offre même de plus parfait l'orgueilleuse et fragile espèce humaine.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 262 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  263. Je ne sais si je me trompe, mais il me semble qu'on doit avoir mauvaise opinion du jeune homme qui ne laisserait pas échapper une larme à la lecture d'Adèle de Sénange et de quelques autres romans privilégiés qui nous retracent d'une manière si vraie, si touchante, les devoirs de la vie et les charmes de la vertu.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 263 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  264. Le fréquent emploi des métaphores éblouit plus qu'il n'éclaire le lecteur.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 264 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  265. Ce qu'on appelle un bon mot cesse de l'être, s'il y manque la vérité.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 265 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  266. Méfiez-vous de tout homme qui vient vous dire avec assurance : Moi qui suis jurisconsulte, moi qui suis financier, moi qui suis homme d'État, moi qui suis homme de guerre, moi qui suis littérateur, etc. Vous pouvez être convaincu d'avance que c'est un charlatan qui vous trompe, ou bien un sot qui se trompe lui-même.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 266 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  267. La bassesse des hommages intéressés qu'on rend aux grands ne justifie-t-elle pas, en quelque sorte, l'ingratitude dont ils payent, pour l'ordinaire, les services qu'ils reçoivent?
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 267 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  268. Une révolution politique est la pierre de touche de l'honneur, du courage et des autres vertus qui distinguent du vulgaire l'homme supérieur et vraiment digne du respect de ses semblables ; mais comme la pierre de touche use insensiblement les métaux dont elle constate l'excellence, les révolutions finissent aussi par user nos vertus, lorsque les épreuves sont trop multipliées.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 268 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  269. L'homme le plus aimable de la cour ne serait peut-être ni moins déplacé ni moins ridicule dans un cercle bourgeois, que le bourgeois lui-même ne le serait à la cour. C'est l'orateur sublime en parlant des intérêts de l'État qui, plaidant pour un mur mitoyen, ne fait plus que du pathos et du phébus.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 269 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  270. Si l'examen de nos propres faiblesses fait naître en nous un sentiment salutaire de modestie et d'humilité, l'aspect des vices d'autrui l'étouffe bientôt pour y rappeler l'orgueil dont le germe se développe avec tant de facilité.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 270 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  271. Les hommes, je les prends en masse, sont comme ces chiens hargneux auxquels on ne peut faire du bien sans courir le risque d'en être mordu.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 271 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  272. Il est tel membre du parti de l'opposition, à Londres, qui serait courtisan à Saint-Pétersbourg ; tel écrivain qui fait aujourd'hui (1815) parade de principes orthodoxes aurait, il y a vingt-cinq ans, professé les opinions philosophiques1. On veut briller à tout prix, on veut produire de l'effet, et, dans l'espoir d'atteindre ce but, on ne rougit pas de se dépouiller de son propre caractère pour se couvrir des livrées du jour et se parer des couleurs à la mode ; on ne craint point de cacher ses traits sous un masque imposteur. Ô vanité! j'ai presque dit : ô honte de la gloire humaine.
    1Depuis l'époque où celle pensée est sortie de la tète de notre académicienne Circé, l'opinion publique a été ballottée dans tous les sens. Chacun affichait dernièrement en France des idées libérales ; cette expression magique était devenue le mot de passe de plus d'un intrigant pour usurper la confiance du peuple et parvenir aux emplois. À l'heure qu'il est, on commence à reparler des principes et de la sagesse de nos pères.

    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 272 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  273. La patience est le guide le plus sûr dans le chemin de la fortune.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 273 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  274. Dire qu'un homme n'a point de vices, ce n'est pas dire qu'il a des vertus.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 274 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  275. Pour trouver raisonnables et légitimes les respects à rendre aux supérieurs que nous donnent le hasard et la fortune, nous avons grand besoin de ne jamais perdre de vue les classes qui, dans la hiérarchie sociale, nous sont subordonnées.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 275 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  276. Les chevaux qui piaffent le plus sont en général ceux qui avancent le moins ; il en est de même des hommes, et l'on ne doit pas confondre cette perpétuelle agitation qui s'épuise dans de vains efforts avec l'activité qui va droit à son but.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 276 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  277. Pour bien juger une figure, il ne suffit pas de la voir de profil, il faut la regarder en face. Si nous voulons nous arrêter aux fautes d'un homme, sans nous rappeler en même temps les actions qui l'honorent, il est peu de héros qu'on ne puisse traîner dans la fange.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 277 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  278. La gloire est une maîtresse exigeante ; elle ne couronne guère ses adorateurs qu'après en avoir fait ses martyrs.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 278 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  279. Ce qu'on appelle la justice des hommes ferait le désespoir des gens de bien, si la certitude d'une justice éternelle et incorruptible ne les rassurait.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 279 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  280. Il est des gens trop méprisables pour être odieux : le mépris public les sauve de la haine.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 280 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  281. Faire des sottises au lieu d'en dire, voilà trop souvent ce qui distingue l'homme d'esprit du sot.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 281 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  282. Si nos vertus sont pour ainsi dire journalières, si elles se démentent au premier choc, c'est parce que nous négligeons de leur donner pour bases des principes assez solides de morale et de religion. Voilà sans contredit la source de tant de taches qui défigurent la conduite des hommes mêmes que l'on admire le plus.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 282 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  283. On prend souvent l'obligeance de la vanité, c'est à-dire la politesse, pour l'obligeance, réelle (celle du caractère), et l'on a tort.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 283 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  284. Les hommes les plus fins ne sont pas ceux qui, prétendant au vain honneur de paraître impénétrables, affichent dans leurs manières le plus de réserve et de mesure, mais ceux qui, par un air d'abandon et même, si l'on veut, par une sorte de bavardage, font naître la sécurité, provoquent la confiance et peuvent donner, sans qu'il y paraisse, le change dans les occasions importantes.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 284 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  285. Il est plus d'une action honorable dont on rougirait d'avouer le motif.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 285 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  286. Beaucoup d'hommes d'État sont enclins à prendre le microscope pour le télescope. De là sans doute tant et tant de bévues en politique.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 286 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  287. Malgré quelques bouleversements, malgré quelques grandes secousses politiques, la vie humaine est à peu de chose près constamment la même ; c'est comme les chefs-d'oeuvre de Corneille ou de Racine restés au répertoire ; les acteurs seuls changent de temps en temps, et les décorations se renouvellent.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 287 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  288. On n'absout point un homme d'État sur ses bonnes intentions, car on est en droit d'exiger de lui la prévoyance.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 288 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  289. Il est tel ministre qui s'est fait une grande réputation en transcrivant de sa main les dépêches qu'avait minutées son secrétaire. Voilà, si je ne me trompe, du savoir-faire. Le savoir-faire contribue plus encore à la célébrité que le savoir.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 289 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  290. L'homme d'un mérite généralement reconnu ne devrait pas plus parler de ses talents qu'un grand seigneur de sa naissance.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 290 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  291. Le passé ne nous appartient plus, et l'avenir ne nous appartiendra peut-être jamais. La sagesse consiste donc à jouir du présent sans se livrer à des regrets superflus ou bien à des craintes chimériques.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 291 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  292. Dorante est sans contredit un homme de mérite, mais à quoi bon le voir? à quoi bon lui rendre des soins? Dorante, étranger à toute coterie, ennemi déclaré de l'intrigue et des intrigants, n'arrivera jamais à rien. Que peut-il pour ses amis?... — Des amis! c'est-à-dire, des prôneurs. Dorante n'en a guère ; il vit heureux dans la solitude, cultive la sagesse, goûte en paix les charmes de la littérature et laisse à nos neveux le soin d'apprécier de bons ouvrages que les journalistes négligent, parce que l'auteur dédaigne les moyens devenus si faciles de se mettre en vogue.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 292 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  293. Quand on a vécu quelques années dans le tourbillon du monde, une sorte d'indulgence doit naturellement naître du mépris des hommes, à moins qu'on ne prenne le parti de devenir misanthrope.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 293 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  294. Il est certains mots qui changent pour ainsi dire tous les ans d'acception et de définition. Un dictionnaire rédigé sur un nouveau plan, et dans lequel toutes ces variantes se trouveraient consignées avec soin, ne serait pas sans intérêt pour la connaissance de nos usages et de nos moeurs.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 294 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  295. Je ne sais plus quel homme de cour prétendait que, pour arriver sûrement et même promptement au but, la ligne courbe est préférable à la ligne droite. Toute réflexion faite, il pourrait bien avoir raison. En effet, la ligne droite n'est-elle pas hérissée d'entraves de toute espèce, et l'envie ne nous y dresse-t-elle pas des embûches à chaque pas?
