L'expérience

C'est sa bête noire.

Sommaire. - Une devinette - Invisible el partout présente. - Refrain d'une chanson russe. - Réparation méritée.

Vous connaissez cette bête extraordinaire dont la description est une devinette pour les enfants : « Qui est-ce qui a les oreilles d'un chat, la queue d'un chat, les yeux d'un chat et les pattes d'un chat et qui n'est pas un chat ? » Cet animal extraordinaire ne l'est pas du tout, étant tout bonnement une chatte.

La bête noire est plus extravagante encore; c'est une bête qui n'est pas une bête ; elle n'a ni pieds ni pattes, ni bec ni ongles, ni dents ni crocs, ni poil ni plume, ni griffes ni ergots, ni tête ni queue, ni oeil ni langue : elle n'a rien, mais elle a tout ce qu'il faut pour vous effrayer, vous agacer, vous énerver, assombrir vos jours, troubler vos nuits ; vous ne la voyez jamais, vous ne l'avez jamais vue et cependant vous ne voyez qu'elle, vous ne pensez qu'à elle ; elle vous poursuit, ne vous quitte pas ; vous ne pouvez vous en débarrasser. C'est une bête, une vilaine bête, la plus insupportable de toutes les bêtes, qui, pour vous tourmenter, prend les aspects les plus divers. C'est la bête noire !

Pour l'écolier, c'est le maître d'études; pour le paresseux, le devoir à faire, la leçon à apprendre; pour la fillette, son piano; pour les gens nerveux, le dentiste ; pour le collégien en vacances, la rentrée d'octobre; pour l'employé, son chef de bureau; pour l'ouvrier, le patron; pour le filou, le gendarme ; pour le débiteur, son créancier; et, naturellement, pour un gendre, la belle-mère ! C'est classique !

Un auteur de talent qui eut son heure de célébrité, Édouard Cadol1, n'a-t-il pas consacré tout un volume à la belle-mère sous le titre de : La Bête noire !

Jusqu'au fin fond de la Russie, elle est honnie par les ouvriers et les paysans qui travaillent à la faible lueur d'un flambeau dans les pauvres villages où le gaz et l'électricité n'ont pas encore fait leur apparition.

Voici le refrain d'un de leurs chants préférés :

« Oui, le travail est pénible ; oui, la nuit est noire ; oui, le travail est chichement rétribué; mais combien il vaut mieux travailler et peiner que d'avoir une belle-mère; car la belle-mère, c'est encore plus triste qu'un brandon fumeux. »

Qu'ont donc fait ces malheureuses belles-mères pour être ainsi maltraitées à toute époque et dans tous pays ?

Il y a trop longtemps que cela dure ; l'heure est venue de protester et je proteste, Généraliser est injuste. Il en est des belles-mères comme de toutes choses ; s'il y en a de mauvaises, il en est de bonnes et même d'excellentes qui méritent qu'on les appelle : « Belle-maman ! »


1 [GGJ] Édouard Cadol, né le 11 février 1831 à Paris et mort le 2 juin 1898 à Asnières. Voir Wikipédia.

Émile Genest, Miettes du passé, Collection Hetzel, 1913. Voir la note du transcripteur.