Les nombres entiers, pédagogiquement et didactiquement, me fascinent.
Mon approche (bille blanche et bille noire = neutre) est, je crois, la meilleure qu'on puisse prendre pour amener les enfants à comprendre cet ensemble de nombres.
Il existe au moins une autre approche très intéressante. Cette dernière n'est absolument pas pertinente pour introduire la notion aux enfants. Mais si j'avais à donner un cours en didactique mathématique à de futurs enseignants du primaire et du secondaire, il est certain que j'examinerais avec eux cette « vision » des entiers. Elle représente, à mon avis, toute la beauté et la force d'une notation symbolique efficace et rigoureuse. On peut aussi revisiter des notions intéressantes telles que les opérations élémentaires, les preuves mathématiques, les propriétés des opérations, le concept de nombre, etc.
Définition
Un nombre entier se définit à l'aide d'un couple de nombres naturels. On symbolisera ce couple ainsi :
a~b qu'on prononce « a tilde b » et qui signifie : le nombre qu'il faut ajouter à «b» pour obtenir «a».
Prendre le temps de bien comprendre une définition est nécessaire. Voici deux exemples :
5~2 est le nombre qu'il faut ajouter à 2 pour obtenir 5. Tout le monde comprend ici qu'il s'agit, dans l'écriture traditionnele des entiers, du nombre +3.
2~5 est le nombre qu'il faut ajouter à 5 pour obtenir 2. Encore une fois, dans l'écriture traditionnelle des entiers, on comprend que c'est -3.
Remarquons que
5 tilde 2 peut quasiment être assimilé à
5 moins 2. J'ai choisi
~ (tilde) car il ressemble un peu au
- (opération moins ou soutraction). Pourquoi alors n'avoir pas tout simplement choisi le symbole moins au lieu du symbole tilde? Voilà une question très importante et qu'il faut absolument adressée avec de futurs enseignants.
C'est pour ne pas créer de la confusion les élèves. Le MOINS représente l'opération SOUSTRACTION. Le
a~b représente l'IDÉE D'UN NOMBRE.
Pour bien saisir la nuance, voyez par exemple 3/4. Ici, tout le monde comprend qu'il s'agit de la FRACTION trois quart. Et non pas de 3 «divisé par» 4.
D'ailleurs, chose intéressante, on pourra aussi répondre à ceux qui nous accuseraient de nous enfarger dans les fleurs du tapis en définissant bizarrement un nouveau nombre à partir d'un couple. À quoi je répondrai que les fractions sont un bel exemple de nouveaux nombres qui s'écrivent symboliquement à partir de deux nombres naturels. Ce concept fait partie des idées puissantes en mathématiques.
Convention
a) Si, dans l'expression a~b, b<a alors on dira que a~b est un entier positif.
b) Si, dans l'expression a~b, a<b alors on dira que a~b est un entier négatif.
c) Si, dans l'expression a~b, b=a alors on dira que a~b est un entier neutre.
Cette convention se veut tout simplement cohérente avec notre intuition.
6~2 est le nombre qu'on doit ajouter à 2 pour obtenir 6. C'est donc 4 (ou positif 4 ou +4) ;
2~6 est le nombre qu'on doit ajouter à 6 pour obtenir 2. Intuitivement, on comprend que c'est un manque ; ce qui traditionnellement se traduit par négatif 4 ou -4 ;
2~2 est intuitivement 0, soit le neutre car on ne doit rien ajouter à 2 pour obtenir 2.
L'égalité chez les entiers
Comment déterminer si deux entiers sont égaux ?
Par exemple : 7~4 est-il égal à 11~8? Intuitivement, on comprend que c'est bien le cas car le nombre qu'il faut ajouter à 4 pour obtenir 7 est bien égal au nombre qu'il faut ajouter à 8 pour obtenir 11.
On peut alors découvrir une règle pour vérifier l'égalité ou non de deux entiers.
Règle d'égalité
a~b = c~d si et seulement si a+d = b+c.
(Autre belle occasion d'apprentissage : que signifie «
si et seulement si » ?)
