Jobineries

Blogue de Gilles G. Jobin, Gatineau, Québec.

dimanche 14 avril 2013

Miette 87 : Charité bien ordonnée commence par soi-même

La charité

Charité bien ordonnée commence par soi-même.

Sommaire. - L'ironie des mots. - Moi d'abord. - Égoïste et limaçon. - Bon coeur des artistes. - Le jaune pour les pauvres. - Plaisir bienfaisant. - La soeur de la prière. - Volupté de l'aumône.

Il y a une sorte d'ironie dans l'énoncé seul de ce proverbe. Ordinairement, qui dit charité, dit offrande ou don à autrui. Une charité qui n'a de bonne et belle ordonnance qu'à la condition de s'offrir d'abord à soi-même un cadeau, cela devient l'envers de la charité, le primo mihi : moi d'abord.

Omnes sibi melius esse malunt quam alteri.
Proximus sum egomet mihi.1
« On veut son bien avant de vouloir celui d'autrui.
On n'a pas de plus prochain que soi-même. »

Voilà bien la devise de l'égoïsme, l'un des plus vilains défauts que l'on ne saurait trop vigoureusement blâmer.

Arnault s'en est chargé de main de maître dans une de ses fables ingénieuses où il a poussé la satire jusqu'à ravaler au même niveau l'homme qui ne pense qu'à lui et... le limaçon !

Sans amis, comme sans famille,
Ici-bas vivre en étranger,
Se retirer dans sa coquille
Au signal du moindre danger.
S'aimer d'une amitié sans bornes ;
De soi seul emplir sa maison ;
En sortir, suivant la saison,
Pour faire à son prochain les cornes;
Signaler ses pas destructeurs
Par les traces les plus impures ;
Outrager les plus belles fleurs
Par ses baisers ou ses morsures;
Enfin, chez soi comme en prison,
Vieillir, de jour en jour plus triste,
C'est l'histoire de l'égoïste
Et celle du colimaçon.2

Fort heureusement, ce triste échantillon de l'espèce humaine est contre-balancé par nombre de personnes bonnes et généreuses, qui exercent la véritable charité, telle qu'elle doit être comprise. En cela, les artistes sont les premiers à donner l'exemple et parfois de façon très digne et très spirituelle.

L'un d'eux avait prêté gratuitement son concours à une représentation de bienfaisance. Pour le remercier, les organisateurs de la fête crurent devoir placer sous sa serviette, au banquet terminant la cérémonie, un oeuf dont l'enveloppe fragile se rompit tout à coup, laissant échapper quelques louis. « Ah ! Monsieur, dit joyeusement le comédien au président de la table, je suis touché de l'attention; mais excusez mon goût bizarre, dans l'oeuf je n'aime que le blanc, souffrez que je laisse le jaune pour les pauvres ! »

Cette charité est belle, bonne, réconfortante, c'est à celle-là que Désaugiers adressait ce joli couplet :

Hommage au talent qui console,
Qui, combattant la triste adversité,
Exploite notre humeur frivole
Au profit de l'humanité.
Thalie, au nom de l'indigence,
Voit ses enfants ici se réunir,
Et sur leurs pas, la bienfaisance
Accourt à l'appel du plaisir!3

C'est à celle-là que s'adressait Victor Hugo quand il disait :

Donnez riches! L'aumône est soeur de la prière.4

C'est encore celle-là qu'évoqua Lamartine :

L'or qu'au plaisir le riche apporte
Ne fait que glisser dans sa main ;
Le pauvre qui veille à la porte
Attend les miettes de ce pain.

Aux sons de nos harpes de fêtes,
Anges, unissez vos accents,
Car tous nos luxes sont des quêtes
Où l'art sollicite les sens.

Jouissez, heureux de la terre,
Dans ce temple à la charité !
Le plaisir est une prière
Et l'aumône une volupté.5


1 Térence.
2 Arnault, Le Colimaçon, livre I, fable 4.
3 Couplets impromptus, chantés à une représentation donnée au bénéfice d'une famille indigente.
4 « Pour les Pauvres » (1830), dans les Feuilles d'automne.
5 « Pour une quête », dans les Nouvelles Harmonies poétiques.

Émile Genest, Miettes du passé, Collection Hetzel, 1913. Voir la note du transcripteur.

De toutes les Paroisses, page 223

Certains êtres sont si bien placés près d'autres : les arrogants près de ceux qui savent répondre.

On pense en robe de chambre avec les intimes de sa pensée.

Le rire de complaisance n'est qu'une jolie grimace.

Il faut pouvoir respecter tous ceux que l'on fréquente.

Les uns en s'en allant emportent de notre coeur, les autres de notre poésie, ceux-ci de notre admiration, ceux-là de notre force, hélas!

L'incertain s'amuse de nous; il s'éloigne, il s'approche, il nous touche, il nous échappe, et notre coeur suit ces divers mouvements.

Anne Barratin, De toutes les Paroisses, Ed. Lemerre, Paris, 1913