Jobineries

Blogue de Gilles G. Jobin, Gatineau, Québec.

samedi 30 juin 2012

Chemin faisant, page 190

L'habileté ne plaît qu'à elle-même, tout au plus à ceux qui en profitent.

La vanité est comme le coq ; elle se réveille avec bruit.

L'homme qui accepte la plainte, qu'il se prépare à accepter le conseil.

Mieux vaut être aimée qu'adorée.

Tendre le dos, c'est une action bien simple, et pourtant si difficile !

Il est certains mépris qu'il faut cacher en avare, d'autres qu'il faut avouer en prodigue.

Anne Barratin, Chemin faisant, Ed. Lemerre, Paris, 1894

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vendredi 29 juin 2012

Chemin faisant, page 189

Il n'est pas prouvé que les gens qui portent la misère avec majesté puissent porter la fortune avec décence.

La liberté a des limites comme tous les royaumes, la liberté a des voisins comme tous les peuples, la liberté a des passions comme tous les princes, la liberté a des taches comme tous les astres.

Les phrases toutes faites sont la ressource de ceux qui ne savent pas en faire.

Nos supériorités sont comme nos enfants, nous les gâtons.

La jalousie qui ne s'éteint pas avec l'amour est de l'amour-propre.

Aux cendres d'une passion s'en rallume souvent une autre.

Anne Barratin, Chemin faisant, Ed. Lemerre, Paris, 1894

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jeudi 28 juin 2012

Chemin faisant, page 188

Mourir! c'est retourner au bercail.

Le chagrin a des injustices à lui, comme la bouche amère.

Il y a des gens qui naissent ouatés d'indifférence et qui se croient philosophes.

Tout vient à point à qui sait attendre : parole d'un philosophe qui n'avait jamais attendu.

Quand un organe est bien portant on ne s'aperçoit pas qu'il existe ; quand la vie est facile on ne sent pas qu'elle coule.

Aimer et admirer à la fois, double jouissance du coeur, car on aime sans admirer et on admire sans aimer.

Anne Barratin, Chemin faisant, Ed. Lemerre, Paris, 1894

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mercredi 27 juin 2012

Chemin faisant, page 187

Même en dormant, ne perds pas ton but de vue.

Ah! qu'il fait mal le reproche de la conscience ! c'est l'enfant qui mord le sein.

On n'est pas d'abord à son aise dans une nouvelle vertu, comme sur un matelas cardé à neuf; puis l'union se fait.

Entre le travailleur et l'établi il n'y a pas de place pour la tentation.

C'est surtout l'innocence qu'on n'apprécie qu'après l'avoir perdue, tant on est généralement impatient de la perdre.

Le beau temps a toujours l'air d'un innocent.

Anne Barratin, Chemin faisant, Ed. Lemerre, Paris, 1894

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mardi 26 juin 2012

Miette 55 : Il vaut mieux faire envie que pitié

L'orgueil

Il vaut mieux faire envie que pitié.

Sommaire. - Prémisses posées. - Ennemie de notre bonheur. - Double souffrance. - Utilité des envieux. - Avantage d'être envié. - Cachons notre douleur. - Imprudente question. - Fine réponse.

L'envieux maigrit de l'embonpoint d'autrui.1

Faire envie, c'est être enviable; faire pitié, c'est être pitoyable; ces prémisses posées, la conclusion en découle logique et nous donne : il est préférable de provoquer l'envie plutôt que d'inspirer la pitié.

« L'envie est naturelle à l'homme, et cependant elle est un vice et un malheur tout à la fois. Nous devons donc la considérer comme une ennemie de notre bonheur et chercher à l'étouffer comme un méchant démon. Sénèque nous le commande par ces belles paroles :

« Nostra nos sine comparatione délectant : nunquam erit felix quem torquebit felicior (De ira, III,50) : Jouissons de ce que nous avons sans faire de comparaison; jamais de bonheur pour celui que tourmente un bonheur plus grand. »2

Ainsi s'exprime Schopenhauer. Puisqu'il était en train de citer Sénèque, il aurait pu ajouter du même auteur cette observation, qui complète la précédente : « L'ambitieux souffre doublement de l'envie, de celle qu'il éprouve et de celle qu'il inspire. »

Ces philosophes blâment l'envie et conseillent de s'en affranchir.

