Jobineries

Blogue de Gilles G. Jobin, Gatineau, Québec.

mercredi 15 février 2012

15 février

Diable ! Justin Trudeau a une tête sur les épaules. Belle à voir l'expression de sa sainte colère. Car, en effet, on ne sait plus trop où le Canada s'en va. Bien sûr, les séparatistes du Québec ont commencé à attaquer Harper et sa gang ; mais en écoutant Madame Marois, on sent tellement la... « stratégie ». Tudeau, lui, s'exprime avec son âme d'amoureux. C'est beaucoup plus fort.

Formation Lumix aujourd'hui. Cette application de la Grics ne m’enthousiasme pas ; je sais qu'on peut faire la même chose avec Access branché sur leur base de données.
- Mais il faut connaître Access, me répond-on.
- So what ? Enseignez-le-nous ! Ainsi, nous serions beaucoup plus autonomes.
Apprendre le fonctionnement d'une base de données est libérateur.

Nouveau billet d'Élaine. Il contient, entre autres, un épisode avec la directrice du Centre. J'ai laissé un court commentaire suggérant des lectures.

Amour, incessante création. « Raison mystérieuse et imprévue, mesure parfaite et réinventée », comme le chante Rimbaud. Tu étais ma volonté évidente. Tu m'as fait comprendre que ce n'est pas ce qui vient à nous, mais bien ce qui vient de nous qui est la vie véritable. Je voulais être. Aimer, c'est être. Et c'est créer sa vie bien plus que de la recevoir.
Hélène Grimaud (Variations sauvages, p.132, Pocket n°12304)

Chemin faisant, page 48

Donner ! Aimer ! C'est la même chose sous un autre nom.

Que ferait le courage si la vie était facile ! Le voyez-vous vivre en se croisant les bras ?

Dans la douleur, derrière tout ce que nous pouvons dire, il y a tout ce que nous devons taire.

Une demande en mariage à un certain âge c'est le fer rouge sur notre dignité.

L'envieux est le plus pauvre de tous les pauvres ; il ne se réchauffe à aucun soleil, il ne se réjouit à aucun foyer; il est pauvre en naissant, pauvre en vivant, pauvre en mourant.

Le plus malin de tous est encore le plus soumis.

Traîner une peine c'est la porter deux fois.

Nos forces sont des témoins que nous ne consultons pas assez souvent.

Anne Barratin, Chemin faisant, Ed. Lemerre, Paris, 1894

Lire le premier billet consacré à cette série.

Miette 15 : Sa langue va comme un cliquet de moulin

L'OUIE

Sa langue va comme un cliquet de moulin

Sommaire. — Petite définition. — Simple rapprochement. — Énigme. — Accord arabe et anglais. — Appréciations multiples. — La femme mise en cause. — Épitaphes. — Pour parler, taisez-vous.

Le cliquet est un petit levier qui empêche une roue crénelée de tourner dans un sens contraire à celui de son mouvement propre ; quand la rotation se fait normalement, le cliquet, alternativement levé et tombé sur chaque cran, rend un petit son sec d'autant plus fréquent que la roue tourne plus vite.

Les roues de moulin à eau ou à vent possèdent une allure particulièrement rapide.

Dans la bouche de certaines personnes, la langue remplit l'office d'un véritable cliquet, bondissant et rebondissant sans cesse et avec volubilité. Si elle sert, à parler, elle a servi aussi à beaucoup faire parler d'elle; que n'a-t-on pas dit, surtout médit et écrit sur son compte !

Ésope avait tenté d'établir une juste balance entre les biens et les maux dont la langue est la cause ou le prétexte, en expliquant qu'elle apparaît, tour à tour, la meilleure et la pire des choses. Il n'a pas été suivi par la postérité, qui tend plutôt à la charger de tous les péchés d'Israël.

Avant de dire de la langue ce que nous avons à en dire, permettez-nous de vous donner, sous forme d'énigme, une définition qui nous a paru agréablement tournée :

Je condamne, j'absous, je loue, je blasphème,
À parler bien ou mal mon penchant est extrême.
Je suis dans l'univers de grande utilité
Et fais tout l'ornement de la société.
Sans te mettre, lecteur, l'esprit à la torture,
À mes fruits, reconnais mes talents et mon nom ;
Quoique je sois sans dents, je fais mainte morsure,
Chaque instant je te sers et ne crains point l'usure ;
Naître, vivre et mourir dans certaine prison,
Est le sort qui me fut prescrit par la nature.
Sans douleur je ne puis quitter mon domicile,
Bien que tel soit l'usage en Turquie, à Maroc ;
M'ôter de mon logis, c'est me rendre inutile ;
Mais nul ne peut, ami, m'ôter de Languedoc.1

Maintenant que la voilà définie et portraiturée, nous allons pouvoir parler de la langue en connaissance de cause, raconter ce qu'on en pense et donner libre carrière aux appréciations. Elles sont multiples.