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 295 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  296. L'amour-propre est le seul flatteur qui reste au ministre disgracié.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 296 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  297. Le désir de plaire à tout le monde est une marotte qui sied bien au jeune homme ; c'est la chimère d'une âme bien née. L'expérience, hélas ! ne la détruira que trop tôt.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 297 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  298. La plupart des hommes sont comme les échos des montagnes ; ils répètent le pour et le contre, le bien et le mal, sans jamais savoir ce qu'ils disent.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 298 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  299. Il n'est guère d'injustices que la gloire ou le temps ne légitime. Que ne peut-on cacher aux princes cette vérité malheureusement historique !
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 299 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  300. L'orgueilleux ne juge si sévèrement autrui que parce qu'il se considère comme le type de toutes les perfections.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 300 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  301. Méfions-nous de ces hommes réfléchis et silencieux qui dans un cercle veulent toujours recueillir sans jamais semer.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 301 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  302. L'ignorance se fait de l'entêtement, une cuirasse dont elle aime à se couvrir.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 302 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  303. Les gens qui se targuent trop du sens commun ont peine à croire qu'on puisse concilier la sagesse avec la vivacité d'esprit ; ils savent très bien que le boeuf a de la prudence, mais ils ne se doutent point que celle du cheval est préférable.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 303 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  304. Les sots peuvent être souvent embarrassés, mais ils ne sont jamais timides.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 304 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  305. L'homme perfectionne tout, mais sans pouvoir atteindre à la perfection.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 305 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  306. L'aristocratie du talent, grâce aux ridicules des candidats, est devenue tout aussi déraisonnable que celle des parchemins ; elle a de plus l'inconvénient d'irriter davantage les amours-propres.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 306 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  307. La plupart des gens qui se récrient si haut contre les abus seraient fort aises d'en avoir le monopole ; ils en veulent non la destruction, mais le déplacement.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 307 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  308. Je ne connais personne de plus sceptique qu'un sot, car il ne manque guère de nier ce qu'il ne peut comprendre.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 308 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  309. Beaucoup de services rendus ne sont que des prêts usuraires ; il en résulte aussi de fréquentes banqueroutes.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 309 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  310. Comment ne serions-nous pas dupes des autres? nous le sommes si souvent de nous-mêmes.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 310 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  311. Faire considérer le monde sous un point de vue trop affligeant, n'est-ce pas s'exposer à rendre méchant l'homme faible ; et misanthrope, l'homme doué d'un caractère énergique?
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 311 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  312. Ce que les hommes vulgaires pardonnent le moins, c'est le bonheur... Je me trompe ; ils sont encore moins indulgents pour le génie et pour la vertu.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 312 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  313. À chaque pas, dans la société, l'on rencontre de ces prétendus honnêtes gens qui se feraient scrupule de vous voler un centime et qui n'hésitent pas le moins du monde à vous ravir l'honneur par d'infâmes calomnies.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 313 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  314. Allier le vice au talent, n'est-ce pas en quelque sorte traîner la gloire dans la fange?
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 314 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  315. Lorsqu'une femme pardonne une infidélité, c'est presque toujours pour déjouer les projets d'une rivale dont le triomphe l'importune.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 315 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  316. Le mépris qu'ont les hommes supérieurs pour les petits manèges des cours fait la fortune et la sécurité des gens médiocres, qui dès lors n'ont plus à craindre la concurrence.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 316 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  317. La vanité peut être considérée comme l'éteignoir de l'esprit.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 317 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  318. Sans l'impudence et l'audace, l'esprit de bien des gens serait au-dessous de zéro.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 318 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  319. Le commerce du monde tend sans cesse à corrompre les hommes en mesurant le degré d'estime qu'on leur accorde aux richesses qu'ils possèdent, au crédit dont ils jouissent.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 319 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  320. Une réserve excessive tient lieu de prudence et d'esprit à la médiocrité.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 320 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  321. Il est des gens qui ne vous font une politesse que pour s'arroger le droit de vous égratigner ensuite et de se récrier contre votre ingratitude.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 321 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  322. Mérax, qui passe généralement pour un homme d'esprit, n'a pourtant que de la mémoire. Aussi peut-on juger par sa conversation du soir s'il a fréquenté le matin des sots ou des gens de mérite.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 322 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  323. L'envie et la sottise, qui fort souvent cheminent de compagnie, n'admirent jamais sans restriction que la médiocrité.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 323 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  324. Il est rare que l'homme de génie ait de l'esprit avec tout le monde, et tous les jours.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 324 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  325. L'estime et l'attachement peuvent seuls ennoblir la dépendance ; aussi l'amour propre suffirait-il pour nous faire chérir nos supérieurs s'ils consentaient seulement à ne point se glorifier de leurs vices et s'ils voulaient payer de quelques égards la déférence et le respect.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 325 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  326. Les hommes qui cherchent trop à multiplier le nombre de leurs amis n'ont d'amitié que pour eux-mêmes ; ils ne se font aucune idée des devoirs réciproques que ce sentiment nous impose.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 326 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  327. L'intérêt, ce me semble, est un excellent maître de politesse et de courtoisie. Je ne connais pas de cynisme républicain qu'il n'ait apprivoisé.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 327 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  328. L'irrésolution tient à la faiblesse du jugement, mais on ne manque jamais d'en faire honneur à la prudence.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 328 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  329. L'homme à projets se persuade toujours, et de la meilleure foi du monde, qu'il possède, renfermées dans son portefeuille, les délices de l'âge d'or.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 329 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  330. Si les grands ont de l'exigence, les petits ont de la susceptibilité ; c'est toujours l'orgueil sous des noms différents.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 330 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  331. Pourquoi le mérite dédaignerait-il les moyens de se faire connaître? Le talent sans prôneur et sans réputation faite n'est-il pas comme le magasin sans enseigne? La foule passe devant et ne le remarque point.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 331 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  332. L'innocence a plus qu'on ne le croit besoin d'un guide éclairé. Trop souvent elle oublie qu'elle a sur les yeux un bandeau qui l'empêche de voir le précipice et rend périlleuses ses moindres entreprises.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 332 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  333. C'est beaucoup, dans une discussion politique ou littéraire, d'avoir la réplique pour soi ; le public est si léger qu'il donne presque toujours gain de cause au dernier qui lui parle.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 333 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  334. Il n'est pas bon de faire l'aveu de ses faiblesses, car trop souvent on le regarde comme une demi-confidence ; vous avisez-vous de convenir que vous êtes borgne, on ne manquera point de vous croire aveugle.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 334 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  335. Le frondeur de profession n'est, à bien prendre les choses, que le flatteur des va-nu-pieds.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 335 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  336. La crainte de n'être pas apprécié donne l'éveil à l'amour-propre de l'homme d'esprit ; voilà ce qui le rend timide et l'empêche souvent de briller dans un cercle nombreux ; il ne manque pas de confiance en lui-même, mais il n'en a pas assez dans les autres.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 336 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  337. Il est tel grand seigneur de ma connaissance qui, semblable à la tête de Méduse, glace et pétrifie tout ce qui l'approche... Sans esprit comme sans bonhomie, sa politesse insultante est en quelque sorte l'éteignoir du sentiment et de la saillie.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 337 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  338. Beaucoup de gens doivent à l'apathie de leur caractère l'honneur de paraître supporter avec courage les vicissitudes de la fortune, les coups du sort.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 338 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  339. L'imagination, si vous ne la cultivez pas dès l'enfance, devient plus tard désordonnée ; elle ressemble à la terre qui produit des chardons et des ronces quand on néglige de l'ensemencer.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 339 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  340. Les gens condamnés à n'avoir dans le monde qu'une position contestée vont toujours heurtant et coudoyant les autres, par la crainte qu'on ne leur marche sur le pied. Ils sont de l'avis du chevalier de Folard et du grand Frédéric ; l'état de guerre leur parait préférable sur l'offensive que sur la défensive.