Boileau et Jean-Baptiste Rousseau, en gens pratiques, cherchent à tirer parti des envieux et vantent l'utilité des ennemis.

Commençons par Boileau :

Je dois plus à leur haine, il faut que je l'avoue,
Qu'au faible et vain talent dont la France me loue.
Leur venin, qui sur moi brûle de s'épancher,
Tous les jours en marchant m'empêche de broncher.
Je songe, à chaque trait que ma plume hasarde,
Que d'un œil dangereux leur troupe me regarde.
Je vais sur leurs avis corriger mes erreurs,
Et je mets à profit leurs malignes fureurs.
Sitôt que sur un vice ils pensent me confondre,
C'est en me guérissant que je vais leur répondre ;
Et plus en criminel ils pensent m'ériger,
Plus croissant en vertu, je songe à me venger.3

Plus calme et moins nerveux, Jean-Baptiste Rousseau songe au fruit que

Peut retirer un solide mérite
Des ennemis que le sort lui suscite.
Tous ces travaux dont il est combattu
Sont l'aliment qui nourrit sa vertu :
Dans le repos elle s'endort sans peine;
Mais les assauts la tiennent en haleine.4

Quel que soit le point de vue envisagé, vous avez intérêt à être envié, soit parce que votre mérite, votre talent vous auront donné une situation brillante et une réputation glorieuse, soit parce que la critique, vous ouvrant les yeux, vous conduira sur le chemin de la perfection. Par contre, s'il vous arrive un malheur, qu'on n'en sache rien, afin de ne pas devenir un objet de pitié.

Il est bon quelquefois de cacher sa douleur
Pour que nos ennemis n'aient pas fête en leur coeur.

Un auteur dramatique, qui venait d'obtenir un beau succès, reçoit la visite d'un de ses confrères, très connu par la malignité de son esprit et ses sentiments de jalousie : « Voilà un triomphe, s'écria-t-il en entrant, qui va fort déconcerter les envieux. Que vont-ils dire ? - C'est précisément à vous que je le demande, » répondit spirituellement l'auteur.


1 Horace
2 Schopenhauer, Aphorismes sur la sagesse dans la vie, Parénèses et maximes, chapitre V, II, De l'envie.
3 Epître VII : À Racine, De l'utilité des ennemis. Vers 59 et suivants.
4 Epître IV, livre II. A. M. Rollin. Vers 205 et suivants.

Émile Genest, Miettes du passé, Collection Hetzel, 1913. Voir la note du transcripteur.

Finale de pions : Aronin - Smyslov


Aronin - Smyslov,
Ch. URSS, Moscou, 1951.

Commentaires de Smyslov tirés de son Endgame Virtuoso, Cadogan, 1977.

Un grand merci au superbe script PGN-VIEWER trouvé sur Chess Tempo.

Chemin faisant, page 186

Le critique est aussi un homme de rancune, et sa personnalité passe chez lui, comme chez nous tous, avant sa justice.

Ceux qui doivent vivre de leur plume ont la plume nécessairement bridée.

La nasse laisse passer le fretin; soyons nasse pour le menu critique.

C'est une pénible déchéance que de se sentir moins bon, moins endurant qu'on ne l'était.

Un homme doit choisir son métier et sa femme.

Mentir au menteur, c'est boire dans son verre.

Les nouvelles amitiés sont comme les plages nouvelles; il leur manque le souvenir.

Anne Barratin, Chemin faisant, Ed. Lemerre, Paris, 1894

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lundi 25 juin 2012

Chemin faisant, page 185

Les injustices appellent l'autre vie, comme l'enfant malheureux appelle sa mère.

