Jobineries

Blogue de Gilles G. Jobin, Gatineau, Québec.

dimanche 21 avril 2013

Miette 94 : Il ne faut pas mettre le doigt entre l'arbre et l'écorce

La prudence

Il ne faut pas mettre le doigt entre l'arbre et l'écorce.

Sommaire. - Franc aveu. - Un peu de botanique. - Cherchons l'écorce. - Dangers du métier de conciliateur. - Image pour image. - L'enclume et le marteau. - Un veau inattendu.

Malgré la confusion que j'en éprouve, ma franchise naturelle m'oblige à confesser que je ne comprends pas très bien l'inconvénient qu'il y aurait à mettre le doigt entre un arbre et son écorce.

Pour supprimer les complications, supprimons d'abord les feuilles et les branches ; il nous restera le tronc; si j'en arrache l'écorce qui n'est pas élastique, je me trouverai en présence de l'aubier (faisons un peu de botanique, une fois n'est pas coutume) et je pourrai placer un doigt et même deux, voire la main tout entière sans la moindre douleur.

Il n'en serait pas de même si je prenais un tronc d'arbre à moitié fendu et que je voulusse le séparer tout à fait. Les deux parties imparfaitement disjointes pourraient faire ressort et me retenir prisonnier par les mains ainsi qu'il est advenu à un certain Milon, de Crotone, lequel apprit à ses dépens le danger de se livrer à cet exercice. Il ne put retirer ses poignets et mourut dévoré par les loups.

Où est l'écorce dans tout cela, et le péril qu'elle présente ? J'ai beau me creuser le cerveau, je n'en perçois pas l'ombre.

Il doit nous suffire de comprendre le sens qu'on attache à ce proverbe et de savoir qu'il est inopportun et même dangereux de s'interposer entre personnes intimement unies, comme le sont l'arbre et son écorce.

Ne vous mêlez pas des querelles de ménage ; en voulant tout concilier, vous ne conciliez rien du tout; vous donnez raison à l'un des époux, croyant faire plaisir à l'autre; le mari et la femme se réconcilient tout seuls à vos dépens et vous plantent là, trop heureux encore si vous vous en tirez sans essuyer une grêle de coups.

Vous voyez dans la rue des gens qui se disputent; votre bon coeur vous engage à intervenir; quel étonnement est le vôtre quand subitement leur querelle se termine et qu'ils s'unissent pour vous dévaliser; leur touchant accord peut aller jusqu'à vous larder de coups de couteau par-dessus le marché.

C'est pour échapper à ces ennuis et accidents que l'on vous dit : Il ne faut pas mettre le doigt entre l'arbre et l'écorce.

Image pour image, je préfère l'enclume et le marteau qui nous offrent le même sens; connaissant leur emploi, je me rends parfaitement compte de la situation qui me serait réservée si je me risquais à mettre entre eux deux la moindre de mes phalanges; et, si j'avais le désir de donner le conseil, au lieu de dire :

Si puissant qu'on soit,
Entre l'arbre et son écorce
Jamais on ne doit,
Comme on dit, mettre le doigt,1

j'aimerais mieux employer la formule du Trésor des Sentences2, malgré la sévère rudesse de son appréciation pour ceux qui n'y obéissent pas :

Entre l'enclume et le marteau
Qui doigt y fourre est tenu veau.


1 Auguste de Pils.
2 Recueil de sentences morales, dicts et dictons, de Gabriel Meurier.

Émile Genest, Miettes du passé, Collection Hetzel, 1913. Voir la note du transcripteur.

De toutes les Paroisses, page 230

Les passions ne se guérissent pas; elles se courbaturent et recommencent.

Se garder de l'ennui et n'ennuyer personne, deux soins à prendre.

La pruderie est citadine; on n'est pas prude au village.

Trop craindre, c'est appeler.

Il est toujours regrettable qu'une femme riche soit belle ; elle peut si bien s'en passer pour trouver un mari et être entourée !

Les souffrances de l'amour, comme elles sont chères, pendant et après !

Anne Barratin, De toutes les Paroisses, Ed. Lemerre, Paris, 1913