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 340 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  341. Il y a moyen de tout dire, mais il faut beaucoup de tact pour tout dire impunément.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 341 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  342. Bien des gens, pour n'être point des capucins ou des chartreux, finissent par devenir des Cartouches ; la juste mesure en toutes choses est difficile à trouver et surtout à garder.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 342 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  343. Méfiez-vous de l'homme qui sollicite votre obligeance, l'encensoir à la main. Les bienfaits qu'il recevra de vous ne lui inspireront de gratitude qu'envers lui-même ; il les considérera comme le juste salaire de ses éloges. Vous croyant la dupe de sa tactique, il ne manquera point d'attribuer à la finesse de ses louanges ce qu'il ne devra qu'à la bonté de voire coeur, et s'il ne cherche ensuite à vous couvrir de ridicule qu'en petit comité, c'est qu'il se pique de délicatesse et de bons procédés.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 343 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  344. Les hautes vertus, les nobles actions, qui ne peuvent être bien appréciées parce que les appréciateurs manquent, ne servent point d'abri contre l'injustice des hommes ; elles provoquent au contraire le déchaînement de l'envie et des passions les plus viles, mais en revanche elles donnent cette conscience pure, cet inappréciable bien qui procure des jouissances si douces au sein même de l'adversité.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 344 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  345. Montesquieu, comme Tacite, a de ces mots tellement profonds qu'il serait difficile d'en comprendre toute la portée s'ils ne faisaient, pour ainsi dire, écho dans notre mémoire et ne provoquaient la réflexion.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 345 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  346. J'aurais beaucoup de confiance dans le progrès des lumières, si ce n'étaient les mauvaises passions qui s'avisent trop souvent de les transformer en feux follets pour nous entraîner à notre perte.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 346 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  347. Ce que les romanciers sont convenus d'appeler antipathie et sympathie parait fort ridicule à bien des gens ; mais le coeur, quoi qu'on en dise, a son instinct qu'il faut respecter : l'homme que nous croyons avoir besoin d'étudier ne sera jamais notre ami, le confident de nos pensées intimes.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 347 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  348. Rien n'est propre comme la musique à réveiller dans les coeurs de nobles sentiments ; on doit plus d'un saint à l'orgue de nos églises, et plus d'un héros à la trompette guerrière.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 348 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  349. Je plains l'homme d'esprit qui laisse échapper un bon mot, car il se trouve toujours là quelque sot pour le colporter après l'avoir défiguré.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 349 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  350. Un bon gouvernement doit, comme le chimiste habile, savoir tirer parti de tout et transformer le poison même en spécifique.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 350 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  351. Pour bien apprécier toute la portée d'esprit d'un homme, il faut lui voir faire et réparer une sottise.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 351 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  352. En élevant ses pensées et ses regards vers le ciel, on se trouve tout à la fois meilleur et plus heureux.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 352 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  353. L'esprit de système ressemble à ces serpents qui fascinent les yeux de leurs victimes.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 353 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  354. L'homme qui sans cesse parle de sa probité, de son honneur, ressemble trop au Gascon se larguant des richesses qui lui manquent.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 354 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  355. La jactance et la fatuité servent de passeport auprès des sots, comme la modestie auprès des gens de mérite.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 355 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  356. Si la gloire nous procure des sensations délicieuses, la couronne qu'elle nous présente n'en est pas moins une couronne de soucis et d'épines ; n'hésitons pas à lui préférer la vertu ; la vertu, comme la gloire, est souvent en butte aux morsures de l'envie, mais elle porte en elle-même un baume réparateur.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 356 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  357. Penser tout haut, c'est une qualité, j'allais presque dire un défaut, qui tient peut-être plus à l'orgueil qu'à la franchise.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 357 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  358. Comment des hommes riches et stupides pardonneraient-ils au pauvre diable d'avoir de l'esprit ? L'esprit est la seule chose que l'or ne puisse leur procurer.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 358 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  359. La puissance a besoin de l'affabilité pour se faire pardonner son éclat ; la fierté (qu'il ne faut pas confondre avec une morgue orgueilleuse) ne sied bien qu'à la mauvaise fortune, en la rendant respectable.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 359 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  360. L'or n'est qu'un moyen de honneur pour l'homme raisonnable ; il devient un but pour l'avare.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 360 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  361. C'est une assez chétive illustration pour une famille que le mérite d'avoir su disputer aux rats ses parchemins ... Il appartient à l'histoire seule d'établir les véritables titres de noblesse.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 361 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  362. Le flambeau de la philosophie devient une torche incendiaire, quand les passions, quand les partis s'en emparent.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 362 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  363. Le tact est l'instinct des bienséances ; il prévient les écarts de l'esprit et fait saisir en toutes choses cet à-propos qui donne tant de prix à nos actions.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 363 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  364. Gare aux éloges que font de nous les envieux ! il en sort toujours quelque venin.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 364 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  365. Si le pouvoir se fourvoie et tombe dans l'abîme, ce n'est jamais à ses fausses mesures, à sa maladresse qu'il s'en prend, mais bien à l'opposition qui pourtant lui signalait le danger lorsqu'il était encore possible de s'en garantir.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 365 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  366. L'ambitieux n'est que trop enclin à confondre la gloire avec la célébrité ; l'historien équitable qui veut servir de guide à la postérité n'en juge pas ainsi.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 366 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  367. Le rusé politique, qui se joue de tous les principes, blâme hautement l'hypocrisie du dévot de profession ; mais, à mon avis, ils ne se doivent rien.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 367 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  368. L'égoïsme porte en lui-même sa punition, son supplice.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 368 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  369. L'injustice des contemporains s'étend même au delà du tombeau, car parfois elle rend impossibles les jugements équitables de la postérité.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 369 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  370. On se montre, en général, beaucoup plus reconnaissant des services à rendre que des services rendus.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 370 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  371. C'est par les vertus, c'est par l'élévation des sentiments dans ceux qui gouvernent, que se légitime le pouvoir et que s'ennoblit la dépendance.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 371 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  372. Si les discussions philosophiques sont poussées trop loin, elles finissent par obscurcir et fausser le jugement ; mais, contenues dans de justes limites, elles développent les ressources de l'intelligence et fortifient les ressorts de l'entendement ; elles produisent sur l'esprit le même effet que les jeux gymnastiques sur le corps.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 372 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  373. La perte des parents, des amis, est un impôt que le temps prélève sur la vieillesse. La nature ou plutôt la Providence, en multipliant nos sacrifices, en accroissant chaque jour l'amertume de nos regrets, semble vouloir nous amener au dégoût ou du moins à l'indifférence de la vie.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 373 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  374. La tête de plus d'un érudit ne laisse pas d'avoir quelque analogie avec une bibliothèque renversée.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 374 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  375. Le catéchisme nous apprend que le royaume des cieux appartient de plein droit aux pauvres d'esprit. C'est à merveille, mais ce lot devrait bien leur suffire. Pourquoi faut-il qu'ils aient encore par-dessus le marché les honneurs et les richesses de ce monde ?
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 375 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  376. En lisant les doctes mémoires de mainte Académie, ne serait-on pas tenté de croire que l'érudition a produit plus d'erreurs encore que l'ignorance?
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 376 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  377. « Voulez-vous être mieux? » — « Non, je suis bien. » Que j'aime cette réponse ingénue d'un enfant de ma connaissance! elle vaut, à mon avis, la plus belle dissertation philosophique.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 377 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  378. Vérac, qu'on juge si diversement dans le monde, est-il franc? est-il faux? — Ni l'un ni l'autre. Il est vain et léger. La légèreté, qui ne lui permet pas de garder un secret, lui prête souvent les couleurs de la franchise, tandis que la vanité lui donne un vernis d'hypocrisie en le poussant à faire étalage des vertus qu'il n'a point.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 378 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  379. Ce ministre à la tête de bronze, au coeur de marbre, qui ne connaît d'autre ivresse que celle de l'amour-propre et de l'orgueil, regarde l'impassibilité comme la première et, pour ainsi dire, l'unique qualité de l'homme d'État. Il ignore donc que cette imperturbable apathie, que cette réserve offensante repousse toute confiance et détruit presque infailliblement le don si précieux de persuader?
