Jobineries

Blogue de Gilles G. Jobin, Gatineau, Québec.

vendredi 27 janvier 2012

Chemin faisant, page 28

Même quand on croit avoir conquis le bonheur, il faut savoir le perdre.

Qu'est-ce que le découragement? Une intermittence de l'espérance.

Le cœur n'a pas besoin d'attendre le soir pour avoir fait sa journée.

On est encore riche avec des regrets, puisqu'il y a des remords.

Il est encore plus consolant de voir le vice puni que la vertu récompensée.

Tous les bonheurs qui se connaissent, comme toutes les vertus qui s'ignorent, ont chance de durer.

Anne Barratin, Chemin faisant, Ed. Lemerre, Paris, 1894

Lire le premier billet consacré à cette série.

Miette 10 : L'appétit vient en mangeant

Le goût

L'appétit vient en mangeant

Sommaire. — La cloche sonne. — Le rat du poète Horace. — Conscience pure, estomac plein. — L'ivresse ou l'indigestion vous guette. — Théorie du domestique. — Béatitude du maître.

« Le Créateur, en obligeant l'homme à manger pour vivre, l'y invite par l'appétit, et l'en récompense par le plaisir. »1 a

La cloche du dîner vient de sonner; vous vous dirigez à pas lents et comme attristés vers la salle à manger. Vous n'avez pas faim ! Vous vous mettez tout de même à table.

Vous goûtez au premier mets, dente superbo, « d'une dent dédaigneuse », comme le rat d'Horace; cela vous semble assez bon, vous y prenez goût ; de même au second service et ainsi de suite jusqu'à la fin du repas que vous quittez d'un pas allègre et d'un air réjoui, satisfait du devoir accompli, la conscience pure et l'estomac plein.

C'est en mangeant que peu à peu l'appétit vous est venu.

De même dans le courant de l'existence, quand on trouve du plaisir à une chose, on est enclin à vouloir l'accentuer et en jouir le plus possible.

Quo plus sunt potae, plus sitiunlur aquae.2 b

« Plus on a bu, plus on a soif. » Plus on a du bien, plus on veut en avoir. Ce n'est pas toujours raisonnable, car on atteint aisément l'exagération qui mène à l'ivresse ou à l'indigestion.

Pour l'accroissement de sa fortune on se donne aussi beaucoup de mal, on passe beaucoup de nuits sans sommeil ; la tranquillité et le bonheur ne sont pas fatalement au bout.

C'était la théorie d'un domestique observateur qui l'exposait d'une façon assez réjouissante quoique paradoxale : « Les maîtres sont les parias de la société, c'est nous qui sommes les privilégiés. Voyez plutôt : un maître se tue au travail; quelle est son ambition ? De nourrir un domestique ! Il se remet au travail pour nourrir un second domestique. Quand un maître peut arriver à nourrir six domestiques, il est au comble de ses voeux ! »


1 Brillat-Savarin, Physiologie du goût.
a [GGJ] Jean Anthelme Brillat-Savarin, né le 2 avril 1755 à Belley et mort le 1er février 1826 à Paris, fut un illustre gastronome français. - Wikipédia
2 Ovide.
b [GGJ] Tiré de Les Fastes, I, 216.


Émile Genest, Miettes du passé, Collection Hetzel, 1913. Voir la note du transcripteur.

Citations quotidiennes 27.01.12

Celui qui s'attarde trop à examiner ses projets ne les exécute pas. Pas de meilleure recette pour écrire que l'écriture.
Adolfo Bioy Casares (Nouvelles démesurées, trad. Eduardo Jimenez, p.111, Éd. Robert Laffont, coll. Pavillons,1989)

Mari qu'on n'aime pas, le paiera cher un jour.
Fabre d'Églantine (L'Intrigue Épistolaire, acte 4, sc. 6 (La Soeur), 1791)

Je crois profondément que nos civilisations humaines sont à la recherche, parce qu'elles en ont avidement besoin, d'une attitude permettant à chacun de mieux se situer dans l'immense aventure cosmologique, en mettant en harmonie ce qu'elles savent avec ce qu'elles sentent.
Jean E. Charon (L'esprit cet inconnu, p.21, Éd. Albin-Michel)

[...] il vient dans la vie une heure [...] où les yeux las ne tolèrent plus qu'une lumière, celle qu'une belle nuit comme celle-ci prépare et distille avec l'obscurité, où les oreilles ne peuvent plus écouter de musique que celle que joue le clair de lune sur la flûte du silence.
Marcel Proust (Du côté de chez Swann, p.154, Folio n°821)

Bien des hommes ont été tout aussi troublés moralement et spirituellement que tu l'es en ce moment. Par chance, quelques-uns ont écrit le récit de leurs troubles. Si tu le veux, tu apprendras beaucoup en les lisant. De même que d'autres, un jour, si tu as quelque chose à offrir, d'autres apprendront en te lisant. Et ce n'est pas de l'éducation. C'est de l'histoire. C'est de la poésie.
Jerome David Salinger (L'attrape-coeurs, trad. Annie Saumont, p.228, Livre de Poche n°2108)

Voir Au fil de mes lectures.