Nos yeux ne sont pas nés discrets, ils ont à le devenir.

Les vieilles coquettes sont comme les vieux généraux; elles aspirent toujours à quelque nouvelle bataille.

Les gens brusques s'autorisent de la franchise comme les voleurs de la faim.

Il y a des âmes qui sont nées soldats, il y a des esprits qui sont nés batailleurs.

Il faut écouter le critique comme le docteur, en se permettant de modifier l'ordonnance.

Anne Barratin, Chemin faisant, Ed. Lemerre, Paris, 1894

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dimanche 24 juin 2012

Partie commentée : Grünfeld-Réti, 1922




Blancs : Grünfeld, Ernst (1893 - 1962)
Noirs : Réti, Richard (1889 - 1929)

Pistyan, 1922
Commentaires : H. Golombek.
Réf. : Reti's best games of Chess (Dover ed.)

Un grand merci au superbe script PGN-VIEWER trouvé sur Chess Tempo.

Chemin faisant, page 184

Quelque habile que l'on soit, on est toujours deviné par quelqu'un.

L'artiste n'est pas toujours la joie de l'art, comme le fils n'est pas toujours la joie de la maison.

L'envie est maigre de tout ce qu'elle désire.

Péché d'Adam! fallait-il que tu fusses doux pour que ta peine fût si amère !

Il faut donner comme si on volait, presque en se sauvant.

Respect aux titres, comme à tous les naufragés !

Il faut laisser dire le monde comme il faut laisser crier l'enfant quand il a la colique.

Anne Barratin, Chemin faisant, Ed. Lemerre, Paris, 1894

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Miette 54 : Au bout du fossé la culbute

L'orgueil

Au bout du fossé la culbute.

Sommaire. - Pour la tranquillité et la joie des seigneurs. - Le saut du fossé. - Le peuple souverain. - La douche au baquet. - Examiner ses forces. - Qui n'aime pas à être giflé ... pour rire.

Du temps où il y avait manants et seigneurs, ceux-ci prenaient leur tranquillité ou leurs plaisirs aux dépens de ceux-là.

Pour assurer le repos des nuits seigneuriales, les vilains battaient les fossés des châteaux afin d'en écarter les grenouilles et leurs coassements.

Pour égayer les journées oisives, ils se livraient à des exercices d'adresse ou de maladresse et, entre autres, à celui-ci :

On creusait un fossé ; les côtés, d'abord très rapprochés, s'éloignaient au fur et à mesure pour se trouver, à l'extrémité, très écartés l'un de l'autre.

Le fossé rempli d'eau, les manants étaient invités à le sauter d'un seul bond.

On commençait par le bout le plus étroit et, graduellement, on continuait jusqu'à l'autre bout. La distance à franchir devenant trop grande pour l'effort des sauteurs, ceux-ci tombaient immanquablement à l'eau dans des poses plus ou moins grotesques et imprévues : ce qui ne manquait pas d'exciter l'hilarité des assistants;

au bout du fossé

s'accomplissait l'inévitable culbute.

Depuis qu'il n'y a plus de manants et plus de seigneurs, et que la grande Révolution a proclamé tous les hommes égaux, ce genre de farce n'en a pas moins été conservé dans nos fêtes de campagne. Ce n'est plus les seigneurs châtelains que l'on cherche à amuser, mais bien le peuple souverain.

Un baquet rempli d'eau est suspendu à une tige transversale sur laquelle il peut tourner. Les amateurs doivent, en passant dessous, lui imprimer un mouvement de rotation qui le fait basculer et renverse l'eau. La difficulté consiste pour le coureur à n'être pas éclaboussé; ordinairement il est architrempé, toujours aux éclats de rire de l'assemblée.

C'est un peu changé, mais à peu près la même chose. Au lieu de s'asseoir dans l'eau, on la reçoit sur la tête; l'important est qu'en amusant les uns on bafoue les autres; ce double résultat est obtenu ; voilà le principal.