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 379 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  380. Si le père Daniel est trop crédule, Voltaire est trop sceptique... Il ne sent pas toujours assez, en écrivant l'histoire, que les faits doivent prévaloir sur la vraisemblance et non la vraisemblance sur les faits.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 380 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  381. L'orgueil, lorsqu'il se décide, lorsqu'il s'abaisse à louer quelqu'un parce qu'il croit indispensable de le faire, met dans ses éloges une gaucherie qui, pour ainsi dire, en détruit tout l'effet. Les Confessions de J. J. Rousseau nous en offrent plus d'un exemple.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 381 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  382. Dans les pays où le beau sexe dispense à son gré les faveurs et les disgrâces, on peut dire avec juste raison qu'un coup d'éventail est plus redoutable qu'un coup d'épée.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 382 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  383. En voulant excuser de prétendus torts que vous n'avez point, un ami maladroit propage trop souvent la calomnie et devient l'auxiliaire de vos ennemis.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 383 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  384. Il est consolant, peut-être même assez juste, de croire que, sans la légèreté, les hommes seraient bons pour la plupart : le désir de briller dans un cercle est un des plus puissants aiguillons de la méchanceté.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 384 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  385. La jalousie est-elle le comble ou bien l'abnégation de l'amour-propre? La réponse dépend du point de vue sous lequel on envisage la question.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 385 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  386. L'homme d'esprit n'a peut-être pas si grand tort de se donner parfois de ces airs d'importance qu'on avait crus longtemps devoir être l'apanage exclusif de la sottise. La suffisance, fille de l'orgueil et de la vanité, peut entraîner le ridicule à sa suite, mais le ridicule ne frappe guère que les yeux des gens doués du tact si rare des convenances, tandis que la tourbe nombreuse des imbéciles et des niais admire et s'incline.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 386 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  387. On se récrie souvent contre le despotisme militaire, et l'on a grandement raison. Néanmoins j'aimerais encore mieux voir investi du pouvoir suprême le guerrier que l'homme de loi. Le guerrier sera despote, mais l'homme de loi sera tyran. Le premier voudra que tout ploie sous l'ascendant de sa volonté; l'autre exigera de plus qu'on professe ses principes et qu'on adopte sa manière de voir, car rien n'inspire comme les habitudes du barreau les prétentions à l'infaillibilité, l'orgueilleuse domination de la pensée, et, si je puis m'exprimer ainsi, la dictature d'opinion.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 387 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  388. La médisance n'a point de charmes pour l'homme supérieur ; c'est l'apanage de la sottise et de la médiocrité.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 388 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  389. Le famélique écrivain, qui chaque jour déchire dans son journal l'homme d'honneur, ne croit peut-être pas le calomnier ; il le juge d'après sa propre turpitude.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 389 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  390. L'orgueil ne pardonne pas plus un bienfait qu'un outrage.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 390 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  391. Si le secrétaire d'un homme en place manque de probité, dites-vous bien (et vous vous tromperez rarement) que l'homme en place est un fripon.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 391 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  392. Beaucoup de membres de l'opposition parlementaire, soit dit sans blesser personne, ressemblent à ces mendiants effrontés qui prodiguent l'injure aux riches dont ils n'ont pu rien obtenir.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 392 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  393. Il me semble que si je voulais faire des tragédies, je n'aurais point le portrait de Racine dans mon cabinet de travail ; je craindrais le découragement.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 393 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  394. L'indulgence, résultat d'un parfait accord de l'esprit et du coeur, est une vertu non moins utile à soi-même qu'aux autres.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 394 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  395. Si Morguencour n'a point le talent nécessaire à la place qu'il occupe, il en a déjà l'importance ; c'est toujours quelque chose.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 395 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  396. Empressez vous d'imposer silence à l'amour, car lorsqu'il parle bien haut, la sagesse se tait.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 396 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  397. Le critique qui n'a jamais publié de livres, et qui s'en tient à la gloire du feuilleton, se montre d'autant plus sévère qu'il n'a point de représailles à craindre.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 397 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  398. Les mendiants, comme les souverains, distribuent les honneurs à tort et à travers, selon leur caprice ou leur bon plaisir : certes il n'y a pas lieu d'être plus surpris d'entendre appeler prince ou marquis, par un gueux accolé sur sa borne, le premier passant bien vêtu, que de voir tel personnage, célèbre par son assiduité dans les antichambres et dans les cercles de cour, gratifié tout à coup d'un brevet de duc ou de comte en belle et due forme.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 398 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  399. Quand on a vécu longues années, et dans des positions diverses, on n'est plus étonné de voir tant de gens estimables attacher si peu de prix à l'estime des hommes ; ils l'apprécient ce qu'elle vaut et savent par quelles intrigues elle s'oblient.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 399 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  400. La Beaumelle1 prétend qu'on ne pardonne pas assez de fautes aux grands hommes. Je suis, moi, d'un avis contraire, et je n'hésite pas à croire que l'indulgence, fille de l'engouement public, est peut-être la principale cause des taches qui ternissent les plus brillantes réputations. Ces taches se multiplient d'autant plus qu'elles sont moins remarquées dès le principe. Admirateurs des favoris de la gloire, l'enthousiasme nous aveugle, comme l'intérêt aveugle le vil troupeau de courtisans que réunissent autour d'eux les enfants gâtés de la fortune, avec cette différence néanmoins que nous sommes de meilleure foi.
    1 Dans le livre intitulé Mes penées, édit. de Berlin, in-18, 1782, pensée 11, p. 7.

    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 400 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  401. N'en déplaise aux disciples d'Héraclite, la sagesse réussit mieux à prendre le masque de la gaieté que celui d'une humeur morose et mélancolique ou d'une décourageante sévérité.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 401 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  402. Le moraliste trop austère est le croquemitaine du corps social ; il n'exerce d'influence que sur les entants.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 402 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  403. Vox populi, vox Dei! Si l'on admettait cet axiome trop à la lettre, ce serait supposer Dieu d'une nature bien onduleuse, bien changeante, ce serait presque le transformer en girouette.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 403 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  404. Tel personnage, parce qu'il est astucieux et fourbe, se croit fort habile. Néanmoins, sauf en ce qui l'intéresse personnellement, il n'a fait, comme homme d'État, que des sottises... La bannière de la droiture et de l'honneur devrait, quoi qu'on en dise, rester inébranlable sur l'édifice social.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 404 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  405. Pour le succès d'une entreprise. on ne compte pas assez sur le bénéfice du temps, et l'on néglige trop l'à-propos. Le temps et l'à-propos sont les meilleurs auxiliaires du génie.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 405 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  406. La valse entraînante du tête-à-tête, comme la bonne ronde de famille, est sans doute de la même date à peu près que le monde, mais le prétentieux menuet doit être né de l'hypocrisie sociale.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 406 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  407. Nous devons redouter pour l'âme les jouissances trop vives, comme nous craignons pour l'oeil l'éclat éblouissant du soleil.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 407 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  408. Le méchant croit déconsidérer les autres lorsque le plus souvent il ne fait que se déconsidérer lui-même.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 408 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  409. Vrais condottieri, vrais lansquenets politiques, les hommes d'État de notre époque n'hésitent pas à changer de drapeau toutes les fois qu'ils y trouvent leur compte.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 409 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  410. Le temps, cet actif courrier de la Providence, entraîne les hommes comme des marionnettes, et, dans l'espace qu'il leur fait parcourir, il semble se complaire à renverser leurs projets, à bouleverser leurs destinées.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 410 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  411. En jetant les yeux sur certaines généalogies de nos modernes grands seigneurs, ne se croirait-on pas à la Chine où les ancêtres d'un mandarin sont toujours décorés de titres de noblesse?
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 411 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  412. Les sciences naturelles, la physique, la chimie et la botanique ont fait de grands progrès depuis un siècle ; on ne peut pas en dire autant de la philosophie. Le mot de Montaigne : Que sais-je? est toujours, comme de son temps, la devise, l'exclamation du vrai sage. En métaphysique l'homme a pour lui les conjectures ; la connaissance exacte des choses n'appartient qu'à Dieu.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 412 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  413. Ce qui venge le pauvre laborieux des mépris du riche oisif, c'est l'ennui.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 413 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  414. L'élévation subite au sommet de la fortune n'est pas moins que la disgrâce la pierre de touche qui sert à constater la vertu.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 414 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  415. Une prudente réserve pourrait servir de parachute à la sottise, mais il est rare qu'elle veuille en faire usage.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 415 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  416. L'espoir est le plus grand véhicule du succès, tandis que le découragement le rend impossible.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 416 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  417. Vérax respecte l'ordre public ; on ne le voit pas déclamant sans cesse contre les sommités sociales. Aussi les frondeurs de profession le considèrent-ils comme un courtisan, tandis qu'à la cour on le traite de démagogue, parce qu'il ne craint pas d'y faire entendre le langage de la vérité, parce qu'il n'hésite jamais à blâmer les mesures défavorables aux intérêts du peuple.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 417 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  418. Aux jugements si divers que nous entendons porter, chaque jour, des hommes et des choses, ne croirait-on pas que les vices et les vertus changent de nom en changeant de parti?
