Jobineries

Blogue de Gilles G. Jobin, Gatineau, Québec.

mardi 10 avril 2012

Miette 31 : Pierre qui roule n'amasse pas mousse

Le travail

Pierre qui roule n'amasse pas mousse.

Sommaire. - Le calme des bois. - Ni pluie, ni vent, ni soleil. - Voyage d'une pierre précieuse. - Christine de France et saint François de Sales. - L'arbre veut la stabilité. - Déception à redouter.

La mousse aime le calme des bois, la tranquillité et la stabilité ; c'est ainsi qu'elle obtient sa jolie couleur verte, si douce à l'oeil, et son tapis moelleux, si doux au repos du voyageur fatigué.

Les pierres qui lui tiennent compagnie et qu'elle recouvre de son manteau protecteur sont depuis longtemps à la même place et se plaisent à se sentir ainsi abritées de la pluie, du vent et du soleil.

Celles, que leur esprit aventureux entraîne à une course vagabonde, ou que leur besoin de voyager engage à des déplacements, doivent forcément renoncer à toutes ces délices et ne connaissent la mousse que par ouï-dire. Jamais en roulant pierre n'en amassera.

Le proverbe français est la traduction littérale d'un adage grec employé par Lucien et passé dans la langue latine en ces termes :

Saxum volutum non obducitur musco :
« Un rocher remué n'est pas recouvert de mousse. »

Il est arrivé cependant une fois à une pierre de gagner à voyager et de rapporter gros à celui qui en était le détenteur; c'était, il est vrai, une pierre précieuse.

Christine de France, princesse de Piémont, ayant choisi saint François de Sales pour aumônier, lui fit présent d'un très beau diamant qu'elle lui recommanda de garder pour l'amour d'elle. « Madame, lui dit le saint prélat, je vous le promets, tant que les pauvres n'en auront pas besoin. »

La princesse l'ayant rencontré depuis sans le diamant, il lui fut aisé de deviner ce que celui-ci était devenu.

Elle lui en donna un autre d'un plus grand prix en lui recommandant de n'en pas faire comme du premier. « Madame, dit le saint, je ne vous en réponds pas, je suis peu propre à garder les choses précieuses. »

Il fut, en effet, fort peu soigneux de le conserver; le diamant se trouvait toujours en gage pour les malheureux; il était moins à l'évêque qu'à tous les pauvres gens que sa bonté secourait avec tant d'obstination. D'ailleurs saint François de Sales ne disait-il pas : « La charité excuse tout, elle croit tout, elle espère tout, elle supporte tout. »

Tous les diamants n'ont pas la même bonne fortune et ne sont pas aussi rapidement et généreusement remplacés quand leur propriétaire les abandonne. Ne vous risquez donc pas à les faire « rouler », vous qui en possédez ; ils ne vous amasseraient rien du tout.

« L'arbre non plus n'aime pas à être transplanté. »
Saepius plantata arbor, fructum profert exiguum.

il ne produit qu'un fruit bien maigre; un proverbe latin le reconnaît :

Planta quae saepius transfertur non coalescit.

« La plante que l'on transfère trop souvent ne se fortifie pas. »

De même « qui habite partout, n'habite nulle part. »

Quisquis ubique habitat... nusquam habitat.1

Franklin a réuni ces deux réflexions en une seule phrase : « Je n'ai jamais vu un arbre qu'on change souvent de place, ni une famille qui déménage souvent, prospérer autant que d'autres qui restent stables. »

Soyons stables, ayons de la suite dans les idées et ne cherchons pas en changeant constamment de pays ou de profession, à augmenter nos ressources ou notre bien-être. La déception nous attendrait.

Dans maint auteur de science profonde
J'ai lu qu'on perd trop à courir le monde,
Très rarement on devient meilleur.
Un sort errant ne conduit qu'à l'erreur.2


1 Martial. [GGJ : Épigrammes, VII, 73, 6 : Celui qui habite partout, Maximus, n'habite nulle part.]
2 Gresset. [GGJ : C'est tiré du Chant Premier de Vert-Vert de Gresset. Cependant, Genest semble avoir mal transcrit le 3e vers qui se lit plutôt : Très rarement devient-on meilleur.]

Émile Genest, Miettes du passé, Collection Hetzel, 1913. Voir la note du transcripteur.

Chemin faisant, page 105

Comme le silence de certains amis vaut mieux que leurs louanges! 0 silence! salut à ta bouche close.

Voir en grand, faire en large, construire en beau avec la bourse des autres, que de gens sont généreux a ce prix-là !

Quand on est logique, on est toujours fort : c'est être botté pour la descente et pour la montée.

Les gens qui n'en savent pas plus long, peut-on leur en demander plus large ?

Oh! que c'est commode, un bavard, quand on en sait tirer parti ! On peut lui faire dire tant de choses qu'on n'aimerait pas à dire soi-même, et en apprendre tant d'autres qu'on n'aimerait pas à demander !

Anne Barratin, Chemin faisant, Ed. Lemerre, Paris, 1894

Lire le premier billet consacré à cette série.