Dans les deux cas, il faut bien prendre son élan, ou bien viser pour n'être pas gratifié d'un bain de siège ou d'une douche intempestive.

Au cours des événements de votre existence il convient également de

Consulter longtemps votre esprit et vos forces,1

d'apprécier la résistance de vos épaules et ce qu'elles se refusent à porter,

Quid valeant humeri, quid ferre récusent.2

Si vous n'avez pas songé à cette sage précaution, vous courez aux déceptions, aux ennuis, aux chagrins, au ridicule.

Ayez donc grand soin de toujours bien prendre votre élan pour ne pas trouver au bout du fossé... la culbute.

Il avait mal pris son élan ce fanfaron qui poursuivait de ses lazzis et de ses gasconnades un jeune officier aussi patient que brave. À un moment, le militaire, trouvant que le jeu avait suffisamment duré, allongea une maîtresse gifle à son persifleur.

Celui-ci, interloqué et voyant trente-six chandelles :

« Est-ce sérieux, Monsieur, ce que vous faites ?

— Oui, morbleu! reprend l'officier en mettant la main sur la garde de son épée.

— À la bonne heure, car je n'aime pas des plaisanteries comme celle-là. »

On s'en tire comme on peut; mais pour une culbute, avouez-le, c'est une jolie culbute.


1 Boileau, Art poétique, chant I, vers 3.
2 Horace, Art poétique, vers 39.

Émile Genest, Miettes du passé, Collection Hetzel, 1913. Voir la note du transcripteur.

samedi 23 juin 2012

Miette 53 : Il se croit le premier moutardier du pape

L'orgueil

Il se croit le premier moutardier du pape.

Sommaire. - Les armes de la ville de Dijon. - Leur origine. - La reconnaissance d'un duc de Bourgogne. - Un pape amateur d'épices. - Création d'une charge d'officier... de bouche. - Ridicule souvenir.

Chaque fois qu'il est question de moutarde, la pensée se dirige involontairement sur la ville de Dijon, à laquelle on fait gloire de la qualité de ce condiment. Nous nous garderons bien de chercher à retirer un fleuron de sa couronne à la noble ville, mais nous pouvons signaler qu'elle possède en ses armes de quoi s'enorgueillir davantage ; on peut le rappeler, sans crainte de froisser les braves Dijonnais, braves dans tous les sens du mot.

Les Gantois s'étaient révoltés en 1582 contre Louis II, comte de Flandre. Son gendre, Philippe, duc de Bourgogne, surnommé le Hardi, pour sa courageuse conduite à la bataille de Poitiers, vint à son secours ; et la ville de Dijon leva à ses frais mille hommes pour renforcer l'armée de leur duc; cet appoint lui donna la victoire. En reconnaissance, Philippe accorda à la ville de Dijon le privilège de porter ses armes et lui donna son cri : moult me tarde, qui, par abréviation, devint moult tarde, promptement converti, par corruption d'orthographe, en « moutarde ».

Maintenant que nous sommes en règle avec la capitale de la Bourgogne et sa double renommée de gloire et de gastronomie, arrivons à notre moutardier du pape. Ce pape était le pape avignonnais Jean XXII qui, tout savant qu'il était dans la jurisprudence et la médecine, n'en professait pas moins pour la moutarde un véritable culte ; il ne pouvait s'en passer dans aucun de ses mets, si bien qu'à une époque où les seigneurs avaient leur maison montée, comprenant grand pannetier, grand échanson, écuyer tranchant et autres officiers de bouche, il crut de sa dignité pontificale de créer la fonction de « grand moutardier » en faveur d'un de ses neveux. Celui-ci, « glorieux d'une charge si belle », ne regardait les autres qu'avec le plus profond mépris ; il se fit remarquer par une telle arrogance et un dédain si persistant qu'on le prit comme type pour désigner les gens insolents et vaniteux assimilés, en son ridicule souvenir, au « premier moutardier du pape ».


Émile Genest, Miettes du passé, Collection Hetzel, 1913. Voir la note du transcripteur.

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