Un rideau magique, tissé de légendes, était suspendu devant le monde. Cervantes envoya don Quichotte en voyage et déchira le rideau. Le monde s'ouvrit devant le chevalier errant dans toute la nudité comique de sa prose.
Kundera, Le Rideau, p. 110, Gallimard 2005


J'ai tout lu de Kundera. À mon humble avis, c'est l'un des cinq plus grands auteurs de la deuxième moitié du XXe siècle et il devrait mériter le Nobel de la littérature.

Aussitôt paru au Canada il y quelques mois, j'ai immédiatement achété son dernier livre, Le Rideau. Je n'ai cependant pris le temps de lire que cette semaine. C'est un profond essai sur l'art du roman. On y retrouve des analyses de Bovary, du Quichotte, de Kafka, etc. Aucun dépaysement pour les lecteurs des ses deux premiers essais. Dans Le Rideau on sent l'amour inconditionnel de l'auteur pour son art. Pour Kundera, le roman est la vie, me dis-je, en refermant le bouquin.

Il y a une foule de passages savoureux dont celui où il suggère la lecture de Gombrowicz a un ami. Ce dernier choisit Les Envoûtés, livre paru après la mort de son auteur. Plus tard, l'ami signale à Kundera son manque d'enthousiame .
Je dis  : « Il faut que vous lisiez Ferdydurke ! ou La Pornographie ! » Il me regarde avec mélancolie. « Mon ami, la vie devant moi se raccourcit. La dose de temps que j'ai épargnée pour votre auteur s'est épuisée. » (p. 116)
Cela nous arrive à tous : proposer un auteur à un ami et par la suite sentir la tiédeur de ce dernier envers notre écrivain fétiche. La relation lecteur-auteur est unique.

Un autre passage qui m'a fait sourire est celui sur l'oubli :
« [...] en tournant la page, j'oublie déjà ce que je viens de lire; je n'en retiens qu'une sorte de résumé indispensable à la compréhension de ce qui va suivre, tandis que tous les détails, les petites observations, les formules admirables sont déjà effacés. Un jour, après des années, l'envie me prendra de parler de ce roman à un ami; alors nous constaterons que nos mémoires, n'ayant retenu de la lecture que quelques bribes, ont reconstruit pour chacun de nous deux livres tout différents. » (p. 176)
J'ai lu Kafka dans ma jeune vingtaine et je m'étais donné comme défi de le relire cette année. Je ne sais si j'y arriverai, mais ce Kundera m'incite grandement à m'y mettre. Je me rends compte aussi que Rabelais, Cervantes et Sterne manquent terriblement à ma culture. Il y a tant à lire, et la vie est si courte, si courte...