Chacun la traite suivant son humeur, mais rarement lui adresse un compliment.

Quand, par hasard, on se risque à lui reconnaître quelques qualités, on prend un air honteux pour s'en excuser aussitôt en lui préférant le silence.

N'a-t-on pas le proverbe arabe :

La parole est d'argent, mais le silence est d'or,

adopté par les Anglais :

" Speak is silver, but silence is gold " ?

Et le précepte de Confucius :

Parler, c'est semer,
Écouter, c'est recueillir?

Vous sentez immédiatement la restriction.

On lit dans le Coran : « Le talent le plus rare comme le plus utile est de savoir écouter. »

D'après une maxime orientale : « Personne ne fait plus paraître sa bêtise que celui qui commence de parler avant que celui qui parle ait achevé. »

Suivant une autre : « Les hommes ont sur les bêtes l'avantage de la parole; mais les bêtes sont préférables aux hommes si les paroles ne sont de bon sens. »

Les gens pratiques pensent qu'on ne peut bavarder et travailler tout ensemble :

« Ce n'est pas la quantité de paroles qui remplit le boisseau.2 »

Ni mon grenier ni mon armoire
Ne se remplit à babiller.3

« En tout travail il y a quelque profit; mais le babil des lèvres ne procure que disette.4 »

Les philosophes déplorent la langue et les bavards :

Moins on pense, plus on parle.5

« Il est étonnant qu'on ait donné tant de règles aux hommes pour leur apprendre à parler et qu'on ne leur en ait donné aucune pour enseigner à se taire.6 »

Avec les moralistes, c'est le dédain et le mépris qu'elle obtient en partage :

« Il est des vices dangereux; il en est de déplaisants, il en est de ridicules; le babil réunit tous ces inconvénients ; en disant des choses ordinaires, le babillard est ridicule; en disant des méchancetés, il est odieux.7 »

« Une des choses qui fait que l'on trouve si peu de gens qui paraissent raisonnables et agréables dans la conversation, c'est qu'il n'y a presque personne qui ne pense plutôt à ce qu'il veut dire, qu'à répondre précisément à ce qu'on lui dit.8 »

« L'on se repent rarement de parler peu, très souvent de trop parler, maxime usée et triviale que tout le monde sait et que tout le monde ne pratique pas.9 »

« Celui qui ne sait pas se taire, sait rarement bien parler.10 »

Les humoristes le prennent du côté léger et badin, mais ne l'en estiment pas davantage.

L'un d'eux signale que la nature nous a donné deux oreilles et une bouche seulement pour nous apprendre qu'il faut plus écouter que parler.

En général, ils s'attaquent de préférence à la femme dans leur douce ironie :

Qu'une femme parle sans langue
Et fasse même une harangue,
Je le crois bien.
Qu'ayant une langue, au contraire,
Une femme puisse se taire,
Je n'en crois rien.

D'un autre :

Il se peut que sans langue une femme caquette,
Mais non qu'en ayant une elle reste muette.

Au besoin, ils vont jusqu'à faire prononcer par la femme elle-même sa propre condamnation :

C'est conscience à vous que de vouloir forcer,
Pendant deux ans entiers, des femmes à se taire.
Pour moi, j'aimerais mieux vivre en un monastère,
Jeûner, prier, veiller, et parler tout mon soûl.11

Quant aux fantaisistes, ils n'ont de préférence pour aucun sexe, et distribuent des épitaphes aussi bien à l'homme qu'à la femme :

Ci-gît la vieille Radegonde
Qui fut jolie assez longtemps.
Cette maman petite et ronde
Fit beaucoup de bruit dans le monde :
Elle y parla quatre-vingts ans.12

Voilà pour « ma voisine » ; quant à « mon voisin », il ne perdra rien pour attendre, et voici son cadeau :

Ci-gît un babillard qui la nuit et le jour
Faisait un moulinet de sa langue archifolle ;
La mort voulut enfin lui parler à son tour
Et put seule un matin lui couper la parole.

Mais je m'en aperçois bien tard, je me suis laissé entraîner à bavarder peut-être plus que de raison, et ma plume a marché « comme un cliquet de moulin ». N'aurais-je pas mieux fait de profiter de tous ces bons conseils en observant celui-ci qui les résume tous :

Et si tu veux parler, commence par te taire!


1 Le Mercure de France, du 6 mai 1786.
2 Franklin.
3 La Fontaine, La Mouche et la Fourmi, livre IV, fable 5
4 Salomon, Livre des Proverbes, chapitre XIV.
5 Condillac.
6 Montesquieu.
7 Plutarque.
8 La Rochefoucauld.
9 La Bruyère, Les Caractères, chapitre XI, De l'homme.
10 Pierre Charron.
11 Le Philosophe marié, acte 1, scène iv, comédie de Destouches.
12 L'abbé de La Reynie, 1786.


Émile Genest, Miettes du passé, Collection Hetzel, 1913. Voir la note du transcripteur.