Jobineries

Blogue de Gilles G. Jobin, Gatineau, Québec.

jeudi 9 février 2012

9 février

Choquant ce reportage de Brigitte Bureau dans lequel on voit des enfants de parents évangélistes nous faire une petite morale homophobe et pro-vie. C'est tout simplement odieux que des « croyants » utilisent des enfants pour propager leurs idées haineuses.

Pour moi, c'est un argument de plus pour supprimer complètement la religion de la charte canadienne des droits et libertés. La religion ne devrait pas avoir de place dans l'espace public.

Miette 14 : Qui a bu boira

Le goût

Qui a bu boira

Sommaire. — Noé dans la vigne. — Redoutez le vin. — Le « lait des vieillards ». — La première chanson à boire. — Racan chante le jus du raisin. — Comment il faut boire. — Guérissez ma fièvre, je guérirai ma soif.

Depuis Noé, qui planta la vigne et sut en extraire le jus du raisin, le vin eut ses détracteurs. N'en connaissant pas encore les pernicieux effets, le vénérable patriarche dut à son inexpérience de tomber dans un état voisin de l'ébriété, ce qui eut comme conséquence d'égayer à ses dépens de nombreuses et successives générations.

L'apparition de cette suave liqueur se signala par un début plutôt malheureux, qui la mit en méfiance dans l'esprit des moralistes.

« Tous les péchés, dit l'un, sont entrés dans le monde par l'intempérance ; c'est l'abstinence qui y ramène toutes les vertus ». Sa conclusion logique proscrit le vin.

L'Écclésiaste redoute son influence : « N'excitez pas à boire celui qui aime le vin, car le vin en a perdu plusieurs. »

« Les effets de l'ivresse sont souvent funestes, ajoute Buchanan ; il n'est pas de poison qui tue plus certainement que les liqueurs fortes. » Voilà le premier jalon posé pour la lutte contre l'alcoolisme.

Ces recommandations ne sont pas à dédaigner, à la condition de viser seulement ceux que leur gourmandise et leur irréflexion entraîneraient jusqu'à l'abus. Quant aux gens raisonnables, qui ne boivent qu'à bon escient et modérément, loin de leur interdire le vin, il faut leur recommander cette précieuse boisson qui fortifie les jeunes et a mérité de s'appeler « le lait des vieillards ».

Notre bon vin de France, si pur, si franc, si doux, si savoureux, quelles que soient les régions qui le produisent, mérite de la part de tous un accueil empressé et reconnaissant. C'est celui qu'il a reçu auprès des chansonniers et des poètes. Innombrables sont ceux qu'il a inspirés et qui se sont complu à célébrer ses louanges et à le glorifier.

Voici une chanson passant pour une des premières « chansons à boire » faites en France :

Que j'aime en tout temps la taverne !
Que librement je m'y gouverne !
Elle n'a rien d'égal à soi ;
J'y vois tout ce que je demande :
Et les torchons y sont pour moi
De fine toile de Hollande.

Le vin me rit, je le caresse ;
C'est lui qui bannit ma tristesse
Et réveille tous mes esprits ;
Nous nous aimons de même sorte :
Je le prends, après j'en suis pris,
Je le porte et puis il m'emporte.

Motin en est l'auteur ; Motin pour qui Boileau se montre sévère en écrivant :

J'aime mieux Bergerac et sa burlesque audace
Que ces vers où Motin se morfond et nous glace.1

En s'exprimant ainsi, le grand satirique ne devait pas viser notre chanson où ne manque pas une certaine verve et qui a le mérite d'avoir inauguré le genre. Il eût dans tous les cas applaudi celle que Racan composait pour son ami Maynard, toujours sur le vin :

C'est lui qui fait que les années
Nous durent moins que les journées ;
C'est lui qui nous fait rajeunir,
Et qui bannit de nos pensées
Les regrets des choses passées
Et la crainte de l'avenir.

Le chantre des « Bergeries »2 savait à l'occasion l'aire vibrer les cordes de sa lyre en l'honneur de Bacchus.

Un gastronome3 indique la manière de boire — c'est un talent et une science — pour en retirer tout le profit et le plaisir souhaités. Nous sommes au dessert :

Buvez, il en est temps, mais à dose légère,
Et ne remplissez pas constamment votre verre.
Mettez un intervalle égal et mesuré
Entre tous vos plaisirs ; arrivez par degré
À l'état d'abandon, de joie et de délire,
À l'oubli de tous maux que le vin doit produire.4

Un autre, franc luron, exprime naïvement sa joie de vider son verre et chante à plein gosier et à ventre déboutonné l'immense satisfaction qu'il en éprouve :

Vive le vin !
Vive ce jus divin !
Je veux jusqu'à la fin
Qu'il égaie ma vie !
Un homme est toujours franc,
Loyal et bon vivant
S'il boit sec et souvent !

Impossible après ces éloges dithyrambiques de nier l'attrait du vin sur le palais et le cerveau des mortels.

Celui qui en a goûté n'a qu'une envie, c'est d'en goûter encore. Qui a bu boira !

L'important est de ne pas se laisser entraîner, de ne pas tomber dans l'excès. Autrement on se dégrade, on se ravale à l'état de brute et l'on demeure incorrigible, pour mourir dans l'impénitence finale.

Certain ivrogne, après maint long repas,
Tomba malade. Un docteur galénique
Fut appelé. « Je trouve ici deux cas,
Fièvre ardente, et soif plus que cynique ;
Or Hippocras tient pour méthode unique
Qu'il faut guérir la soif premièrement. »
Lors le fiévreux lui dit : « Maître Clément,
Ce premier point n'est le plus nécessaire :
Guérissez-moi ma fièvre seulement
Et pour ma soif, ce sera mon affaire. »5


1 Art poétique, chant IV, vers 39 et 4O.
2 Recueil d'Idylles.
3 Joseph Berchoux.
4 La Gastronomie, poème, chant IV.
5 J.-B. Rousseau, épigramme V.

Chemin faisant, page 42

Il n'y a d'être inutile que celui qui le veut bien.

Le silence est un mépris, un moyen, un art, une paresse, une crainte, ou une dignité : il joue tous les rôles sous le même habit.

Il n'est pas rare de voir la calomnie, comme l'adultère, punie dans plusieurs générations.

On sort de la douleur comme on sort d'un antre obscur, toujours un peu surpris.

On ne se noie pas à la même profondeur de l'eau, on ne se blase pas à la même hauteur de la coupe.

Le monde est impitoyable, surtout à ceux-là qui le craignent.

Anne Barratin, Chemin faisant, Ed. Lemerre, Paris, 1894

Lire le premier billet consacré à cette série.