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 418 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  419. Au milieu des luttes politiques la vertu n'est comptée pour rien ; l'on n'attache de prix qu'aux opinions.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 419 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  420. Ce qu'on est convenu d'appeler la sagesse n'est bien souvent que l'impuissance de l'imagination.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 420 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  421. Dans ce siècle si positif les sentiments se traduisent presque toujours par une règle de trois.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 421 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  422. Rien ne console de la calomnie comme le mépris qu'elle inspire.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 422 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  423. Il est des hommes tellement consommés dans les calculs de la perfidie que leurs éloges mêmes deviennent injurieux ; leurs compliments se transforment en satires sanglantes.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 423 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  424. L'amitié, j'entends la véritable amitié, doit naître de la sympathie et non d'un froid calcul de combinaisons égoïstes : les coeurs s'échangent, ils ne se vendent point.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 424 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  425. La flatterie n'est excusable que lorsqu'elle sert de passeport à d'importantes vérités.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 425 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  426. J'admets qu'on puisse quelquefois changer d'opinions ; mais on doit au moins se montrer inébranlable lorsqu'il s'agit des principes constitutifs de la morale ; il n'est jamais permis de transiger à cet égard.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 426 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  427. Sous les gouvernements parlementaires, ce qu'on veut bien appeler le pouvoir royal est une girouette politique qui doit obéir à tous les vents.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 427 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  428. On ne peut le nier : des connaissances trop étendues, pour la position qu'ils peuvent obtenir dans le monde, rendent les hommes malheureux, mécontents, frondeurs et toujours prêts à sacrifier la patrie aux vues de leur intérêt personnel. Donner à chacun l'éducation, l'instruction qui lui convient, est une des plus grandes difficultés de notre étal social.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 428 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  429. Une des premières qualités de l'orateur politique, et peut-être même la première, est de savoir se maîtriser dans la discussion, car la colère et l'emportement empêchent de faire emploi de mille arguments qui ne se font jour qu'après la dispute.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 429 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  430. Les courtisans de la popularité sont-ils moins serviles que ne l'étaient les adulateurs de la puissance des rois?... Non sans doute, et ce qui se passe sous nos yeux le prouve assez.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 430 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  431. La susceptibilité naturelle ou factice est un moyen dont l'égoïsme se sert très habilement pour arracher de nombreuses concessions, de nombreux sacrifices.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 431 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  432. Il y a des gens qui gaspillent leur esprit comme d'autres gaspillent leur fortune ; ils ne savent se faire honneur de rien.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 432 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  433. La sagesse consiste à savoir supporter avec courage les privations, mais point à s'en imposer de volontaires sans utilité pour personne.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 433 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  434. La mémoire est en quelque sorte la bête de somme de notre esprit ; il ne faut la charger que d'objets utiles à conserver. Trop de bagage l'écraserait avant la fin du voyage.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 434 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  435. Il faut plaindre le siècle où l'esprit tient lieu de tout, sauf de l'or ; il faut plaindre le siècle où la vertu n'est qu'un accessoire à peu près inutile pour obtenir des honneurs et de la considération.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 435 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  436. Les fripons, les intrigants, les tracassiers et les ennuyeux mis à part, que reste-t-il dans ce qu'on appelle la société?... Je m'étonne toujours que les misanthropes ne soient pas en plus grand nombre. Il n'y a d'autre refuge contre la misanthropie, après une longue expérience de la vie, qu'un cercle d'amis éprouvés.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 436 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  437. Les savants et les érudits, par leur morgue pédantesque, compromettent l'honneur de la science. La science et l'érudition, pour être bien appréciées, ont besoin du vernis de la courtoisie et de l'amabilité.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 437 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  438. Les infirmités dont l'homme se plaint l'atteindraient moins vite s'il ne faisait pas les trois quarts du chemin pour aller au-devant d'elles.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 438 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  439. Dans les pays divisés par les partis qui se disputent le pouvoir, il faut beaucoup de vertu beaucoup de philosophie pour consentir à n'être que les représentants de la sagesse, du bon sens et de la modération.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 439 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  440. Conserver ses amis dans la disgrâce, c'est prouver qu'on les avait bien choisis.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 440 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  441. Le progrès est fort désirable sans contredit, mais en le cherchant avec trop d'ardeur on s'expose à faire fausse roule.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 441 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  442. Le génie du mal a des ailes ; le génie du bien n'en a point, et trop souvent même ses pieds sont embarrassés par des entraves.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 442 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  443. Nous jugeons d'autant plus favorablement les autres que nous leur croyons une meilleure opinion de nous.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 443 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  444. Le caprice, l'intrigue et la violence sont presque toujours d'infaillibles moyens de domination... voilà pourquoi le monde est si bien gouverné.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 444 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  445. L'art de la parole est un don funeste lorsqu'on en abuse. C'est en subjuguant l'imagination de ses auditeurs qu'on paralyse leur jugement et qu'on les pousse, sans qu'ils s'en doutent, aux excès les plus condamnables.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 445 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  446. Fatigué des paradoxes plus ou moins philanthropiques, des systèmes plus ou moins absurdes que sans cesse on étale sous nos yeux, et dont le temps seul peut faire justice, le sage éprouve le besoin de se réfugier dans le silence du cabinet.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 446 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  447. Il faut avoir mauvaise opinion du jeune homme que l'aspect du vice n'indigne point, et du vieillard qui n'éprouve pas quelque indulgence pour les faiblesses humaines.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 447 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  448. Lorsqu'on cherche à flatter les passions de la multitude, on en est bientôt le complice ou la victime.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 448 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  449. L'homme qui parvient au pouvoir par ses talents, et sans que l'intrigue y soit pour quelque chose, s'y maintient avec peine, parce qu'en butte à l'envie il ne se met point en garde contre les perfides manoeuvres qu'elle ne cesse d'ourdir sourdement contre lui.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 449 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  450. Un serait trop humilié de ses faiblesses, si l'on se persuadait que les philosophes ont toujours mis en pratique leurs maximes de sagesse.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 450 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  451. Plaignons ces lecteurs chagrins qui se montrent insensibles aux beautés d'un livre et n'en aperçoivent que les défauts : il est d'un mauvais esprit, lorsqu'on parcourt un jardin, de n'y remarquer, de n'y voir que les mauvaises herbes.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 451 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  452. L'homme est ainsi fait qu'il s'irrite bien plus des vertus que des vices d'un adversaire.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 452 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  453. Deux bavards ignorants qui dissertent ensemble sur ce qu'ils ne connaissent point, finissent par concevoir, l'un pour l'autre, un profond respect, un respect mêlé d'admiration.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 453 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  454. Ce n'est jamais impunément que les gens qui s'écoutent parler disent une sottise, car ils laissent aux autres le temps de la remarquer.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 454 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  455. Pour le philosophe et le poète, toute lecture devient insipide lorsque, par un beau jour de printemps ou d'automne, il a sous les yeux le sublime spectacle de la nature... C'est alors qu'il se rappelle ce mot de Bossuet : Dieu seul est grand.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 455 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  456. Une raison supérieure, un désintéressement inébranlable, une délicatesse parfaite vous exposent à n'être compris de personne, si ne n'est de votre conscience, mais cela doit vous suffire.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 456 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  457. Si l'on se réunit dans un salon, c'est pour s'y délasser des soucis et des devoirs de la vie ; apportez-y donc de l'indulgence et l'abnégation de vous-même ; l'esprit social n'a pas de plus grand ennemi que cette susceptibilité tracassière, fille d'un amour-propre insatiable, et toujours prête à se cabrer au moindre mot qui lui déplaît. Sans le désir de se plaire mutuellement, à quoi bon se voir, à quoi bon se chercher? Mieux vaudrait assurément la solitude.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 457 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  458. Il se commettrait moins de crimes politiques si la peur n'était pas toujours là pour s'en rendre complice.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 458 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  459. L'amour de la renommée, en poussant aux grandes actions si nécessaires à la prospérité publique, à la splendeur de l'État, fait presque toujours le malheur des hommes qui lui sacrifient le repos, la vie de famille, la santé... les biens les plus réels de ce monde.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 459 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  460. La susceptibilité des parvenus (j'entends par là ceux qui ne méritaient point de parvenir) fait leur supplice et le supplice des gens qui les approchent.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 460 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  461. Lequel est le plus fatigant dans le monde, le sourd qui déchire notre poitrine ou le bavard qui dit le désespoir de nos oreilles? C'est une question difficile à résoudre.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 461 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  462. Le philosophe, le sage, qui dédaigne de défendre contre l'intrigue une position qu'il n'avait pas ambitionnée, passe pour un niais aux yeux de bien des gens, mais il s'en console dans sa bibliothèque avec les morts, avec ses vrais amis.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 462 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  463. Un chef de parti ne se maintient qu'en se mettant à la remorque de toutes les mauvaises passions soulevées autour de lui. Quel déplorable rôle ! encore ne peut-il le jouer longtemps, car il ne manque jamais de se trouver à l'arrière-garde quelque ambitieux prêt à le désarçonner.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 463 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  464. La vraie philosophie, la philosophie de tous les âges, est celle qui fait consister le bonheur, non dans l'ivresse des plaisirs, mais dans la pratique des devoirs.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 464 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  465. Si l'édifice social tombe en ruine, si de toutes parts on démolit plus qu'on ne fonde, c'est que les manoeuvres sont plus faciles à trouver que les architectes.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 465 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  466. Pourquoi les gens de lettres (j'excepte, bien entendu, cette noble élite qui reçoit sa mission de la nature même), pourquoi les gens de lettres sont-ils factieux ou courtisans?... Cela tient sans doute à cette avidité de renommée presque toujours, chez eux, en sens inverse du mérite réel.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 466 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  467. Une assemblée politique est une espèce de bal masqué où les mauvaises passions se déguisent sous le masque des vertus.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 467 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  468. Le parvenu s'enivre des honneurs, parce qu'il n'en a pas l'habitude.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 468 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  469. Subordonner l'héroïsme à la prudence est un des devoirs du trône : le grand roi ne doit pas être un aventurier.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 469 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  470. La modération plus que toute autre vertu sert de garantie au bonheur.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 470 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  471. Si l'on se montre généralement plus sobre d'éloges que de témoignages de compassion, serait-ce qu'on se plaît à vous entretenir de vos douleurs plutôt que de vos plaisirs et de vos joies ?
