La vue

Quand on parle du loup on en voit la queue

Sommaire. — Pourquoi la queue et pas la tête ? — Tout pour la rime. - Le soleil et ses rayons. — La rose et son parfum.

A notre époque privilégiée, les bêtes féroces et carnassières ont disparu de nos contrées ; bien exceptionnellement on est mis en présence d'un loup ailleurs que dans les jardins zoologiques. Il n'en était pas de même autrefois ; le loup se chassait couramment ; on en parlait fréquemment, c'était un sujet de conversation très répandu, si bien qu'on en vint à dire : « Quand on parle du loup on en voit la queue ».

Pourquoi voyait-on sa queue d'abord et non sa tête, à l'inverse des rencontres habituelles ? On en donne plusieurs raisons.

Le loup voit de très loin, à travers taillis et broussailles dans lesquels il se cache et guette sa proie ; l'homme n'a pas aussi bonne vue ; quand, à la poursuite du loup, on apercevait la bête, celle-ci avait prévenu les chasseurs et déjà pris la fuite ne donnant que sa queue à contempler.

Une autre raison, euphonique celle-là ; on n'aurait pas trouvé joli de dire « quand on parle du loup on en voit la tête » et l'on a préféré versifier :

Quand on parle du leup,
On en voit la queue.

Dans le vieux langage, notamment en Picardie, le loup s'appelait un leup :

« Biaux chires leups, n'écoutez mie
Mère tenchent chen fieux qui crie. » 1

a dit La Fontaine.

Les loups ayant disparu, on a fait l'application du dicton aux personnes qui survenaient inopinément au moment où l'on parlait d'elles en bien ou en mal ; ce dernier cas est de beaucoup le plus ordinaire, comme chacun sait. Pour être plus aimable, mais non moins hypocrite, on dit aussi : « Quand on parle du soleil on en voit les rayons » ; et mieux encore à l'adresse d'une dame : « Quand on parle de la rose on en voit les boutons ». Les épines sont précieusement conservées pour l'égratigner à loisir quand elle aura le dos tourné.

Parlant d'une personne ou songeant à elle, il n'est pas très surprenant de la voir venir ou d'en recevoir une lettre ; vous avez mêmes motifs de penser l'un à l'autre ; un même sujet vous préoccupe.

Vous avez pu observer un cas plus bizarre : au cours d'une promenade, vous croyez apercevoir à plusieurs reprises parmi les passants quelqu'un de connaissance; vous aviez été le jouet d'erreurs ou victime de ressemblances. Tout à coup ce quelqu'un vous apparaît en chair et en os. Comment expliquer cette étrange coïncidence ? Mystère !

1 La Fontaine, Le Loup, La Mère et l'Enfant, livre IV, fable 16.