La vue

Garde-toi de juger les gens sur la mine.

Sommaire. — Ce qu'on a dans la tête. — Le miroir de l'âme. — Chiromancie, Physiognomonie, Graphologie. — Circonspection. — Un monsieur qui est une dame.

On aimerait bien voir ce que les autres ont dans la tête, ou pour mieux dire, dans l'esprit ; rien d'étonnant que nos pères aient cherché à contrôler la véracité des propos tenus par la langue.

Ils ont tâché d'abord de dévisager les gens et de pénétrer jusqu'à leur âme en examinant les yeux, qui passent pour en être le miroir. Cet examen ne leur ayant pas offert un contentement absolu, le miroir étant par trop souvent terni, ils ont eu recours à la chiromancie, à la physiognomonie, science illustrée par Lavater, et plus récemment à la graphologie, à laquelle l'abbé Michon consacra une partie de son existence.

Tous ces travaux, toutes ces recherches n'ont pas permis de pénétrer dans les arcanes du cerveau humain. La prudence conseille donc d'être circonspect.

Garde-toi, tant que tu vivras,
De juger les gens sur la mine1.

Il possédait son La Fontaine le frère portier de l'abbaye de la Trappe, où les femmes n'étaient pas admises.

Désireuse d'en faire la visite, George Sand imagina de prendre un costume d'homme. Confondue dans une assez nombreuse réunion elle comptait passer inaperçue. Le moine ne fut pas dupe de ce stratagème et, la distinguant, lui dit : « Pardon, Monsieur, j'en suis bien fâché, mais les dames n'entrent pas ici. »


1 Le Cochet, le Chat et le Souriceau, livre VI, fable 5.


Émile Genest, Miettes du passé, Collection Hetzel, 1913. Voir la note du transcripteur.