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 471 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  472. L'éloignement est favorable aux héros ; loin de les rapetisser, il les grandit encore.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 472 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  473. Si nos pensées pouvaient se rendre avec la rapidité de leur conception, elles en vaudraient beaucoup mieux.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 473 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  474. La coquette à son miroir fait acte de modestie ; en soignant ses charmes d'emprunt elle semble douter de la puissance de ses attraits naturels, de sa beauté.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 474 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  475. Sans l'économie, que bien des gens confondent avec l'avarice, la bienfaisance et la générosité seraient plus rares.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 475 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  476. Les épanchements du coeur, la confiance est un trésor à réserver pour ses amis.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 476 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  477. Donner des conseils à qui ne vous en demande point, c'est vouloir faire l'aumône à des gens trop fiers pour ne pas s'en croire humiliés.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 477 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  478. Le jeune homme devrait toujours se pénétrer de l'idée que montrer des égards à la vieillesse, c'est soigner son propre avenir.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 478 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  479. La vie humaine est une comédie en plusieurs actes, pour chacun desquels les acteurs doivent changer de rôle et de costume sous peine de se rendre ridicules.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 479 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  480. Laissons les hommes des partis extrêmes injurier les partisans d'une sage modération, laissons-les invoquer contre eux la loi d'Athènes... Il faudra bien qu'on en revienne au juste milieu, base unique de toute vérité pratique.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 480 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  481. Valère a du mérite, mais il en aurait bien davantage s'il s'en croyait moins.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 481 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  482. Il est, dans la vie des peuples, des époques fébriles où l'inutilité de faire entendre des paroles sensées oblige le sage à garder le silence.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 482 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  483. Il n'est pas rare de trouver, par le monde, des fous de beaucoup d'esprit et des sots d'un prodigieux savoir.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 483 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  484. Le ministre qui n'a que de l'esprit et du talent sera toujours un homme d'Étal médiocre... il faut, pour atteindre à la supériorité, le caractère et le coeur, le coeur source des grandes pensées, comme l'a si bien dit Vauvenargues.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 484 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  485. Penser toujours ce qu'on dit est un devoir, mais dire toujours ce qu'on pense est un travers ; il appartient plus à l'orgueil qu'à la loyauté.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 485 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  486. Dans un siècle d'égoïsme et de corruption comme le nôtre, les abus se déplacent, mais ils ne s'extirpent point.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 486 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  487. La mémoire est rarement le miroir fidèle du passé. Le pessimiste en fait l'écho de ses chagrins, et l'optimiste l'écho de ses joies, de ses plaisirs.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 487 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  488. On porterait peut-être des jugements moins sévères sur la plupart des personnages célèbres, si l'on se donnait la peine de les étudier, si l'on cherchait à les comprendre.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 488 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  489. La patience et le temps sont les meilleurs guides de la science sociale ; les vérités qu'on lance au galop se transforment bientôt en chimères.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 489 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  490. On peut pardonner l'injustice qu'on a subie, mais il est rare qu'on pardonne celle qu'on a faite.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 490 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  491. Honte à cette politique égoïste qui nous pousse à ménager les fripons et les méchants ! L'homme a besoin cependant, pour n'y pas céder, de cet austère courage qu'inspire l'amour du devoir, car toute cette tourbe audacieuse le déchirera, le calomniera, le tympanisera de cent manières... et les oisifs ne manqueront pas d'applaudir à ces turpitudes.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 491 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  492. La popularité peut s'acquérir par d'éclatants services, mais il faut, pour la conserver, surtout dans les temps de trouble, une souplesse qui se façonne aux caprices de la multitude et cet esprit d'intrigue dont une âme élevée et droite se sent incapable.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 492 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  493. Ce que les partis extrêmes pardonnent le moins, c'est la modération, qu'ils considèrent comme une critique permanente de leurs actes. Aussi de toutes les vertus, la modération est, je crois, celle dont la pratique exige le plus de courage.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 493 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  494. La guerre, telle que tant de prétendus héros l'ont faite, est en quelque sorte la légitimation du vol et de l'assassinat.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 494 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  495. Ce qui rend difficile l'appréciation de la conduite que tiendront les hommes, c'est qu'on les suppose guidés par l'intérêt, lorsque le plus souvent ils ne consultent que leurs passions, véritables éteignoirs de l'intelligence et du bonheur.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 495 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  496. L'élévation où se place la vertu lui permet rarement d'apercevoir les pièges que l'intrigue et l'envie sèment sous ses pas.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 496 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  497. On ne se persuade pas assez en politique que déshonorer une cause, c'est la perdre.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 497 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  498. L'esprit d'opposition se fait un microscope à l'aide duquel il recherche jusqu'aux moindres torts des gouvernements.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 498 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  499. Les gens qui parlent le plus de l'égalité seraient au désespoir de ne primer personne.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 499 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  500. Dans une main perverse la plume se transforme en poignard.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 500 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  501. L'enthousiasme chez la plupart des courtisans n'est qu'un vernis pour couvrir leur servilité.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 501 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  502. L'intrigante médiocrité se montre plus désireuse d'obtenir les applaudissements que de les mériter.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 502 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  503. Tant de gens abusent de ce qu'on appelle l'esprit, qu'on n'hésite pas à lui préférer le bon sens.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 503 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  504. On pourrait, sans craindre de paraître trop paradoxal, soutenir que le hasard a fait plus de réputations d'habileté que le talent même.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 504 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  505. Rien ne console mieux d'une injustice que de ne l'avoir pas méritée.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 505 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  506. L'amour de l'étude excite la haine des ignorants. Vouloir ne pas leur ressembler est un affront qu'ils ne pardonnent point.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 506 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  507. Les mauvaises passions, la bassesse et l'envie, ne cessent de harceler l'homme supérieur ; c'est la rouille qui s'attache à l'acier.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 507 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  508. Après avoir figuré comme acteur sur la scène du monde, on doit s'estimer heureux de n'en être plus, à soixante ans, que spectateur.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 508 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  509. La popularité, qui séduit tant de coeurs généreux, est un vain météore qu'ont bientôt dissipé les capricieuses exigences des partis ; quelque attrayante qu'elle soit, l'honnête homme n'hésite pas à lui préférer le devoir.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 509 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  510. L'homme d'honneur peut-il jamais consentir à jouer le rôle de chef d'un parti quelconque? rôle ignoble, car s'il veut se maintenir, il ne s'agit point de commander, mais d'obéir, d'obéir aveuglément à l'onduleuse impulsion des masses trop souvent dirigées par les plus honteuses passions.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 510 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  511. Dans une assemblée politique, surtout lorsqu'elle est agitée par les passions fébriles du moment, la sagesse a grand besoin, pour faire entendre sa voix et ne point se compromettre, d'attendre l'à-propos sans lequel les meilleures choses sont impraticables.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 511 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  512. L'amitié, lorsqu'elle est vraie, a, comme l'amour, sa pudeur ; elle craint de trop s'étaler ; elle veut être comprise de prime abord ; elle agit plus qu'elle ne parle.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 512 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  513. Faiblesse et courage, étourderie et raison, caprice et dévouement ! La femme est un composé de tout cela.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 513 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  514. Pour s'abriter contre les coups du sort, rien de tel que le coeur d'une mère ou d'une femme dévouée.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 514 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  515. La nature est un livre toujours ouvert et qui vaut à lui seul toute une bibliothèque.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 515 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  516. À la fumée de la gloire succède aujourd'hui la fumée du cigare. Chaque époque a son signe caractéristique.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 516 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  517. Pour encenser un sol, qu'est-il besoin d'une main habile ?