Quelques exemples permettent de voir le bien-fondé de cette règle :
7~11 = 2~6 (Graphie traditionnelle : -4)
Ici 7+6 = 11+2.
On peut faire le rapprochement avec ce que nous connaissons déjà au regard des fractions qui possèdent aussi une semblable règle d'équivalence :
a/b = c/d si et seulement si ad = bc.
Pour ceux qui connaissent ma définition des entiers, on peut décrire le couple
a~b ainsi :
Un ensemble contenant a billes blanches et b billes noires. (Dans ma définition -
voir par exemple ici - rappelez-vous qu'une bille blanche neutralise une bille noire.) Ce qui est intéressant avec l'idée du couple, c'est que tout nombre entier est équivalent à une quantité de billes blanches
ET une quantité de billes noires. Par exemple, un ensemble de 4 billes blanches et 8 billes noires est
ENTIÈREMENT équivalent à un ensemble auquel on aurait ajouté une égale quantité de billes blanches et noires car cette dernière opération revient à ajouter le neutre (zéro).
L'opération addition
Tentons maintenant de définir l'addition à l'aide de notre notation.
a~b + c~d = ???
Rappelons-nous que
a~b est ce qu'il faut ajouter à b pour obtenir a
et
c~d est ce qu'il faut ajouter à d pour obtenir c.
Donc a~b + c~d doit représenter la somme de deux ajouts. En y pensant un peu, on peut voir que cette somme est ce qu'il faut ajouter à b+d pour obtenir a+c.
Dans mon explication billes blanches billes noires, cela correspond à mettre les blanches «ensemble» et mettre les noirs «ensemble».
Quelques exemples vous convaincrons de la pertinence de cette définition.
Ex. 1 : 12~5 + 4~1 = (12+4)~(5+1) = 16~6
(Trad : +7 + +3 = +10 = ce qu'il faut donner à 6 pour obtenir 16.)
Ex. 2 : 4~3 + 2~5 = (4+2)~(3+5) = 6~8
(Trad : 1 + -3 = -2 = Ce qu'il faut donner à 8 pour obtenir 6.)
L'opération soustraction
Pour définir la soustraction, nous n'utiliserons que des concepts déjà connus. Mais attachez vos tuques, vous allez tripper fort!
Par définition, soustraire c~d de a~b consiste à trouver (s'il existe) un nombre m~n tel que :
a~b = c~d + m~n.
(Relisez plusieurs fois les deux dernières lignes pour être bien convaincu.)
Comme on connaît déjà la définition de l'addition, on a :
a~b = (c+m)~(d+n)
En retournant à la définition d'égalité chez les entiers, on a donc :
a+d+n = b+c+m.
Cette dernière équation est vraie si
m=a+d et n=b+c
En substituant le tout dans l'équation de départ, on a :
a~b = c~d + (a+d)~(b+c)
ou
a~b - c~d = (a+d)~(b+c)
Cette dernière équation nous permet de constater que
la soustraction est toujours possible chez les entiers puisque a+d et b+c existent en tout temps chez les nombres naturels !
Ce constat montre encore toute la beauté de la définition des entiers à l'aide d'une paire de nombres naturels.
Voyons quelques exemples :
Ex. 1 : 12~5 - 4~1 = (12+1)~(5+4) = 13~9
(Traduction : +7 - +3 = +4 = ce qu'il faut donner à 9 pour obtenir 13.)
Ex. 2 : 4~3 + 2~5 = (4+5)~(3+2) = 9~5
(Traduction : 1 - -3 = +4 = Ce qu'il faut donner à 5 pour obtenir 9.)
Ex. 3 : 7~10 - 5~2 = (7+2)~(10+5) = 9~15
(Traduction : -3 - +3 = -6 = Ce qu'il faut donner à 15 pour obtenir 9.)
Quand j'aurai le temps et le goût, je rédigerai un billet à propos de la multiplication, de la division et de la relation d'ordre à partir de la définition donnée ici. En attendant, vos commentaires sont bienvenus.
Ce billet est largement inspiré par :
William Leonard Schaaf,
Basic concepts of elementary mathematics, p.178 et suiv., 1969