Jobineries

Blogue de Gilles G. Jobin, Gatineau, Québec.

dimanche 15 janvier 2012

Miette 6 : Jeter des perles à un pourceau

La vue

Jeter des perles à un pourceau

Sommaire. — Gardez vos joyaux et vos fleurs. — Un goût contestable. — Il faut être impartial.

Voyez-vous de jolies perles mises en présence de ce gros, gras et sot animal, que l'on appelle pourceau ? Jugez un peu des idées que ce spectacle pourra bien éveiller dans son esprit.

Il perderoit bien ses joiaux
Qui les jetroit entre pourciaux.

Un bouquet composé des fleurs les plus belles et les plus odoriférantes n'aurait pas plus d'action sur son âme :

C'est folie de semer les roses aux pourceaux.

Qu'on l'appelle cochon, porc, ou pourceau, ses préoccupations sont autres que de charmer sa vue ou son odorat ; à tout il préfère la fange et va vous en donner la raison :

« Que fais-tu donc en ce bourbier
Où je te vois vautré sans cesse ?
Au pourceau disait le coursier.
— Ce que j'y fais ? Parbleu j'engraisse !1a »

Donner à quelqu'un une chose qu'il ne peut apprécier, mettre une oeuvre d'art sous les yeux d'un être grossier, traiter devant des ignorants de sujets qu'ils ne sauraient comprendre, faire des traits d'esprit devant des imbéciles, c'est « jeter des perles aux pourceaux ».

C'est donner des fleurs aux pourceaux2.

Les Romains disaient : margaritas ante porcos ; margarita signifie perle en latin.

Les Anglais ne pensent pas différemment :

" You must not throw pearls before the swine ".
« Vous ne devez pas jeter des perles devant les porcs. »

Tout écrivain qui se respecte, ayant le devoir d'être complet et impartial, rendons au pourceau ce qui appartient au pourceau et donnons de lui un portrait d'ensemble comprenant également ses qualités, celles-ci dussent-elles ne se révéler qu'après son trépas.

Quadrupède vorace et non moins indolent
Broie, à demi couché, la châtaigne et le gland :
Satisfait s'il se roule, et s'il gronde et s'il mange;
Et, mort, fait oublier qu'il vécut dans la fange !
Cet objet de dégoût est l'honneur, à la fois,
Et des banquets du pauvre et des festins des rois3.

1 Arnault.
a [GGJ] C'est tiré de la fable Le cheval et le pourceau de Antoine-Vincent Arnault
2 Scarron, Virgile travesti, livre VI.
3 J.-B. Lalanne, Les Oiseaux de la ferme.

Chemin faisant, page 16

Un titre ressemble à une perruque ; il faut qu'il soit posé droit.

Il est bien difficile d'être adroit dans le malheur, mais il n'est pas rare d'être maladroit dans le bonheur.

Comme toutes les courses, la vie est surtout difficile à finir.

Vous êtes un original pour tous ceux qui ne peuvent vous suivre.

On espère devant une jeune figure, mais on pense devant une vieille.

J'aime la fleur qui cherche son terrain, le baiser qui choisit sa joue.

Anne Barratin, Chemin faisant, Ed. Lemerre, Paris, 1894

Lire le premier billet consacré à cette série.

Citations quotidiennes 15.01.12

Le libraire pensait que croire c'était créer.
Régis de Sá Moreira (Le Libraire, p.59, Livre de Poche n°30619, 2004)

L'expérience prouve que les livres les plus sérieux se réduisent, quand on les analyse, à quelques citations de quelques phrases.
Edmond Lablénie (Montaigne auteur de maximes (Au lecteur), p.5, Société d'édition d'enseignement supérieur, 1968)

Le livre est la matérialisation précieuse d'une émotion, ou une chance d'en avoir une un jour, et s'en séparer ferait courir le risque d'un grave manque. Là où le collectionneur s'inquiète jusqu'à l'obsession des livres qu'il n'a pas encore, le lecteur enragé s'inquiète de ne plus avoir les livres, traces de son passé ou espoirs de son futur, qu'il a lus et qu'il relira peut-être un jour.
Jacques Bonnet (Des bibliothèques pleines de fantômes, p.33, Denoël, 2008)

[Le pendu] était froid, avec des taches vineuses à la racine des cheveux, et les bottes au bout de ses jambes [...] m'ont semblé vides comme des souliers de mendiants.
Antonio Lobo Antunes (L'ordre naturel des choses, trad. Geneviève Leibrich, p.216, coll. Points n° P691)

Ce qui importe, c'est de se connaître et de s'accepter ; c'est d'avoir sondé sa puissance, comme s'il s'agissait de celle d'un appareil, c'est de savoir le degré de son attention, les moments du jour où elle est dans son plein, les moments où elle cesse et où elle doit se refaire dans le repos, l'alternance ou la diversion. Cette courbe de notre durée intime devrait nous être présente, comme le sont les renseignements de la météo au pilote transocéanique.
Jean Guitton (Le Travail intellectuel, p.42, Aubier, 1951)

Voir Au fil de mes lectures.