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 517 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  518. Les sots ne ressemblent pas mal aux échos ; ils répètent tous les sons qui parviennent à leur oreille, mais ils se placent de manière à ne jamais entendre que les sons discordants.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 518 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  519. De tous les sots qui pullulent dans le monde, les plus insupportables sont, à mon avis, ces prétentieux faiseurs de systèmes, toujours occupés d'absurdes et ridicules projets qu'ils jettent à la tête de tous les allants et venants.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 519 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  520. D'où viennent presque toujours les regrets du passé? — De ce que les douleurs d'autrefois se sont évanouies pour faire place, dans notre âme et dans notre souvenir, aux douleurs récentes.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 520 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  521. La voix de la passion est tellement puissante qu'elle étouffe presque toujours celle de l'intérêt ; c'est par là que s'expliquent tant de résultais politiques si bizarres, si déraisonnables et parfois si désastreux.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 521 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  522. Il faut avoir subi des examens sévères pour remplir les fonctions d'avocat et de juge, mais on n'en exige aucun de ces présomptueux conseillers que le journalisme quotidien impose au public et qui s'arrogent le droit de porter, chaque matin, sur les hommes et sur les choses, sur tout ce qui se passe enfin, et même sur ce qu'ils imaginent, des jugements en dernier ressort. Quelle inconséquence! Aussi voit-on régner, par le temps qui court, bien moins la liberté que la licence de la presse.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 522 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  523. Innover, c'est plus souvent déplacer que détruire les abus.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 523 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  524. La carrière des lettres n'est plus aujourd'hui que le vestibule du palais de la fortune, que le marchepied de l'ambition. Le véritable littérateur, occupé, comme l'étaient les anciens Bénédictins, d'études sérieuses, passe, aux yeux de ses sémillants confrères, pour un niais ou pour un fou plus digne d'avoir place à Charenton qu'à l'Institut.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 524 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  525. De nos jours, beaucoup de poètes ont eu la prétention d'être hommes d'État ; peu se sont montrés propres à diriger les affaires : penseurs et théoriciens, infatués de leur mérite, la connaissance, la pratique des hommes leur manquait.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 525 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  526. Lorsque la bienfaisance s'étale au lieu de se laisser deviner, elle ne me parait pas avoir trop bonne grâce à se plaindre de l'ingratitude.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 526 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  527. Si l'on veut guérir ses imperfections, ses infirmités morales, il faut commencer par avoir le courage de se les avouer à soi-même.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 527 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  528. L'ambitieux fait usage de l'opposition comme d'une semence dont il compte bien recueillir un jour les fruits.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 528 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  529. Il est plus facile de créer des paradoxes que d'exprimer d'une manière neuve et piquante des pensées assez empreintes de bon sens pour qu'elles semblent appartenir à tout le monde.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 529 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  530. Beaucoup d'esprits forts ne cessent d'être croyants que pour devenir crédules.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 530 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  531. Lorsqu'un homme s'avise de vous raconter par le menu ses prouesses, ses succès, et que tous les traits de sa physionomie expriment cette pensée : que j'ai d'esprit ! que j'ai de talent! cela doit suffire pour vous prouver que c'est un sot.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 531 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  532. Ce que l'on appelle le progrès de la science n'est souvent qu'une série de systèmes qui se détruisent les uns les autres. L'examen des opinions contradictoires, successivement adoptées par les savants, fournirait la matière d'un livre fort curieux. On pourrait l'intituler : Histoire des variations des diverses sciences, pour servir de consolation aux ignorants.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 532 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  533. L'enthousiasme suspend en quelque sorte le jugement ; voilà pourquoi dans mainte occasion l'homme de génie paraît en manquer.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 533 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  534. Tout n'a-t-il pas été dit? nous arrivons trop lard. Cet axiome de la paresse et de la médiocrité ne reçoit-il pas fréquemment un démenti de l'expérience? Le génie parvient à faire jaillir des vérités nouvelles de la source en apparence la plus épuisée.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 534 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  535. Cette instruction si complète à laquelle les gouvernements ont l'imprudence de convier toute une population, ces écoles spéciales qui forment dix fois plus de sujets que les besoins de la société ne l'exigent, me donnent l'idée d'un banquet auquel ne pourrait prendre part qu'un petit nombre des personnes invitées... Les autres seraient contraintes de se retirer, mais elles se retireraient, la rage dans le coeur et bien décidées à faire naître l'occasion de prendre leur revanche.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 535 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  536. Les princes, les rois ont-ils bonne grâce de trouver mauvais que l'on porte un regard investigateur sur leur vie privée, lorsque eux-mêmes semblent vouloir prendre le soin de la rendre publique?
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 536 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  537. Pour qu'un bon mot soit agréable et piquant, il faut qu'il jaillisse comme un éclair de l'esprit. S'il est dit avec prétention, il perd toute sa valeur.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 537 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  538. La multiplicité des remèdes en finance n'annonce que trop le grand nombre de plaies à guérir. Gare pour lors aux charlatans qui se présentent de toutes parts !
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 538 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  539. Trop de gens se persuadent que changer et perfectionner sont synonymes. Qu'arrive-t-il ? on croit marcher au progrès, et l'on rétrograde.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 539 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  540. Ce n'est pas toujours sans de graves inconvénients qu'on cherche à détruire les préjugés. Aucun livre certes n'est plus amusant que Don Quichotte ; mais son utilité morale me paraît fort contestable... Michel de Cervantes, en jetant du ridicule sur les usages et les idées chevaleresques, n'a-t-il pas affaibli les principes mêmes de l'honneur et du désintéressement?
