dimanche 15 janvier 2012
Miette 6 : Jeter des perles à un pourceau
Par Gilles Jobin, dimanche 15 janvier 2012 :: Mietteries
Jeter des perles à un pourceau
Voyez-vous de jolies perles mises en présence de ce gros, gras et sot animal, que l'on appelle pourceau ? Jugez un peu des idées que ce spectacle pourra bien éveiller dans son esprit.
Qui les jetroit entre pourciaux.
Un bouquet composé des fleurs les plus belles et les plus odoriférantes n'aurait pas plus d'action sur son âme :
Qu'on l'appelle cochon, porc, ou pourceau, ses préoccupations sont autres que de charmer sa vue ou son odorat ; à tout il préfère la fange et va vous en donner la raison :
Où je te vois vautré sans cesse ?
Au pourceau disait le coursier.
— Ce que j'y fais ? Parbleu j'engraisse !1a »
Donner à quelqu'un une chose qu'il ne peut apprécier, mettre une oeuvre d'art sous les yeux d'un être grossier, traiter devant des ignorants de sujets qu'ils ne sauraient comprendre, faire des traits d'esprit devant des imbéciles, c'est « jeter des perles aux pourceaux ».
Les Romains disaient : margaritas ante porcos ; margarita signifie perle en latin.
Les Anglais ne pensent pas différemment :
« Vous ne devez pas jeter des perles devant les porcs. »
Tout écrivain qui se respecte, ayant le devoir d'être complet et impartial, rendons au pourceau ce qui appartient au pourceau et donnons de lui un portrait d'ensemble comprenant également ses qualités, celles-ci dussent-elles ne se révéler qu'après son trépas.
Broie, à demi couché, la châtaigne et le gland :
Satisfait s'il se roule, et s'il gronde et s'il mange;
Et, mort, fait oublier qu'il vécut dans la fange !
Cet objet de dégoût est l'honneur, à la fois,
Et des banquets du pauvre et des festins des rois3.
1 Arnault.
a [GGJ] C'est tiré de la fable Le cheval et le pourceau de Antoine-Vincent Arnault
2 Scarron, Virgile travesti, livre VI.
3 J.-B. Lalanne, Les Oiseaux de la ferme.