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 540 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  541. Il en est des libertés pour les peuples comme des jouets pour les enfants, ils croient n'en avoir jamais assez.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 541 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  542. L'homme est onduleux et divers, a dit Michel de Montaigne. De là vient sans doute que tant de taches ont souillé la gloire de la plupart des héros.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 542 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  543. On peut tolérer l'ambition, lorsqu'elle est l'apanage d'une grande supériorité de talent ; mais unie à l'incapacité (ce qui n'est pas rare), elle est non moins odieuse que ridicule.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 543 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  544. On se plaît à retrouver dans un héros quelques unes des faiblesses humaines. Trop de perfection humilierait notre orgueil.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 544 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  545. Sous le gouvernement représentatif, tel qu'on l'a fait de nos jours, c'est-à-dire sous le gouvernement parlementaire, l'art oratoire n'est trop souvent que l'art de couvrir d'un brillant vernis les mauvaises passions pour séduire la multitude.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 545 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  546. Le despote éclairé, le bon prince transforme le despotisme en république bien ordonnée, tandis que trop souvent le tribun ambitieux, jaloux d'une domination contestée, n'hésite pas à faire d'une république le despotisme le plus odieux.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 546 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  547. Lorsque l'intrigue conduit à tous les honneurs, il faut bien de la force d'âme pour conserver intacte la droiture, la loyauté de son caractère.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 547 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  548. Beaucoup de gens professent la philosophie austère des stoïciens, mais bien peu sont disposés à la mettre en pratique.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 548 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  549. C'est le tort de beaucoup de prédicateurs de familiariser avec l'idée du vice, et d'en affaiblir ainsi l'horreur.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 549 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  550. Les plus chauds partisans de l'égalité sont presque toujours ceux qui convoitent avec le plus d'ardeur une place dans les rangs de l'aristocratie.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 550 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  551. Une révolution politique fait, si je puis m'exprimer ainsi, bouillonner toutes les passions ; elle les exalte pour le mal comme pour le bien ; c'est une espèce d'ivresse dans laquelle le caractère primitif, le caractère normal se dévoile et se développe.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 551 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  552. La vertu factice s'étale et se pavane, la vertu réelle se couvre, en quelque sorte, d'un voile ; elle a sa pudeur ; il faut qu'on sache la deviner.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 552 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  553. Garez-vous de ces prétendus amis, toujours ardents à vous aider de leurs conseils, et qui s'indignent plus que vous des injustices auxquelles vous êtes en butte... Ils ne se calment d'ordinaire qu'après vous avoir poussé, par leurs instances, à faire quelque sottise irréparable.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 553 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  554. La liberté de la presse est une arme que chaque parti voudrait pouvoir confisquer à son profit.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 554 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  555. Divulguer les faiblesses dont l'amitié confiante nous a rendus les témoins, c'est violer un dépôt sacré, c'est forfaire à l'honneur.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 555 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  556. Comment les mouvements populaires ne seraient-ils pas dangereux et subversifs? Les passions y dominent toujours les principes.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 556 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  557. C'est au milieu des commotions politiques surtout que le mieux est l'ennemi du bien, que la recherche du mieux conduit au pire.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 557 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  558. Quels que soient les inconvénients de la sensibilité, gardons-nous d'envier le sort de l'égoïste! L'amour de soi dessèche l'âme et la dégrade ; l'amour de nos semblables la vivifie ; il devient la source des jouissances les plus vives, des jouissances les plus pures.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 558 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  559. En fait de pauvreté, celle de l'esprit est la moins nuisible : les gens qui s'en trouvent atteints ne s'en doutent même pas, et j'en connais d'ailleurs bon nombre qu'elle n'a point empêchés de faire fortune dans le monde.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 559 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  560. Quelle est la conversation sans bavardage et le livre sans remplissage ? Je n'en connais point1.
    1Pas même le recueil des Pensées de Circé. — Après en avoir achevé la lecture, quelques personnes, j'en suis sûr, trouveront étrange que notre moraliste s'exprime assez ordinairement comme le ferait un philosophe bipède, si bien que, sans la préface et les notes, on ne croirait point avoir affaire à une levrette. Je prie ces critiques si pointilleux et si sévères de se familiariser davantage avec les importantes découvertes de M. Dupont de Nemours, et de réfléchir d'ailleurs que ces Pensées, extraites d'un grand ouvrage, sont jetées ici sans préambule. L'ouvrage même, et cela m'alarme un peu, offrira des indices trop certains et trop multipliés de l'espèce à laquelle appartient notre auteur.

    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 560 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  561. De l'insolence à la lâcheté il n'y a que la distance des succès aux revers.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 561 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  562. La patience et le temps sont les meilleurs guides de la science sociale. Trop souvent les vérité qu'on lance au galop se transforment en chimères.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 562 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  563. Les gens qui ne savent frapper qu'à coups de massue peuvent être fort bons dans une circonstance majeure, mais ils ne valent rien pour la direction habituelle des affaires.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 563 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  564. Les courtisans populaires de notre époque semblent avoir pris à tâche de justifier les courtisans des rois.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 564 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  565. Ne soyons jamais les esclaves de l'or, mais il n'est pas mauvais qu'il puisse devenir le nôtre.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 565 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  566. Tout homme qui court la carrière de la célébrité ne manque pas, aujourd'hui, d'avoir à sa disposition un journal qui lui sert de batterie pour combattre tout à tour ses adversaires et célébrer ses propres triomphes.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 566 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  567. Ce qui retarde le progrès des lettres dans plus d'un pays, c'est que beaucoup de savants n'y savent pas écrire et que la plupart des gens du monde n'y savent pas lire.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 567 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  568. L'homme délicat, qui considère comme un devoir de se montrer bienveillant pour ses subordonnés, exige de ses supérieurs la même bienveillance, et, s'il ne la trouve point, il se soumettra difficilement au joug de l'autorité.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 568 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  569. La vanité porte ses regards sur les degrés inférieurs ; voilà sa jouissance. L'envie, au contraire, dirige les siens vers le sommet de l'échelle sociale ; c'est ce qui fait son tourment.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 569 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  570. Nous ne méprisons les choses qui nous manquent que parce qu'elles nous manquent. Elles changeraient de valeur à nos yeux si nous les possédions.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 570 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  571. Sous le règne de l'aristocratie du jour, sous la puissance de la presse, les condottieri de la plume ont remplacé les condottieri du sabre et rivalisent avec eux d'arrogance et de vénalité.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 571 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  572. La bassesse et les turpitudes de quelques littérateurs contemporains nous feraient presque croire que nos pères n'avaient pas si grand tort de regarder comme ignoble la profession des lettres.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 572 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  573. Peu de monarques absolus se disent que plus leur pouvoir est grand, plus il convient d'en modifier l'usage.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 573 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  574. La religion, dans les États despotiques, doit avoir plus de force que partout ailleurs, car elle est nécessaire pour consoler les citoyens de vivre à la merci du caprice des gouvernants. Les lois humaines étant insuffisantes pour les protéger, leur unique ressource est d'invoquer la justice de Dieu.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 574 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  575. La disgrâce, ce tombeau de la médiocrité, devient le piédestal du vrai mérite.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 575 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  576. Le succès dans le monde, il faut bien le reconnaître, se mesure moins au mérite qu'à l'intrigue.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 576 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  577. Un ministre homme de sens devrait, chaque jour, avant l'heure de ses audiences, relire la fable du bon la Fontaine, le Renard et le Corbeau.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 577 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  578. Montrer des égards à la vieillesse lorsqu'on est jeune, n'est-ce pas semer pour son propre avenir1 ?
    1Nous conservons cette pensée, bien qu'elle rappelle un peu la 478e ; mais la rédaction en est préférable.

    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 578 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  579. N'analysons pas trop le coeur humain et sachons jouir des vertus qu'il présente à la surface.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 579 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  580. N'est-ce pas des lieux élevés que doit partir la lumière pour éclairer, pour assurer notre marche ? Lorsqu'elle nous arrive d'en bas et de toutes parts, on est ébloui, l'on se heurte contre tous les obstacles, et l'on court le risque de tomber dans l'abîme.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 580 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  581. L'homme d'un mérite supérieur, l'homme de génie est presque toujours un excellent père, un excellent mari. Descendu des hautes régions de la pensée, il éprouve le besoin des douceurs de la vie de famille.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 581 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  582. La susceptibilité qu'engendre l'amour-propre est le ver rongeur du savant, de l'homme de lettres, de l'artiste... C'est ce qui corrompt les charmes qu'il trouverait dans l'amour de l'étude.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 582 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  583. L'esprit d'analyse, dont si peu de gens se doutent, est un des plus puissants leviers de l'intelligence humaine.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 583 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  584. La fortune est une grande magicienne qui transforme, d'un tour de main, le rustre en Lovelace de salon, l'imbécile en prodige d'esprit et de savoir.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 584 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  585. L'homme qui ne s'apprécie point au delà de sa valeur, loin de laisser pénétrer ses côtés faibles, les cache avec soin et parvient à donner le change sur ce qui lui manque. C'est avoir un immense avantage sur le présomptueux, qui fait étalage de tout et qu'on juge du premier coup d'oeil.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 585 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  586. Il n'est peut-être pas de satire plus amère qu'un éloge exagéré. L'ami maladroit devient alors, sans le vouloir, votre ennemi le plus redoutable.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 586 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  587. Ce sont presque toujours nos prétentions qui nous rendent insupportables celles des autres.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 587 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  588. C'est par le souvenir de son passé que le vieillard doit pouvoir charmer ses dernières années.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 588 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  589. L'ambitieux ressemble à ces enfants gâtés qui ne sont pas plutôt en possession d'un jouet désiré, qu'ils en veulent un autre.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 589 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)
     
  590. Malheur à l'homme qui redoute la solitude ! c'est sans doute parce qu'il craint les reproches de sa conscience.
    (Pensées, maximes, réflexions, observations - 590 in Oeuvres complètes, Firmin Didot, 1855)